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Date : 20181128


Dossier : T-712-18

Référence : 2018 CF 1190

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2018

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

RENFORD FARRIER

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  M. Renford Farrier demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Section d’appel) datée du 20 mars 2018. La Section d’appel a alors rejeté l’appel de M. Farrier et confirmé la décision de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Commission) lui refusant l’octroi d’une semi-liberté ou d’une libération conditionnelle pré-libératoires.

[2]  Au cœur du présent litige se trouve le défaut, par la Commission, d’avoir enregistré l’audience tenue devant elle. Au titre des redressements, M. Farrier demande à la Cour d’annuler la décision de la Section d’appel, d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant cette dernière.

[3]  Pour les motifs exposés ci-après, la Cour rejettera la demande de contrôle judiciaire.

II.  CONTEXTE

[4]  Depuis 1992, M. Farrier purge une peine d’emprisonnement à perpétuité.

[5]  Le 6 décembre 2017, la Commission refuse de lui accorder une semi-liberté ou une libération conditionnelle totale.

[6]  Lors de l’audience, la Commission reçoit des nouveaux renseignements qui n’avaient pas été dévoilés à M. Farrier au moins 15 jours avant l’audience, tel que l’exige le paragraphe 141(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, ch 20 [la Loi]. Au titre de ces nouveaux renseignements, l’agent de libération conditionnelle informe la Commission qu’un incident d’octobre 2017, initialement qualifié de surdose, pourrait ne pas en être une.

[7]  Outre le témoignage précité de l’agent de libération conditionnelle, la Commission reçoit au moins aussi le témoignage de l’assistant de M. Farrier et celui de la Gestionnaire, évaluation et intervention (Manager Assessment and Intervention).

[8]  Dans sa décision, la Commission ne dévoile pas l’identité de l’assistant, mais consigne qu’il a présenté un plan de libération détaillé dans lequel des ressources et des bénévoles seraient présents afin de soutenir M. Farrier dans sa réintégration sociale (page 5 de la décision de la Commission). La Commission consigne aussi que la Gestionnaire, évaluation et intervention a fortement plaidé en faveur de la libération de M. Farrier, sur la base, essentiellement, que ce dernier ne tirerait plus de bénéfices de son incarcération. La Commission consigne enfin le fait que l’Équipe de gestion de cas (l’EGC) de M. Farrier croit plutôt qu’aucune libération conditionnelle ne devrait lui être accordée.

[9]  Le 8 décembre 2017, M. Farrier demande à la Commission de lui transmettre l’enregistrement de l’audience. Cependant, le 8 janvier 2018, cette dernière répond en s’excusant de ne pouvoir répondre à la demande de M. Farrier, puisque l’audience n’a pas été enregistrée en raison de problèmes techniques avec l’enregistreuse.

[10]  Le 31 janvier 2018, M. Farrier porte la décision de la Commission en appel auprès de la Section d’appel et, au titre des redressements, demande à cette dernière d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience. M. Farrier dépose alors des représentations écrites, mais ne joint aucun affidavit.

[11]  Auprès de la Section d’appel, M. Farrier ne soulève que le défaut, par la Commission, d’enregistrer l’audience tenue devant elle. Il plaide que la Commission (1) a contrevenu au paragraphe 10 de la section 11.1 du Manuel des politiques décisionnelles à l’intention des commissaires [le Manuel des politiques] qui l’oblige à procéder à l’enregistrement sonore de toutes les audiences; (2) a commis une erreur de droit en contrevenant au paragraphe 140(13) de la Loi qui l’oblige à permettre aux victimes d’écouter l’enregistrement sonore des audiences; et (3) n’a pas respecté les principes de justice fondamentale en ne rendant pas disponible l’enregistrement de l’audience.

[12]  En lien avec le non-respect des principes de justice fondamentale, M. Farrier soumet à la Section d’appel que (a) il est impossible pour la Section d’appel d’exercer sa compétence sans l’enregistrement sonore, ni de statuer sur le respect de la garantie procédurale prévue à l’article 141 de la Loi, à l’effet que le demandeur doit recevoir tout renseignement au moins 15 jours avant l’audience; (b) le très court résumé dans la décision de la Commission des nouveaux renseignements partagés verbalement par l’EGC au début de l’audience ne permet pas à la Section d’appel d’en prendre connaissance équitablement; (c) les documents écrits n’étaient pas disponibles lors de l’audience, ne font pas partie du dossier et la Section d’appel ne doit donc pas en prendre connaissance; et (d) le résumé des renseignements pertinents fournis par l’assistant lors de l’audience ne permet pas de comprendre quel soutien ou quelles ressources précisément sont disponibles dans le cadre de la réinsertion sociale de M. Farrier (représentations écrites à la Section d’appel datées du 31 janvier 2018, page 24 du Dossier du demandeur).

[13]  Le 20 mars 2018, la Section d’appel rejette l’appel de M. Farrier. Dans une courte décision, la Section d’appel conclut que les allégations que M. Farrier a soulevées sont infondées puisque (1) la Commission n’est pas tenue d’enregistrer ses audiences, tel que l’a confirmé la Cour fédérale dans la décision Giroux c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1994] FCJ No 1750 [Giroux], et le « dossier des procédures » que la Commission doit tenir selon le paragraphe 143(1) de la Loi est plutôt constitué de la décision motivée de la Commission et des raisons et n’inclut pas les enregistrements d’audiences; et (2) les nouveaux renseignements partagés au début de l’audience n’étaient pas déterminants dans l’analyse de la Commission, qui a d’ailleurs noté que ces nouveaux renseignements devaient être confirmés puisque les résultats d’analyse n’étaient pas encore disponibles. 

III.  POSITION DES PARTIES

A.  Position de M. Farrier

[14]  Au soutien de la présente demande de contrôle judiciaire, M. Farrier dépose un affidavit signé le 9 mai 2018 et dans lequel il affirme notamment que (1) la décision de la Commission ne constitue pas un rapport complet et exact de l’audience tenue devant elle; (2) le nom, le poste et les représentations orales de son assistant sont complètement absents de la décision de la Commission alors que l’assistant a présenté d’importantes informations sur les possibilités de bénévolat et d’emploi de M. Farrier au sein de sa mosquée; (3) les informations au sujet de sa situation en octobre 2017 sont incomplètes et inexactes puisque M. Farrier n’a pas eu de surdose; (4) la conclusion selon laquelle l’EGC ne recommande pas de liberté conditionnelle est inexacte, puisque l’agent de libération a expliqué les raisons pour lesquelles une recommandation demeure au dossier, mais aussi celles pour lesquelles elle recommandait une semi-liberté, information qui est absente de la décision; et (5) la décision de la Commission est incomplète et injuste par rapport à ce qui a été dit lors de l’audience.

[15]  Dans ses représentations écrites à la Cour, M. Farrier soutient que la norme de la décision correcte s’applique aux questions de droit et d’équité procédurale et que la norme de la décision raisonnable s’applique aux questions de fait et aux questions mixtes de droit et de fait (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

[16]  Ensuite, M. Farrier plaide que la Section d’appel (1) a commis une erreur de droit en concluant que la Loi n’exigeait pas l’enregistrement sonore des audiences devant la Commission; (2) a commis une erreur de droit en concluant que l’absence d’enregistrement sonore des audiences ne constituait pas un motif d’appel en vertu de la Loi; et (3) a erré en concluant que l’absence d’enregistrement sonore de l’audience ne contrevenait pas aux principes de justice fondamentale dans le cas présent.

[17]  En lien avec le premier argument, M. Farrier soutient que la Section d’appel a commis une erreur de droit en s’appuyant sur le paragraphe 143(1) de la Loi et sur la décision Giroux pour conclure que l’enregistrement sonore des audiences de la Commission ne constitue pas une exigence légale. En effet, M. Farrier soutient d’abord que sa situation diffère de celle en jeu dans Giroux, où la Commission n’avait alors pas tenu d’audience et avait complété l’examen sur dossier, et qu’il était donc approprié de ne pas disposer d’enregistrement (Giroux au para 17).

[18]  M. Farrier reconnait par ailleurs que la Cour fédérale a, dans Giroux, aussi déterminé subsidiairement que l’enregistrement sonore des audiences n’est pas légalement requis, mais il soutient que l’adoption subséquente des paragraphes 140(13) et 140.2(1) de la Loi rend l’interprétation de Giroux déraisonnable. Le paragraphe 140(13) prévoit qu’une victime non présente à l’audience a le droit d’écouter l’enregistrement sonore de l’audience et le paragraphe 140.2(1) prévoit que, si la transcription de l’enregistrement sonore est effectuée, elle doit être fournie gratuitement.

[19]  En lien avec le deuxième argument, M. Farrier plaide que la Section d’appel aurait dû accueillir son appel puisque la Commission a contrevenu à ses propres directives ou ne les a pas appliquées, ce qui constitue un des motifs d’appel prévus à l’alinéa 147(1)c) de la Loi. En effet, le paragraphe 10 de la section 11.1 du Manuel des politiques prévoit que « [l]a Commission procède à l’enregistrement sonore de toutes les audiences », ce que la Commission n’a pas fait. Il ajoute que, sans enregistrement de l’audience de la Commission, la Section d’appel n’était pas en mesure de vérifier si les garanties procédurales avaient été respectées.

[20]  En lien avec le troisième argument, M. Farrier avance que l’absence d’enregistrement sonore de l’audience viole les principes de justice fondamentale compte tenu que ni la Section d’appel et ni la Cour fédérale ne sont en mesure d’évaluer le caractère raisonnable de la décision de la Commission (Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c Montréal (Ville), [1997] 1 RCS 793 [SCFP, section locale 301]; Razm c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-3796-98; Makarov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 55).

[21]  M. Farrier conclut que la Cour devrait dispenser les parties du paiement des dépens, ou les limiter à 500$.

B.  Position du défendeur

[22]  Le défendeur soutient que la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable et que la norme applicable aux questions de droit et aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte. De plus, en matière de libération conditionnelle, la Cour ne devrait pas intervenir à moins d’avoir des éléments de preuve clairs et non équivoques que la décision est tout à fait injuste (Korn c Canada (Procureur général), 2014 CF 590 au para 14; Sychuk c Canada (Procureur général), 2009 CF 105).

[23]  Le défendeur poursuit en exposant le droit applicable et, aux titres des arguments, il répond que (1) l’absence d’enregistrement ne viole pas l’équité procédurale; et (2) les nouvelles informations présentées lors de l’audience devant la Commission n’étaient pas déterminantes.

[24]  En lien avec le premier argument, le défendeur précise que l’absence d’enregistrement ne viole pas l’équité procédurale puisque la Commission n’est pas légalement obligée de fournir un enregistrement de l’audience et que, à tout événement, l’absence d’enregistrement n’a pas causé de préjudice au demandeur.

[25]  Selon le défendeur, la Commission n’a pas d’obligation légale de fournir un enregistrement de l’audience, car : (a) l’article 143 de la Loi n’impose à la Commission que de tenir un « dossier des procédures », ce qui n’est pas un enregistrement; (b) la Cour suprême du Canada a déterminé qu’en l’absence d’une obligation légale à cet effet, l’absence d’une transcription ne viole pas les règles de justice naturelle, si le dossier permet aux cours de justice de statuer convenablement sur la demande (SCFP, section locale 301); (c) la décision Giroux abonde dans le même sens; (d) si le législateur avait voulu prévoir l’obligation d’enregistrer les audiences de la Commission en matière de libération conditionnelle, il l’aurait prévu expressément, tel que pour les audiences disciplinaires, à l’article 33 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition; et (e) le Manuel des politiques n’a pas force de loi.

[26]  De plus, le défendeur soutient que l’absence d’enregistrement ne préjudicie pas le demandeur. La Cour fédérale a reconnu que, malgré l’existence de règles exigeant l’enregistrement des audiences, pour faire rejeter une décision de la Commission en raison d’un enregistrement incomplet, le demandeur doit démontrer un préjudice (Desjardins v Canada (National Parole Board), [1989] FCJ No 910; Miller c Canada (Solicitor General), 1999 CanLII 7943 (CF)). Ainsi, bien que le non-respect du Manuel des politiques constitue un motif d’appel prévu par la Directive du commissaire 712-3 : Examens de la commission des libérations conditionnelles du Canada, l’absence de préjudice au demandeur l’empêche d’utiliser ce motif d’appel. Par ailleurs, le Manuel des politiques prévoit que la Section d’appel n’évalue le contenu de l’enregistrement que « s’il y a lieu », ce qui implique que les enregistrements ne sont pas toujours disponibles.

[27]  En lien avec le deuxième argument, le défendeur soutient que les nouveaux renseignements auxquels réfère le demandeur pour justifier la nécessité de disposer de l’enregistrement sont non déterminants. D’abord, le demandeur peut attester lui-même s’il a renoncé au délai de 15 jours ou non. Ensuite, la Commission a pris note, dans sa décision, des nouveaux renseignements présentés à l’audience, tels le témoignage du médecin relatif à la surdose et le plan de libération de l’assistant. Finalement, malgré le fait que la Commission n’ait pas tenu compte de l’opinion de la Gestionnaire émise en cours d’audience, cette opinion n’est pas complètement favorable au demandeur.

IV.  ANALYSE

A.  Norme de contrôle

[28]  Notre Cour est guidée par la norme de la décision raisonnable dans l’exercice de contrôle des questions mixtes de fait et de droit de la décision de la Section d’appel (Cartier c Canada (Procureur Général), 2002 CAF 384 au para 9 [Cartier]).

[29]  En ce qui a trait à l’équité procédurale, la Cour d’appel fédérale a récemment traité de la façon d’approcher la question dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Canadien Pacifique]. Selon cette décision, la Cour n’applique pas de norme de contrôle à une question d’équité procédurale : elle doit plutôt se demander si le processus suivi était juste et équitable, en portant attention à la nature des droits en jeu et aux conséquences pour les individus touchés (Canadien Pacifique au para 54).

B.  Enregistrement des audiences de la Commission

(1)  La loi ne prévoit pas l’obligation, pour la Commission, d’enregistrer ses audiences

[30]  Le demandeur n’a pas convaincu la Cour que l’adoption des articles 140(13) et 140.2(1) de la Loi ont eu pour effet de modifier le droit existant (Giroux; Amable c Canada (Procureur général), 1998 CarswellNat 5066 [Amable]) et de créer, pour la Commission, une obligation statutaire d’enregistrer ses audiences. Ainsi, la Section d’appel n’a pas erré en concluant que la Commission n’est pas tenue d’enregistrer ses audiences.

[31]  La Cour, tout comme la Commission et la Section d’appel, est guidée par le texte de la Loi, par la jurisprudence et par le texte du Manuel des politiques, bien que ce dernier n’ait pas force de loi. La Loi actuelle a, en 1992, remplacé la Loi sur la libération conditionnelle, LRC 1985, c P-2, dont le Règlement sur la libération conditionnelle, DORS/78-428, prévoyait, à son l’article 16.2, l’enregistrement de l’audience devant la Commission. Cette obligation n’a pas été reprise dans la Loi ou ses règlements.

[32]  La Partie II de la Loi prévoit les dispositions liées à la mise en liberté sous condition, le maintien en incarcération et la surveillance de longue durée. De façon particulière, l’article 140 de la Loi traite des audiences devant la Commission et l’article 147, du droit d’appel auprès de la Section d’appel. Le texte intégral de ces articles est reproduit en annexe.

[33]  Le paragraphe 143(1) de la Loi actuelle oblige la Commission à tenir « un dossier des procédures », lequel, tel que l’a décidé la Cour fédérale dans Giroux, est constitué de la décision et des raisons et n’inclut pas l’enregistrement de l’audience. La Cour fédérale a alors spécifiquement noté que la Commission n’avait pas d’obligation d’enregistrer l’audience (Giroux au para 19) et que même si la Commission adopte la pratique prudente d’enregistrer ses audiences, l’absence de transcription ne contrevient ni à la loi, ni aux principes de justice naturelle. Cette position a été confirmée dans Amable au paragraphe 2.

[34]  M. Farrier plaide que les paragraphes 140(13) et 140.2(1) de la Loi, adoptés après la décision Giroux, en rendent maintenant l’interprétation déraisonnable. Le paragraphe 140(13) prévoit qu’une victime non présente à l’audience a le droit d’écouter l’enregistrement sonore de l’audience et le paragraphe 140.2(1) prévoit que, si la transcription de l’enregistrement sonore est effectuée, elle doit être fournie gratuitement.

[35]  La Cour n’a pas été convaincue que l’adoption de ces deux paragraphes a modifié le droit applicable pour imposer à la Commission l’obligation statutaire d’enregistrer ses audiences sous peine de voir sa décision annulée. L’article 143 qui prévoit l’obligation imposée à la Commission de tenir un dossier des procédures n’a, lui, pas été modifié et le texte même des deux articles auxquels le demandeur réfère ne permet pas de conclure à la création d’une obligation d’enregistrer au bénéfice du demandeur.

[36]  Enfin, la Cour constate que le paragraphe 10 de la section 11.1 du Manuel des politiques prévoit que « [l]a Commission procède à l’enregistrement sonore de toutes les audiences ». Or, le Manuel n’a pas force de loi (Collins c Canada (Procureur général), 2014 CF 439 au para 39; Latimer c Canada (Procureur général), 2010 CF 806 au para 48) et les parties n’ont pu confirmer s’il existait au moment de la décision Giroux.

(2)  La Section d‘appel n’a pas enfreint les principes de justice fondamentale

[37]  La conclusion sur le premier point ne règle cependant pas le présent litige puisqu’il serait néanmoins possible pour la Section d’appel d’annuler une décision de la Commission pour défaut d’enregistrer l’audience.

[38]  En effet, la Cour suprême a énoncé que « En l’absence d’un droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande d’appel ou de révision. Si c’est le cas, l’absence d’une transcription ne violera pas les règles de justice naturelle » (SCFP, section locale 301 au para 81).

[39]  D’autre part, la jurisprudence enseigne aussi que même lorsque l’enregistrement est obligatoire, son défaut n’entraine pas nécessairement l’annulation de la décision. En effet, la Cour suprême nous indique que « Même dans le cas où la loi prévoit le droit à l’enregistrement de l’audition, les tribunaux ont conclu que le requérant doit démontrer qu’il existe une « possibilité sérieuse » d’une erreur dans le dossier ou d’une erreur telle que l’absence d’enregistrement l’empêche de faire valoir ses moyens d’appel : Cameron c National Parole Board, [1993] BCJ 1630 (CS), qui suit Desjardins c National Parole Board (1989), 29 FTR 38 » (SCFP, Local 301 para 77).

[40]  Or, force est de constater que M. Farrier n’a pas, devant la Section d’appel, démontré que cette dernière ne pouvait statuer sur son dossier ou que l’absence d’enregistrement l’empêchait de faire valoir ses moyens d’appel.

[41]  Devant la Section d’appel, M. Farrier a limité ses représentations à la question de déterminer si la Commission a, ou non, l’obligation légale d’enregistrer ses audiences et n’a formulé que des allégations laconiques en lien avec la possibilité que la Commission aurait ignoré ou rapporté de façon incomplète ou inexacte des informations reçues lors de son audience. Ces allégations sont contenues au paragraphe 17 des représentations écrites qu’il a présentées devant la Section d’appel et ne sont soutenues par aucune preuve.

[42]  Devant notre Cour, M. Farrier a soumis un affidavit et a affirmé que la décision de la Commission ne constituait pas un dossier exact et complet de l’audience, en précisant quelles conclusions étaient inexactes, alléguant notamment que (1) le nom, le poste et les représentations de son assistant, particulièrement celles au sujet des possibilités de bénévolat et d’emploi au Café de sa mosquée, sont complétement absents; (2) le sommaire des nouvelles informations au sujet de la condition de M. Farrier en octobre 2017 est incomplet et inexact; il n’a pas fait une surdose; (3) l’agent de libération a expliqué les raisons pour lesquelles elle n’est pas d’accord avec la théorie de la surdose et cette information est absente de la décision; (4) l’allégation selon laquelle l’EGC croit qu’aucune libération conditionnelle ne devrait être accordée est inexacte; (5) l’agent de libération conditionnelle a expliqué durant l’audience la raison pour laquelle elle recommandait une libération et cette information importante est absente de la décision; (6) les motifs de la décision de la Commission sont incomplets et injustes par rapport à ce qui s’est dit lors de l’audience.

[43]  Or, cet affidavit n’était pas devant la Section d’appel, qui ne pouvait donc pas traiter de ces questions en particulier.

[44]  Ainsi, compte tenu du dossier que le demandeur a présenté à la Section d’appel, la Cour ne peut conclure que cette dernière a erré en n’annulant pas la décision de la Commission. 

C.  Dépens

[45]  Le demandeur demande à être dispensé des dépens, ou de les limiter à 500$, soulevant l’importance des questions soulevées et le fait qu’il est incarcéré depuis 1992. Le défendeur demande l’octroi de dépens et a soumis un mémoire de frais, consignant les frais occasionnés par le contrôle judiciaire à un montant de 2 299,98$.

[46]  La Cour possède un pouvoir discrétionnaire pour imposer des dépens (paragraphe 400(1) des Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106 [Règles]) et le paragraphe 400(3) des Règles énumère les facteurs dont la Cour peut tenir compte dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

[47]  La Cour s’est souvent montrée sensible aux moyens limités des détenus (St-Pierre c Canada (Procureur général), 2018 CF 1065 aux para 91–92; Barkley c Canada, 2018 CF 227 au para 31, Johnson c Canada (Service correctionnel), 2017 CF 370 au para 36). Par ailleurs, dans d’autres cas, la Cour s’est montrée moins clémente et a refusé de dispenser les détenus des dépens en raison de leurs moyens limités, surtout lorsque la question a déjà été décidée par la jurisprudence (Boucher c Canada (Procureur général), 2007 CF 893 aux para 38–40) ou lorsque le détenu intente de nombreux recours (Mapara c Canada, 2014 CF 538 au para 44). Dans le passé, la Cour a régulièrement tenu les détenus aux dépens et ne leur a pas accordé de traitement spécial, adjugeant principalement en fonction du bien-fondé de l’action (Forrest c Canada (Procureur général), 2002 CFPI 539 au para 52).

[48]  En l’instance, la Cour n’a aucune information sur les moyens financiers de M. Farrier et lui imposera donc des dépens, pour la somme globale de 500$.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

  1. Le rejet de la demande de contrôle judiciaire.

  2. Des dépens de 500$ en faveur du défendeur.

 « Martine St-Louis »

Juge


ANNEXE

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LC 1992, ch 20)

Corrections and Conditional Release Act (SC 1992, c 20)

Audiences obligatoires

Mandatory hearings

140 (1) La Commission tient une audience, dans la langue officielle du Canada que choisit le délinquant, dans les cas suivants, sauf si le délinquant a renoncé par écrit à son droit à une audience ou refuse d’être présent :

140 (1) The Board shall conduct the review of the case of an offender by way of a hearing, conducted in whichever of the two official languages of Canada is requested by the offender, unless the offender waives the right to a hearing in writing or refuses to attend the hearing, in the following classes of cases:

a) le premier examen du cas qui suit la demande de semi-liberté présentée en vertu du paragraphe 122(1), sauf dans le cas d’une peine d’emprisonnement de moins de deux ans;

(a) the first review for day parole pursuant to subsection 122(1), except in respect of an offender serving a sentence of less than two years;

b) l’examen prévu au paragraphe 123(1) et chaque réexamen prévu en vertu des paragraphes 123(5), (5.01) et (5.1);

(b) the first review for full parole under subsection 123(1) and subsequent reviews under subsection 123(5), (5.01) or (5.1);

c) les examens ou réexamens prévus à l’article 129 et aux paragraphes 130(1) et 131(1) et (1.1);

(c) a review conducted under section 129 or subsection 130(1) or 131(1) or (1.1);

d) les examens qui suivent l’annulation de la libération conditionnelle;

(d) a review following a cancellation of parole; and

e) les autres examens prévus par règlement.

(e) any review of a class specified in the regulations.

Enregistrement sonore

Audio recording

(13) La victime ou la personne visée au paragraphe 142(3) qui n’est pas présente à l’audience relative à l’examen visé aux alinéas (1)a) ou b) à titre d’observateur a le droit, sur demande et sous réserve des conditions imposées par la Commission, une fois l’audience terminée, d’écouter l’enregistrement sonore de celle-ci, à l’exception de toute partie de l’enregistrement qui, de l’avis de la Commission, risquerait vraisemblablement de mettre en danger la sécurité d’une personne ou de permettre de remonter à une source de renseignements obtenus de façon confidentielle.

(13) Subject to any conditions specified by the Board, a victim, or a person referred to in subsection 142(3), who does not attend a hearing in respect of a review referred to in paragraph (1)(a) or (b) as an observer is entitled, after the hearing, on request, to listen to an audio recording of the hearing, other than portions of the hearing that the Board considers could reasonably be expected to jeopardize the safety of any person or to reveal a source of information obtained in confidence.

Transcription

Transcript

140.2 (1) Si une transcription de l’audience a été effectuée, la Commission en fournit gratuitement, sur demande écrite, une copie au délinquant, à la victime ou à un membre de sa famille. Toutefois, la copie fournie à la victime ou à un membre de sa famille exclut les passages portant sur toute partie de l’audience poursuivie ou qui aurait été poursuivie en l’absence de tout observateur en vertu du paragraphe 140(5).

140.2 (1) If a transcript of the hearing has been made, the Board shall, on written request and free of charge, provide a copy to the offender and a copy to the victim or a member of the victim’s family. However, the copy provided to the victim or member of the victim’s family shall not include any portion of the transcript of a part of the hearing that, under subsection 140(5), was or would have been continued in the absence of observers or of a particular observer.

Délai de communication

Disclosure to offender

141 (1) Au moins quinze jours avant la date fixée pour l’examen de son cas, la Commission fait parvenir au délinquant, dans la langue officielle de son choix, les documents contenant l’information pertinente, ou un résumé de celle-ci.

141 (1) At least fifteen days before the day set for the review of the case of an offender, the Board shall provide or cause to be provided to the offender, in writing, in whichever of the two official languages of Canada is requested by the offender, the information that is to be considered in the review of the case or a summary of that information.

Idem

Idem

(2) La Commission fait parvenir le plus rapidement possible au délinquant l’information visée au paragraphe (1) qu’elle obtient dans les quinze jours qui précèdent l’examen, ou un résumé de celle-ci.

(2) Where information referred to in subsection (1) comes into the possession of the Board after the time prescribed in that subsection, that information or a summary of it shall be provided to the offender as soon as is practicable thereafter.

Renonciation et report de l’examen

Waiver and postponement

(3) Le délinquant peut renoncer à son droit à l’information ou à un résumé de celle-ci ou renoncer au délai de transmission; toutefois, le délinquant qui a renoncé au délai a le droit de demander le report de l’examen à une date ultérieure, que fixe un membre de la Commission ou la personne que le président désigne nommément ou par indication de son poste, s’il reçoit des renseignements à un moment tellement proche de la date de l’examen qu’il lui serait impossible de s’y préparer; le membre ou la personne ainsi désignée peut aussi décider de reporter l’examen lorsque des renseignements sont communiqués à la Commission en pareil cas.

(3) An offender may waive the right to be provided with the information or summary or to have it provided within the period referred to in subsection (1). If they waive the latter right and they receive information so late that it is not possible for them to prepare for the review, they are entitled to a postponement and a member of the Board or a person designated by name or position by the Chairperson of the Board shall, at the offender’s request, postpone the review for the period that the member or person determines. If the Board receives information so late that it is not possible for it to prepare for the review, a member of the Board or a person designated by name or position by the Chairperson of the Board may postpone the review for any reasonable period that the member or person determines.

Procédures

Records of proceedings

143 (1) La Commission tient un dossier des procédures dont elle est saisie et le conserve pendant la période que fixent les règlements dans les cas où elle procède à l’examen du cas d’un délinquant par voie d’audience.

143 (1) Where the Board conducts a review of the case of an offender by way of a hearing, it shall maintain a record of the proceedings for the period prescribed by the regulations.

Communication des décisions

Decisions to be recorded and communicated

(2) Après avoir pris une décision à la suite de l’examen du cas, la Commission :

(2) Where the Board renders a decision with respect to an offender following a review of the offender’s case, it shall

a) rend sa décision par écrit et inscrit ses motifs au dossier; elle conserve une copie de la décision motivée pendant la période que fixent les règlements;

(a) record the decision and the reasons for the decision, and maintain a copy of the decision and reasons for the period prescribed by the regulations; and

b) remet au délinquant, avant l’expiration du délai réglementaire, une copie de la décision motivée dans la langue officielle du Canada que choisit le délinquant.

(b) provide the offender with a copy of the decision and the reasons for the decision, in whichever of the two official languages of Canada is requested by the offender, within the period prescribed by the regulations.

Droit d’appel

Right of appeal

147 (1) Le délinquant visé par une décision de la Commission peut interjeter appel auprès de la Section d’appel pour l’un ou plusieurs des motifs suivants :

147 (1) An offender may appeal a decision of the Board to the Appeal Division on the ground that the Board, in making its decision,

a) la Commission a violé un principe de justice fondamentale;

(a) failed to observe a principle of fundamental justice;

b) elle a commis une erreur de droit en rendant sa décision;

(b) made an error of law;

c) elle a contrevenu aux directives établies aux termes du paragraphe 151(2) ou ne les a pas appliquées;

(c) breached or failed to apply a policy adopted pursuant to subsection 151(2);

d) elle a fondé sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets;

(d) based its decision on erroneous or incomplete information; or

e) elle a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou omis de l’exercer.

(e) acted without jurisdiction or beyond its jurisdiction, or failed to exercise its jurisdiction.

Décision

Decision on appeal

(4) Au terme de la révision, la Section d’appel peut rendre l’une des décisions suivantes :

(4) The Appeal Division, on the completion of a review of a decision appealed from, may

a) confirmer la décision visée par l’appel;

(a) affirm the decision;

b) confirmer la décision visée par l’appel, mais ordonner un réexamen du cas avant la date normalement prévue pour le prochain examen;

(b) affirm the decision but order a further review of the case by the Board on a date earlier than the date otherwise provided for the next review;

c) ordonner un réexamen du cas et ordonner que la décision reste en vigueur malgré la tenue du nouvel examen;

(c) order a new review of the case by the Board and order the continuation of the decision pending the review; or

d) infirmer ou modifier la décision visée par l’appel.

(d) reverse, cancel or vary the decision.

Mise en liberté immédiate

Conditions of immediate release

(5) Si sa décision entraîne la libération immédiate du délinquant, la Section d’appel doit être convaincue, à la fois, que :

(5) The Appeal Division shall not render a decision under subsection (4) that results in the immediate release of an offender from imprisonment unless it is satisfied that:

a) la décision visée par l’appel ne pouvait raisonnablement être fondée en droit, en vertu d’une politique de la Commission ou sur les renseignements dont celle-ci disposait au moment de l’examen du cas;

(a) the decision appealed from cannot reasonably be supported in law, under the applicable policies of the Board, or on the basis of the information available to the Board in its review of the case; and

b) le retard apporté à la libération du délinquant serait inéquitable.

(b) a delay in releasing the offender from imprisonment would be unfair.

Manuel des politiques décisionnelles à l'intention des commissaires

Decision-Making Policy Manual for Board Members

11.1 Audiences

11.1  Hearings

Enregistrements sonores des audiences

Audio Recordings of Hearings

10. La Commission procède à l'enregistrement sonore de toutes les audiences pour fournir un compte rendu de ce qui s'est passé à chacune d'elles et de permettre des examens visant à vérifier si les garanties procédurales ont été respectées.

10. The Board will make an audio recording of all hearings to provide an account of what occurred at each hearing and to allow for reviews to ensure that procedural safeguards were met.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-712-18

INTITULÉ :

RENFORD FARRIER C. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 NOVEMBRE 2018

jugement et motifs :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 28 NOVEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Me Rita Magloé Francis

Pour le demandeur

Me Jessica Pizzoli

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Surprenant Magloé

Avocats

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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