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Dossier : IMM-1674-18

Référence : 2018 CF 1214

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

NUEL IRUKA ONYEANWUNA

JOVITA ONYINYECHI ONYEANWUNA

PRECIOUS EBUBE ONYEANWUNA

EMMANUEL CHIZARAM ONYEANWUNA

MARVELLOUS DUBEM (DEBEM) ONYEANWUNA

 

 

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs sont des citoyens du Nigéria. Ils demandent à la Cour d’annuler une décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (SAR) a confirmé le rejet, par la Section de la protection des réfugiés (SPR), de leur demande d’asile fondée sur les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. La demande a été rejetée en raison de problèmes de crédibilité.

[2]  J’ai conclu que la SAR n’a pas enfreint les principes d’équité procédurale en refusant de tenir une audience et que les demandeurs n’ont pas démontré l’existence d’une erreur de la part de la SAR. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Contexte

[3]  Le demandeur principal, Nuel Iruka Onyeanwuna (« DP »), son épouse, Jovita Onyinyechi Onyeanwuna, et leurs trois enfants, Precious, Emmanuel et Marvellous (collectivement désignés « les demandeurs ») sont des citoyens du Nigéria. Le DP allègue que sa fille Ifeoma est décédée le 6 janvier 2003 après que ses grands-parents l’eurent forcée à subir une mutilation génitale des femmes (MGF).

[4]  Le fondement de la demande d’asile du DP comporte deux volets : premièrement, il est pris comme cible pour avoir refusé de faire subir une MGF à sa fille et, deuxièmement, il est accusé de soutenir son frère qui a été arrêté pour homosexualité. Le DP affirme que la police le soupçonne d’avoir aidé son frère à s’évader de prison.

[5]  Les demandeurs sont arrivés au Canada en août 2015 munis de visas de visiteur et ils ont par la suite fait une demande d’asile. En juillet 2017, la SPR a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Ils ont interjeté appel devant la SAR.

Décision de la SAR

[6]  Dans sa décision datée du 15 mars 2018, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.  

[7]  La SAR a examiné la demande d’autorisation de déposer des nouveaux éléments de preuve présentée par les demandeurs; il s’agissait d’une lettre d’un avocat au Nigéria, d’une lettre de la police nigériane, d’une photographie d’une enseigne devant un poste de police et d’une lettre de la Commission nationale de la population du Nigéria. La SAR a conclu que les exceptions prévues au paragraphe 110(4) de la LIPR s’appliquaient aux éléments de preuve et, par conséquent, elle a procédé à leur examen.

[8]  Dans sa lettre, l’avocat indique que ses services ont été sollicités pour aider les demandeurs à obtenir la lettre de la police nigériane. La SAR a relevé que cette lettre n’explique pas comment un avocat, dont le client (le DP) fuit la police, pourrait demander l’aide de la police. La SAR a conclu que la lettre était « entachée des mêmes problèmes de pertinence et de crédibilité que la nouvelle lettre de la police ».

[9]  La lettre de la police nigériane affirmait simplement que les trois rapports de police étaient exacts. Toutefois, comme l’a fait remarquer la SAR, la lettre n’expliquait pas comment ni pourquoi la police aiderait un fugitif reconnu. La SPR a conclu que les rapports de police étaient frauduleux parce qu’ils présentaient des incohérences et qu’ils ne comportaient pas de caractéristiques de sécurité. Comme la nouvelle lettre ne répondait pas aux préoccupations soulevées par la SPR, la SAR a conclu qu’elle manquait de crédibilité.

[10]  La SAR a conclu que la photographie présentée n’était ni pertinente ni crédible puisqu’aucun contexte n’a été fourni quant à l’importance que pouvait avoir la photographie devant le poste de police. En outre, la SAR n’était pas convaincue que la photographie était un élément de preuve visé au paragraphe 110(4), car elle aurait pu être produite devant la SPR.

[11]  La lettre de la National Population Commission du Nigéria était censée attester l’authenticité du certificat de naissance d’Ifeoma. La SPR a conclu que le certificat de naissance était frauduleux parce qu’il était très différent du certificat de décès, même si les deux documents avaient été délivrés par le même organisme gouvernemental. En ce qui concerne les certificats de naissance et de décès, la SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant qu’il ne s’agissait pas de documents authentiques. La SAR a également constaté que les certificats comportaient un certain nombre d’incohérences pour des documents délivrés par le même organisme, dont des logos, des écussons, des filigranes et des timbres du bureau de délivrance différents. Par exemple, l’adresse indiquée sur le certificat de décès était une adresse à laquelle Ifeoma n’a jamais résidé. Bien que la SAR ait constaté que la SPR avait commis une erreur en ne tenant pas compte de l’explication du DP sur cette différence, la SAR a estimé que cette erreur était sans conséquence puisque l’explication du DP ne permettait pas d’expliquer de manière raisonnable cette différence. La SAR a conclu que ce document n’était pas suffisamment crédible du fait qu’il ne répondait pas aux préoccupations soulevées par la SPR.

[12]  Après avoir évalué la preuve, la SAR a conclu qu’étant donné que les demandeurs n’avaient présenté aucun nouvel élément de preuve admissible soulevant une question importante en matière de crédibilité, essentiel et déterminant quant à leur demande d’asile, il n’était pas nécessaire de tenir une audience.

[13]  Outre la question des nouveaux éléments de preuve, la SAR devait trancher celle de savoir si les conclusions de la SPR en matière de crédibilité pouvaient se justifier. 

[14]  La SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en déterminant que le rapport médical concernant le décès d’Ifeoma était frauduleux. La SPR n’a pas accepté l’explication du DP concernant les différences d’adresse et les dates des rapports.

[15]  La SAR a également tenu compte de l’omission du nom d’Ifeoma dans le formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) et la demande de visa. Les demandeurs soutiennent que le FDA a été préparé par un avocat qui ne leur a pas donné le temps d’examiner la demande. La SAR n’a pas accepté cette explication et a conclu que le DP était un homme « averti ». En ce qui concerne l’omission d’inscrire son nom sur la demande de visa, les demandeurs ont expliqué que dans leur culture il n’est pas approprié d’inscrire le nom d’un mort et celui d’un vivant au même endroit. La SAR a jugé que cette explication n’était pas crédible.

[16]  La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle les rapports de police n’étaient pas authentiques. La SAR a constaté qu’il y avait des incohérences au recto des documents, dont des logos incohérents et des signatures différentes, ce qui l’a menée à tirer une inférence défavorable quant à la valeur probante de cet élément de preuve.

[17]  La SAR a souscrit à l’opinion de la SPR selon laquelle le témoignage portant sur l’arrestation du frère du DP n’était pas cohérent. Le DP a déclaré que pendant que son oncle Joe exerçait des pressions sur lui pour que sa fille subisse une MGF, il y avait du tapage à l’extérieur. Lorsque le DP et son épouse sont sortis avec l’oncle Joe, ils ont été témoins de l’arrestation du frère du DP en raison de son homosexualité. Cependant, il y a eu quatre témoignages contradictoires de la part du DP quant à la présence d’autres personnes lors de l’arrestation de son frère. La SAR a confirmé que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant que ces témoignages incohérents ne pouvaient servir de preuve crédible.

[18]  Le DP a présenté cinq affidavits en vue d’établir qu’il était ciblé en raison de l’homosexualité de son frère. La SAR a conclu que la SPR avait correctement déterminé que les affidavits n’étaient pas authentiques. Comme l’homosexualité est illégale au Nigéria, la SAR a conclu qu’il était peu probable que des notaires reçoivent des affidavits appuyant une activité criminalisée.

[19]  Enfin, la SAR a évalué le rapport psychologique présenté par le DP, mais elle a conclu qu’il ne permettait pas de résoudre les problèmes de crédibilité. Bien que certaines incohérences puissent s’expliquer par les problèmes de mémoire dont souffre le DP, la SAR a indiqué que cette explication ne justifiait pas les irrégularités dans les pièces justificatives et les autres éléments de preuve.

Questions en litige

[20]  Les questions en litige sont les suivantes :

Analyse

Norme de contrôle

[21]  La norme de contrôle applicable à la décision de la SAR, y compris pour ce qui est de l’application du paragraphe 110(4) de la LIPR, est celle de la décision raisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 74. 

[22]  Toute question d’équité procédurale est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79).

La SAR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation des nouveaux éléments de preuve?

[23]  Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en concluant que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas pertinents ou crédibles et qu’elle a commis une erreur en ne tenant pas d’audience pour examiner les questions de crédibilité.

[24]  Le paragraphe 110(4) de la LIPR est ainsi libellé :

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

[25]  La conclusion de la SAR sur cette question est rédigée comme suit :

La compétence que j’ai pour tenir une audience est limitée : il doit y avoir de nouveaux éléments de preuve admissibles qui soulèvent une question importante concernant la crédibilité, et qui sont essentiels et déterminants. Puisqu’aucun nouvel élément de preuve n’a été admis, une audience ne peut pas être tenue. La demande d’audience des appelants est rejetée.

[26]  La lettre de l’avocat nigérian et la lettre de la police nigériane, même si elles étaient admises en preuve, ne soulèvent pas de nouvelles questions de crédibilité. Les demandeurs ont plutôt présenté ces documents dans le but de régler les problèmes de crédibilité relevés par la SPR. Toutefois, ces nouveaux documents se sont également avérés peu fiables et présentaient les mêmes problèmes que les documents précédents évalués par la SPR. Comme ce fut le cas pour les autres rapports de police, l’authenticité du nouveau rapport de police a été mis en doute parce qu’il semblait frauduleux. De plus, la SAR a fait remarquer que l’avocat nigérian ne pouvait vérifier la véracité des rapports de police. La conclusion de la SAR est raisonnable.

[27]  Dans l’ensemble, les nouveaux éléments de preuve examinés par la SAR étaient entachés des mêmes problèmes de fiabilité que les éléments de preuve examinés par la SPR. La SAR a conclu que la preuve n’était pas fiable et, de ce fait, pas crédible. Dans ces circonstances, comme l’indique le paragraphe 110(6) de la LIPR, la SAR n’était pas tenue de tenir une audience. En outre, la SAR conserve le pouvoir discrétionnaire de ne pas tenir d’audience même lorsque les critères énoncés à l’article 110, lu dans son ensemble, sont respectés (Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1028, au paragraphe 104).

[28]  En l’espèce, la SAR n’a pas commis d’erreur en excluant les nouveaux éléments de preuve et elle n’a pas commis d’erreur en décidant de ne pas tenir d’audience.

La décision de la SAR est-elle raisonnable?

[29]  Les demandeurs soutiennent que les conclusions de la SAR en matière de crédibilité sont déraisonnables. Plus précisément, les demandeurs font valoir que la SAR a commis une erreur dans son appréciation de la preuve corroborante, soit les rapports médicaux, les éléments de preuve concernant Ifeoma, les rapports de police et les affidavits, de même que le rapport psychologique.

Rapports médicaux

[30]  La SAR a relevé de multiples erreurs au recto des rapports médicaux. L’adresse des demandeurs figurant dans le rapport original était différente de celle figurant dans le rapport « mis à jour ». La SAR a examiné l’explication du DP à cet égard, mais elle ne l’a pas jugée crédible. De plus, la SAR a constaté que des adresses différentes figuraient dans les rapports en ce qui concerne l’hôpital. La SAR a conclu que le DP n’avait pas fourni d’explication fiable relativement à ces erreurs.

Éléments de preuve concernant Ifeoma

[31]  Les demandeurs soutiennent que les incohérences dans les certificats de naissance et de décès sont attribuables au fait qu’ils ont été délivrés dans différentes régions du Nigéria. La SAR n’a pas accepté cette explication, car elle ne permettait pas de clarifier les contradictions relevées dans le témoignage du DP concernant les dates pertinentes. En outre, les documents, bien que délivrés par la même commission nationale, présentaient des écussons, des logos et des timbres très différents.

[32]  L’omission d’indiquer le nom d’Ifeoma sur le FDA a également été relevée par la SAR comme étant un problème au chapitre de la crédibilité. Il est possible qu’il s’agisse d’une omission involontaire, mais la SAR a également constaté que les demandeurs n’avaient pas mentionné son nom dans leur demande de visa pour venir au Canada. La SAR n’a pas jugé crédible l’explication selon laquelle cette situation était bouleversante et que dans la culture des demandeurs il n’est pas approprié d’inscrire le nom d’un mort et celui d’un vivant au même endroit.

[33]  Étant donné que la demande d’asile se fonde en partie sur les événements qui concernent Ifeoma, il n’était pas déraisonnable pour la SAR de s’attendre à ce que des éléments de preuve fiables lui soient présentés à cet égard à l’appui des demandes d’asile. Il était raisonnable pour la SAR de conclure que les demandeurs n’avaient pas établi l’existence d’Ifeoma.

Rapports de police et affidavits

[34]  La SPR et la SAR ont douté de l’authenticité des rapports de police présentés en raison des incohérences dans l’apparence des documents. La preuve objective concernant le pays indique que le logo de la police au Nigéria ne varie pas d’une région à l’autre du pays. De plus, il était raisonnable pour la SAR de conclure qu’il était peu probable que la police ait accepté de ne pas prendre de mesures à l’égard d’un acte qui est reconnu comme illégal au Nigéria.

[35]  En outre, la SAR a conclu que les cinq affidavits n’étaient pas fiables et qu’ils étaient frauduleux. D’après la preuve objective au dossier, il était raisonnable pour la SAR de conclure que des notaires ne signeraient pas des affidavits attestant l’homosexualité d’une personne étant donné que l’homosexualité est illégale au Nigéria. Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs lorsqu’ils laissent entendre que la SAR a cru à tort que le DP lui-même était homosexuel. La SAR a simplement conclu qu’il était peu plausible que des notaires reçoivent les affidavits de déposants reconnaissant ouvertement qu’une personne est homosexuelle étant donné que l’homosexualité est illégale. Il s’agit là d’une conclusion raisonnable.

Rapport psychologique

[36]  Le DP a présenté un rapport psychologique pour expliquer comment ses problèmes psychologiques ont pu avoir une incidence sur sa capacité de témoigner et, par conséquent, sur sa crédibilité apparente.

[37]  Bien que ce rapport fasse état des problèmes de mémoire du DP, aucun diagnostic particulier n’a été posé, si ce n’est un trouble lié au stress. Les problèmes psychologiques du DP entraînent plutôt des périodes de stress, des oublis et des difficultés de compréhension. Bien que cela puisse expliquer le témoignage incohérent du DP au sujet des événements avec l’oncle Joe, cela ne permet pas de remédier aux autres lacunes des preuves documentaires que la SAR a jugées frauduleuses.

Conclusion

[38]  De multiples conclusions de crédibilité relatives à de nombreux facteurs ont amené la SAR à conclure que la demande d’asile n’était pas crédible. Dans de telles circonstances, et dans l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable à la décision, la Cour doit évaluer la décision de la SAR dans son ensemble.

[39]  En l’espèce, la SAR a adéquatement examiné des éléments de preuve et elle les a évalués de manière indépendante lorsque nécessaire. La SAR a fourni des explications intelligibles à l’égard de chaque conclusion défavorable en matière de crédibilité. La SAR a fourni des motifs clairs et convaincants à l’appui de ses conclusions et s’en est remise à bon droit à la SPR sur les questions que celle-ci était mieux à même d’évaluer (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 22).

[40]  Les demandeurs n’ont pas démontré que la SAR a commis une erreur ou manqué à l’équité procédurale. La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.




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