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Date : 20181127


Dossier : T‑1957‑17

Référence : 2018 CF 1188

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

SYLVIA GREENE-KELLY

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Sylvia Greene-Kelly, a servi comme répartitrice civile au sein de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de juillet 1982 à août 1996. Au printemps de 1992, la GRC a exigé qu’elle suive un cours de français d’une durée de trois mois. Le 20 mai 1992, en se rendant à ce cours, elle a été victime d’un accident d’automobile. En janvier 1997, elle a présenté une demande de pension d’invalidité à Anciens Combattants Canada (ACC), au motif que le syndrome de douleur myofasciale chronique dont elle souffrait depuis l’accident de 1992 était consécutif ou rattaché directement à son service dans la GRC.

[2]  Par une lettre datée du 5 février 1997, un arbitre des prestations d’invalidité (l’arbitre) d’ACC a rejeté la demande d’indemnité d’invalidité de la demanderesse parce qu’aucun document n’indiquait que son syndrome de douleur myofasciale chronique était consécutif ou directement rattaché à son service dans la GRC. Elle a alors porté cette décision en appel auprès du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le Tribunal). En fin de compte, dans une décision non datée et rendue à la suite d’une audience tenue le 4 octobre 2017, un comité d’appel du Tribunal (le comité d’appel) a conclu que le syndrome de douleur myofasciale chronique dont la demanderesse disait souffrir n’était pas consécutif ou rattaché directement à son service dans la GRC.

[3]  La demanderesse a présenté une demande, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F‑7, en vue de soumettre la décision du comité d’appel à un contrôle judiciaire. Elle sollicite ainsi auprès de la Cour :

  1. une ordonnance annulant la décision du Tribunal;

  2. une ordonnance lui accordant des prestations de retraite en vertu du paragraphe 39(2) de la Loi sur les pensions, LRC (1985), c P‑6;

  3. subsidiairement, une ordonnance renvoyant l’affaire à un comité d’appel différemment constitué du Tribunal en vue d’une nouvelle décision, conformément à la décision de la Cour;

  4. une ordonnance lui accordant les dépens de la présente demande.

I.  Le contexte

[4]  Au moment où l’accident d’automobile est survenu, en 1992, le superviseur de la demanderesse, Patrick Delaney, se trouvait à bord du véhicule de celle-ci à titre de passager. En effet, la demanderesse et M. Delaney, qui suivait lui aussi le cours de français, se rendaient ensemble à l’endroit où le cours était donné. Le matin du 20 mai 1992, c’était au tour de la demanderesse de conduire depuis son domicile jusqu’au centre d’enseignement du français, situé à Cole Harbour (Nouvelle-Écosse).

[5]  Quelques mois avant d’être libérée de la GRC pour raisons d’ordre médical, la demanderesse a présenté à ACC, en mai 2016, une demande de pension d’invalidité au motif que son syndrome de douleur myofasciale chronique était consécutif ou rattaché directement à son service dans la GRC. À ACC, un arbitre des prestations d’invalidité a rejeté sa demande, concluant que les douleurs myofaciales chroniques n’étaient pas consécutives ou rattachées directement à son service dans la GRC. L’arbitre a décrété que la demanderesse n’avait pas droit à une pension d’invalidité fondée sur l’article 32 de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, LRC (1985), c R‑11 (la Loi sur la pension de la GRC), conformément à la Loi sur les pensions, car elle n’avait pas fourni de preuve documentaire établissant que son affection était liée à son service dans la GRC. Il n’a tiré aucune conclusion quant à la question de savoir si l’accident d’automobile était lié au service de la demanderesse dans la GRC.

[6]  La demanderesse a porté en appel la décision de l’arbitre devant un comité de révision du Tribunal (le comité de révision). Dans une décision non datée, ce comité a rejeté la demande de pension d’invalidité, et confirmé la décision de l’arbitre selon laquelle la demanderesse n’avait pas établi l’existence d’un lien entre les fonctions qu’elle exerçait à la GRC et les lésions qu’elle avait subies en se rendant au cours de français. Le comité de révision a conclu ce qui suit :

[traduction] Pour qu’une demande puisse être retenue en vertu du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, il est nécessaire de démontrer que votre état est consécutif ou rattaché directement à votre service dans la Force régulière ou la GRC. Une prémisse très importante de toutes les demandes présentées en vertu du paragraphe 21(2) est la présence d’un « lien » entre l’état allégué et les fonctions rattachées au service.

Le paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions n’a pas encore été interprété d’une manière qui autorise à conclure à l’existence d’un lien entre le service et les lésions qu’un membre subit pendant qu’il est en route soit pour se présenter au travail, soit pour rentrer chez lui après une période de travail dans le cours normal des choses. Autrement dit, le paragraphe 21(2) n’assure pas une « couverture de porte à porte ».

II.  La décision du comité d’appel

[7]  Suite à la décision du comité de révision, la demanderesse a interjeté appel auprès d’un comité d’appel du Tribunal. Dans sa décision, ce comité, à l’instar du comité de révision, a conclu que le paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions ne couvrait pas les situations de type « porte à porte ». Il a confirmé la décision par laquelle le comité de révision avait rejeté le droit à pension de la demanderesse pour les douleurs myofaciales chroniques dont elle disait souffrir, puisque cet état n’était pas consécutif ou rattaché directement à son service dans la GRC aux termes de l’article 32 de la Loi sur la pension de la GRC, conformément au paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions.

[8]  Pour examiner si l’affection de la demanderesse était consécutive ou rattachée à son service dans la GRC, le comité d’appel s’est reporté aux directives établies dans la décision Fournier c Canada (Procureur général), 2005 CF 453, au paragraphe 35, 272 FTR 92 [Fournier] (appel rejeté, 2006 CAF 18) :

[35]  Il est clair, d’après la jurisprudence, que les facteurs comme le lieu de l’accident, la nature de l’activité exécutée par la demanderesse à ce moment‑là, le degré de contrôle exercé par l’armée sur la demanderesse lorsque l’accident est survenu et le fait qu’elle soit en service à ce moment‑là, sont tous pertinents à la décision que doit prendre le Tribunal sur le fait que la blessure était consécutive ou rattachée au service militaire de la demanderesse. Toutefois, il est également clair d’après la jurisprudence qu’aucun de ces facteurs n’est déterminant.

[9]  Compte tenu de la décision Fournier, le comité d’appel a conclu que le syndrome de douleur myofasciale chronique dont la demanderesse disait souffrir n’était pas consécutif ou rattaché directement à son service dans la GRC, car elle :

  • n’était pas en service au moment des faits;

  • se trouvait dans une automobile privée;

  • avait choisi l’itinéraire à suivre pour se rendre à son cours;

  • n’était pas placée sous le commandement de la GRC au moment de l’accident;

  • n’exécutait aucun tâche associée à la GRC au moment de l’accident;

  • se trouvait en dehors du lieu où était offert le cours de français, et aussi de son lieu de travail habituel.

[10]  Le comité d’appel a donc conclu que les douleurs myofaciales chroniques dont la demanderesse souffrait n’étaient ni rattachées ni consécutives à son service dans la GRC, comme l’envisage le paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions.

III.  Les questions en litige

[11]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève trois grandes questions :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. Le comité d’appel a‑t‑il commis une erreur dans son interprétation du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions?

  3. La décision par laquelle le comité d’appel a refusé d’accorder à la demanderesse une pension en vertu de l’article 32 de la Loi sur la pension de retraite de la GRC, conformément à l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions, est‑elle raisonnable?

IV.  Analyse

A.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[12]  La demanderesse affirme, compte tenu de l’arrêt Cole c Canada (Procureur général), 2015 CAF 119, 386 DLR (4th) 549 [Cole], que l’interprétation que fait le comité d’appel de l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions devrait être contrôlée selon la norme de la décision correcte. À son avis, le comité d’appel a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu erronément que l’alinéa 21(2)a) ne couvrait pas les situations du type « porte à porte ».

[13]  Le défendeur reconnaît que, dans l’arrêt Cole, la Cour d’appel fédérale a appliqué la norme de la décision correcte pour contrôler la manière dont le Tribunal a interprété les mots « consécutive ou rattachée directement » qui figurent à l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions. Cependant, au vu d’arrêts récents de la Cour suprême du Canada, tels que Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, [2018] ACS No 31, le défendeur invite la Cour à reconsidérer la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer en l’espèce. Selon ce qu’il affirme, toutefois, si la Cour ne convient pas que la jurisprudence récente de la Cour suprême a eu pour effet d’élargir le degré de déférence que l’on doit au comité d’appel à l’égard de son interprétation du paragraphe 21(2), il s’ensuit que la norme de contrôle devrait continuer d’être celle de la décision correcte.

[14]  Selon moi, en l’espèce, il n’est pas loisible à la Cour de revoir la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la manière dont le comité d’appel interprète l’expression « consécutive ou rattachée directement à » employée au paragraphe 21(2). Non seulement l’arrêt Cole lie-t-il la Cour, mais il est déterminant quant à la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la manière dont le comité d’appel interprète cette expression. À cet égard, le juge Gauthier a déclaré ce qui suit dans la décision Cole :

[50]  Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Frye, 2005 CAF 264, [2005] A.C.F. no 1316, la Cour a examiné la question de la norme de causalité exigée par l’expression « consécutive ou rattachée directement à » à l’alinéa 21(2)b) de la Loi sur les pensions. La Cour a statué que l’interprétation de cette expression était une question de droit qui devait être contrôlée selon la norme de la décision correcte.

[51]  À mon avis, la conclusion de la Cour dans l’arrêt Frye selon laquelle il faut appliquer la norme de la décision correcte lors de l’examen de l’interprétation de l’expression « consécutive ou rattachée directement à » à l’alinéa 21(2)b) de la Loi sur les pensions peut être considérée comme une détermination satisfaisante de l’applicabilité de la norme de la décision correcte à l’interprétation de cette même expression à l’alinéa 21(2)a), soit la tâche qui incombe à la Cour dans le présent appel.

[52]  En outre, je suis d’avis que la détermination de la norme de causalité que le législateur a voulu établir en promulguant l’expression « consécutive ou rattachée directement à » à l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions est une question d’importance qui déborde le cadre de la Loi sur les pensions. Les questions de causalité se posent souvent dans de nombreux domaines du droit, notamment en matière d’assurance, de responsabilité civile délictuelle et d’indemnisation des accidentés du travail. De plus, je suis d’avis que le Tribunal n’est pas appelé régulièrement à discerner des degrés de causalité – par contraste marqué avec l’application de ces degrés de causalité, une fois discernés. Je suis d’avis que les tribunaux judiciaires sont mieux à même d’accomplir cette tâche.

[15]  Quant à la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la manière dont le comité d’appel a évalué la preuve médicale ainsi que la question de savoir si le syndrome de douleur myofasciale chronique dont la demanderesse disait souffrir était consécutif ou rattaché directement à son service dans la GRC, il s’agit là de questions de fait, ou de questions mixtes de fait et de droit, et elles sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir : Canada (Procureur général) c Wannamaker, 2007 CAF 126, au paragraphe 12, 361 NR 266 [Wannamaker CAF]; Beauchene c Canada (Procureur général), 2010 CF 980, au paragraphe 21, 375 FTR 13).

[16]  La norme de la décision raisonnable oblige la Cour à contrôler une décision administrative en vue de déterminer la « justification de la décision, [ainsi que] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel […] », de même que « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Ces critères sont réunis si « les motifs […] permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708). Dans la mesure où « […] le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable », pas plus « qu’il [ne] rentre dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339).

B.  Le comité d’appel a‑t‑il commis une erreur dans son interprétation du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions?

[17]  Selon la demanderesse, le comité d’appel a commis une erreur en interprétant incorrectement l’expression « consécutive ou rattachée directement à » qui figure à l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions. À son avis, la conclusion de ce comité selon laquelle le paragraphe 21(2) ne couvre pas les situations du type « porte à porte » n’a aucun lien avec le cadre législatif applicable ou la jurisprudence bien établie. Elle dit du critère du comité d’appel qu’il est nouveau, et qu’il mène à une analyse nettement trop étroite et restrictive de l’expression « consécutive ou rattachée directement [au] » service d’un demandeur.

[18]  D’après la demanderesse, les motifs invoqués par le comité d’appel pour justifier sa décision, selon laquelle la demanderesse n’était pas en train d’exercer ses fonctions à la GRC quand elle a eu son accident, traduisent une mauvaise compréhension de la nature des rapports de commandement qui existent dans la GRC et dans les Forces canadiennes. À son avis, son syndrome de douleur myofasciale chronique est consécutif à son service dans la GRC, car jamais elle n’en aurait souffert si elle n’avait pas été tenue de suivre un cours de français. Elle dit que l’interprétation de l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions est une question de droit, qui revêt une importance cruciale pour d’autres vétérans de la GRC et des Forces canadiennes qui ont été victimes d’un accident – ou qui pourraient l’être – au cours de leur service.

[19]  Quant à lui, le défendeur avance que, bien qu’il faille interpréter de manière large et généreuse les dispositions de la Loi sur la pension de la GRC et de la Loi sur les pensions, cela ne veut pas dire que les membres ou anciens membres de la GRC ou des Forces canadiennes n’ont pas à prouver leur droit à une pension. Cela ne signifie pas non plus qu’une indemnité en cas de blessure sera accordée simplement parce qu’un membre a été blessé pendant qu’il servait auprès de la GRC ou des Forces canadiennes. Il ajoute que les membres sont tenus d’établir l’existence d’un lien de causalité entre la blessure subie et l’accomplissement de leur service. Il signale que la Cour, dans la décision Fournier, dresse une liste non exhaustive de facteurs qu’il est nécessaire de prendre en considération en vue de déterminer si une blessure est consécutive ou rattachée directement au service d’un membre.

[20]  Selon le défendeur, le comité d’appel a examiné comme il se doit les éléments énumérés dans la jurisprudence pour déterminer si la blessure de la demanderesse était consécutive ou rattachée directement à son service dans la GRC. Il signale que le comité d’appel n’a pas pris en considération un seul facteur, mais qu’il a plutôt évalué la demande au regard de nombreux facteurs en vue de déterminer si l’existence d’un lien de causalité entre l’accident et la blessure était établie. De l’avis du défendeur, le comité d’appel a conclu, avec raison, que le fait que l’accident ait eu lieu ne pouvait créer un lien de causalité avec le syndrome de douleur myofasciale chronique de la demanderesse et son service dans la GRC. Il indique que le seul lien entre les deux éléments est le fait que la demanderesse se rendait au travail en compagnie de son superviseur, et que cela n’est pas suffisant pour établir un lien de causalité.

[21]  À mon avis, en l’espèce, le comité d’appel a interprété et appliqué correctement le critère permettant d’établir le droit à une pension d’invalidité aux termes de l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions. Il n’a pas, comme le laisse entendre la demanderesse, adopté un critère nouveau et interprété incorrectement l’expression « consécutive ou rattachée directement à » employée à l’alinéa 21(2)a). Au contraire, il a précisément fait référence aux facteurs non exhaustifs énoncés dans la décision Fournier au moment d’examiner si l’affection de la demanderesse était consécutive ou rattachée directement à son service dans la GRC. Le fait que le comité d’appel se soit fondé sur la décision Fournier démontre qu’il a interprété comme il faut l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions.

[22]  Avant de passer à la question suivante, il est utile de préciser qu’il est erroné de la part de la demanderesse d’invoquer la décision Canada (Procureur général) c Wannamaker, 2006 CF 400, 289 FTR 298 [Wannamaker], à l’appui de la thèse selon laquelle, dans certaines circonstances, le fait de se rendre à son travail est lié au service. Même si, dans cette décision, la Cour a effectivement déclaré (au paragraphe 43) que le fait de se rendre au travail était une activité directement liée au service militaire de M. Wannamaker, cette déclaration se rapportait à des circonstances où le membre était déjà arrivé au travail, et se trouvait sur les lieux de son travail, quand il avait glissé et fait une chute sur la glace. Ce fait est à distinguer de la présente affaire, dans laquelle la demanderesse se trouvait sur une voie publique, dans une automobile privée, et n’avait pas encore atteint son lieu de travail pour la journée.

[23]  Il est également utile de signaler que la décision rendue par la Cour dans l’affaire Wannamaker a été infirmée par la Cour d’appel fédérale, au motif que c’était la norme de contrôle de la décision correcte qui avait été appliquée, alors qu’il aurait dû s’agir de la norme de la décision raisonnable. La thèse suivant laquelle la décision Wannamaker établirait que le fait de se rendre au travail est une activité liée au service est encore plus douteuse, car la Cour d’appel fédérale a soulevé — sans y répondre toutefois — la question de savoir si la chute de M. Wannamaker était consécutive ou rattachée directement à son service militaire, ainsi que l’exige l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions (Wannamaker CAF, au paragraphe 10).

C.  La décision par laquelle le comité d’appel a refusé d’accorder à la demanderesse une pension en vertu de l’article 32 de la Loi sur la pension de la GRC, conformément à l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions, est‑elle raisonnable?

[24]  La demanderesse affirme que la décision du comité d’appel est déraisonnable, car celui-ci n’a pas tiré les conclusions les plus favorables possible à son égard, comme l’exige l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18 [LTAC], dont le libellé est le suivant :

Règles régissant la preuve

 

Rules of evidence

39 Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

39 In all proceedings under this Act, the Board shall

 

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui‑ci;

 

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui‑ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

 

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

 

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

 

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

[25]  Selon la demanderesse, lorsqu’un demandeur présente un élément de preuve non contredit au Tribunal, celui-ci peut le réfuter soit en exerçant son pouvoir discrétionnaire pour produire une preuve contradictoire, soit en fournissant, dans sa décision, des motifs qui expliquent pourquoi cet élément de preuve non contredit a été rejeté. Or, en l’espèce, la demanderesse allègue que le comité d’appel n’a fait ni l’un ni l’autre. Plus précisément, elle soutient qu’il n’a rien dit à propos de la lettre du surintendant, laquelle indiquait qu’elle était en congé de maladie [traduction] « en raison d’une blessure liée à ses fonctions », ni au sujet d’une lettre de son superviseur confirmant qu’il était passager à bord de l’automobile de la demanderesse le jour de l’accident, alors qu’ils se rendaient tous les deux au cours de français obligatoire.

[26]  De son côté, le défendeur rejette l’argument de la demanderesse selon lequel le comité d’appel était tenu de souscrire aux déclarations catégoriques de son superviseur et de son médecin relativement à son droit à une pension. À son avis, ces déclarations sont assimilables à des témoignages d’opinion sur le droit légal à une pension, dont l’appréciation relève clairement de la compétence et de l’expertise du comité d’appel.

[27]  D’après le défendeur, l’article 39 de la LTAC concerne l’interprétation des faits, ainsi que la nécessité de tirer des conclusions favorables à un demandeur en cas d’incohérences, mais il ne va pas jusqu’à permettre d’accepter à première vue les déclarations de la demanderesse au sujet du droit légal à une pension, car l’évaluation d’une demande est la raison d’être du processus de révision.

[28]  À mon avis, la décision par laquelle le comité d’appel a refusé l’octroi d’une pension à la demanderesse en vertu de l’article 32 de la Loi sur la pension de retraite de la GRC, conformément au paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, est raisonnable. Le comité d’appel a clairement retenu le critère juridique approprié en s’appuyant sur la décision Fournier, et il l’a appliqué raisonnablement aux faits de l’espèce, et ce, de manière claire et transparente. En l’espèce, il n’était pas déraisonnable que le comité d’appel conclue que la Loi sur les pensions ne vise pas une couverture de « porte à porte », parce qu’une telle conclusion concorde avec la jurisprudence du Tribunal.

[29]  Par exemple, dans la décision 100001531773 (Re), 2011 CanLII 100427, un membre des Forces canadiennes avait été impliqué dans un accident de la route en se rendant de son domicile à une gare ferroviaire, où il était tenu de se présenter en vue de se rendre au camp de Farnham. Dans cette affaire, le comité d’appel du Tribunal a tiré la conclusion suivante :

[…] le moyen de transport employé par l’appelant, à savoir un véhicule personnel, n’avait pas été autorisé par les Forces et […], par conséquent, ce dernier n’exerçait pas de fonctions militaires à ce moment‑là.

Pour rendre sa décision, le Tribunal se fonde sur la décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Fournier c. Canada (Procureur général), 2005 CF 453 (CanLII), et les précédents qui y sont mentionnés, […]

[Extrait du paragraphe 35 de Fournier omis]

[…] En l’espèce, l’appelant était en déplacement, à bord de la voiture de son beau‑père, entre son domicile et la gare de train, d’où il devait partir pour se rendre à la Base de Farnham. Il se trouvait dans la voiture de son beau‑père sur une voie publique; rien n’indique qu’au moment de l’accident, l’appelant était sous le contrôle des Forces, et il n’était pas en service à ce moment. À l’instar de l’affaire McTague, dans laquelle le juge a conclu que les blessures du demandeur (causées par un véhicule automobile) n’étaient pas consécutives ni rattachées directement au service militaire, les blessures de l’appelant ne sont pas survenues sur la base et n’ont pas été causées par un autre membre des Forces canadiennes. Comme dans l’affaire Fournier, l’appelant en l’espèce n’a pas réussi à établir que sa blessure était consécutive ou rattachée directement au service militaire. Par conséquent, le Tribunal ne peut pas lui accorder d’indemnité d’invalidité.

[30]  La présente affaire ressemble à l’affaire Fournier, dans laquelle la membre en cause s’était vu refuser une pension pour le syndrome du coup de fouet cervical chronique dont il souffrait à la suite d’un accident d’automobile. La sergente Fournier avait conduit son automobile privée de son lieu de travail jusqu’à un restaurant pour y prendre un repas, et elle avait ensuite eu l’intention de retourner au travail. Toutefois, pendant qu’elle était en route, son automobile avait été emboutie à l’arrière par une autre automobile et, depuis, elle souffrait du syndrome du coup de fouet cervical chronique. Le Tribunal a convenu que l’accident automobile et la lésion ultérieure n’étaient pas consécutifs ou rattachés directement au service militaire de la sergente Fournier. Cette décision a été confirmée lors du contrôle judiciaire, car le lien de causalité entre la lésion de la sergente sergent Fournier et son service militaire était trop éloigné (Fournier, au paragraphe 61).

[31]  La présente affaire ressemble aussi à l’affaire Fawcett c Canada (Procureur général), 2017 CF 1071, 286 ACWS (3d) 269, dans laquelle une membre des Forces canadiennes avait été impliquée dans un accident d’automobile pendant qu’elle amenait son fils à la garderie en se rendant à son travail. La capitaine Fawcett soutenait qu’étant donné que son époux et elle servaient dans des unités à disponibilité opérationnelle élevée, et qu’elle amenait son fils à la garderie dans le cadre d’un plan de garde familiale des Forces canadiennes, elle était de ce fait en service et agissait en vertu d’un ordre militaire au moment de l’accident. Le chef d’état-major de la Défense avait conclu que, au vu de l’ordonnance administrative des Forces canadiennes qui s’appliquait pour déterminer si une lésion était attribuable au service militaire (c’est-à-dire si cette lésion était « consécutive ou rattachée directement au service »), elle n’était pas en service au moment de l’accident, et les lésions subies n’étaient pas attribuables au service militaire. Cette conclusion a été confirmée dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[32]  De la même façon, dans la présente affaire, la demanderesse conduisait son automobile privée sur une voie publique quand sa voiture a été emboutie à l’arrière. Elle n’était pas sous le contrôle ou la direction de la GRC; n’était pas de service et n’exécutait aucun travail associé à la GRC au moment de l’accident; et la GRC ne lui avait pas ordonné de suivre un itinéraire particulier pour se rendre au centre d’enseignement du français.

V.  Conclusion

[33]  En conclusion, le comité d’appel du Tribunal a raisonnablement décidé de refuser à la demanderesse le droit à une pension pour son syndrome de douleur myofasciale chronique en vertu de l’article 32 de la Loi sur la pension de retraite de la GRC, conformément au paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions. Les motifs que le comité d’appel a fournis expliquent sa décision de manière intelligible et transparente, et l’issue est défendable au regard des faits et du droit. La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est donc rejetée.

[34]  Le défendeur a indiqué, à l’audition de la présente demande, qu’il ne sollicitait pas de dépens et, de ce fait, aucune ordonnance n’est rendue quant à ces derniers.


JUGEMENT dans T‑1957‑17

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée, et aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de décembre 2018.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1957‑17

 

INTITULÉ :

SYLVIA GREENE-KELLY c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 SeptembrE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 NovembrE 2018

 

COMPARUTIONS :

Andrew Paterson

Erin Durant

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jyll Hansen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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