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Date : 20181116


Dossier : T-2111-17

Référence : 2018 CF 1138

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 16 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

ALEXANDRE PAPOUCHINE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Monsieur Alexandre Papouchine (le demandeur) se représente lui‑même dans la présente instance. Il a introduit la présente demande fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, afin d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision datée du 24 novembre 2017 (la décision) de la division d’appel (la division d’appel) du Tribunal de la sécurité sociale (le Tribunal), dans laquelle le membre ayant présidé l’audience (le membre) a rejeté son appel.

[2]  Le 5 août 2014, le demandeur a présenté une demande de prestations de maladie en vertu de l’alinéa 12(3)c) de la Loi sur l’assurance‑emploi, LC 1996, c 23 (la LAE), parce qu’il était incapable de travailler en raison d’une maladie, d’une blessure ou d’une mise en quarantaine. Sa demande a été approuvée, et des prestations lui ont été versées. La Commission canadienne de l’assurance‑emploi (la Commission) a mis fin aux prestations du demandeur au bout de 15 semaines, soit la période maximale autorisée par la LAE.

[3]  Le demandeur a alors demandé 25 semaines supplémentaires de prestations, pour le motif que, s’il avait demandé des prestations régulières au lieu de prestations de maladie, il aurait reçu ce montant supplémentaire. La Commission a maintenu sa décision.

[4]  Le demandeur a interjeté appel de la décision de la Commission devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (la division générale), en soutenant que la disposition pertinente de la LAE était contraire à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), étant donné qu’il avait reçu des prestations moindres en raison de son incapacité.

[5]  La division générale a tenu, le 27 octobre 2016, une conférence préalable à l’audience afin d’expliquer au demandeur le processus applicable à une contestation fondée sur la Charte. Elle a également délivré une ordonnance qui obligeait le demandeur à déposer un avis, conformément à l’alinéa 20(1)a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, DORS/2013‑60 (Règlement sur le TSS), au plus tard le 28 décembre 2016.

[6]  Le 5 décembre 2016, le demandeur a sollicité une prorogation de 90 jours du délai accordé pour déposer son avis. Le demandeur a obtenu deux prorogations : la première jusqu’au 31 janvier 2017, et l’autre jusqu’au 28 février 2017.

[7]  Le 2 mars 2017, la division générale a mis un terme à la contestation du demandeur fondée sur la Charte parce qu’il avait omis de déposer son avis dans le délai imparti. En date du 3 mars 2017, la division générale a envoyé au demandeur un avis d’intention de rejeter l’appel de façon sommaire, conformément à l’article 22 du Règlement sur le TSS. Le demandeur n’a pas présenté d’observations en réponse à cet avis.

[8]  La division générale a conclu qu’en l’absence de contestation fondée sur la Charte, il était manifeste et évident que l’appel était voué à l’échec. Le demandeur avait reçu intégralement le montant maximal autorisé par la LAE, laquelle n’accorde aucun pouvoir discrétionnaire à cet égard au Tribunal. Dans une décision datée du 12 avril 2017, la division générale a rejeté l’appel du demandeur.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[9]  Le demandeur a interjeté appel de la décision de la division générale devant la division d’appel. Dans cette décision, le membre avait cerné les questions suivantes :

  1. Le demandeur a‑t‑il eu la possibilité de déposer un avis de contestation constitutionnelle conformément à l’alinéa 20(1)a) du Règlement sur le TSS?

  2. La division générale a‑t‑elle omis d’informer le demandeur et de l’aider à déposer l’avis prévu à l’alinéa 20(1)a) du Règlement sur le TSS?

  3. Le demandeur avait‑il le droit d’obtenir les services d’un avocat fournis par le défendeur ou par le Tribunal?

  4. La division générale a‑t‑elle commis une violation de l’équité procédurale ou omis de respecter les règles de la justice naturelle?

  5. La division générale a‑t‑elle commis une erreur en rejetant de façon sommaire l’appel du demandeur?

III.  Question préliminaire

[10]  Le défendeur a demandé, à titre préliminaire, que l’intitulé de la cause soit modifié afin que le procureur général du Canada soit le défendeur. Le demandeur a consenti à cette demande. Le changement sera par conséquent apporté à l’intitulé conformément à l’article 303 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

IV.  Positions des parties

[11]  Le demandeur a soulevé une quinzaine de questions dans son mémoire des faits et du droit, dont la plupart reprenaient des questions qui avaient déjà été soulevées devant la division générale et la division d’appel. À l’audience relative au contrôle judiciaire, le demandeur a semblé comprendre que le contrôle judiciaire ne visait pas à permettre de contester un résultat défavorable, mais permettait plutôt d’examiner la décision en cause. Le demandeur a réduit sa longue liste de questions en litige, et s’est uniquement concentré sur une question précise découlant du paragraphe 29 de la décision, lequel se lit ainsi dans son intégralité :

[traduction]

Le Tribunal note également que les requêtes interlocutoires du défendeur contenues dans le dossier ont été communiquées à l’appelant, et qu’il a eu la possibilité d’y répondre.

[12]  Le demandeur soutient que cette affirmation de la division d’appel était inexacte, étant donné que cette dernière ne lui avait pas donné la possibilité de répondre à la position adoptée par le défendeur dans ces « requêtes ».

[13]  Le défendeur affirme pour sa part que le paragraphe 29 de la décision est exempt d’erreur. Il rejette les arguments que le demandeur avait exposés auparavant dans ses observations écrites (mais auxquels il a renoncé dans ses observations orales), en soutenant que, dans l’ensemble, la décision était à la fois raisonnable et correcte.

V.  Analyse et norme de contrôle

[14]  Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait, de même qu’à l’interprétation de la loi habilitante du Tribunal, c.-à-d. la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 (LMEDS), est celle de la raisonnabilité. Il se fonde à cet effet sur les arrêts Reinhardt c Canada (PG), 2016 CAF 158 et Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36. Le demandeur en convient.

[15]  Par contre, la norme de contrôle applicable à la violation de l’équité procédurale qui aurait été commise lors de l’instance devant la division d’appel, ou dans la décision de celle-ci, est la norme de la décision correcte, comme cela a été récemment confirmé dans Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69. En l’espèce, le demandeur allègue que le manquement à l’équité procédurale a été commis dans le cadre de l’instance devant la division générale, et que cet aspect a ensuite été examiné de façon erronée par la division d’appel. Le défendeur rejette cette affirmation, et soutient que la division d’appel a conclu de façon raisonnable — et correcte — qu’il n’y avait pas eu manquement à l’équité procédurale devant la division générale.

[16]  En fin de compte, la question juridique pertinente qui est soumise à la Cour est celle de la norme de contrôle appropriée que la division d’appel doit appliquer lorsqu’elle examine une décision de la division générale. Malgré le fait qu’aucune jurisprudence n’a été présentée en ce qui concerne la norme de contrôle applicable par la division d’appel en particulier — ou, en fait, par tout autre tribunal administratif d’appel — lorsqu'il s'agit d'examiner si l’équité procédurale a été respectée par une instance inférieure, je formulerai deux observations.

[17]  Premièrement, cette question est loin d’être réglée, et son analyse exige l’adoption d’une approche fortement axée sur le contexte, qui commence par l'analyse de la loi régissant le tribunal (voir Paul Daly, « Les appels administratifs au Canada » (2015) 93, Revue du Barreau canadien, 71, à la page 77, 81; voir également Rozas Del Solar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145).

[18]  Deuxièmement, je conviens avec le défendeur que, dans certains contextes d’appel, la norme de la raisonnabilité s’applique à l’examen des décisions prises par les tribunaux administratifs de premier niveau en matière d’équité procédurale. C’est le cas, notamment, dans le contexte de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, lorsque la Section d’appel des réfugiés examine une décision de la Section de la protection des réfugiés (voir par exemple Gebremedhin c Canada (Ministère de l’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 497, au paragraphe 11).

[19]  Cependant, dans le contexte du Tribunal de la sécurité sociale, il ressort de la jurisprudence qu’un tel examen s’effectue selon la norme de la décision correcte, puisque le juge McDonald a déclaré dans Parchment c Canada (Procureur général), 2017 CF 354 : « La norme de contrôle applicable à l’égard d’une décision rendue par la division d’appel est celle de la décision raisonnable » (au paragraphe 14), et « [l]es questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de la décision correcte » (au paragraphe 16). Cela est conforme à l’analyse du juge Evans, qui, dans Hillary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 51, a écrit ce qui suit au nom de la Cour d’appel fédérale :

[27]  Il s’agit d’un cas inhabituel puisque la décision faisant l’objet du contrôle est celle par laquelle un tribunal administratif a jugé qu’une autre formation du tribunal n’avait violé aucun principe de justice naturelle en rejetant un appel. Comme l’article 71 de la LIPR ne permet à la SAI de rouvrir un appel que lorsqu’il y a manquement à un principe de justice naturelle, la Cour doit déterminer si le tribunal a commis une erreur lorsqu’il a conclu qu’il n’y avait pas eu manquement lors de l’audition de l’appel et a, de ce fait, refusé de rouvrir la décision.

[28]  Il est de jurisprudence constante qu’un décideur administratif n’a pas à faire l’objet de retenue judiciaire lorsqu’il s’agit de déterminer s’il a accordé à l’intéressé une occasion équitable de participer à une procédure qui s’est soldée par une décision défavorable […]. À mon avis, ce principe s’applique également en l’espèce puisque la SAI était tenue de déterminer si une autre formation du même tribunal avait violé un principe de justice naturelle.

[Renvois omis.]

[20]  Dans un cas comme dans l’autre, j’estime que l’approche qu’a adoptée la division générale en l’espèce était correcte, et qu’elle était donc également raisonnable.

[21]  Mon analyse sera axée sur la question précise ciblée par le demandeur à l’audience, et qui découle du paragraphe 29 (reproduit ci‑dessus). Mais, par souci d’exhaustivité, j’examinerai également la raisonnabilité de la décision dans son ensemble, étant donné les points soulevés à cet égard par le demandeur à l’audience.

A.  Conclusion relative au rejet sommaire

[22]  La décision de la division d’appel de confirmer le rejet sommaire de l’appel du demandeur prononcé par la division générale était raisonnable. Comme l’a fait remarquer le défendeur, les seuls moyens d’appel sont exposés comme suit au paragraphe 58(1) de la LMEDS :

Moyens d’appel

Grounds of appeal

 

58 (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

58 (1) The only grounds of appeal are that

 

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

 

a) the General Division failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

(b) the General Division erred in law in making its decision, whether or not the error appears on the face of the record; or

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

(c) the General Division based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

 

[23]  La division d’appel devait décider si le demandeur avait établi l’un des trois moyens d’appel énoncés au paragraphe 58(1) de la LMEDS. Le demandeur n’a établi aucun de ces moyens. La division d’appel ne pouvait rendre qu’une seule décision, compte tenu de la question soumise et de la limite de 15 semaines prévue pour les prestations de maladie, suivant l’alinéa 12(3)c) de la Loi sur l’AE, qui énonce :

Prestations

 

Benefits

12 (1) Une fois la période de prestations établie, des prestations peuvent, à concurrence des maximums prévus au présent article, être versées au prestataire pour chaque semaine de chômage comprise dans cette période.

12 (1) If a benefit period has been established for a claimant, benefits may be paid to the claimant for each week of unemployment that falls in the benefit period, subject to the maximums established by this section.

 

 

Maximum : prestations spéciales

Maximum — special benefits

 

(3) Le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées au cours d’une période de prestations est :

 

(3) The maximum number of weeks for which benefits may be paid in a benefit period;

 

 

 

c) dans le cas d’une maladie, d’une blessure ou d’une mise en quarantaine prévue par règlement, quinze semaines;

 

(c) because of a prescribed illness, injury or quarantine is 15;

[24]  L’article 53 de la LMEDS dispose quant à lui que :

Rejet

53 (1) La division générale rejette de façon sommaire l’appel si elle est convaincue qu’il n’a aucune chance raisonnable de succès.

 

Dismissal

53 (1) The General Division must summarily dismiss an appeal if it is satisfied that it has no reasonable chance of success.

 

[25]  La division d’appel n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’elle a interprété cette disposition et qu’elle l’a appliquée à la décision de la division générale. Si la contestation fondée sur la Charte n’avait pas été abandonnée, il aurait été inapproprié de rejeter de façon sommaire l’appel, parce que le demandeur aurait pu alors contester la validité de cette disposition. Le demandeur a toutefois omis de respecter l’obligation légale de déposer un avis de contestation constitutionnelle, malgré les deux prorogations de plus de deux mois qui lui ont été accordées. Au bout de ce délai, la division générale a mis fin à la contestation fondée sur la Charte. Le Tribunal avait tout le loisir de le faire, et le raisonnement de la division d’appel sur ce point est tout à fait raisonnable.

[26]  Par conséquent, en l’absence d’une contestation fondée sur la Charte, le demandeur pouvait uniquement obtenir le redressement que le Tribunal avait le pouvoir légal d’accorder. La division d’appel a conclu de façon raisonnable que l’appel devant la division générale était destiné à échouer, quels que puissent être les preuves ou les arguments présentés à l’audience, vu le libellé clair du régime législatif pertinent. En effet, le demandeur a reçu des prestations pendant le nombre maximal de semaines pour lesquelles les prestations de maladie peuvent être versées selon la loi, qui n'accorde sur ce point aucun pouvoir discrétionnaire au Tribunal.

B.  La possibilité de répondre aux « requêtes »

[27]  Le demandeur soutient que la division d’appel a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il avait eu la possibilité de répondre aux « requêtes » du défendeur (paragraphe 29 de la décision, tel que reproduit ci‑dessus). Il fait référence à la lettre du 21 décembre 2016 dans laquelle le Tribunal demandait aux parties de déposer leurs observations respectives avant le 10 janvier 2017, au lieu de proposer une procédure échelonnée comme cela se fait devant les tribunaux judiciaires.

[28]  Je note que le demandeur n’a pas été en mesure de citer une disposition législative pour étayer son affirmation, selon laquelle le fait de recevoir les réponses des parties en même temps, sans donner au demandeur la possibilité de préparer une réponse, n’était pas correct. Il s’est contenté de mentionner ce qu’il affirmait être la procédure générale en matière de requêtes prévue par certains tribunaux judiciaires.

[29]  Le défendeur a fait remarquer, en réponse, que le Tribunal de la sécurité sociale (division générale et division d’appel) est une création de la loi. Le Tribunal est maître de sa procédure, mais, lorsque la loi prévoit une procédure ou une règle, le Tribunal doit la respecter (par exemple, l’article 53 de la LMEDS, ou les articles 20 et 22 du Règlement sur le TSS concernant l’avis relatif à la Charte et le rejet sommaire, respectivement).

[30]  Les dispositions pertinentes de la LMEDS et du Règlement sur le TSS sont muettes au sujet de la procédure à appliquer pour les « requêtes », comme elles sont familièrement appelées aussi bien dans les décisions de la division générale que dans celles de la division d’appel. En fait, le Règlement sur le TSS parle uniquement de « demandes » procédurales :

Demande au Tribunal

4 À la demande déposée par une partie auprès du Tribunal, celui-ci peut déterminer la règle applicable à toute question relative à l’instance, notamment la prorogation des délais impartis par le présent règlement.

 

Requests to Tribunal

4 A party may request the Tribunal to provide for any matter concerning a proceeding, including the extension of a time limit imposed by these Regulations, by filing the request with the Tribunal.

[31]  D’une façon plus générale, l’article 2 du Règlement sur le TSS énonce :

Principe général

2  Le présent règlement est interprété de façon à permettre d’apporter une solution à l’appel ou à la demande qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

General principle

2  These Regulations must be interpreted so as to secure the just, most expeditious and least expensive determination of appeals and applications.

[32]  Après avoir examiné les dispositions pertinentes, je conclus que la division d’appel a rendu une décision correcte. Le Tribunal n’était pas tenu de donner au demandeur la possibilité de présenter une réponse écrite à la demande du défendeur. La directive donnée par la direction générale avait pour but d’assurer le déroulement juste et expéditif de l’instance. Je ne vois pas très bien où il y aurait pu avoir une violation de l’équité procédurale. La lettre mentionnait que le demandeur pouvait présenter des observations, quand il le souhaitait, avant le 10 janvier 2017.

[33]  Le demandeur a invoqué l’arrêt Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 [Sketchley], au paragraphe 119, au soutien de la proposition selon laquelle le Tribunal est maître de sa propre procédure. Comme cela a été expliqué au demandeur à l’audience, l’arrêt Sketchley concernait un contexte tout à fait différent, à savoir qu’il s’agissait de la Commission canadienne des droits de la personne, et que cet arrêt n’étayait pas sa position selon laquelle il y avait eu une violation de l’équité procédurale. Je relève par ailleurs que ce jugement ne renforce pas non plus la position du demandeur au sujet de la nature correcte de la décision, ni en ce qui concerne la question de fond examinée dans le cadre de la première question en litige ci‑dessus.

C.  Questions subsidiaires

[34]  Finalement, je note qu’au‑delà de la question découlant du paragraphe 29 de la décision relativement au droit de répondre aux observations du défendeur, le demandeur a soulevé, dans ses observations écrites, des préoccupations d’ordre plus général concernant l’équité procédurale en ce qui a trait à sa capacité d’être entendu par la division générale lorsqu’il a comparu devant elle. Le défendeur a présenté des remarques à ce sujet, et le demandeur lui a répondu, de sorte que, par souci d’exhaustivité, j’examinerai brièvement cette question.

[35]  Encore une fois, j’estime que la décision ne contient aucune conclusion incorrecte au sujet du fait que les droits du demandeur en matière d’équité procédurale ont été respectés par la division générale.

[36]  Premièrement, je suis d’accord pour dire que le demandeur a eu tout le loisir de présenter ses arguments, y compris plusieurs occasions de fournir des observations en réponse à l’avis d’intention de rejeter son appel de façon sommaire. Cela vient s’ajouter à la conférence tenue préalablement à l’audience et aux deux prorogations ultérieures qui lui permettaient de soumettre ses arguments fondés sur la Charte. En fin de compte, la division générale a pris quatre mois pour en arriver à une décision (sans compter la période antérieure à la conférence préparatoire à l’audience).

[37]  Deuxièmement, la division d’appel a conclu que le demandeur avait disposé d’une période suffisante pour préparer sa contestation fondée sur la Charte et pour déposer l’avis prévu à l’alinéa 20(1)a) du Règlement sur le TSS. Il était loisible à la division d’appel de conclure qu’une période de quatre mois était suffisante pour déposer l’avis, même si le demandeur se représentait lui‑même. La division d’appel a fait remarquer que le demandeur [traduction] « a décidé de consacrer son temps précieux au dépôt d’accusations contre la partie adverse et son avocat, accusations qui étaient dénuées de fondements [sic], au lieu de s’occuper de déposer son avis de contestation constitutionnelle dans le délai imparti » (paragraphe 28 de la décision). Ces conclusions ne contiennent aucune erreur.

[38]  Ici, je ferai un dernier commentaire au sujet de l’affirmation du demandeur selon laquelle il était à la fois déraisonnable et incorrect, pour le Tribunal, de déclarer qu’il n’était pas un client du défendeur de telle manière à ce qu’il aurait dû se voir fournir les services d’un avocat par l’entremise de l’avocat du défendeur. J’estime que la conclusion de la division d’appel sur ce point est irréprochable :

[traduction]

[20]  Les procureurs au dossier représentent le défendeur. Leur client et leur mandat sont clairs. Contrairement à la position de l’appelant, il n’est pas devenu un « client » des procureurs du défendeur pour la simple raison qu’il a demandé des prestations d’assurance‑emploi. Le fait que les responsabilités du défendeur comprennent l’obligation d’informer les prestataires au sujet des programmes et services qui leur sont offerts ne comprend pas celle de leur fournir les services d’un avocat en cas de litige. Il n’est pas possible de considérer cette attente comme une croyance raisonnable de la part de l’appelant.

[21]  Le Tribunal a également conclu que la division générale n’avait pas l’obligation de fournir les services d’un avocat à l’appelant.

[22]  L’accès aux services juridiques est un aspect fondamental et important dans une société libre et démocratique, mais la Cour suprême du Canada a déclaré dans C.B. c. Christie [2007] l RCS 873, que le texte de la Constitution, la jurisprudence et la façon dont la primauté du droit a toujours été comprise, ne permettent pas de conclure qu’il existe un droit constitutionnel général à l’assistance d’un avocat dans les instances devant les tribunaux judiciaires et administratifs portant sur des droits et des obligations.

[23]  En outre, la LMEDS et le Règlement sur le TSS ne mentionnent pas que le Tribunal est tenu de fournir une aide juridique.

[39]  Le demandeur soutient également que, pour déposer un avis de contestation constitutionnelle, il faut posséder certaines aptitudes précises. Là encore, le Tribunal n’est pas tenu de fournir une aide juridique sur ce point. De plus, le Tribunal a fait remarquer que le demandeur n’était pas un novice en matière de litiges, puisqu’il avait intenté de nombreuses poursuites judiciaires tant au palier fédéral que provincial; le Tribunal en est donc arrivé à la conclusion que le demandeur possédait les éventuelles aptitudes nécessaires pour déposer un avis de contestation constitutionnelle.

[40]  La division d’appel en est arrivée à des conclusions raisonnables et correctes, d’après la norme qui leur est applicable. Le demandeur a beau être un client de la Commission, cela n’en fait pas pour autant un client des avocats de la Commission. Accepter la position du demandeur reviendrait à accepter que la personne qui poursuit une société dont il est client devienne automatiquement un client de l’avocat de cette société. Ou, pour prendre un exemple tiré de la sphère publique, lorsque les demandeurs présentent une demande d’immigration au Canada, ils deviennent les clients du ministère pendant une certaine période. Si leur demande d’immigration est rejetée et qu’ils décident d’introduire une poursuite, ils ne deviennent pas pour autant des clients du procureur général ou du ministère de la Justice. Car ceux-ci représentent la Couronne et les ministères, et n’ont pas pour fonction d’être les représentants juridiques des membres du public à qui l’on a refusé l’accès au Canada ou qui ont un grief envers les services du gouvernement.

VI.  Conclusion

[41]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. L’intitulé de la cause sera modifié de manière à indiquer le défendeur approprié, soit le procureur général du Canada, avec effet immédiat. Le défendeur n’a pas réclamé de dépens, et aucuns ne lui seront adjugés.


JUGEMENT dans T-2111-17

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé de la cause est modifié de manière à ce que le procureur général du Canada y figure en qualité de défendeur.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de décembre 2018.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2111-17

 

INTITULÉ :

ALEXANDRE PAPOUCHINE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 octobre 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

 

Le juge DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 novembre 2018

 

COMPARUTIONS :

Alexandre Papouchine

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Penny Brady

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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