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Date : 20181206


Dossier : IMM‑1130‑18

Référence : 2018 CF 1223

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Forthergill

ENTRE :

TENZIN KHANDO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Tenzin Khando sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SPR a conclu qu’elle n’était ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  Mme Khando formule des critiques valables à l’égard de l’analyse effectuée par la SPR concernant les obstacles qu’elle pourrait rencontrer si elle tentait d’obtenir la citoyenneté indienne. Cependant, la conclusion de la SPR selon laquelle elle n’a pas fait suffisamment d’efforts pour surmonter ces obstacles est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II.  Le contexte

[3]  Mme Khando est d’origine ethnique tibétaine et est née à Darjeeling, en Inde, le 31 juillet 1983. En août 2012, elle a utilisé un faux passeport indien pour quitter le Japon, où elle étudiait, et se rendre aux États‑Unis d’Amérique. Elle est ensuite entrée au Canada en utilisant son livret vert tibétain, un document officiel délivré par l’Administration centrale tibétaine (l’ACT). Elle a demandé l’asile en octobre 2012. Mme Khando a été en mesure de déposer une demande d’asile au Canada, malgré le fait qu’elle arrivait des États‑Unis par un point d’entrée terrestre, parce que son oncle a obtenu le statut de réfugié au Canada.

[4]  En décembre 2017, Mme Khando a présenté des demandes d’information au consulat général de l’Inde, à Toronto, concernant l’obtention d’un passeport indien. Le consulat général l’a informée qu’elle aurait besoin de présenter un certificat de naissance indien. Mme Khando a demandé à son père, qui était en Inde, s’il pouvait lui fournir son certificat de naissance, mais il n’a pas pu le faire.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[5]  Mme Khando prétend craindre d’être persécutée en Chine, parce qu’elle est une bouddhiste tibétaine, disciple du Dalaï Lama, et qu’elle n’a pas le droit à la citoyenneté indienne. Elle ne prétend pas craindre d’être persécutée en Inde.

[6]  La SPR a rejeté la demande d’asile de Mme Khando le 13 février 2018. Elle a conclu que la demanderesse avait droit à la citoyenneté indienne et que, malgré les contraintes administratives qui empêchent souvent les personnes d’origine tibétaine d’obtenir la citoyenneté indienne, la demanderesse n’avait pas fait de tentatives raisonnables pour l’obtenir.

[7]  La SPR a cité l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c Williams, 2005 CAF 126, et a déclaré que « [l]orsqu’un demandeur d’asile peut obtenir la citoyenneté dans un tiers pays sûr ou s’il est en son pouvoir d’obtenir ladite citoyenneté, il est possible que sa demande d’asile soit rejetée ». La SPR a souligné que Mme Khando avait, de droit, la citoyenneté indienne, aux termes de l’alinéa 3(1)a) du The Citizenship (Amendment) Act, 2003 (Cartable national de documentation de l’Inde, point 3.1, 14 septembre 2017). Toutefois, la SPR a reconnu que la citoyenneté de droit n’équivalait pas à la citoyenneté de fait. Par conséquent, la SPR a examiné la situation quant à savoir si Mme Khando rencontrait des obstacles relativement à l’obtention de la citoyenneté indienne et, le cas échéant, si elle avait fait des efforts raisonnables pour les surmonter.

[8]  La SPR a conclu que les autorités indiennes hésitaient souvent à accorder la citoyenneté du pays à des personnes d’origine tibétaine. Néanmoins, selon un Rapport sur une demande d’information (RDI)] datée du 12 mai 2017, la Haute Cour de Delhi a statué, dans Wangyal c Union Of India & Ors, 2016, High Court of New Delhi, WP(C) No 3539/2016 (Wangyal), que les personnes d’origine tibétaine nées en Inde avaient droit à la citoyenneté indienne. Malgré cet arrêt, la SPR a accepté le fait que les autorités indiennes continuaient à refuser la citoyenneté aux personnes d’origine tibétaine en invoquant divers prétextes.

[9]  La SPR a reconnu que Mme Khando avait présenté des demandes d’information au consulat général de l’Inde à Toronto et que son père avait apparemment été incapable de produire son certificat de naissance indien. Mme Khando a affirmé de ne pas avoir été informée des décisions antérieures des tribunaux indiens qui avaient confirmé le droit des personnes d’origine tibétaine d’obtenir la citoyenneté indienne jusqu’en 2014, car elle étudiait au Japon au moment où ces décisions avaient été rendues. La SPR a rejeté ce témoignage, concluant que la famille de Mme Khando habitait en Inde à l’époque et aurait probablement été au courant de ces décisions.

[10]  La SPR a examiné la jurisprudence qui aborde la question de la possibilité pour les personnes d’origine tibétaine d’obtenir la citoyenneté indienne. La SPR a reconnu que la perspective de la citoyenneté dépend des faits. Dans certaines décisions, la Cour concluait que la citoyenneté ne pouvait pas être obtenue (Wanchuk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 885; Dolma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 703; Sangpo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 233) et, dans d’autres décisions, qu’elle pouvait être obtenue (Tashi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1301; Dolker c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 124; Tretsetsang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 455 [Tretsetsang (CF)]). La SPR a reconnu que l’arrêt qui fait autorité sur cette question est celui de la Cour d’appel fédérale dans Tretsetsang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 175 [Tretsetsang (CAF)].

[11]  La SPR a conclu que les obstacles qui empêchaient les personnes d’origine tibétaine d’obtenir la citoyenneté indienne avaient diminué au fil des ans et qu’il ne pouvait être affirmé de façon raisonnable que ces obstacles empêchaient Mme Khando d’exercer son droit à la citoyenneté. La SPR a également soutenu que Mme Khando n’avait pas fait d’efforts raisonnables pour surmonter les obstacles qui subsistaient. Par conséquent, la SPR a conclu que Mme Khando pouvait obtenir la citoyenneté indienne si elle tentait de le faire et qu’elle n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

IV.  La question en litige

[12]  L’unique question soulevée dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la SPR a conclu de façon raisonnable que Mme Khando pouvait obtenir la citoyenneté indienne.

V.  Analyse

[13]  La conclusion de la SPR selon laquelle l’obtention de la citoyenneté indienne dépend de la volonté de Mme Khando est une question mixte de fait et de droit et est susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Tretsetsang (CF), au paragraphe 10; conf. par Tretsetsang (CAF), au paragraphe 61; Dakar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 353, au paragraphe 15).

[14]  Dans Tretsetsang (CAF), la Cour d’appel fédérale a énoncé le critère suivant, applicable aux demandeurs d’asile qui affirment être incapables d’obtenir la citoyenneté d’un autre pays :

[…] le demandeur qui invoque un obstacle à l’exercice de son droit à la citoyenneté dans un pays donné doit établir selon la prépondérance des probabilités :

a)   qu’il existe un obstacle important dont on pourrait raisonnablement croire qu’il l’empêche d’exercer son droit à la protection de l’État que lui confère la citoyenneté dans le pays dont il a la nationalité;

b)  qu’il a fait des efforts raisonnables pour surmonter l’obstacle, mais que ces efforts ont été vains et qu’il n’a pu obtenir la protection de l’État.

[15]  La Cour d’appel fédérale a précisé la définition d’« efforts raisonnables » au paragraphe 73 :

Ce qui constitue des efforts raisonnables pour surmonter un obstacle important (établi par le demandeur) dans une situation donnée ne peut être déterminé qu’au cas par cas. Le demandeur ne sera pas tenu de faire des efforts pour surmonter ces obstacles s’il démontre qu’il serait déraisonnable d’exiger pareils efforts.

[16]  Mme Khando fait valoir que la SPR a conclu de manière déraisonnable que les personnes d’origine tibétaine ne faisaient face à aucun obstacle important les empêchant d’obtenir la citoyenneté indienne. Elle cite quatre articles présentés à la SPR décrivant les exigences supplémentaires imposées aux Tibétains d’origine à la suite de l’arrêt Wangyal. Les agents des passeports exigent désormais que les personnes d’origine tibétaine annulent leurs certificats d’enregistrement et leurs certificats d’identification, qu’elles quittent les camps de réfugiés tibétains, qu’elles renoncent aux avantages conférés par l’ACT et qu’elles présentent des déclarations confirmant qu’elles ont satisfait à ces exigences avant qu’un passeport ne leur soit délivré.

[17]  Mme Khando s’oppose tout particulièrement aux paragraphes suivants de la décision de la SPR :

[33] La conseil affirme aussi que la demandeure d’asile devrait renoncer à certains avantages qu’ont les Tibétains en Inde pour demander la citoyenneté, sans aucune garantie d’obtenir la citoyenneté indienne. J’estime, le cas échéant, que l’obligation n’est pas exigeante, car une fois qu’elle obtiendrait la citoyenneté, la demandeure d’asile ne serait (plus) considérée comme une réfugiée. En outre, si elle n’obtient pas la citoyenneté, rien ne prouve que ces avantages ne lui seraient pas rendus.

[…]

[35] J’estime, compte tenu des changements récents en Inde, que la demandeure d’asile, selon la prépondérance des probabilités, se ferait délivrer un passeport indien si elle retournait en Inde et si elle en faisait la demande. Je souligne que la demandeure d’asile n’a pas démontré qu’elle a fait des efforts raisonnables en Inde pour faire reconnaître ses droits à la citoyenneté, car elle ne s’est pas adressée aux autorités indiennes pour demander la citoyenneté. Je conclus que la demandeure d’asile n’a pas fait d’efforts raisonnables pour obtenir la citoyenneté indienne.

[18]  Mme Khando affirme qu’aucun élément de preuve présenté à la SPR n’indique que les personnes d’origine tibétaine qui ont tenté en vain d’obtenir la citoyenneté indienne ont pu récupérer les avantages conférés par l’ACT. À son avis, la conclusion de la SPR selon laquelle elle obtiendrait probablement un passeport indien si elle retournait en Inde et en faisait la demande est [traduction] « extrêmement optimiste ».

[19]  Mme Khando soulève un point valide à l’égard du manque d’éléments de preuve indiquant qu’elle pourrait, en tant que personne d’origine tibétaine, récupérer les avantages conférés par l’ACT dans le cas où elle ne serait pas en mesure d’obtenir un passeport indien. Cependant, il incombait à Mme Khando de démontrer qu’elle perdrait ces avantages de manière irrévocable et, plus fondamentalement, qu’elle en dépend de façon significative. Au moment où elle s’est rendue aux États‑Unis, elle était étudiante au Japon. Rien n’indique qu’elle a déjà vécu dans un camp de réfugiés désignés en Inde ou que le renoncement aux avantages conférés par l’ACT, en vue de l’obtention d’un passeport indien, aurait sur elle une incidence si néfaste qu’il serait déraisonnable de s’attendre à ce qu’elle en demande un (Tretsetsang (CAF) au paragraphe 73).

[20]  Les tentatives de Mme Khando pour obtenir la citoyenneté indienne se sont limitées à la présentation de demandes d’information au consulat général de l’Inde à Toronto, peu de temps avant la tenue de l’audience de la SPR, et à la demande faite à son père de produire son certificat de naissance indien. Elle n’a fait aucune tentative pour exercer ses droits de citoyenneté alors qu’elle se trouvait en Inde ni aucun effort concret pour obtenir un certificat de naissance indien après avoir présenté des demandes d’information au consulat général. Dans Tretsetsang (CAF), le demandeur avait également fait valoir qu’il ne pouvait obtenir la citoyenneté indienne, parce qu’il ne détenait pas de certificat de naissance, mais il était néanmoins tenu de faire des efforts raisonnables pour surmonter cet obstacle.

[21]  Par conséquent, je conclus que la conclusion de la SPR selon laquelle Mme Khando n’a pas fait d’efforts suffisants pour obtenir la citoyenneté indienne est raisonnable et appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Mme Khando a d’abord tenté d’obtenir la citoyenneté indienne plus de cinq ans après son arrivée au Canada, juste avant la date prévue pour le commencement de l’audience relative à sa demande d’asile. La SPR pouvait à juste titre conclure qu’il ne s’agissait pas là d’efforts raisonnables.

[22]  Mme Khando doit satisfaire aux deux volets du critère énoncé par la Cour d’appel fédérale dans Tretsetsang (CAF), au paragraphe 72. Malgré les lacunes de l’analyse faite par la SPR relativement aux obstacles auxquels faisait face Mme Khando lorsqu’elle a tenté d’obtenir la citoyenneté indienne, sa conclusion voulant que cette dernière n’a pas fait suffisamment d’efforts pour les surmonter est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

[23]  Aucune des parties n’a proposé qu’une question soit certifiée en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de décembre 2018.

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1130‑18

 

INTITULÉ :

TENZIN KHANDO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 NOVEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 6 DÉCEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Hillary Adams

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wazana Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Le procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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