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Date : 20181108


Dossier : IMM-1944-18

Référence : 2018 CF 1129

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

JENE TITA KAREN LYDIE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue de soumettre à un contrôle judiciaire la décision datée du 11 avril 2018 par laquelle un agent de la section des visas de l’ambassade du Canada à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis (le bureau des visas), a rejeté la demande de visa de résident temporaire (VRT) déposée par la demanderesse en vue de visiter le Canada.

II.  Contexte

[2]  La demanderesse, Jene Tita Karen Lydie, est une citoyenne du Cameroun. Elle habite à Dubaï, aux Émirats arabes unis, en vertu d’un permis de séjour temporaire qui expirera en 2021. Elle travaille actuellement à Dubaï auprès de Super City One Electromechanical LLC, une société de construction et de nettoyage dont elle détient également 15 % des parts. Avant d’obtenir ce poste, elle travaillait comme esthéticienne à Dubaï.

[3]  La demanderesse a déposé une demande de VRT (la demande) le 2 mai 2017. Le bureau des visas a refusé sa demande le 12 mai 2017.

[4]  La demanderesse a alors présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire devant la Cour le 29 mai 2017 (IMM-2374-17). Le juge Roy a accueilli cette demande le 1er septembre 2017. Les parties ont conclu une entente de règlement avant l’audience, et l’affaire a été renvoyée au bureau des visas pour nouvel examen par un autre agent. La demanderesse a présenté de nouveaux documents au bureau des visas pour les fins de cette nouvelle décision.

[5]  Dans une décision datée du 11 avril 2018 (la décision), un agent non identifié du bureau des visas (l’agent) a rejeté la demande. La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision devant la Cour. L’audition de l’affaire a été fixée au 8 novembre 2018.

[6]  Le 2 novembre 2018, la demanderesse a écrit à la Cour pour l’aviser qu’elle ne pourrait pas comparaître à l’audience, ni embaucher un avocat en raison de problèmes financiers. Elle a demandé à la Cour de permettre à sa sœur, la Dre Valerie Mgbatogu, et à son beau‑frère, le Dr Samuel Mgbatogu, de comparaître en son nom à l’audience.

[7]  Également le 2 novembre 2018, l’avocate du défendeur a écrit à la Cour afin de s’opposer à la demande d’autorisation, pour les raisons que j’examinerai ci-dessous.

III.  Questions en litige

[8]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. Un représentant non juriste peut-il comparaître au nom de la demanderesse?
  2. La décision de l’agent était-elle raisonnable?
  3. La décision de l’agent était-elle équitable sur le plan de la procédure?

IV.  Norme de contrôle

[9]  En ce qui concerne le refus de l’agent des visas de délivrer un visa de résident temporaire, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, alors qu’en ce qui a trait à la question de l’équité procédurale, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique.

V.  Analyse

A.  Un représentant non juriste peut-il comparaître au nom de la demanderesse?

[10]  La demanderesse demande qu’il soit permis à sa sœur et à son beau-frère de comparaître en son nom en tant que représentants non juristes.

[11]  Le défendeur s’oppose à cette requête, qui est, selon lui, contraire à l’article 119 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, lequel est ainsi libellé :

Personne physique

119 Sous réserve de la règle 121, une personne physique peut agir seule ou se faire représenter par un avocat dans toute instance.

[12]  Or l’article 121 des Règles ne s’applique pas aux faits de l’espèce.

[13]  Le défendeur invoque trois décisions de la Cour et de la Cour d’appel fédérale dans lesquelles des requêtes visant la comparution de représentants non juristes ont été rejetées, y compris la décision Scheuneman c Canada (Procureur général), 2003 CAF 439 [Scheuneman].

[14]  Le droit portant sur les représentants non juristes est énoncé de façon concise dans Scheuneman, précité, au paragraphe 5 :

[5]  Il se peut que la Cour ait un pourvoir [sic] discrétionnaire inhérent, qu’elle peut exercer dans des circonstances inhabituelles, de permettre à quelqu’un qui n’est pas avocat de représenter un plaideur si l’intérêt de la justice l’exige : Erdmann c. Canada, 2001 CAF 138, au paragraphe 11. Or, s’il existe, ce pouvoir discrétionnaire résiduel ne peut être exercé adéquatement que si la Cour dispose de certains faits particuliers, y compris des renseignements sur la compétence de la personne qui [...] a accepté de le représenter.

[15]  Ainsi, s’il est vrai que la Cour dispose du pouvoir discrétionnaire inhérent d’autoriser la représentation de demandeurs par des personnes non juristes, elle ne devrait l’exercer que dans des circonstances exceptionnelles.

[16]  Dans la décision Bautista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 669 [Bautista], la demanderesse, une citoyenne des Philippines, a sollicité le contrôle judiciaire de la décision d’un agent des visas de rejeter sa demande de permis de travail temporaire. Une semaine avant l’audition de l’affaire, la demanderesse a demandé que son frère comparaisse en son nom en tant que représentant non juriste. Le défendeur s’est opposé à cette requête. La juge Gagné a reconnu qu’elle avait le pouvoir discrétionnaire de faire droit à cette demande, mais elle a toutefois refusé de l’exercer, en invoquant à cet égard l’opposition du défendeur et le manque d’éléments de preuve indiquant la raison pour laquelle la demanderesse ne pouvait embaucher un avocat ni comparaître pour son propre compte – deux facteurs qui s’appliquent aux faits de l’espèce.

[17]  Avoir examiné les affaires Bautista et Scheuneman ainsi que les autres décisions invoquées par le défendeur, je ne crois pas qu’il existe, en l’espèce, des circonstances exceptionnelles qui justifieraient que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de telle manière à permettre à des représentants non juristes de comparaître pour le compte de la demanderesse.

[18]  Conformément à mon ordonnance du 5 novembre 2018, la présente demande est donc tranchée sur la foi du dossier écrit déposé auprès de la Cour.

B.  La décision de l’agent était-elle raisonnable?

[19]  Dans la décision de l’agent, la justification du raisonnement de celui-ci repose sur une case qui a été cochée à côté de l’énoncé suivant :

[traduction]

Vous ne m’avez pas convaincu(e) que vous quitterez le Canada au terme de votre séjour à titre de résident temporaire. Pour arriver à cette décision, j’ai pris en considération plusieurs facteurs, dont les suivants […]

[20]  Plus loin, l’agent a indiqué que les facteurs [traduction] « statut d’immigration dans le pays de résidence » et [traduction] « situation d’emploi actuelle » avaient été expressément examinés.

[21]  Dans des notes entrées le 11 avril 2018 dans le Système mondial de gestion des cas (notes du SMGC), l’agent a fourni d’autres détails au sujet de la demanderesse :

[traduction]

Dossier et notes examinés. Femme de 27 ans séparée, ayant une personne à charge mineure, qui ne l’accompagne pas et vit actuellement au Cameroun. La demanderesse a un statut d’emploi temporaire aux EAU depuis au moins 2014. Initialement, au moment de la demande, elle était une employée qui obtenait un salaire de 5 000 dirhams par mois. Dans ses observations supplémentaires, son visa renouvelé des EAU indique qu’elle est maintenant une associée. Son compte personnel aux EAU ne confirme pas qu’elle dispose d’économies ou d’un revenu d’entreprise constant. Elle est passée du statut d’esthéticienne à faible revenu à celui d’associée à hauteur de 15 %. N’a rien fourni pour attester la viabilité de l’entreprise ou la portion des gains qu’elle en tire. Ses seuls déplacements se font entre les EAU et le Cameroun. Le fait qu’elle ait un enfant au Cameroun et qu’elle ait choisi d’occuper un poste à faible revenu aux EAU — un pays où elle n’a pratiquement aucune chance d’obtenir un statut permanent — plutôt que de travailler dans son pays d’origine n’est pas de nature à indiquer qu’il existe pour elle de solides facteurs qui l’inciteront à quitter le Canada, advenant qu’elle soit autorisée à y entrer. Selon les renseignements présentés, je ne suis pas convaincu(e) du fait que la demanderesse est une résidente temporaire de bonne foi et qu’elle quittera le Canada à la fin de son séjour autorisé, ainsi que l’exige l’article 179 de la LIPR. Refusé.

[22]  La demanderesse conteste plusieurs déclarations figurant dans la décision et dans les notes du SMGC.

[23]  Elle soutient que l’agent a formulé des conclusions de fait erronées en ce qui concerne sa situation d’emploi et son statut d’immigration. Ces arguments sont fondés sur les notes, citées au paragraphe 10 du mémoire de la demanderesse, que je n’ai pas examinées puisqu’elles n’ont pas été soumises à la Cour en l’espèce.

[24]  La demanderesse conteste également la déclaration faite dans les notes du SMGC selon laquelle elle est une [traduction] « esthéticienne à faible revenu ». Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il s’agissait là d’une conclusion raisonnable de la part de l’agent.

[25]   La demanderesse conteste également la déclaration figurant dans les notes selon laquelle elle [traduction] « [n]’a rien fourni pour attester la viabilité de l’entreprise ou la portion des gains qu’elle en tire ». Je remarque que l’agent a consulté les relevés bancaires, les actes de transfert ainsi qu’une copie de la licence commerciale de la demanderesse, qui semblent démontrer qu’elle détient une participation de 15 % dans Super City One Electromechanical LLC. Néanmoins, je suis d’avis que l’agent avait raison de conclure que ces documents n’appuient pas la viabilité de l’entreprise, et n’indiquent pas les gains potentiels que la demanderesse peut tirer de l’entreprise.

[26]  Enfin, la demanderesse conteste cette autre déclaration qui se trouve dans les notes du SMGC, selon laquelle [traduction] « [s]es seuls déplacements se font entre les EAU et le Cameroun ». Comme la demanderesse le déclare à juste titre, des éléments de preuve dont disposait l’agent indiquaient que la demanderesse s’était rendue à Bahreïn à au moins deux occasions. Toutefois, l’omission de l’agent de noter ce déplacement n’est pas déterminante à l’égard des questions soumises à la Cour, pas plus qu’elle ne fait de la décision de l’agent une décision qui n’appartient pas aux issues raisonnables.

[27]  La décision d’un agent des visas de délivrer un VRT est discrétionnaire, et il faut faire preuve d’une grande retenue à son égard dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Après avoir examiné les documents dont disposait l’agent, de même que les motifs de la décision et les notes du SMGC, je conclus que la décision de l’agent était raisonnable.

C.  La décision de l’agent était-elle équitable sur le plan de la procédure?

[28]  La demanderesse soutient également que l’agent a violé son droit à l’équité procédurale. Le défendeur n’a pas répondu à cet argument. Je ne vois rien qui indiquerait que le droit à l’équité procédurale de la demanderesse n’a pas été respecté. L’agent a dûment pris en considération les documents dont il disposait, en plus d’avoir fourni des motifs suffisants, comme l’attestent la décision et les notes du SMGC.

[29]  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT DANS IMM-1944-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée;

  2. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune n’est soulevée en l’espèce.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de décembre 2018.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1944-18

 

INTITULÉ :

JENE TITA KAREN LYDIE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE JUGÉE SUR DOSSIER, CONFORMÉMENT À L’ORDONNANCE DE LA COUR DATÉE DU 5 NOVEMBRE 2018

DATE DES MOTIFS :

Le 8 novembre 2018

 

OBSERVATIONS ÉCRITES

Jene Tita Laren Lydie

POUR LA DEMANDERESSE

pour son propre compte

Me Leanne Briscoe

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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