Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20181206

Dossier : IMM‑1186‑18

Référence : 2018 CF 1224

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

DO MEE TUNG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse conteste la conclusion de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui estime que la demanderesse s’est réclamée de nouveau de la protection de la Chine, au sens de l’alinéa 108(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]  En 2002, la demanderesse s’est vu reconnaître le statut de réfugié par le Canada, en raison de sa crainte d’être persécutée en Chine en tant qu’adepte du Falun Gong. En 2004, elle a obtenu la résidence permanente (RP). Elle s’est fait, après cela, délivrer deux passeports chinois (en 2004 et en 2009) et s’est rendue en Chine à de multiples reprises. Le 24 avril 2014, le ministre a déposé une demande de constat de perte d’asile. Dans le cadre de cette demande de constat de perte, la demanderesse a fait savoir qu’aux termes de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR, les raisons qui lui avaient fait demander l’asile n’existaient plus.

[3]  La SPR a par ailleurs conclu, cependant, qu’aux fins de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR, la demanderesse s’était volontairement réclamée de nouveau de la protection de la Chine. C’est cette conclusion voulant qu’elle se soit de nouveau réclamée de la protection de son pays d’origine que la demanderesse conteste en l’espèce.

[4]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, car pour conclure que la demanderesse s’était de nouveau réclamée de la protection de son pays d’origine, la SPR a appliqué le bon critère, et ses conclusions sont, par conséquent, raisonnables. En l’espèce, je refuse de certifier une question.

I.  Le contexte

[5]  La demanderesse a obtenu la résidence permanente au Canada en mai 2004. Un mois plus tard, en juin 2004, ayant déposé une demande en ce sens, elle s’est vu délivrer un passeport chinois, qu’elle a fait renouveler en 2009. Entre 2004 et 2014, ainsi que l’atteste son passeport, elle s’est rendue en Chine à de nombreuses reprises. Elle a expliqué à la SPR que si elle était rentrée en Chine, c’était pour s’occuper de sa mère, qui était malade, et aider son mari qui se trouvait en prison. Elle s’est, au cours de cette période, rendue en Chine à 12 reprises, y séjournant chaque fois au moins un mois.

[6]  C’est en raison de son appartenance au mouvement du Falun Gong, qu’en 2002 elle s’est vue reconnaître le statut de réfugié, mais elle affirme avoir depuis cessé de pratiquer le Falun Gong.

[7]  En 2014, le ministre a déposé une demande de constat de perte du statut de réfugié de la demanderesse. Cette demande de constat de perte a été accueillie, mais infirmée par la Cour fédérale le 20 novembre 2015, et renvoyée pour nouvel examen (dossier IMM‑6683‑14).

[8]  L’affaire a été réexaminée par la SPR le 9 février 2018, et c’est de cette décision de la SPR qu’il s’agit en l’espèce.

II.  La décision de la SPR

[9]  Avant que la SPR ne se penche à nouveau sur la demande de constat de perte, les avocats du ministre et de la demanderesse ont conjointement recommandé que l’on constate la perte de son statut de réfugié uniquement en raison d’un changement de circonstances, tel que prévu à l’alinéa 108(1)e) de la LIPR.

[10]  Dans sa décision en date du 27 février 2018, la SPR a jugé que la demanderesse avait manifesté l’intention de se réclamer de nouveau et volontairement de la protection de la Chine, dont elle était ressortissante, et que les raisons qui lui avaient fait demander l’asile avaient cessé d’exister.

[11]  La SPR a cité le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut‑commissariat des Nations Unies (le Guide du HCR) et la jurisprudence touchant ce qui est exigé pour démontrer que quelqu’un s’est réclamé de nouveau de la protection de son pays d’origine. Lors de son examen de la preuve, la SPR a conclu que Mme Tung s’était volontairement fait délivrer des passeports chinois, et qu’elle s’était volontairement rendue en Chine à 12 reprises. Tout en reconnaissant que la demanderesse ait pu avoir des motifs personnels de retourner en Chine, la SPR a néanmoins estimé qu’elle avait agi en cela volontairement.

[12]  La SPR a précisé que c’est au ministre qu’il incombe de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que quelqu’un s’est réclamé de nouveau de la protection de son pays d’origine. La SPR a estimé, cependant, que le fait que la demanderesse, après avoir déposé une demande en ce sens, se soit vu délivrer un passeport chinois, fait naître la présomption qu’elle s’est effectivement réclamée de nouveau de la protection de son pays, et qu’il lui appartient alors de réfuter cette présomption. Or, la SPR a conclu qu’elle n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle elle s’était réclamée de nouveau de la protection de son pays d’origine.

[13]  La demanderesse a déclaré s’être rendue en Chine pour s’occuper de sa mère, mais la SPR a relevé que divers éléments de preuve indiquent qu’en son absence, d’autres membres de la famille étaient là pour s’occuper de sa mère. La SPR a par ailleurs souligné qu’aucun élément de preuve n’attestait la maladie de sa mère. La demanderesse a en outre soutenu que sa présence en Chine était nécessaire pour conforter son mari, qui se trouvait en prison, et pour s’occuper des formalités juridiques le concernant. La SPR a relevé, cependant, que lorsque la demanderesse ne se trouvait pas en Chine, le neveu de son mari s’occupait de cela. La SPR a estimé que l’aide qu’elle apportait à son mari ne démontrait pas que sa présence en Chine était nécessaire.

[14]  La SPR a relevé qu’au cours de ses nombreux voyages en Chine, la demanderesse est entrée en contact avec les autorités chinoises, présentant son passeport chinois aux autorités frontalières, aussi bien à l’entrée qu’à la sortie de Chine. Elle était également en contact avec les autorités du centre où était détenu son mari. La demanderesse soutient malgré tout que les autorités ne l’ont jamais interrogée au sujet de son appartenance au mouvement du Falun Gong. Elle affirme, en ce qui concerne sa pratique du Falun Gong, qu’elle a cessé de le pratiquer au Canada, pour ne pas avoir à acquitter la cotisation de 50 $.

[15]  Devant la SPR, la demanderesse a invoqué le jugement El Kaissi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1234 [El Kaissi], dans lequel la Cour précise, au paragraphe 28, que « le fait pour une personne de se réclamer à nouveau de la protection de son pays requiert plus qu’un séjour temporaire, mais plutôt une intention du demandeur d’asile de résider en permanence dans ce pays, avant que sa présence physique dans ce pays n’ait pour effet de lui nier ici la qualité de réfugié ». La SPR a répondu que la Cour fédérale avait confondu le fait qu’une personne se réclame de nouveau de la protection de son pays, et la notion de réinstallation telle que la décrit le Manuel du HCR. Selon la SPR, pour tomber sous le coup de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR, il n’était pas nécessaire que la demanderesse ait l’intention de résider en Chine de manière permanente.

[16]  La SPR a estimé que les faits et gestes de la demanderesse, sollicitant un passeport chinois, le faisant renouveler, se rendant volontairement en Chine à 12 reprises, effectuant de longs séjours en Chine, et le fait de ne pas avoir éprouvé de difficultés lors de ses contacts avec les autorités chinoises, ne réfutent pas la présomption selon laquelle elle avait eu l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de la Chine.

[17]  En ce qui concerne le changement de circonstance prévu à l’alinéa 108(1)e), la SPR a conclu que les raisons pour lesquelles on lui avait accordé l’asile avaient cessé d’exister, étant donné qu’après son arrivée au Canada, la demanderesse avait cessé de pratiquer le Falun Gong, et ne se livrait pas à cette pratique lors de ses séjours en Chine. La demanderesse affirme continuer à craindre de rentrer en Chine en raison de son ancienne adhésion au Falun Gong, mais la SPR, compte tenu des nombreux voyages en Chine effectués par la demanderesse et le fait qu’aucun incident n’a marqué ses contacts avec les autorités chinoises, a estimé que la possibilité de persécution est faible.

[18]  Selon la SPR, lorsque s’appliquent, dans un cas donné, deux dispositions du paragraphe 108(1) touchant la perte de l’asile, il lui appartient de faire de ces dispositions une application temporelle en prenant en compte les dates des événements entraînant la perte de l’asile. Or, selon la SPR, le dossier ne permet pas de préciser la date à laquelle la demanderesse a cessé de pratiquer le Falun Gong. La SPR a, par conséquent, conclu que le changement de circonstances au regard de l’alinéa 108(1)e) aurait pu avoir lieu soit avant, soit après qu’elle se soit réclamée de nouveau de la protection de la Chine aux fins de l’alinéa 108(1)a). La SPR a estimé pouvoir se fonder sur l’un ou l’autre des motifs prévus au paragraphe 108(1) de la LIPR, et a jugé que la demanderesse a perdu le statut de réfugié aux termes tant de l’alinéa 108(1)a) que de l’alinéa 108(1)e).

III.  Les dispositions législatives pertinentes

[19]  Voici les dispositions pertinentes du paragraphe 108(1) de la LIPR :

(1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

[…]

e)  les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

IV.  Les questions en litige

[20]  La demanderesse soulève, à l’égard de la décision de la SPR, plusieurs questions qui peuvent se formuler ainsi :

  1. En ce qui concerne la perte d’asile, la SPR s’est‑elle trompée dans son approche?

  2. Est‑ce à tort que la SPR a conclu que la demanderesse s’était réclamée de nouveau de la protection de son pays d’origine?

  3. Y a‑t‑il en l’espèce des questions à certifier?

V.  Analyse

VI.  La norme de contrôle applicable

[21]  En ce qui concerne l’interprétation par la SPR des dispositions pertinentes de la LIPR, et son analyse visant à déterminer si les motifs de la perte de l’asile ont été établis, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 134, au par. 11).

[22]  Ajoutons que l’interprétation qu’a faite la SPR de sa loi constitutive, la LIPR, appelle une sensible déférence (Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, aux par. 29 et 74).

[23]  S’agissant d’une question de droit ou de justice naturelle, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 55).

A. En ce qui concerne la perte d’asile, la SPR s’est‑elle trompée dans son approche?

[24]  La demanderesse fait valoir que dans la mesure où l’on ne peut perdre l’asile qu’une seule fois, la SPR était tenue de se prononcer de manière définitive sur la date à laquelle la perte d’asile est intervenue. Ce n’est pas un argument qu’autorise le texte du paragraphe 108(1) qui envisage plusieurs circonstances pouvant entraîner la perte d’asile. La demanderesse fait essentiellement valoir que la SPR ne saurait retenir plus d’un motif de perte d’asile. Pour les raisons exposées ci‑dessous, cet argument n’est pas fondé.

[25]  Le constat de la perte d’asile aux termes de l’alinéa 108(1)e) n’entraînerait, pour la demanderesse, que la perte de son statut de réfugié. Or, le constat de la perte d’asile pour un des autres motifs prévus aux alinéas 108(1)a) à d) entraînerait en même temps pour la demanderesse la perte de son statut de résidente permanente en vertu de l’alinéa 46(1)c.1) de la LIPR, qui prévoit que :

46(1) Emportent perte du statut de résident permanent les faits suivants :

[…]

(c.1) la décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) entraînant, sur constat des faits mentionnés à l’un des alinéas 108(1)a) à d), la perte de l’asile;

[26]  Les avocats de la demanderesse et du ministre ont présenté à la SPR des observations conjointes, demandant à la Cour de ne se prononcer sur le statut de réfugié de la demanderesse qu’au regard de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR, étant donné que la demanderesse concède avoir cessé de pratiquer le Falun Gong et qu’un changement de circonstances a effectivement entraîné la perte de l’asile.

[27]  Selon la demanderesse, la SPR était tenue d’accepter les observations conjointes ou, subsidiairement, exposer les motifs la portant à les écarter.

[28]  Avant l’audience, la SPR a fait savoir aux parties que bien que la demanderesse ait concédé la perte d’asile pour un des motifs prévus, elle entendait se pencher également sur tout motif pouvant en l’occurrence entraîner la perte d’asile. Cette approche est conforme au large pouvoir discrétionnaire que la LIPR confère à la SPR, ainsi que le juge O’Reilly l’a rappelé aux paragraphes 21 et 22 de Canada (Citoyenneté et Immigration) c Al‑Obeidi, 2015 CF 1041 :

[…] Comme il a été mentionné, la Commission est autorisée, selon la LIPR, à examiner tout motif de perte de l’asile énoncé au paragraphe 108(1). Le fait qu’un défendeur concède que l’un des motifs existe ne devrait pas empêcher la Commission de tenir compte d’un autre motif. Dans les circonstances de cette affaire, la Commission s’est sentie obligée d’examiner d’autres motifs de perte de l’asile ayant été avancés par le ministre. Le fait que la Commission ait tenu compte de ces autres motifs ne signifie pas qu’elle a commis une erreur en ne les examinant pas en l’espèce.

En somme, dans le cadre d’une demande de constat de perte de l’asile présentée par le ministre, la Commission peut examiner tout motif énoncé au paragraphe 108(1) de la LIPR. Si le réfugié intimé convainc la Commission, ou concède, qu’il a perdu son statut en raison du changement de la situation dans le pays (alinéa 108(1)e)), la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire de tenir compte d’autres motifs. On ne peut ni l’obliger à le faire ni l’empêcher de le faire. Toutefois, lorsqu’il existe une preuve non contredite et non contestée de la perte de l’asile pour un autre motif (p. ex. l’acquisition d’une nationalité d’un pays offrant une protection), la Commission devrait en tenir compte.

[29]  Ainsi, bien que la demanderesse ait concédé la perte de son statut de réfugié au seul motif d’un changement de circonstances, la SPR pouvait, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, prendre en compte d’autres motifs de perte de l’asile applicables en l’occurrence. La SPR a également tenu compte du fait que la demanderesse s’étant réclamée de nouveau de la protection de son pays, mais cela ne veut aucunement dire que la SPR a manqué de prendre en compte le changement de circonstances.

[30]  Ainsi que nous l’avons souligné, la demanderesse ne conteste pas que la SPR a conclu à la perte de l’asile en raison d’un changement de circonstances. La demanderesse a vraisemblablement pensé que la SPR n’examinerait que le changement de circonstances, le motif entraînant la perte d’asile concédé par la demanderesse, qui s’était, sur ce point, entendue avec le ministre. Ce n’est cependant pas comme cela que la SPR a abordé l’examen de la question, et elle n’était aucunement tenue de procéder ainsi. La demanderesse a fait en outre valoir que c’est à tort que la SPR n’avait pas motivé son refus de s’en tenir aux observations conjointes des avocats des parties.

[31]  J’estime que l’argument voulant que la SPR ne s’en soit pas tenue aux observations conjointes des avocats des parties n’est pas fondé, et qu’il fait fi du pouvoir discrétionnaire que la LIPR reconnaît à la SPR. On ne peut pas présumer que les rédacteurs de la LIPR ont voulu que l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par la loi puisse être entravé, ou régi par les observations des parties ou de leurs avocats. Je souscris à ce que le juge Zinn en a dit dans Fong c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 1134 [Fong] où, au paragraphe 31, il s’exprime en ces termes : « […] la SAI a le droit de rejeter une observation conjointe dans la mesure où elle fournit des motifs pour ce faire » [renvois omis]. Bien que le jugement Fong porte sur des faits différents, ce principe s’applique en l’espèce.

[32]  En l’occurrence, cependant, la SPR n’a pas rejeté les observations conjointes, mais a simplement exercé la faculté qu’elle a de prendre en compte d’autres motifs de perte de l’asile aux termes du paragraphe 108(1) de la LIPR. Ajoutons que la SPR avait fait savoir aux parties avant même le début de l’audience qu’elle entendait considérer d’autres motifs de perte de l’asile et que, ce faisant, elle a motivé, comme elle le devait, le fait de ne pas s’en tenir aux recommandations formulées par les avocats des parties.

[33]  Pris dans son ensemble, l’examen que la SPR a fait de la question de la perte d’asile est raisonnable, et la SPR n’a commis aucune erreur dans son approche de la question au regard du paragraphe 108(1).

B. Est‑ce à tort que la SPR a conclu que la demanderesse s’était réclamée de nouveau de la protection de son pays d’origine?

[34]  La demanderesse fait par ailleurs valoir que c’est à tort que la SPR a conclu qu’elle s’était réclamée de nouveau de la protection de son pays d’origine.

[35]  En ce qui concerne le critère permettant de conclure qu’un demandeur d’asile s’est réclamé de nouveau de la protection de son pays d’origine, la SPR, aux paragraphes 21 et 22 de sa décision, se prononce en ces termes :

[21] Le conseil de l’intimée a cité la décision Kaissi c. Canada (MCI), 2011 CF 1234 à l’appui du principe selon lequel une personne qui se réclame à nouveau de la protection de son pays de nationalité doit avoir l’intention de résider de façon permanente dans le pays de nationalité. En citant la décision Camargo c. Canada (MCI), 2003 CF 1434, [2003] ACF 1830, la Cour fédérale a, dans l’affaire Kaissi, déclaré que « le fait pour une personne de se réclamer à nouveau de la protection de son pays requiert plus qu’un séjour temporaire, mais plutôt une intention du demandeur d’asile de résider en permanence dans ce pays, avant que sa présence physique dans ce pays n’ait pour effet de lui nier ici la qualité de réfugié ». Avec tout le respect que je lui dois, la Cour fédérale a confondu le fait de se réclamer à nouveau de la protection d’un pays et le fait de se réétablir dans ce pays. Au paragraphe 35 de la décision Camargo, la Cour fédérale a déclaré ce qui suit :

Selon le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du bureau du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (Genève, 1988), le « réétablissement » et la « réclamation de protection » exigent tous deux un élément d’intention de la part du réfugié avant que la présence physique dans le pays entraîne un refus du statut de réfugié. L’article 134 du Guide du HCNUR énonce qu’un séjour temporaire par un réfugié dans le pays où il craint la persécution, alors qu’il n’a pas l’intention d’y établir sa résidence permanente, ne devrait pas impliquer la perte du statut de réfugié.

[22] Il est clair que le paragraphe 134 du Guide du HCR aborde le sens du réétablissement. La citation figurant dans les décisions Camargo et Kaissi au sujet de l’exigence de l’intention de demeurer de façon permanente dans le pays de nationalité figure dans le Guide du HCR sous l’entête « 4) Rétablissement volontaire dans le pays où l’intéressant craignait d’être persécuté ». Le paragraphe 134 est ainsi libellé :

134. La clause envisage le réétablissement volontaire, ce qui s’entend d’un retour dans le pays de la nationalité ou de la résidence habituelle antérieure en vue d’y établir sa résidence permanente. Si un réfugié, muni non pas d’un passeport national mais par exemple d’un titre de voyage délivré par son pays de résidence, se rend dans son pays d’origine, pour y faire un séjour temporaire, cela ne constitue pas une volonté de s’y « établir » et n’implique pas la perte du statut de réfugié en vertu de la clause à l’examen.

[36]  La demanderesse invoque le jugement El Kaissi à l’appui de son argument voulant que pour que l’on puisse conclure qu’une personne s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays d’origine, il faut démontrer une intention de s’installer de manière permanente dans le pays en question. Selon la demanderesse, la SPR a enfreint à la fois les règles de la justice naturelle et la doctrine du stare decisis en ne s’alignant pas sur la manière dont la Cour, dans le jugement El Kaissi, a interprété la notion de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine. La demanderesse affirme ne pas avoir une intention arrêtée de résider en Chine.

[37]  C’est à tort, cependant, que la demanderesse invoque à l’appui de sa thèse les jugements El Kaissi et Camargo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2003 CF 1434, ainsi que ce que la SPR a pu dire de ces deux décisions. En effet, si ces deux décisions portaient effectivement sur la question de savoir si le demandeur s’était réclamé de nouveau de la protection de son pays d’origine, c’était dans le contexte de l’octroi initial du statut de réfugié. Il s’agit donc de questions qui, par rapport à une demande de constat de perte de l’asile, supposent l’appréciation de circonstances et l’application de dispositions de la LIPR différentes.

[38]  En l’espèce, la SPR avait à se pencher sur la question de savoir si la demanderesse s’était réclamée de nouveau de la protection de son pays d’origine dans le contexte d’une perte du statut de réfugié en vertu du paragraphe 180(1). À cause de cette distinction, je ne peux pas suivre la SPR lorsqu’elle relève, dans la jurisprudence de la Cour fédérale sur la question, une certaine « confusion ». La SPR n’a pas précisé les différences entre les faits, tels qu’ils étaient dans les affaires El Kaissi et Camargo, et les affaires de perte du statut de réfugié. Mais ces appréciations faites par la SPR n’entraînent en l’espèce aucune conséquence, car la SPR a en définitive correctement analysé la question de savoir si la demanderesse s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays, ainsi que l’indique le paragraphe 23 de sa décision :

[23] Il n’est pas nécessaire que l’intimée ait l’intention de résider de façon permanente en Chine pour établir qu’elle est visée par l’alinéa 108(1)a) de la Loi. Le ministre doit établir que, selon la prépondérance des probabilités, elle avait l’intention de se réclamer à nouveau de la protection de la Chine. Lorsque j’examine les actes de l’intimée, soit la demande et l’obtention de deux passeports chinois, l’utilisation de ces passeports pour se rendre en Chine, le nombre et la durée de ses voyages en Chine, ses allées et venues et ses activités dans ce pays, y compris ses interactions régulières avec les autorités chinoises au centre de détention de son époux, ainsi que son abandon de la pratique du Falun Gong, j’estime qu’elle n’a pas réfuté la présomption selon laquelle elle s’est réclamée à nouveau de la protection de la Chine.

[39]  Le critère qui, dans le contexte de la perte du statut de réfugié, permet de conclure qu’un demandeur de statut s’est de nouveau réclamé de la protection de son pays d’origine est précisé par le juge O’Reilly dans le jugement Cerna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1074 [Cerna], au paragraphe 12 :

Le fait de s’être réclamé de nouveau de la protection du pays dont on a la nationalité comporte trois éléments : (1) le réfugié doit avoir agi volontairement; (2) le réfugié doit avoir eu l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité; et (3) le réfugié doit avoir effectivement obtenu cette protection (Nsende c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 531, aux paragraphes 12 à 15; Cabrera Cadena c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 67, au paragraphe 22).

[40]  C’est le critère appliqué dans Kuoch c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 979 [Kuoch] et Mayell c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 139.

[41]  C’est le critère qu’a appliqué la SPR lorsqu’elle s’est penchée sur l’argument avancé par la demanderesse qui prétendait que son retour en Chine était nécessaire afin de pouvoir s’occuper de sa mère, qui était malade, et conforter son mari, qui était détenu. La SPR a cependant estimé qu’il n’y avait, dans le dossier, rien qui confirme la nécessité de la présence de la demanderesse en Chine, car en son absence, d’autres membres de la famille pouvaient la remplacer. La SPR a conclu que ces voyages en Chine n’étaient pas nécessaires et qu’ils ont été effectués volontairement. Ayant conclu que les voyages effectués en Chine par la demanderesse l’avaient été volontairement, la SPR a estimé que cela mettait en doute la crainte subjective qu’elle affirmait éprouver.

[42]  Dans Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 459, le juge O’Reilly précise, au paragraphe 42, la répartition du fardeau de la preuve en l’occurrence :

Il incombe au ministre de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la personne s’est réclamée à nouveau de la protection de son pays d’origine. Pour ce faire, il est loisible au ministre de se fonder sur cette présomption en établissant que le réfugié a obtenu ou renouvelé un passeport de son pays d’origine. Une fois que cela a été établi, il incombe au réfugié de montrer qu’il ne cherchait pas réellement à se réclamer de la protection de son pays d’origine. Comme il ressort du Guide du HCR, s’il existe une preuve qu’un réfugié a obtenu ou renouvelé un passeport « il sera présumé, en l’absence d’éléments de preuve contraires, avoir voulu se réclamer à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité » (paragraphe 121).

[43]  En l’espèce, la demanderesse a demandé et s’est fait délivrer deux passeports chinois après s’être vu reconnaître au Canada le statut de réfugié. Munie de ses passeports chinois, elle a fait de multiples allers et retours entre le Canada et la Chine. La présomption selon laquelle elle s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays d’origine est particulièrement forte lorsqu’un réfugié ou une réfugiée rentre dans son pays de nationalité munie d’un passeport délivré par ce pays (Kuoch, aux par. 28 et 29).

[44]  C’était à la demanderesse de réfuter la présomption selon laquelle elle s’était réclamée de nouveau de la protection de son pays d’origine, mais elle n’est tout simplement pas parvenue à le faire. En ce qui concerne la date à laquelle la demanderesse aurait cessé de pratiquer le Falun Gong, la SPR a reconnu que la demanderesse avait cessé de pratiquer le Falun Gong « à une certain moment ». La demanderesse ayant admis qu’elle avait cessé de pratiquer le Falun Gong, il lui appartenait de fournir les preuves nécessaires à l’appui de ses dires. La demanderesse a tenté de faire une distinction entre la date à laquelle elle a cessé de pratiquer le Falun Gong, et les dates auxquelles elle se serait réclamée de nouveau de la protection de son pays d’origine, mais la SPR a constaté qu’il était impossible de préciser la date de ces divers événements.

[45]  Il était, de la part de la SPR, raisonnable de conclure que le comportement même de la demanderesse montre qu’elle avait l’intention arrêtée de se réclamer effectivement de nouveau de la protection de la Chine.

[46]  La SPR a, dans le contexte d’une perte de l’asile, correctement analysé la question de savoir si la demanderesse s’est effectivement réclamée de nouveau de la protection de son pays d’origine, et la SPR n’a commis aucune erreur en concluant que c’était effectivement le cas.

VII.  Conclusion au regard des questions A et B

[47]  L’argument avancé par la demanderesse, qui fait valoir que le changement de circonstances prévu à l’alinéa 108(1)e) s’est produit avant qu’elle ne puisse se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine aux fins de l’alinéa 108(1)a) repose sur son affirmation d’avoir renoncé au Falun Gong avant de rentrer en Chine. Mais, la SPR ayant conclu que l’on ne pouvait pas situer, par rapport aux faits et gestes indiquant qu’elle s’était réclamée de nouveau de la protection de son pays d’origine, la date à laquelle elle avait renoncé au Falun Gong, il n’était, de la part de la SPR, pas déraisonnable d’estimer que les deux dispositions concernant la perte de l’asile s’appliquaient en l’espèce.

[48]  La SPR a pu raisonnablement se prononcer sur la question de la perte de l’asile pour un motif qui n’avait pas été invoqué par les parties. Cela est conforme au pouvoir discrétionnaire reconnu à la SPR.

VIII.  C. Y a‑t‑il des questions à certifier?

[49]  La demanderesse propose la certification de trois questions :

1. Une personne peut‑elle cesser plusieurs fois d’être un réfugié au sens de la Convention. Si la réponse est non, le tribunal est‑il tenu de parvenir à d’explicites conclusions de fait quant aux motifs ayant entraîné la perte du statut de réfugié au sens de la Convention, et quant aux dates où est intervenue cette perte de statut?

2. Peut‑on dire qu’une personne se réclame de nouveau de la protection de son pays d’origine si elle n’a pas l’intention d’y résider de manière permanente?

3. Saisi d’une demande de constat de perte de l’asile en vertu du paragraphe 108(l) de la LIPR, le tribunal est‑il tenu, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire quant à la disposition applicable en l’occurrence, de fournir une explication convaincante de la manière dont il a exercé son pouvoir discrétionnaire?

[50]  Selon le défendeur, les questions soulevées par la demanderesse ne répondent pas aux critères de certification, et il propose à la certification de la Cour la question suivante :

a)  Quel est le critère juridique permettant de conclure qu’un demandeur d’asile s’est réclamé de nouveau de la protection de son pays d’origine aux fins de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR?

(i)  Plus particulièrement, le critère juridique permettant de dire si une personne s’est réclamée de nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité, aux fins de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR, exige‑t‑il, de la part de l’intéressé, l’intention de résider de manière permanente dans le pays dont il a cherché à obtenir la protection?

[51]  Les critères de certification ont récemment été confirmés par la Cour d’appel fédérale dans Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, au paragraphe 46, la Cour s’exprimant en ces termes :

La Cour a récemment réitéré, dans l’arrêt Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile) 2017 CAF 130, au paragraphe 36, les critères de certification. La question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. Cela signifie que la question doit avoir été examinée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle‑même, et non simplement de la façon dont la Cour fédérale a statué sur la demande. Un point qui n’a pas à être tranché ne peut soulever une question dûment certifiée (arrêt Lai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, 29 Imm. L.R. (4th) 211, au paragraphe 10). Il en est de même pour une question qui est de la nature d’un renvoi ou dont la réponse dépend des faits qui sont uniques à l’affaire (arrêt Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, 485 N.R. 186, aux paragraphes 15 et 35).

[52]  Je ne saurais, au vu de ce critère, conclure que l’une ou l’autre des questions proposées répond aux critères de certification, ou que les questions pourraient être formulées différemment afin de pallier leurs insuffisances à cet égard. Le problème est que ni l’une ni l’autre de ces questions ne serait déterminante en l’espèce.

[53]  La première question telle que soulevée par l’appelante ne découle pas des faits ici en cause. La SPR a estimé, au vu des éléments de preuve versés au dossier, qu’elle ne pouvait pas préciser la date des événements ayant entraîné la perte de l’asile. Par conséquent, la question ainsi posée demeure hypothétique.

[54]  La deuxième question, telle que formulée par la demanderesse, a déjà reçu une réponse dans le cadre des motifs exposés plus haut. Malgré le commentaire de la SPR sur ce point, la jurisprudence de la Cour fédérale ne comporte aucune confusion quant au critère applicable, dans les affaires de perte de l’asile, à la question de savoir si l’intéressé s’est réclamé de nouveau de la protection de son pays d’origine. Il n’y a donc pas lieu pour moi de certifier cette question ou la question analogue proposée par le défendeur.

[55]  Et enfin, pour ce qui est de la troisième question proposée par la demanderesse, la question du pouvoir discrétionnaire de la SPR est examinée à fond dans le jugement Al‑Obeidi. Je me refuse donc à la certifier étant donné qu’elle est sans conséquence en l’espèce.

[56]  J’estime que ni l’une ni l’autre des questions proposées ne seraient déterminantes quant à l’issue de l’appel, qu’elles ne transcendent pas les intérêts des parties en l’espèce, et qu’elles ne portent pas sur des questions ayant des conséquences importantes, ou qui sont de portée générale. Cela étant, il n’y a pas, en l’espèce, de questions à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1186‑18

LA COUR STATUE que :

  1. la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. je me refuse à certifier les questions posées par les parties.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de janvier  019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1186‑18

INTITULÉ :

DO MEE TUNG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 SEPTEMBRE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 6 DÉCEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

POUR La demanderesse

Suzanne Bruce

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman C.M.

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR La demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.