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Dossier : T-577-18

Référence : 2018 CF 1081

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2018

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

ASSOCIATION CANADIENNE DE NORMALISATION

demanderesse

et

P.S. KNIGHT CO. LTD. ET

GORDON KNIGHT

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Il s’agit de la continuation d’une requête déposée par l’Association canadienne de normalisation (ACN) et visant à obtenir une injonction interlocutoire afin d’empêcher les défendeurs, P.S. Knight Co. Ltd. et Gordon Knight (collectivement appelés Knight ou les défendeurs) de continuer de reproduire, de vendre ou de distribuer la version de 2018 du Code canadien de l’électricité (Code) de l’ACN. L’ACN soutient que le Code est une œuvre originale à l’égard de laquelle il existe un droit d’auteur qu’elle détient.

[2]  La demande sous-jacente de l’ACN a été déposée le 23 mars 2018. Elle cherche à obtenir un jugement déclaratoire et une injonction ainsi que des dommages-intérêts contre les défendeurs pour violation alléguée de son droit d’auteur sur le Code. Pour divers motifs, les défendeurs affirment qu’ils ont légitimement le droit de reproduire et de vendre leur version du Code de 2018 (le Code Knight).

[3]  Dans le cadre d’une procédure antérieure entre les parties, le juge Michael Manson a conclu que le comportement de Knight en ce qui concerne le Code de 2015 de l’ACN constituait une violation du droit d’auteur : voir Association canadienne de normalisation c P.S. Knight Co. Ltd., 2016 CF 294, au paragraphe 61, 264 ACWS (3d) 750. Le juge Manson a rendu un jugement déclaratoire et a accordé une injonction, a ordonné la restitution de tous les exemplaires du Code Knight de 2015 et a accordé des dommages-intérêts préétablis. Dans une décision subséquente, des dépens de 96 336 $ ont été accordés à l’ACN : voir Association canadienne de normalisation c P.S. Knight Co. Ltd., 2016 CF 387, au paragraphe 17, 265 ACWS (3d) 39.

[4]  La décision du juge Manson a été portée en appel devant la Cour d’appel fédérale. Cette Cour a accordé un sursis au versement des dommages-intérêts en attendant l’issue de l’appel parce que Knight serait autrement incapable de poursuivre son appel. La décision d’appel sur le fond est toujours en délibéré.

[5]  L’ACN a demandé au départ une injonction provisoire en l’espèce. L’audition d’une requête en injonction provisoire a été ajournée sur consentement par ordonnance du juge Sean Harrington le 19 avril 2018 en attendant l’audition d’une requête devant moi le 15 mai 2018 sollicitant une injonction interlocutoire. L’audition de cette requête a également été ajournée sur consentement parce qu’une entente (le procès-verbal de transaction) est intervenue entre les parties. Le procès-verbal de transaction comprenait ce qui suit :

[6]  Le 4 juillet 2018, l’avocat de l’ACN a écrit à celui de Knight en joignant une liste de 180 différences entre le Code de 2018 de l’ACN et le Code Knight de 2018 à ajouter à la liste publiée d’errata de Knight. L’avocat de Knight a répondu le 12 juillet 2018, reconnaissant huit (8) différences qui seraient considérées comme des erreurs et ajoutées à la liste d’errata. Knight a refusé d’accepter les autres différences comme des erreurs et de les ajouter à la liste d’errata. En effet, la réponse de Knight a attribué 96 % des différences aux [traduction] « propres erreurs de publication de l’ACN, plus particulièrement en omettant les identificateurs Delta et l’utilisation double des numéros de règle ». L’ACN s’est opposée à la qualification par Knight des différences contestées et son avocat a indiqué qu’à moins que la liste d’errata ne soit mise à jour comme il l’a demandé dans un délai de quatre (4) jours, le procès‑verbal de transaction serait considéré comme étant répudié et il reprendrait sa requête en injonction. Knight s’y est opposé, et les parties ont échangé des messages indiquant leurs points de vue divergents sur ce qui était requis par le procès-verbal de transaction. La dernière proposition de Knight consistait à publier une liste améliorée d’errata contenant les 180 différences, mais également divers avis attribuant les erreurs à l’ACN. Cette proposition n’était pas acceptable pour l’ACN et sa requête en injonction a été mise au rôle en vue de son audition.

[7]  Aucune des deux parties n’a exprimé de préoccupations particulières quant à la capacité de la Cour à déterminer, sur présentation d’une requête, si une violation de leur règlement avait eu lieu. Chacune accusait l’autre d’avoir violé l’entente, mais la seule preuve qu’elles ont présentée était sous forme d’affidavit reprenant en grande partie la correspondance des avocats et leurs échanges de courriels. Knight affirme que l’ACN n’a pas respecté l’engagement mutuel en matière de confidentialité. L’ACN prétend que le refus de Knight d’afficher une liste complète et sans réserve d’errata présentait un risque grave pour la sécurité du public et appuie la conclusion d’une violation de contrat.

[8]  Les deux parties reconnaissent que le procès-verbal de transaction représente un obstacle éventuel à la reprise de la requête de l’ACN. Aux termes du procès-verbal de transaction, la demande d’injonction de l’ACN a été mise de côté en attendant l’issue de l’appel en instance à l’égard de la décision du juge Manson. Comme le suggère le procès-verbal de transaction, cette décision rendra probablement les questions sous-jacentes en l’espèce théoriques.

[9]  Il est bien établi que, pour entendre la requête de l’ACN, la Cour doit conclure que Knight a fondamentalement violé les modalités du règlement de sorte que l’ACN avait le droit de considérer que l’entente de règlement avait été répudiée. Une violation de ce genre doit être suffisamment importante pour priver la partie innocente de la quasi-totalité du bénéfice du contrat : voir Spirent Communications of Ottawa Limited c Quake Technologies (Canada) Inc., 2008 ONCA 92, au paragraphe 35, 88 OR (3d) 721. Dans la présente enquête, l’accent est mis sur l’importance relative de la modalité en question pour l’exécution du contrat dans son ensemble. La question n’est pas celle de connaître l’intention subjective ou les croyances de la partie fautive, mais plutôt de savoir comment une personne raisonnable fictive considérerait le comportement reproché : voir Potter c Commission des services d’aide juridique du Nouveau‑Brunswick, 2015 CSC 10, au paragraphe 171, 381 DLR (4th) 1.

[10]  Les ententes qui règlent des litiges sont assujetties aux principes qui précèdent, mais, comme en l’espèce, ces ententes sont fréquemment susceptibles de désaccord quant à l’interprétation. En raison de la valeur accordée à la promotion et à l’exécution des règlements de litige, les tribunaux ont en général hésité à traiter les comportements après le fait comme une répudiation. Selon la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans Kuo c Kuo, 2016 BCSC 767, 2016 CarswellBC 1154, l’insistance ultérieure d’une partie sur une condition d’exécution qui est excessive et contraire à l’intention contractuelle initiale ne correspondra que rarement à une répudiation : voir le paragraphe 41. L’arrêt Remedy Drug Store Co Inc c Farnham, 2015 ONCA 576, 256 ACWS (3d) 305 va dans le même sens, le juge Epstein, de la Cour d’appel de l’Ontario, indiquant ce qui suit :

[traduction]

[53]  Je souscris à l’opinion énoncée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Fieguth c Acklands Limited (1989), 1989 CanLII 2744 (C.A. C.-B.), 59 D.L.R. (4th) 114 (C.A. C.-B.), aux pages 122 et 123, selon laquelle la répudiation anticipée devrait être considérée comme une réparation particulièrement exceptionnelle dans le contexte des ententes de règlement. La Cour a expliqué son raisonnement relatif à l’approche ainsi :

[traduction] Il ne faudrait pas croire que tout désaccord sur des documents donnant suite à un règlement, même si l’importance en est soulignée, s’assimile à la répudiation du règlement. Nombre de tels règlements, comme les règlements structurés, sont fort complexes, et l’entente est habituellement conclue avant que tous les documents pertinents n’aient été remplis. Dans ces cas, le règlement aura force obligatoire si l’on s’est entendu sur les conditions essentielles. Lorsque des différends surviennent à ce sujet, la répudiation sera rarement en cause puisque le critère susmentionné est bien strict. Il s’agira plutôt de savoir si une entente finale a été conclue, que les parties entendaient consigner dans des documents en bonne et due forme, ou si les parties sont simplement parvenues à une entente de principe, ne devant les lier qu’une fois remplis les documents requis. De manière générale, le litige est résolu dans le premier cas et non dans le second, et il convient habituellement de contraindre les parties parvenant à un règlement à respecter leurs engagements. Il convient de régler les différends subséquents en en saisissant le tribunal, ou en usant de bon sens tout en respectant le cadre du règlement auquel les parties sont parvenues, et en se conformant aux pratiques courantes parmi les membres du barreau. Rarement, des actes postérieurs à une entente de règlement équivaudront à une répudiation.

[Non souligné dans l’original.]

Cet extrait de l’arrêt Fieguth a été cité avec approbation par au moins trois tribunaux de l’Ontario, dans les décisions suivantes : voir Bogue c Bogue (1999), 1999 CanLII 3284 (C.A. Ont.), 46 O.R. (3d) 1 (C.A.); Cellular Rental Systems Inc. c Bell Mobility Cellular Inc., [1995] O.J. No. 721 (C.S.), conf. par [1995] O.J. No. 3773 (C.A.); et Whitehall Homes & Construction Ltd. c Hanson, 2012 ONSC 3307 (CanLII), 23 C.L.R. (4th) 272, au paragraphe 31.

[54]  Les tribunaux sont motivés à exécuter les règlements pour de bonnes raisons. Comme l’indique Mme Swan à la page 52 de son traité, [traduction] « [l]’attitude des tribunaux quant aux règlements s’explique par de solides raisons de principe : c’est dans l’intérêt de tout le monde que le litige se conclut par l’entente des parties ».

[…]

[71]  À mon avis, les circonstances de l’espèce dépeignent la situation suivante. Un litige est survenu et a mis fin à une relation d’emploi relativement brève. Un règlement a été négocié et les parties ont ensuite été en désaccord quant à la nature de la veille technologique qui serait nécessaire pour s’assurer que Mme Farnham n’était plus en possession des documents confidentiels de Remedy. À mon avis, même sans la libération, la veille médico-légale n’a pas touché à l’essence même du contrat. Toutefois, à la lumière de la libération, cette veille n’avait pratiquement aucune conséquence en ce qui concerne Mme Farnham.

[72]  Même si l’insistance sur une nouvelle condition contractuelle peut équivaloir à une répudiation, ce ne sera pas toujours le cas, « surtout lorsqu’il est possible d’établir que l’autre partie s’accroche à de petits points pour se soustraire à son obligation contractuelle » : Aic Limited c. Infinity Investment Counsel Ltd., (1998) 1998 CanLII 7783 (CF), 147 F.T.R. 233 (C.F.), au paragraphe 42.

[11]  Le litige en l’espèce concernait principalement un désaccord sur les différences textuelles entre le Code 2018 et le Code Knight de 2018 qui étaient visées par le terme « errata » et faisaient l’objet d’une publication sur le site Web de Knight [1] . Knight a accepté de corriger huit (8) éléments et l’ACN a insisté pour qu’il y en ait 180. Il est peut-être malheureux que les parties n’aient pas attendu la fin de leurs discussions avant que l’ACN dépose de nouveau sa requête en injonction devant la Cour. La question qui demeure est celle de savoir si le refus de Knight d’accepter la liste d’errata de l’ACN équivalait à une violation fondamentale du règlement. Selon la preuve dont je suis saisi, je ne peux pas tirer pareille conclusion.

[12]  Même si l’interprétation par Knight du terme « errata » était déraisonnable et non conforme à l’intention des parties, je ne conclus pas que les actions de Knight constituent une violation fondamentale du procès-verbal de transaction. L’aspect essentiel du procès-verbal de transaction était un arrangement de mise en suspens temporaire qui interrompait la procédure et permettait à Knight de continuer de vendre le Code Knight alors que le produit était détenu en fiducie en attendant l’issue de l’appel. Cela rassurait les deux parties et éliminait le risque de litige auquel chacune faisait face en ce qui concerne la requête en injonction de l’ACN. Cela réduisait également le fait pour chaque partie d’être exposée à des frais juridiques supplémentaires. Cette partie essentielle du procès-verbal de transaction a été respectée. En outre, le règlement n’était qu’un arrangement provisoire qui ne liait pas les parties au-delà de l’issue de l’appel en instance.

[13]  Même si l’ACN soutient que le refus the Knight de publier la liste d’errata de l’ACN a soulevé de graves risques pour la sécurité publique, la preuve qu’elle a fournie à cet égard n’est pas convaincante. La grande majorité des différences que l’ACN a qualifiées d’importantes semblent être de petites modifications grammaticales ou des changements mineurs que l’ACN n’avait pas mis en évidence dans son Code de 2018. Le fait que l’affidavit de M. Pope ne donne que quatre (4) exemples donnant lieu à des préoccupations tangibles en matière de sécurité permet d’inférer que le reste n’était pas particulièrement préoccupant pour l’ACN. De plus, Knight a accepté que ces quatre (4) exemples soient ajoutés à la liste d’errata et, dans deux (2) cas, il l’a fait. Pour sa part, l’ACN a géré les autres préoccupations en publiant un « avertissement de sécurité » public.

[14]  À mon avis, ce litige quant à la liste d’errata ne touchait pas à l’essence même de l’entente de règlement. En outre, des efforts de bonne foi pour régler la question des errata auraient probablement été fructueux; et, dans le cas contraire, la Cour aurait pu le faire en se fondant sur un meilleur dossier.

[15]  Par conséquent, la requête en injonction interlocutoire de l’ACN est rejetée avec dépens payables aux défendeurs.

[16]  J’ai examiné les observations des parties sur les dépens. Les défendeurs ont présenté un mémoire de frais raisonnable calculé selon la colonne III du Tarif. Je suis d’avis que l’octroi de dépens de 6 500 $ est justifié.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente requête soit rejetée avec des dépens de 6 500 $ payables aux défendeurs.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de décembre 2018.

Isabelle Mathieu, traductrice





[1]   De plus, Knight a également omis brièvement de respecter l’obligation de fournir une comptabilisation mensuelle à l’ACN. Cette violation semble avoir été causée par une omission de l’avocat de Knight et elle a été rapidement corrigée.

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