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Date : 20181204


Dossier : IMM-1975-18

Référence : 2018 CF 1215

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

ZAGHLOL KASSAB

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 11 avril 2018 par laquelle un agent des visas a refusé la demande de résidence permanente du demandeur au Canada au motif qu’il avait occupé un poste de rang supérieur au sein du gouvernement irakien, suivant l’alinéa 35(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR)

II.  Contexte

[2]  Le demandeur, Zaghlol Kassab, est un citoyen de la République d’Irak (Irak) né le 20 janvier 1946. Il est marié à Faika Kassab, et le couple a trois filles adultes.

[3]  Le demandeur, qui détient plusieurs diplômes en ingénierie, a terminé ses études en 1980, avec l’obtention d’un doctorat en génie électrique de l’Université de Birmingham, au Royaume‑Uni.

[4]  Le demandeur a passé la majorité de sa carrière dans la fonction publique irakienne, où il a travaillé dans des secteurs liés au génie électrique. Entre 1988 et 1991, il était employé de la Commission de l’énergie atomique irakienne. Puis, entre 1991 et 2000, il a travaillé pour le ministère irakien de l’Industrie et des Minéraux, où il a occupé différents postes, notamment ceux de directeur de projet, de chef du service des télécommunications et de directeur du centre des systèmes électroniques.

[5]  En 2000, le demandeur s’est vu accorder une retraite anticipée par le gouvernement, et il a fondé une entreprise de consultation en ingénierie. En 2004, lui, son épouse et deux de leurs filles ont quitté l’Iraq pour aller s’installer en Jordanie. Entre 2004 et 2014, le demandeur a partagé sa résidence entre l’Irak, la Jordanie et les Émirats arabes unis, tout en continuant à exploiter son entreprise.

[6]  Le demandeur et sa famille, qui sont de fervents catholiques pratiquants, ont été plusieurs fois victimes de persécution religieuse lorsqu’ils vivaient en Irak. En 2014, après un incident durant lequel des hommes armés ont menacé de le tuer s’il fréquentait son église, le demandeur a décidé d’aller s’installer en Jordanie de façon plus permanente. Il réside actuellement en Jordanie en vertu d’un visa de résident temporaire de cinq ans.

[7]  En avril 2015, le demandeur et son épouse ont présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre de réfugiés parrainés, sous la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières (la demande). Deux des filles du demandeur, adultes et indépendantes, ont aussi présenté des demandes distinctes reposant sur leurs propres engagements de parrainage.

[8]  Le 10 février 2016, le demandeur et son épouse ont été reçus en entrevue par un agent des visas à Amman (Jordanie), et le demandeur a été interrogé au sujet de son expérience professionnelle au sein du gouvernement irakien. L’agent des visas a conclu qu’ils répondaient à la définition de réfugiés au sens de la Convention, mais il a réservé sa décision à l’égard du demandeur en attendant les résultats d’une enquête plus approfondie concernant la nature de son emploi.

[9]  L’épouse du demandeur et deux de leurs filles sont depuis devenues résidentes permanentes au Canada.

[10]  En mars 2017, le demandeur a fourni des renseignements additionnels sur ses antécédents professionnels, notamment un organigramme montrant la structure de la fonction publique irakienne ainsi que les supérieurs du demandeur.

[11]  Le 5 mars 2018, le demandeur a reçu une lettre d’un agent des visas non identifié de l’ambassade du Canada (la lettre d’équité procédurale). L’agent en question affirmait que le ministre canadien de la Sécurité publique et de la Protection civile avait désigné les gouvernements irakiens d’Ahmed Hassam al‑Bakr et de Saddam Hussein, au pouvoir entre 1969 et le 22 mai 2003, comme des régimes ayant commis des violations graves des droits de la personne. Notant également que les différents postes occupés par le demandeur se situaient dans la moitié supérieure de la hiérarchie gouvernementale irakienne, l’agent a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait occupé un poste de rang supérieur au sein d’un régime désigné, et qu’il était donc interdit de territoire au titre de l’alinéa 35(1)b) de la LIPR.

[12]  La lettre d’équité procédurale accordait au demandeur un délai de 30 jours pour répondre. Le 28 mars 2018, son avocat a répondu que le demandeur n’avait jamais occupé de poste de rang supérieur au sens de la LIPR, étant donné qu’il avait été exclu de tels postes en raison de ses croyances religieuses. Le demandeur a soumis un affidavit ainsi que des documents justificatifs attestant sa religion, son expérience militaire et son rendement satisfaisant dans le cadre de plusieurs postes.

[13]  Dans une lettre datée du 11 avril 2018, un agent des visas de l’ambassade du Canada (l’agent) a refusé la demande (la décision). Dans cette lettre, l’agent écrivait qu’il existait toujours des motifs raisonnables de croire que le demandeur était interdit de territoire au Canada conformément à l’alinéa 35(1)b) de la LIPR, et qu’il ne satisfaisait donc pas aux conditions requises pour obtenir un visa de résident permanent.

[14]  Les notes entrées dans le Système mondial de gestion des cas (les notes du SMGC) relativement au dossier du demandeur jettent un éclairage additionnel sur le raisonnement de l’agent :

[traduction]

Les préoccupations soulevées quant à l’admissibilité ont trait à l’emploi du demandeur et aux postes qu’il a occupés. Le fait qu’il était membre, ou pas, du parti Ba’ath n’est pas pertinent à cet égard, pas plus que ses convictions religieuses. Je ne suis pas d’avis que la déclaration du DP, selon laquelle les fonctions qu’il remplissait ne lui conféraient aucun pouvoir décisionnel, soit crédible. Il semble assez clair qu’il a occupé un certain nombre de postes de direction, dont le dernier à titre de directeur du centre des systèmes électroniques du ministère de l’Industrie. Même s’il n’a peut‑être pas atteint les plus hauts échelons de la fonction publique irakienne, l’on peut malgré tout raisonnablement conclure que ses fonctions démontrent qu’il occupait un poste dont le rang se situait dans la moitié supérieure de la hiérarchie de la fonction publique du gouvernement irakien, durant une période où ce régime désigné était au pouvoir. Par conséquent, j’ai des motifs raisonnables de croire que le DP est interdit de territoire au Canada, suivant l’alinéa 35(1)b) de la LIPR. Demande refusée.

[15]  Même s’il ne l’a jamais expressément citée, l’agent semble s’être appuyé en partie sur une évaluation de l’interdiction de territoire faite par la Division des enquêtes pour la sécurité nationale (l’évaluation de la DESN) et datée du 16 février 2018 pour tirer ses conclusions. D’après l’évaluation en question, [traduction] « il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur est interdit de territoire au Canada par application de l’alinéa 35(1)b) de la LIPR ».

III.  Question en litige

[16]  Était‑il déraisonnable de la part de l’agent de conclure que le demandeur occupait un poste de rang supérieur au sein du gouvernement irakien?

IV.  Norme de contrôle

[17]  La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

V.  Dispositions pertinentes

[18]  Aux termes de l’alinéa 35(1)b) de la LIPR, ne peut obtenir le statut de résidente permanente pour motif d’interdiction de territoire la personne qui occupe un poste de rang supérieur — au sens du règlement — au sein d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre au sens des paragraphes 6(3) à 6(5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre :

35 (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

[…]

b) occuper un poste de rang supérieur — au sens du règlement — au sein d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

[19]  Par ailleurs, l’article 16 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) fournit une liste non exhaustive de postes pouvant être considérés comme étant « de rang supérieur » au sens de l’alinéa 35(1)b) de la LIPR :

16 Pour l’application de l’alinéa 35(1)b) de la Loi, occupent un poste de rang supérieur les personnes qui, du fait de leurs fonctions — actuelles ou anciennes —, sont ou étaient en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par leur gouvernement ou en tirent ou auraient pu en tirer certains avantages, notamment :

a) le chef d’État ou le chef du gouvernement;

b) les membres du cabinet ou du conseil exécutif;

c) les principaux conseillers des personnes visées aux alinéas a) et b);

d) les hauts fonctionnaires;

e) les responsables des forces armées et des services de renseignement ou de sécurité intérieure;

f) les ambassadeurs et les membres du service diplomatique de haut rang;

g) les juges.

VI.  Analyse

[20]  Le demandeur soutient que l’agent s’est montré déraisonnable à trois égards :

  1. ses motifs n’étaient ni transparents ni justifiables;
  2. il n’a pas tenu compte des observations du demandeur concernant ses croyances religieuses, ni du fait qu’il n’était pas membre du parti Ba’ath au pouvoir;
  3. il a entravé l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose en ce qui a trait aux directives applicables du guide ENF 18 Crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

[21]  J’estime, pour les motifs exposés ci‑après, que la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur occupait un poste de rang supérieur dans un régime désigné était déraisonnable.

[22]  Comme le déclarait la juge Abella dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre‑Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 18 :

La déférence est le principe directeur qui régit le contrôle de la décision d’un tribunal administratif selon la norme de la décision raisonnable. Il ne faut pas examiner les motifs dans l’abstrait; il faut examiner le résultat dans le contexte de la preuve, des arguments des parties et du processus. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits ou exhaustifs.

[23]  Ayant examiné la lettre d’équité procédurale, la décision et les notes du SMGC dans leur ensemble, j’estime que l’agent a adéquatement motivé sa conclusion. Cependant, comme je l’explique plus loin, son analyse était lacunaire, ce qui rend sa conclusion déraisonnable.

[24]  L’agent devait analyser la question de savoir si le demandeur occupait un poste de rang supérieur — au sens du règlement — visé à l’alinéa 35(1)b) de la LIPR. Dans les notes du SMGC, il écrit :

[traduction]

Les préoccupations soulevées quant à l’admissibilité ont trait à l’emploi du demandeur et aux postes qu’il a occupés. Le fait qu’il était membre, ou pas, du parti Ba’ath n’est pas pertinent à cet égard, pas plus que ses convictions religieuses. Je ne suis pas d’avis que la déclaration du DP, selon laquelle les fonctions qu’il remplissait ne lui conféraient aucun pouvoir décisionnel, soit crédible. Il semble assez clair qu’il a occupé un certain nombre de postes de direction, dont le dernier à titre de directeur du centre des systèmes électroniques du ministère de l’Industrie. Même s’il n’a peut‑être pas atteint les plus hauts échelons de la fonction publique irakienne, l’on peut malgré tout raisonnablement conclure que ses fonctions démontrent qu’il occupait un poste dont le rang se situait dans la moitié supérieure de la hiérarchie de la fonction publique du gouvernement irakien, durant une période où ce régime désigné était au pouvoir. Par conséquent, j’ai des motifs raisonnables de croire que le DP est interdit de territoire au Canada, suivant l’alinéa 35(1)b) de la LIPR. Demande refusée.

[Non souligné dans l’original.]

[25]  Compte tenu de la jurisprudence dont je dispose, l’analyse qu’un agent doit entreprendre pour déterminer si un individu donné occupe un poste de rang supérieur —au sens du règlement — visé à l’alinéa 35(1)b) de la LIPR comporte deux étapes.

[26]  À la première étape de l’analyse, l’agent doit déterminer si l’intéressé a occupé l’un des postes énumérés à l’article 16 du Règlement. Si tel est le cas, il existe alors — comme l’a fait remarquer avec raison le défendeur — une présomption irréfutable selon laquelle l’intéressé occupe ou occupait un poste de rang supérieur (Hussein c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 759, au paragraphe 14 [Hussein], citant Canada (Ministre de Citoyenneté et Immigration) c Adam, [2001] 2 CF 337 (CA), au paragraphe 7 [Adam]). L’alinéa 35(1)b) a pour cette raison souvent été décrite comme une disposition de responsabilité absolue (Younis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1157, au paragraphe 28). S’il détermine que l’intéressé n’a pas occupé l’un des postes énumérés, l’agent peut alors se demander s’il était malgré tout en mesure d’influencer sensiblement les actions et politiques du régime en place ou s’il a pu en tirer certains avantages (Kojic c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 816, au paragraphe 18 [Kojic]).

[27]  Si l’agent détermine que l’intéressé occupe ou occupait un poste de rang supérieur au sens du règlement, il doit alors passer à la deuxième étape de l’analyse, qui consiste à appliquer l’alinéa 35(1)b) de la LIPR. À ce stade, la personne réputée occuper ou avoir occupé un poste de rang supérieur n’a pas la possibilité de démontrer qu’elle n’était pas en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par son gouvernement même si elle jouissait en principe de hautes responsabilités : Hussein, précité, au paragraphe 14.

[28]  Bien que la seconde étape de cette analyse soit simple, il n’en va pas nécessairement de même pour la première. Dans l’arrêt Adam, la personne en cause était un ministre de cabinet dans un régime désigné. Dans un tel cas, ou dans celui d’un juge ou d’un chef d’État, par exemple, la première étape de l’analyse à suivre est tout à fait claire : le poste en question est manifestement mentionné à l’article 16 du Règlement, de sorte que son titulaire occupe un poste de rang supérieur au sens du règlement. Il s’agit là, de fait, d’une responsabilité absolue.

[29]  Cependant, plusieurs des autres postes énumérés à l’article 16 sont moins clairement définis, notamment celui des « hauts fonctionnaires » à l’alinéa 16d). Dans le cas des alinéas concernés, il est possible que l’intitulé du poste ne permette pas à lui seul de déterminer si la personne occupe ou occupait un poste parmi ceux énumérés. Par conséquent, un examen plus approfondi est nécessaire pour pouvoir déterminer si cette personne est visée par l’alinéa relatif aux « hauts fonctionnaires ».

[30]  Comme le souligne le défendeur, des décisions antérieures de la Cour ont établi l’approche qu’il convient d’adopter aux fins de cet examen plus approfondi à l’égard de l’alinéa 16e), lequel concerne les responsables des forces armées. S’il peut être démontré que le poste de l’intéressé se situe dans la moitié supérieure de la hiérarchie militaire, ce dernier est alors considéré comme un responsable des forces armées au sens de l’alinéa 16e) (Sekularac c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 381, au paragraphe 15).

[31]  Cependant, ni la Cour ni la Cour d’appel fédérale ne semblent avoir adopté une telle approche à l’égard de l’alinéa 16d). Puisqu’il est possible qu’une hiérarchie civile soit moins structurée qu’une hiérarchie militaire, un examen plus exhaustif, d’un point de vue téléologique et contextuel, s’impose pour déterminer si un fonctionnaire occupe un poste de rang supérieur dans la fonction publique. L’agent peut se demander si l’intitulé du poste relève de la moitié supérieure de la hiérarchie gouvernementale (le critère de la moitié supérieure), mais il lui faut également prendre en compte non seulement les éléments de preuve concernant les fonctions et les responsabilités de la personne concernée, mais aussi la nature du poste occupé.

[32]  Je prends acte du Guide ENF 18 Crimes de guerre et crimes contre l’humanité (le guide), qui fournit aux agents des visas des directives concernant l’analyse à effectuer au titre de l’alinéa 35(1)b) de la LIPR. L’extrait suivant du guide est reproduit dans l’évaluation de la DESN :

Outre la preuve nécessaire, on doit établir que le poste est de rang supérieur. À cette fin, on doit situer le poste dans la hiérarchie où le fonctionnaire travaille. [...] Si l’on peut prouver que le poste est dans la moitié supérieure de l’organisation, on peut considérer qu’il est un poste de rang supérieur. Un autre moyen de l’établir est celui des preuves de responsabilités liées au poste et du type de travail effectué ou des types de décisions prises (à défaut d’être prises par le demandeur, par les titulaires de postes analogues).

[33]  Malgré ce que prévoit le guide, dans une affaire comme celle de l’espèce, où il est question d’un fonctionnaire ayant occupé un poste de rang supérieur et où il existe des éléments de preuve extrêmement pertinents tendant à démontrer qu’il n’était pas en mesure d’exercer une influence importante ni de tirer avantage de son poste, il est déraisonnable de s’appuyer exclusivement sur le critère de la moitié supérieure.

[34]  L’agent a jugé dépourvue de pertinence la preuve présentée par le demandeur afin de démontrer qu’il ne pouvait exercer une grande influence, en raison de ses croyances religieuses et du fait qu’il n’était pas membre du parti Ba’ath. En outre, l’agent s’en est remis uniquement au critère de la moitié supérieure pour en arriver à la conclusion que le demandeur occupait un poste de haut fonctionnaire. Je conclus que la décision est déraisonnable.

[35]  L’agent a appliqué une approche indûment technique à une analyse qui devait être à la fois téléologique et contextuelle, et il a conclu de ce fait que le demandeur était interdit de territoire au titre de l’alinéa 35(1)b) de la LIPR. Les erreurs de l’agent touchent au cœur de l’affaire, laquelle doit par conséquent être renvoyée pour réexamen.

VII.  Question certifiée

[36]  Au terme de l’audition de la présente affaire, le demandeur a proposé que la question suivante soit certifiée :

[traduction]

L’agent des visas doit‑il examiner les affiliations politiques ou les convictions religieuses d’un demandeur pour déterminer s’il est un « haut fonctionnaire » visé à l’article 16 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés?

[37]  Selon le défendeur, il n’est pas nécessaire de certifier la question, dans la mesure où le droit établit clairement que le fait de constater l’appartenance d’une personne à la moitié supérieure de la hiérarchie gouvernementale suffit pour conclure que cette personne était un « haut fonctionnaire » visé à l’alinéa 16d) du Règlement.

[38]  Le critère relatif à la certification d’une question conformément à l’article 74 de la LIPR a récemment été réaffirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Lewis c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2017 CAF 130, au paragraphe 36 :

La jurisprudence de notre Cour enseigne que, pour qu’une question soit dûment certifiée aux termes de l’article 74 de la LIPR, et que la Cour ait compétence pour entendre l’appel, la question certifiée par la Cour fédérale doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale.

[39]  J’ai conclu que le fait, pour un agent, de s’en tenir strictement à l’application du critère de la moitié supérieure alors qu’il est en présence éléments de preuve importants indiquant que la personne en cause n’était pas en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par son gouvernement, ni de tirer certains avantages de son poste, ne saurait justifier raisonnablement une conclusion que cette personne est un « haut fonctionnaire » visé à l’alinéa 16d) du Règlement. Cette question pourrait être déterminante quant à l’issue de l’appel, en plus de transcender les intérêts des parties au litige et d’être de portée générale.

[40]  Compte tenu de cette conclusion, la question suivante est certifiée :

Au moment de déterminer si, aux termes de l’alinéa 35(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, une personne occupe un poste de rang supérieur au sens du Règlement compte tenu du fait qu’elle pourrait être un haut fonctionnaire visé à l’alinéa 16d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, l’agent peut‑il conclure que cette personne est un haut fonctionnaire en se fondant exclusivement sur le fait que son poste se situe dans la moitié supérieure de la hiérarchie gouvernementale, en dépit d’éléments de preuve valables établissant qu’elle n’était pas en mesure d’exercer une influence significative ni de tirer avantage de son poste, ou doit‑il effectuer une analyse globale et tenir compte de tels éléments de preuve?


JUGEMENT dans le dossier T-1975-18

LA COUR STATUE que :

  1. Il est fait droit à la demande, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il la réexamine.

  2. La question suivante est certifiée :

Au moment de déterminer si, aux termes de l’alinéa 35(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, une personne occupe un poste de rang supérieur au sens du Règlement compte tenu du fait qu’elle pourrait être un haut fonctionnaire visé à l’alinéa 16d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, l’agent peut‑il conclure que cette personne est un haut fonctionnaire en se fondant exclusivement sur le fait que son poste se situe dans la moitié supérieure de la hiérarchie gouvernementale, en dépit d’éléments de preuve valables établissant qu’elle n’était pas en mesure d’exercer une influence significative ni de tirer avantage de son poste, ou doit‑il effectuer une analyse globale et tenir compte de tels éléments de preuve?

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de janvier 2019.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice, trad. a


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1975-18

 

INTITULÉ :

ZAGHLOL KASSAB c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 NOVEMBRE 2018

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 DÉCEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Max Chaudhary

pour le demandeur

Maria Burgos

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chaudhary Immigration Law Office

Société professionnelle

Toronto (Ontario)

pour Le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

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