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Date : 20181121


Dossier : IMM‑2484‑18

Référence : 2018 CF 1177

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 21 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

OTHMAN AYED HAMDAN

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Hamdan est un fieffé menteur. Il est permis de se demander s’il a dit la vérité une seule fois depuis qu’il est entré au Canada en 2002. Sa demande d’asile a été accueillie en 2004. Il avait alors invoqué sa conversion de l’islam au christianisme ainsi que la possibilité qu’il soit exposé à un risque sérieux de persécution s’il devait être renvoyé en Jordanie.

[2]  Le ministre a pris, ou prend, diverses mesures pour expulser M. Hamdan du Canada. Le présent contrôle judiciaire porte uniquement sur le rejet par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR ou la Commission] de la demande du ministre fondée sur l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR], par laquelle il visait à faire annuler la décision par laquelle la demande d’asile du demandeur avait été accueillie, au motif que cette décision résultait, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important de sa demande d’asile, ou de réticence sur ce fait.

[3]  Plus particulièrement, le ministre fait valoir que la conversion alléguée de M. Hamdan au christianisme est fictive et que celui‑ci a omis de divulguer le fait qu’il était un trafiquant de drogue d’envergure internationale. Pour ces motifs, aux termes de l’alinéa F(1)b) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (intégré à la LIPR, en annexe), il ne lui était pas permis de demander l’asile, étant donné qu’il avait commis un crime grave de droit commun.

[4]  La Commission était d’avis que le ministre ne s’était pas acquitté du fardeau de la preuve. Pour les motifs énoncés ci‑dessous, je conclus que la décision de la CISR sur ces deux questions est déraisonnable et j’accueille en conséquence la présente demande de contrôle judiciaire.

I.  La décision de la CISR

[5]  En ce qui concerne la question de la religion, la commissaire a conclu que M. Hamdan était toujours en recherche. Même si sa conduite subséquente, y compris ses publications sur les médias sociaux dans lesquelles il appuyait le groupe État islamique et des terroristes solitaires, était inacceptable et incompatible avec des convictions chrétiennes, il ne s’ensuivait pas nécessairement qu’il n’était pas chrétien au moment où il a présenté sa demande d’asile.

[6]  Pour ce qui est de la question du trafic de drogue, M. Hamdan a raconté au fil des ans des histoires abracadabrantes à ses amis « poteux » et, pendant une période d’incarcération, à un agent d’infiltration. Son histoire a changé avec le temps. Faisait‑il la contrebande de hachisch ou de marijuana? A‑t‑il été pris pour cible par des tireurs embusqués canadiens près de la frontière israélienne, ce qui est ridicule; a‑t‑il été emprisonné dans de nombreux pays? Les autorités canadiennes ont été incapables de confirmer cette dernière allégation, peut‑être en raison des nombreux faux noms employés par le demandeur. Comme le dit l’un de ses amis : [traduction« Nous avons toujours cru qu’il était un peu plein de m***e ».

[7]  L’avocat de M. Hamdan fait valoir que, même si le demandeur mentait comme il respirait devant ses amis, il avait toujours dit la vérité dans un contexte plus officiel, comme quand il a témoigné au sujet des accusations criminelles portées contre lui devant les tribunaux de la Colombie‑Britannique, quand il a parlé à un agent de la GRC en uniforme et quand il s’est exprimé devant les autorités de l’immigration.

II.  Analyse

[8]  Il incombait au ministre de faire la preuve que M. Hamdan mentait lorsqu’il a prétendu être chrétien et que ce dernier se livrait réellement au trafic de drogue à l’échelle internationale. S’exprimant au nom de la Cour suprême, M. le juge Rothstein a indiqué, au paragraphe 48 de l’arrêt F.H. c McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 RCS 41, qu’il revient au juge du procès de décider dans quelle mesure la preuve démontre qu’il est plus probable qu’improbable qu’un événement se soit produit. « Or, aucune règle de droit ne saurait le lui imposer ».

[9]  En ce qui concerne la question de la religion, il est difficile de savoir ce qui se passait dans la tête de M. Hamdan. Toutefois, dans la décision Grant c Australian Knitting Mills Ltd., 1935, All ER Rep 209 (CJCP), lord Wright a précisé ce qui suit, aux pages 213 et 214 :

[traduction]

Une démonstration mathématique ou purement logique est généralement impossible : en pratique, on exige des jurys qu’ils agissent selon la prépondérance raisonnable des probabilités, tout comme le ferait un homme raisonnable pour prendre une décision dans une situation sérieuse. Les éléments de preuve, insuffisants lorsque présentés individuellement, peuvent constituer un tout significatif lorsqu’ils sont mis ensemble et justifier une conclusion par leur effet combiné.

[10]  M. Hamdan a déclaré sous serment qu’il n’a jamais été baptisé et qu’il ne se souvenait ni des adresses des églises qu’il aurait fréquentées au Canada ni des noms des personnes qui auraient pu l’apercevoir dans une église chrétienne. Le baptême est fondamental dans le christianisme. Si l’on se fie à la conclusion de la Cour dans la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, il incombait à la commissaire de mettre en lumière cette incompatibilité avec la foi chrétienne.

[11]  Je conclus qu’il était déraisonnable de la part de la commissaire d’arriver à une conclusion autre que celle selon laquelle M. Hamdan feignait d’être chrétien dans le but d’être admis au Canada.

[12]  En ce qui concerne les questions de la religion et du trafic de drogue, les actes subséquents sont importants et les mots sont révélateurs. Dans l’arrêt Saint John Tugboat Co. c Irving Refinery Ltd., [1964] SCR 614, la conduite subséquente a été prise en considération pour décider si un contrat avait été conclu ou non.

[13]  À mon avis, le fondement de la décision de la commissaire au sujet des présentations erronées se trouve aux paragraphes 38 et 39 de celle‑ci, lesquels se lisent ainsi :

[traduction

[38]  Pour que j’arrive à la conclusion que des présentations erronées ont été faites, le ministre doit prouver que l’événement allégué s’est réellement produit. Si la contrebande n’a jamais eu lieu, on ne peut pas dire que le défendeur a fait une présentation erronée. Par conséquent, avant qu’une analyse puisse être effectuée au sujet de l’exclusion, le ministre doit produire une preuve crédible suffisante pour établir qu’il y a eu contrebande. Compte tenu de l’information dont je dispose, je conclus que le ministre n’a pas réussi à prouver que le défendeur a commis un crime de droit commun.

[39]  On peut qualifier de sensationnelle et de grandiose l’histoire qu’a racontée le défendeur au sujet de la contrebande de hachisch. Comme l’a fait remarquer son avocat, le ministre n’a pas réussi à prouver que l’une ou l’autre des allégations formulées par le défendeur dans cette histoire était crédible ou qu’elle pouvait l’être. Le ministre a produit des éléments de preuve de quant à la contrebande de drogue au Moyen‑Orient; toutefois, ceux‑ci ne sont pas suffisants pour démontrer que l’histoire du défendeur est réellement véridique. Le fait que le Hamas se livre à la contrebande au Moyen‑Orient ne confirme aucunement la véracité de l’histoire du défendeur.

[14]  Il n’était pas prudent de passer sous silence les vantardises de M. Hamdan. Les mots ont un sens. Dans sa demande d’asile, il a allégué qu’il craignait ses oncles qui étaient membres du Hamas.

[15]  Compte tenu des activités du Hamas à cette époque en matière de trafic de drogue et du fait que M. Hamdan a constamment soutenu qu’il était impliqué dans le trafic de drogue, il était raisonnable de déduire qu’il disait la vérité à ce sujet.

[16]  De plus, lorsqu’il a présenté sa demande de résidence permanente, il a admis que des membres de sa famille vivant à l’étranger avaient été déclarés coupables de crimes ou d’infractions dans un autre pays.

[17]  Même si la preuve en l’espèce est relativement mince, il existe certains éléments qui donnent à penser que des déclarations trompeuses ont réellement été faites. En contexte, une preuve mince peut appuyer une déduction permettant de conclure qu’un fait s’est réellement produit (Whirlpool Inc. c Camco Inc., [2000] 2 RCS 1067). La seule preuve produite par M. Hamdan a été sa dénégation. Le dossier montre clairement que sa parole n’est pas digne de foi, de sorte que la présomption voulant qu’il dise la vérité est réfutée [Maldonado c Canada (M.E.I.), [1980] 2 CF 302 (C.A.)].

[18]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la CISR pour un nouvel examen devant un commissaire différent, tant en ce qui concerne la question de la religion que celle de la criminalité.

[19]  Plus récemment, le ministre a réussi à convaincre la CISR de statuer qu’il y avait eu perte d’asile au titre de l’article 108 de la LIPR. Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a récemment été déposée. Le dossier n’a pas encore été finalisé. Si M. Hamdan n’a pas gain de cause dans cette instance, le présent jugement devient alors théorique. Toutefois, il ne me revient pas de me porter en conjecture sur le sort de cette demande. Dans l’état actuel des choses, la décision quant à la présente demande de contrôle judiciaire n’est pas dénuée de portée pratique.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2484‑18

Pour les motifs énoncés ci‑dessus, LA COUR STATUE que la décision examinée est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvel examen.

Il n’y a pas de question à certifier.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour de décembre 2018.

Maxime Deslippes, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑2484‑18

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c OTHMAN AYED HAMDAN

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 NovembrE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE harrington

DATE DES MOTIFS :

LE 21 novembrE 2018

COMPARUTIONS :

Cheryl Mitchell

Aman Sanghera

POUR LE DEMANDEUR

Peter Edelmann

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Edelmann & Company

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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