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Date : 20181130


Dossier : IMM‑126‑18

Référence : 2018 CF 1204

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

CHANG YOU KAO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Chang You Kao soumet à la Cour une demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR]. La SAR a rejeté l’appel interjeté par M. Kao à l’encontre d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la CISR concluait qu’il n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2]  En dépit de mes réserves concernant les motifs exposés par la SAR pour rejeter l’authenticité de certains documents de M. Kao, je suis convaincu que sa décision de rejeter la demande d’asile de M. Kao était raisonnable. La conclusion de la SAR selon laquelle M. Kao n’était pas véritablement un adepte de la religion Mentu Hui appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II.  Contexte

[3]  M. Kao est un citoyen chinois. Il allègue un crainte d’être persécuté en raison de sa foi à l’égard de la Mentu Hui. La Mentu Hui est une secte chrétienne interdite en Chine.

[4]  M. Kao dit qu’il a été témoin du décès d’un collègue de travail en octobre 2015 et qu’il a éprouvé des problèmes de santé mentale par la suite. Il a tenté d’obtenir des traitements dans des hôpitaux et auprès de médecins pratiquant la médecine traditionnelle chinoise, mais en vain. Un ami lui a alors suggéré d’essayer la Mentu Hui. M. Kao a participé pour la première fois à une cérémonie de cette secte le 29 mai 2016.

[5]  L’expérience de la Mentu Hui par M. Kao a été de courte durée. Il a participé uniquement à quatre cérémonies avant de s’en dissocier.

[6]  Selon M. Kao, le 3 juillet 2016, lui‑même et d’autres fidèles ont été arrêtés par le Bureau de la sécurité publique (le BSP) de Chine lors d’une cérémonie de la Mentu Hui. M. Kao affirme qu’il a été interrogé et agressé pendant sa détention. Le BSP l’a libéré et lui a imposé une peine administrative et l’obligation de se présenter devant les autorités toutes les deux semaines. M. Kao dit qu’à compter du 18 juillet 2016, il s’est présenté devant le BSP toutes les deux semaines et qu’il a été interrogé et agressé à chaque occasion.

[7]  Muni d’un visa de visiteur contrefait, M. Kao a quitté la Chine le 19 novembre 2016, et est arrivé au Canada le lendemain. Son épouse lui a par la suite révélé que le BSP était venu à son domicile, lui avait posé des questions au sujet de ses allées et venues, et avait laissé une assignation à comparaître. Il a également été congédié.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[8]  Le 20 décembre 2017, la SAR a rejeté l’appel de M. Kao à l’encontre de la décision rendue par la SPR. La SAR a confirmé la décision de la SPR selon laquelle la foi de M. Kao à l’égard de la Mentu Hui n’était pas authentique. La SAR a reconnu la jurisprudence de la Cour qui met en garde contre la tentative d’évaluer l’authenticité de la foi religieuse en se fondant uniquement sur la connaissance, mais elle a également cité la décision du juge Peter Annis dans Shen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 903, au paragraphe 22 :

Dans les cas de persécution religieuse, la SPR doit établir si la personne est effectivement membre de la religion en question, ce qui peut amener un commissaire à lui poser des questions au sujet des caractéristiques fondamentales de cette religion [renvois omis].

[9]  Bien que M. Kao n’ait été que brièvement associé à la Mentu Hui, la SAR a conclu que ses connaissances ne correspondaient pas à ce à quoi on pourrait s’attendre d’un adepte dont l’expérience et le niveau des connaissances sont comparables. Lorsqu’il a été interrogé au sujet de sa religion, M. Kao a dit qu’il croyait aux « trois venues de Jésus ». Cependant, lorsqu’il a été interrogé à propos de chacune de ces incarnations, il n’a pas été en mesure d’ajouter la moindre précision. Il se souvenait seulement qu’en premier lieu, la première venue Jésus était liée à l’arche de Noé. La SAR a conclu que les « trois venues de Jésus » constituent le principe fondamental de la religion Mentu Hui, et que l’incapacité de M. Kao à répondre à de simples questions au sujet de ce principe démontrait que sa croyance religieuse n’était pas authentique.

[10]  La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le récit de M. Kao au sujet de sa conversion à la Mentu Hui n’était pas crédible. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer pourquoi il s’était converti, M. Kao a récité l’exposé de son formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA]. La SPR l’a interrompu à un certain nombre de reprises, le pressant de répondre aux questions qui lui étaient posées. La SPR a conclu que le comportement de M. Kao, combiné à son incapacité à répondre spontanément aux autres questions, donnait à penser qu’il avait mémorisé le récit circonstancié figurant dans son formulaire FDA et qu’il en réitérait simplement son contenu.

[11]  La SAR a conclu que la décision lui imposant une peine administrative, les assignations à comparaître non coercitives et l’avis de congédiement étaient des documents contrefaits. La SAR a fait remarquer qu’il serait facile de contrefaire la décision lui imposant une peine administrative en raison de la simplicité de sa formulation et de ses annotations manuscrites. La SAR a fait remarquer la disponibilité à grande échelle de documents contrefaits en Chine (citant le cartable de documentation nationale sur la Chine, CHN104579.EF), et le fait que M. Kao s’était antérieurement servi de documents de voyage contrefaits. La SAR a conclu qu’il était invraisemblable que le BSP se soit abstenu de délivrer les assignations à comparaître coercitives, étant donné que l’organisme aurait été activement à la recherche de M. Kao. La SAR a conclu que l’avis de congédiement était contrefait en raison de sa formulation simple, de l’absence des coordonnées de l’employeur de M. Kao, et de l’absence d’exemples authentiques d’avis de congédiement en Chine à titre de comparaison.

IV.  La question en litige

[12]  La seule question soulevée par la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision de la SAR était raisonnable.

V.  Analyse

[13]  Les conclusions de fait tirées par la SPR et son appréciation quant à la crédibilité sont susceptibles de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). La Cour n’interviendra que si la décision ne relève pas des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[14]  M. Kao fait remarquer que la SAR a rejeté sa crédibilité en se fondant sur un certain nombre de facteurs, et il déclare qu’aucun d’eux ne permettait de trancher la question. Au paragraphe 41 de sa décision, la SAR s’est exprimée en ces termes :

Compte tenu de l’ensemble des conclusions défavorables cumulatives quant à la crédibilité susmentionnées, la SAR estime que, selon la prépondérance des probabilités, le témoignage de l’appelant en ce qui concerne les principales allégations relatives à la Chine n’est ni crédible ni digne de foi.

[15]  La principale critique de M. Kao à l’égard de la décision de la SAR porte sur sa manière d’évaluer l’authenticité des documents qu’il avait présentés pour corroborer sa demande. Dans la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 762, au paragraphe 69, le juge James Russell a reproché à la SAR de conclure que « [l]’absence de citation à comparaître ou de mandat d’arrestation, lorsqu’il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’un tel document ait été délivré, mine la crédibilité de la [demanderesse] ». M. Kao affirme que, conformément au droit chinois, les assignations à comparaître coercitives doivent être délivrées en personne. Puisque M. Kao est parti de la Chine avant que le BSP ne délivre les assignations non coercitives, le BSP n’a pas délivré d’assignation à comparaître coercitive.

[16]  Le fait que la SAR se soit fondée sur les documents de voyage contrefaits utilisés par M. Kao pour appuyer sa conclusion selon laquelle les autres documents avaient vraisemblablement été contrefaits constitue un autre sujet de préoccupation. Comme l’avait déclaré le juge Luc Martineau dans la décision Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, au paragraphe 11 :

[…] que le fait qu’un revendicateur voyage avec de faux documents, détruit ses documents de voyage ou ment à leur sujet à son arrivée sur les instructions d’un agent est accessoire et a une valeur très limitée aux fins de l’évaluation de la crédibilité en général [renvois omis].

[17]  Les critiques formulées par M. Kao à l’égard de l’évaluation de sa preuve documentaire par la SAR sont fondées. Néanmoins, je suis convaincu que le rejet de la demande d’asile de M. Kao était raisonnable. La conclusion de la SAR selon laquelle M. Kao n’était pas véritablement un adepte de la religion Mentu Hui était fondée sur l’évaluation de son témoignage, indépendamment de la preuve documentaire. Par conséquent, il était loisible à la SAR de rejeter sa demande d’asile sur ce seul fondement.

[18]  La jurisprudence de la Cour impose un critère très peu exigeant en matière de connaissances religieuses, qui ne devraient être évaluées que pour établir l’authenticité des croyances du demandeur d’asile (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1002, aux paragraphes 9 à 17 [Huang]; Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 288, au paragraphe 59 [Lin]). M. Kao n’a pas réussi à démontrer une connaissance des principes généraux, même les plus fondamentaux, de la religion Mentu Hui. Les circonstances dans lesquelles il se trouvait peuvent donc être différenciées de celles des décisions Huang et de Lin, dans lesquelles les demandeurs avaient démontré des connaissances religieuses étendues, mais n’avaient tout de même pas réussi à satisfaire aux exigences déraisonnablement élevées de la SAR (aux paragraphes 14 et 58, respectivement).

[19]  En l’espèce, les exigences de la SAR étaient modestes. M. Kao a expliqué que le concept des « trois périodes de Jésus » était au centre de la religion Mentu Hui et de ses croyances personnelles, mais, lorsqu’il a été interrogé au sujet des trois incarnations de Jésus, il n’a pas été en mesure de fournir la moindre réponse convaincante. Sa situation ressemble à celle dans la décision Jia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 33, dans laquelle j’ai rédigé ce qui suit, au paragraphe 18 :

[…] Contrairement aux faits rapportés dans la décision Huang, je ne crois pas que la SPR a jugé les connaissances de M. Jia sur les principes du Falun Gong selon « une connaissance pratique supérieure à la moyenne ». La SPR a plutôt évalué si M. Jia avait « une connaissance pratique raisonnable du contenu de ce texte et de certaines des façons dont ce texte s’applique au mode de vie qu’il a choisi, même s’il n’en comprend pas parfaitement la teneur ». La Cour doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait de la SPR et elle doit intervenir uniquement lorsque la SPR exige, de façon déraisonnable, plus d’un demandeur donné que ce qu’il peut offrir [renvois omis]. […]

[20]  Comme l’a souligné le juge Denis Gascon au paragraphe 16 de la décision Soorasingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 691, les conclusions relatives à la crédibilité ont été décrites comme « l’essentiel » de la compétence de la SPR :

[…] Par conséquent, la SPR est mieux placée pour évaluer la crédibilité d’un demandeur d’asile, puisque le commissaire peut voir le témoin au cours de l’audience, observer le comportement du témoin et entendre son témoignage. La SPR a la possibilité et la capacité de juger le témoin, sa franchise, la spontanéité avec laquelle il répond et la cohérence et l’uniformité de son témoignage (Navaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 856, au paragraphe 23). De plus, la SPR profite des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de leur champ d’expertise (El‑Khatib c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 471, au paragraphe 6).

[21]  La conclusion de la SAR selon laquelle M. Kao n’était pas véritablement un adepte de la religion Mentu Hui appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Malgré l’habile argumentation de l’avocat de M. Kao, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de décembre 2018.

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑126‑18

 

INTITULÉ :

CHANG YOU KAO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 nOVEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

lE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 NovembRe 2018

 

COMPARUTIONS :

Michael Korman

 

PoUr Le DEMANDEUR

 

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Avocat

Toronto (Ontario)

 

PoUr Le DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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