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Date : 20181210


Dossier : T‑1857‑17

Référence : 2018 CF 1236

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 10 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

ALEXANDRE PAPOUCHINE

demandeur

et

BEST BUY CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (le CCDP), rendue le 2 novembre 2017, par laquelle la CCDP a décidé de ne pas statuer sur la plainte du demandeur au motif que celle‑ci ne relevait pas de sa compétence (la décision contestée).

[2]  Comme il est expliqué plus en détail ci‑dessous, la demande est rejetée parce que j’estime que la CCDP a eu raison de conclure qu’elle n’avait pas compétence pour statuer sur la plainte du demandeur en matière de droits de la personne.

II.  Le contexte

[3]  Le demandeur, Alexandre Papouchine, est un citoyen canadien né en Russie qui vit à Toronto, en Ontario. La défenderesse est Best Buy Canada (Best Buy), une entreprise dont le siège social se situe à Burnaby, en Colombie‑Britannique. Il s’agit d’un détaillant de produits et services appartenant principalement au secteur de l’électronique grand public, qui se décrit comme un « cybercommerçant ». Le site Web de Best Buy indique que l’entreprise exploite près de 200 établissements au Canada.

[4]  En octobre 2016, M. Papouchine s’est rendu dans un magasin Best Buy, à Toronto, et a demandé des renseignements à propos de l’achat d’un ordinateur portable dont la boîte avait déjà été ouverte. Comme il s’agissait d’un article « boîte ouverte », l’ordinateur portable n’était pas couvert par une garantie du fabricant comme il l’aurait été normalement. M. Papouchine a demandé un rabais en raison de l’absence de garantie. Selon M. Papouchine, les employés du magasin lui ont dit qu’ils n’avaient pas le pouvoir d’offrir un tel rabais, mais lui ont suggéré de communiquer avec le siège social de Best Buy pour s’informer.

[5]  M. Papouchine a communiqué par courriel avec le service à la clientèle de Best Buy, qui se situe au siège social de l’entreprise, à Burnaby. Un employé de Best Buy a répondu à la demande de renseignements de M. Papouchine en l’informant qu’aucun autre rabais ne serait offert. M. Papouchine a communiqué une fois de plus avec le service à la clientèle pour exprimer des préoccupations à l’égard de la décision, notamment en formulant des allégations de discrimination, mais Best Buy a maintenu sa décision.

[6]  M. Papouchine a ensuite déposé une plainte auprès du Tribunal des droits de la personne de la Colombie‑Britannique (le BCHRT), qui a reçu la plainte le 24 octobre 2016. La plainte reposait sur des motifs de discrimination fondée sur le sexe, l’identité de genre, le lieu d’origine et l’ascendance dans le contexte de la prestation de services. Le BCHRT a écrit à M. Papouchine le 30 novembre 2016 pour l’aviser qu’il n’acceptait pas le dépôt de la plainte, concluant que les événements décrits par M. Papouchine n’avaient aucun lien avec des caractéristiques personnelles protégées. Le BCHRT a également souligné que, par le passé, il avait établi que le commerce électronique constituait une activité assimilable aux télécommunications, de sorte que la plainte relevait de la compétence fédérale (c.‑à‑d. celle de la CCDP) et que, même si l’affaire ne relevait pas de la compétence fédérale, elle ne relèverait pas du BCHRT si la vente ou la communication avait eu lieu en Ontario. Le BCHRT a déclaré que, puisque les allégations de M. Papouchine n’établissaient pas que l’événement en question s’était produit en Colombie‑Britannique, il ne semblait pas avoir compétence à l’égard des allégations du demandeur.

[7]  Le 19 février 2017, M. Papouchine a déposé sa plainte auprès de la CCDP. Dans un rapport décrit comme un [traduction« rapport fondé sur les articles 40 et 41 », daté du 21 juin 2017, un agent des droits de la personne a recommandé que la CCDP ne statue pas sur la plainte parce que celle‑ci ne relevait pas de la compétence fédérale. M. Papouchine a présenté des observations écrites le 12 juillet 2017 au sujet de la compétence de la CCDP et, le 2 novembre 2017, la CCDP a rendu la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, selon laquelle elle ne statuerait pas sur la plainte au motif que celle‑ci ne relevait pas de sa compétence.

III.  La décision contestée

[8]  Dans sa décision, la CCDP a accepté et adopté l’analyse énoncée dans le rapport fondé sur les articles 40 et 41. La CCDP a expliqué qu’elle ne peut pas statuer sur une plainte si la défenderesse ne relève pas de la compétence fédérale. La CCDP a déclaré que, pour trancher la question de la compétence, elle peut tenir compte des facteurs suivants :

  1. Quelles sont les activités courantes de la défenderesse? (Seules les activités courantes déterminent si la défenderesse est sous réglementation fédérale ou provinciale.)

  2. Si la défenderesse est une entreprise de transport, ses employés se déplacent‑ils régulièrement d’une province et/ou d’un territoire à l’autre?

[9]  La CCDP a également fait remarquer que la compétence fédérale n’est établie que lorsque la nature des activités d’une organisation et les activités normales de celles‑ci peuvent être qualifiées d’entreprise, de service ou d’affaire de compétence fédérale.

[10]  En se reportant aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.‑U.), 30 & 31 Vict, c 3, reproduite dans LRC 1985, app. II, no 5 [la Loi constitutionnelle de 1867], la CCDP a décrit Best Buy comme un exploitant de magasins de détail dont les activités courantes consistent à vendre des marchandises au détail aux clients dans ses magasins et par l’intermédiaire de son site Web, chaque vente constituant un contrat privé entre Best Buy et un client. Elle a conclu que Best Buy relève de la propriété et des droits civils au titre du paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867 et que ses activités relèvent entièrement de la compétence provinciale et ne font pas partie intégrante des activités ou du fonctionnement d’une entreprise fédérale. La CCDP a également fait remarquer que, même si les préoccupations de M. Papouchine découlaient d’une transaction en ligne effectuée avec Best Buy, cela ne changerait pas la compétence dont relève la plainte, puisque le commerce électronique relève également de la compétence provinciale et n’est pas lié aux télécommunications.

[11]  Par conséquent, la CCDP a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour statuer sur la plainte de M. Papouchine.

IV.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[12]  Le mémoire des faits et du droit de M. Papouchine fait état de 13 questions en litige soulevées dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire. À l’audience relative à sa demande, ses observations orales ont porté sur ce qu’il a décrit comme étant la principale question en litige, c’est‑à‑dire la question de savoir si la CCDP avait commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas compétence à l’égard de Best Buy. Il a toutefois mentionné qu’il ne retirait aucune des autres questions en litige.

[13]  Best Buy soutient que la seule question en litige à laquelle la Cour doit répondre, outre la question de la norme de contrôle applicable, est celle de savoir si la CCDP a eu raison de conclure qu’elle n’avait pas compétence à l’égard de Best Buy en ce qui concerne la plainte de M. Papouchine en matière de droits de la personne. Comme le laisse entendre cette formulation de la question en litige, Best Buy est d’avis que la question de la compétence soulevée par M. Papouchine est de nature constitutionnelle et que, par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. M. Papouchine est du même avis. Je suis d’accord (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 58) et, par conséquent, j’appliquerai la norme de la décision correcte à mon examen de la décision de la CCDP à l’égard de sa compétence.

[14]  Je suis également d’accord avec Best Buy pour dire qu’il s’agit de la seule question en litige que la Cour doit examiner. J’ai passé en revue toutes les questions en litige énumérées dans le mémoire de M. Papouchine. Essentiellement, il s’agit soit d’autres formulations de la question de la compétence, soit d’arguments à l’appui de la position de M. Papouchine sur cette question. J’examinerai ces arguments ci‑dessous.

V.  Analyse

[15]  Le paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 prévoit que, sous réserve de l’article 40 (qui n’est pas pertinent dans le contexte de la question dont la Cour est saisie), la CCDP statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable pour certains motifs, notamment lorsqu’elle estime que la plainte n’est pas de sa compétence. C’est en application de cette disposition que la CCDP a refusé de statuer sur la plainte de M. Papouchine, étant donné qu’elle a conclu que Best Buy ne relevait pas de la compétence fédérale et que, par conséquent, elle ne relevait pas de la CCDP.

[16]  M. Papouchine soutient que la CCDP a commis une erreur en concluant que les activités de Best Buy relèvent de la compétence provinciale concernant « la propriété et les droits civils dans la province » au titre du paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, en concluant que le commerce électronique relève de la compétence provinciale et en omettant de conclure que les activités de Best Buy relèvent de la compétence fédérale quant à « la réglementation du trafic et du commerce » au titre du paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[17]  En ce qui concerne le paragraphe 92(13), M. Papouchine soutient que la CCDP a commis une erreur puisque, dans sa décision, elle a indiqué que ce chef de compétence conférait aux provinces la compétence sur la « propriété et les droits civils » et a omis, dans son analyse, de tenir compte des mots « dans la province ». Selon lui, étant donné que les activités de Best Buy se déroulent dans plusieurs provinces et qu’elles peuvent comprendre des communications et l’expédition de produits entre des employés de Best Buy dans une province et des clients dans une autre, ses activités ne sont pas visées au paragraphe 93(13). Il soutient plutôt que les activités de Best Buy représentent un « commerce », ce qui relève de la compétence fédérale au titre du paragraphe 91(2).

[18]  En ce qui concerne l’analyse effectuée par la CCDP, j’estime que la CCDP a eu raison de se concentrer sur les activités courantes de Best Buy pour évaluer si l’entreprise relève ou non de la compétence fédérale (voir, par exemple, Northern Telecom c Travailleurs en communication, [1980] 1 RCS 115, au paragraphe 31). Je ne pense pas que le fait que la CCDP ait omis de souligner que le paragraphe 92(13) comprend les mots « dans la province » donne à penser qu’elle a mal compris la portée de ce chef de compétence provinciale. Comme l’a expliqué le professeur Peter W. Hogg dans Constitutional Law of Canada, 5e éd. (Toronto : Thomson Carswell, 2007), à la page 615, la compétence des provinces en matière de propriété et de droits civils est vaste :

[traduction

Or, il n’en demeure pas moins que, même après avoir tenu compte comme il se doit de la liste des pouvoirs fédéraux exclusifs, la propriété et les droits civils dans la province couvrent tout de même la plupart des relations juridiques entre les personnes au Canada. Le droit relatif à la propriété, à la succession, à la famille, aux contrats et aux délits relève principalement de la compétence provinciale au titre du paragraphe 92(13). […]

[19]  En outre, comme le soutient Best Buy, le pouvoir fédéral de réglementer le trafic et le commerce n’est pas incompatible avec la compétence provinciale en matière de contrat privé entre les parties (voir Citizens’ Insurance Co. c. Parsons (1880), 4 RCS 215, à la page 243).

[20]  La décision contestée montre que la CCDP s’est penchée sur la question de savoir si la nature des activités courantes de Best Buy, à savoir la vente de biens de consommation par l’intermédiaire de magasins de détail et de son site Web, est telle qu’elle peut être considérée comme une entreprise, un service ou une affaire de compétence fédérale. La CCDP a conclu que chaque vente entre Best Buy et ses clients constitue un contrat privé, de sorte qu’elle relève de la compétence provinciale.

[21]  La CCDP a également examiné l’effet des ventes en ligne et a conclu que cela ne modifierait pas l’analyse de la compétence, étant donné que le commerce électronique relève aussi de la compétence provinciale et n’est pas lié au domaine des télécommunications, qui est réglementé par le gouvernement fédéral. Les arguments présentés par M. Papouchine dans le cadre de la présente demande portaient essentiellement sur cet aspect de l’analyse, et les parties se sont appuyées sur la jurisprudence et les décisions du tribunal qu’elles estimaient étayer leur thèse respective à cet égard.

[22]  M. Papouchine s’appuie sur l’arrêt Augustine’s School Bus c Asher, 2001 CAF 109 (Augustine’s School Bus), dans lequel la Cour d’appel fédérale a conclu qu’un service d’autobus scolaire était assujetti à la législation fédérale sur les relations de travail, parce que son activité à l’extérieur de la province était continue et régulière, même si celle‑ci ne représentait qu’un faible pourcentage de ses activités.

[23]  De même, M. Papouchine renvoie la Cour à la décision Ottawa‑Carleton Regional Transit Commission c Amalgamated Transit Union, Local 279 et al (1983), 44 OR (2d) 560 (CA Ont.) (Ottawa‑Carleton), dans laquelle la Cour d’appel de l’Ontario a conclu qu’un service d’autocar desservant à la fois Ottawa, en Ontario, et Hull, au Québec, constituait une activité ou une entreprise interprovinciale au sens de l’alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 et était, par conséquent, assujetti à la législation fédérale sur les relations de travail, même si seulement une petite partie du service comportait des trajets d’autobus reliant l’Ontario et le Québec. La Cour a jugé qu’il y avait une seule entreprise, dont l’élément interprovincial faisait partie intégrante.

[24]  Je ne crois pas que cette jurisprudence, issue de l’industrie des transports, soit d’une aide particulière dans le contexte actuel. Dans les décisions Augustine’s School Bus et Ottawa‑Carleton, la nature des activités commerciales des parties était le transport de passagers, qui comprenait, dans une certaine mesure, le transport de passagers au‑delà des frontières provinciales. En l’espèce, la nature des activités de Best Buy est la vente, dans une province, de produits électroniques grand public et de produits et services connexes. Je ne pense pas que le fait que Best Buy a des magasins de détail dans plusieurs provinces ou que ses communications avec ses clients, ou encore le transport de ses produits avant leur livraison aux clients, peut se faire d’une province à l’autre, en fasse une entreprise relevant de la compétence fédérale.

[25]  Je ne considère pas non plus qu’un tel résultat découle de l’utilisation par Best Buy d’Internet, qui facilite ses activités commerciales, mais n’est pas au cœur de ces activités. À l’égard de cette question, les deux parties se sont appuyées sur la décision du BCHRT dans l’affaire Cristiano c Canadian Society of Immigration Consultants, 2016 BCHRT 175 (Cristiano), pour déterminer l’analyse qu’il convient d’effectuer lorsqu’une partie utilise Internet dans le cadre de ses activités. Cette affaire concernait une plainte de discrimination contre la Société canadienne de consultants en immigration (la SCCI), une société à but non lucratif constituée en vertu d’une loi fédérale qui offrait un programme de formation en ligne aux personnes qui étudient pour devenir consultants en immigration. En concluant que les activités de la SCCI relevaient de la compétence fédérale, le BCHRT a affirmé ce qui suit aux paragraphes 28 à 34 :

[TRADUCTION]

[28]  L’élément commun des catégories énoncées à l’alinéa 92(1)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 est que l’exploitation de l’entreprise suppose un franchissement des frontières. Les télégraphes avaient des fils physiques qui allaient d’un endroit à l’autre. Qu’un message en particulier franchisse ou non une frontière n’était pas important, l’entreprise relevait de la compétence du gouvernement du Canada. De nos jours, le même message est transmis au moyen d’Internet et peut‑être sans qu’il soit nécessaire d’avoir un fil.

[29]  Cela dit, l’utilisation du téléphone et d’Internet est omniprésente dans la vie professionnelle et personnelle des Canadiens. Le simple fait d’utiliser ces modes de communication ne peut à lui seul permettre de déterminer la compétence. Bien des gens dépendent de l’accès à Internet au travail et dans le commerce.

[30]   Voici un exemple : une personne peut faire appel aux services d’un taxi de plusieurs façons. Elle pourrait héler un taxi dans la rue. Elle pourrait téléphoner à la compagnie de taxi et demander qu’un taxi vienne la chercher quelque part. Enfin, elle pourrait utiliser une application sur son téléphone intelligent, qui utiliserait la fonction GPS pour localiser l’appelant, et le taxi serait envoyé au moyen d’un logiciel. La personne reçoit le même service : un transport du point A au point B. Essentiellement, il s’agit d’un service fourni localement et régi par la province en vertu des autres dispositions de l’article 92.

[31]  Le même genre d’analyse peut être fait dans le contexte des réservations en ligne d’hôtel ou d’autres types de services. L’élément commun de ces transactions est le fait que la prestation des services se fait à un seul endroit.

[32]  À titre de comparaison, dans le cas de la SCCI, bien que la société ait une adresse enregistrée en Colombie‑Britannique, le service qu’elle fournit s’étend au‑delà des frontières. Au moins une enseignante vient des États‑Unis, et Mme Cristiano elle‑même n’est pas originaire de la Colombie‑Britannique, de sorte qu’elle ne reçoit pas sa formation en Colombie‑Britannique. Les conversations qu’elle a eues au sujet de sa formation ont eu lieu en Ontario, et non en Colombie‑Britannique. Comme les parties le conviennent, il n’y a pas d’installation physique. L’académie électronique de la SCCI se trouve essentiellement dans le cyberespace. Bien que la SCCI fournisse un service éducatif, il semble que la seule façon dont elle exploite ses activités soit par l’intermédiaire d’Internet.

[33]  Mon attention se porte sur l’extrait du professeur Patrick Monahan dans Constitutional Law of Canada, 2éd., aux pages 366 et 367, cité dans la décision Stark :

Étant donné que les fournisseurs de service Internet font partie intégrante de la transmission des télécommunications, et ce, d’une province à l’autre et dans le monde entier, ils doivent être considérés comme des entreprises fédérales assujetties à la compétence fédérale exclusive au titre de l’alinéa 92(1)a). De plus, toute autre entreprise qui participe à la transmission de communications ou de renseignements par l’intermédiaire d’Internet, ou qui la facilite, dans le cadre de ses activités régulières ou continues doit être considérée comme relevant de la compétence fédérale exclusive.

[34]  La formation dispensée par la SCCI se fait par l’intermédiaire d’Internet et d’aucune autre façon. Il faut en conclure qu’Internet fait partie intégrante et constitue un aspect essentiel de son fonctionnement. Par conséquent, il semble que les activités de la SCCI relèvent de la compétence fédérale.

[26]  Les décisions rendues par un tribunal administratif ont une valeur de précédent quelque peu limitée, mais j’estime tout de même que l’analyse faite dans l’affaire Cristiano m’aide à examiner l’incidence de l’aspect lié au « commerce électronique » des activités de Best Buy. Bien qu’il n’y ait pas de preuve particulière devant la Cour sur la proportion des activités de Best Buy qui se font par l’entremise de son site Web par rapport à celles qui se font en magasin, il s’agit de toute évidence, du moins en partie, d’un détaillant physique. Ses activités n’ont pas les caractéristiques qui ont mené le BCHRT à conclure que la SCCI relevait de la compétence fédérale (entreprise qui se trouve dans le cyberespace et qui exploite ses activités uniquement par l’intermédiaire d’Internet).

[27]  Je considère plutôt que l’analyse énoncée aux paragraphes 29 à 31 de la décision Cristiano s’applique aux activités de Best Buy. Le fait que Best Buy utilise son site Web comme outil de vente ou, en l’espèce, qu’il ait utilisé le courriel comme outil de communication ne peut être déterminant quant à la question de la compétence. M. Papouchine soutient que les exemples relatifs aux entreprises de taxi ou d’hôtellerie se distinguent des activités de Best Buy puisque, peu importe la façon dont le client communique avec l’entreprise de taxi ou d’hôtellerie ou l’endroit d’où il le fait, le service sera au bout du compte fourni à un endroit dans une province donnée. À mon avis, la même analyse s’applique aux activités de Best Buy. Tout comme lorsqu’une réservation est faite dans un hôtel, les communications entre le client et Best Buy peuvent s’effectuer d’une province à l’autre. Toutefois, l’effet de la transaction qui en résulte est que Best Buy fournit au client un produit à un endroit particulier dans une province donnée. Le fait que le produit puisse provenir d’une autre province est accessoire à la transaction entre Best Buy et le client.

[28]  Par conséquent, je conclus que la CCDP n’a pas commis d’erreur dans son analyse constitutionnelle ayant mené à la conclusion que Best Buy ne relève pas de la compétence fédérale et que la plainte déposée par M. Papouchine en matière de droits de la personne ne relève pas de la compétence de la CCDP.

[29]  M. Papouchine présente également des arguments fondés sur la conclusion tirée par le BCHRT dans sa décision du 30 novembre 2016, selon lequel il n’avait pas compétence pour statuer sur sa plainte. M. Papouchine soutient que, ayant tiré cette conclusion, le BCHRT a par conséquent outrepassé sa compétence en concluant également qu’il n’avait pas établi une preuve prima facie de discrimination. Toutefois, la Cour fédérale n’a pas compétence à l’égard du BCHRT, puisqu’il ne s’agit pas d’un office fédéral à l’égard duquel la Cour a compétence pour effectuer un contrôle judiciaire en vertu de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Par conséquent, je ne tire aucune conclusion à l’égard de cet argument.

[30]  M. Papouchine soutient également que la conclusion tirée par le BCHRT sur la question de la compétence et le fait que Best Buy n’a pas contesté cette conclusion devant le BCHRT donnent lieu à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, ce qui empêche la CCDP de conclure qu’elle n’avait pas compétence pour statuer sur la plainte. Pour examiner cet argument, je me fonde sur l’arrêt Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44, à la p. 477, dans lequel la Cour suprême du Canada décrit les conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée : a) que la même question ait été décidée; b) que la décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion soit finale; et c) que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la préclusion est soulevée, ou leurs ayants droit.

[31]  Je souligne dès le départ que j’ai de la difficulté à accepter la proposition selon laquelle la décision d’un tribunal administratif (en l’occurrence le BCHRT) à l’égard de la compétence d’un autre tribunal administratif (en l’occurrence la CCDP) peut donner lieu à l’application de la préclusion et être déterminante quant à la compétence de cet autre tribunal. Quoi qu’il en soit, il est évident pour moi que les conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’appliquent pas en l’espèce, puisque la décision du BCHRT rendue le 30 novembre 2016 ne peut être considérée comme ayant tranché la question de savoir si la CCDP a compétence pour statuer sur la plainte de M. Papouchine.

[32]  Je souscris à la description de cette décision présentée par l’avocat de Best Buy à l’audition de la présente demande, à savoir que la décision porte principalement sur le bien‑fondé de la plainte plutôt que sur la question de la compétence du tribunal. Le BCHRT n’a pas accepté le dépôt de la plainte parce que celle‑ci ne faisait état d’aucune conduite pouvant contrevenir au Human Rights Code de la Colombie‑Britannique, RSBC 1996, c 210. Le BCHRT a conclu que la description donnée par M. Papouchine de la conduite de Best Buy ne laissait en rien entendre que l’entreprise avait été influencée par une caractéristique personnelle protégée. Le BCHRT s’est ensuite penché sur la question de la compétence et a conclu qu’il ne semblait pas avoir compétence sur les allégations de M. Papouchine. Toutefois, le BCHRT a soulevé la possibilité que l’affaire relève de la compétence fédérale ou de celle de l’Ontario et n’a tiré aucune conclusion définitive à cet égard. Par conséquent, je conclus que l’application des principes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’est pas fondée en l’espèce.

VI.  Conclusion

[33]  Après avoir examiné les arguments soulevés par M. Papouchine et n’ayant relevé aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision contestée, j’estime que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[34]  Best Buy a réclamé des dépens et, puisqu’elle a eu gain de cause, elle a droit à l’adjudication des dépens. À l’audience, les deux parties ont fait savoir qu’elles souhaitaient tenter de s’entendre sur la quantification des dépens une fois que j’aurais rendu ma décision sur le fond. Par conséquent, mon jugement donnera aux parties l’occasion de parvenir à une entente, faute de quoi elles auront la possibilité de présenter de brèves observations écrites sur la quantification des dépens.


JUGEMENT dans le dossier T‑1857‑17

LA COUR ORDONNE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. La défenderesse a droit aux dépens afférents à la présente demande.

  3. Les parties devront se consulter en vue d’une quantification des dépens liés à la présente demande et, dans les 14 jours suivant la date du présent jugement, elles devront :

    • a) informer la Cour par écrit si elles ont conclu une entente sur cette quantification;

b)  fournir à la Cour, à défaut d’une telle entente, de brèves observations écrites (ne dépassant pas deux pages pour chaque partie) sur cette quantification.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de janvier 2019

Julie Blain McIntosh, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

t‑1857‑17

INTITULÉ :

ALEXANDRE PAPOUCHINE c BEST BUY CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 3 DÉCEMBRE 2018

JUGeMENT et motifs :

LE JUGE southcott

DATE DES MOTIFS :

lE 10 DÉCEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Alexandre Papouchine

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Nicholas Ellegood

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Best Buy Canada Ltée

Avocat‑conseil principal

Burnaby (Colombie‑Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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