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Date : 20181120


Dossier : IMM‑522‑18

Référence : 2018 CF 1168

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

Jozsef Komaromi

Ildiko Komaromine Revesz

Gabor Jozsef Komaromi

Akos Robert Komaromi

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  Les demandeurs, qui sont de citoyenneté et d’origine ethnique hongroise, ont demandé la protection du Canada aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Le fondement principal de leur demande d’asile tient au fait que le demandeur, Jozsef Komaromi, s’est fait extorquer par des éléments criminels en Hongrie. Les autres demandeurs sont respectivement l’épouse de M. Komaromi et leurs deux fils (qui étaient mineurs lorsque la demande d’asile a été initialement présentée). La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté leur demande d’asile dans une décision datée du 11 janvier 2018. Les demandeurs sollicitent à présent le contrôle judiciaire de cette décision au titre du paragraphe 72(1) de la LIPR.

[2]  Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la présente demande devait être rejetée.

II.  LE CONTEXTE

[3]  M. Komaromi a démarré sa propre entreprise, Prolite Kft au cours de l’année 2011. Il achetait des produits alimentaires d’un fournisseur et les revendait à des détaillants. L’entreprise était basée à Délegyháza (Hongrie).

[4]  Le fournisseur dont M. Komaromi distribuait les produits était une entreprise appelée Roland Sun Kft. D’après lui, un certain Barnabas Atila Nagy l’a approché au début de 2012 et s’est présenté comme le nouveau directeur de Roland Sun Kft. M. Nagy a exigé de M. Komaromi qu’il lui paie 20 % du prix de détail de chaque article livré en guise de paiement de protection. M. Komaromi a initialement refusé, mais des hommes se sont présentés chez lui, l’ont maltraité et l’ont menacé ainsi que sa famille. Ces hommes venaient chez lui tous les jours. M. Komaromi a déclaré que M. Nagy faisait partie d’une organisation criminelle, mais il n’a fourni aucun autre détail à propos de cette organisation.  

[5]  La période exacte n’est pas claire, mais M. Komaromi affirme avoir fait des versements à M. Nagy pendant six mois. Le montant total de la somme qu’il lui a versée n’est pas mentionné dans le dossier.

[6]  M. Komaromi affirme être allé voir la police pour obtenir de l’aide en juillet 2012, mais il s’est fait dire qu’ils ne pouvaient pas l’aider. Alors qu’il sortait du commissariat, des membres du groupe de M. Nagy l’ont appréhendé, ont pointé une arme à feu sur lui et l’ont forcé à monter dans une voiture. Ils l’ont frappé à plusieurs reprises et l’ont averti qu’il ne devait pas faire appel à la police, car ils entretenaient des relations avec de hauts gradés.

[7]  M. Komaromi a fini par ne plus pouvoir payer pour sa protection et a fermé son entreprise. Le 31 août 2012, lui et les autres demandeurs se sont rendus en voiture à Regelsburg (Allemagne), où vivait la sœur de Mme Revesz. Pendant leur séjour, la fille de cette dernière, restée en Hongrie, a informé les demandeurs que le groupe de M. Nagy lui a fait savoir qu’ils les pourchasseraient et qu’ils offraient une prime de huit millions de forints hongrois pour la famille (ce qui correspond à près de 37 550 $ CAN, selon le taux de change actuel).

[8]  Les demandeurs ont conduit jusqu’à Frankfurt (Allemagne), où ils ont pris un vol pour le Canada. Ils sont arrivés à Toronto le 7 septembre 2012 et ont présenté des demandes d’asile.

[9]  D’après les demandeurs, des membres du groupe de M. Nagy sont allés les chercher chez la fille de Mme Revesz et la mère de M. Komaromi. Ils ont offert à cette dernière cinq millions de forints hongrois (près de 23 470 $ CAN) pour qu’elle les aide à retrouver les demandeurs.

[10]  En septembre 2017, quelques mois avant l’audience devant la SPR, Gabor Komaromi a été hospitalisé après une tentative de suicide. Il était alors âgé de 17 ans.

III.  LA DÉCISION VISÉE PAR LA DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[11]  La SPR a examiné deux questions centrales. Premièrement, les demandeurs sont‑ils exposés à risque sérieux de persécution en Hongrie fondé sur un motif prévu dans la Convention? Deuxièmement, les demandeurs seraient-ils exposés, selon la prépondérance des probabilités, à un risque personnel plutôt que généralisé de voir leur vie menacée ou de subir des traitements ou peines cruels et inusités s’ils devaient retourner en Hongrie? Si l’une de ces questions recevait une réponse affirmative, les demandeurs auraient droit à la protection conférée par l’article 96 et/ou de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR, respectivement.

[12]  La SPR a conclu qu’il n’existait aucun lien entre les allégations d’extorsion formulées par les demandeurs et les motifs prévus par la Convention. M. Komaromi a fait valoir qu’il appartenait par définition « à un groupe social » au titre de l’article 96, en tant qu’homme d’affaires ayant été pris pour cible par des criminels et ne pouvant se prévaloir d’une protection policière. La SPR a rejeté cet argument. Les demandeurs ne contestent pas cette conclusion dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[13]  La SPR a également estimé que les demandeurs n’étaient pas des personnes à protéger attendu que leur renvoi en Hongrie ne les exposerait pas personnellement à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels ou inusités. Il incombait aux demandeurs d’établir l’existence de tels risques selon la prépondérance des probabilités. La SPR a conclu que les risques auxquels les demandeurs étaient exposés étaient « au mieux de nature hypothétique », et que la crainte d’être victimes d’extorsion dans les circonstances qu’ils avaient décrites ne constituait rien de plus qu’un risque généralisé.

[14]  Dans son évaluation de la demande de protection des demandeurs présentée au titre de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR, la SPR a tiré deux conclusions principales.

[15]  Premièrement, elle a refusé de reconnaître que M. Nagy, ou même quiconque, s’intéresserait encore aujourd’hui à M. Komaromi. Plusieurs années s’étaient écoulées depuis que celui-ci avait fermé son entreprise et quitté la Hongrie. Son dernier contact avec M. Nagy ou son groupe remontait aussi à plusieurs années. Ces individus n’auraient aucune raison de s’imaginer que M. Komaromi était maintenant en mesure de les payer en échange de leur protection et donc de continuer à le prendre pour cible. Par conséquent, la SPR a jugé invraisemblable que M. Nagy offre une prime sur M. Komaromi et sa famille. Il était plus probable que M. Nagy soit simplement passé à autre chose et qu’il ait pris quelqu’un d’autre pour cible.

[16]  Deuxièmement, même s’il est possible que M. Komaromi soit de nouveau victime d’extorsion s’il ouvrait une autre entreprise à son retour en Hongrie, il s’agissait d’un risque auquel étaient exposés tous les gens d’affaires de ce pays. Tout en reconnaissant que des éléments criminels puissent menacer les propriétaires d’entreprise en Hongrie, notamment en vue de l’extorsion, la SPR a estimé que la crainte d’être victime de crime renvoie à un risque « auquel serait exposé tout autre citoyen hongrois qui pourrait démarrer une entreprise et avoir maille à partir avec des personnes qui tenteraient de lui extorquer de l’argent ». En d’autres mots, M. Komaromi n’était pas exposé à un risque personnel.

[17]  La SPR s’est appuyée sur ces constatations pour conclure que les demandeurs n’étaient pas des personnes à protéger au titre de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR du simple fait qu’ils avaient été victimes d’extorsion.

[18]  La SPR s’est également demandé si les problèmes de santé mentale de Gabor Komaromi constituaient un motif d’octroi de la protection. M. Komaromi et Mme Revesz ont soutenu devant SPR que Gabor a tenté de se suicider en apprenant que l’audition de la demande d’asile de la famille approchait, ajoutant qu’il avait peur de retourner en Hongrie et qu’il craignait que leurs problèmes avec les criminels recommencent. Par ailleurs, les demandeurs ont fait valoir que Gabor ne serait pas en mesure d’obtenir en Hongrie les services de soutien en santé mentale dont il a besoin.

[19]  La SPR a rejeté les allégations de M. Komaromi et de Mme Revesz en ce qui concerne le lien entre les expériences vécues par Gabor et la demande d’asile. Gabor a lui-même déclaré devant la SPR que les problèmes mentaux et émotionnels qui l’avaient mené à la tentative de suicide étaient attribuables aux pressions qu’il subissait à l’école. La SPR a été impressionnée par son témoignage, décrivant Gabor comme un témoin intelligent et réfléchi qui s’exprimait avec clarté et concision. Le commissaire l’a jugé « très crédible pour ce qui est des raisons à l’origine des troubles mentaux dont il a souffert par le passé ». Aucun élément de preuve n’est venu appuyer la tentative de ses parents d’établir un lien entre ses difficultés et la demande de protection. Gabor a été hospitalisé pendant 11 jours après sa tentative de suicide et des documents médicaux datant de la période de son hospitalisation ont été déposés devant la SPR. Cependant, rien ne permettait d’établir un lien entre les expériences qu’il avait vécues et ce qui était arrivé à sa famille auparavant ou leur crainte de retourner en Hongrie. Le diagnostic posé au moment du congé évoquait un trouble d’anxiété sociale et un trouble déficitaire de l’attention.

[20]  Quoi qu’il en soit, rien n’indiquait aux yeux de la SPR que Gabor ne bénéficierait pas, en cas de besoin, d’un soutien continu en santé mentale en Hongrie. La SPR a donc conclu que les problèmes de santé mentale dont il était affligé ne faisaient pas de lui un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

IV.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[21]  Je formulerais en ces termes les questions soulevées par les demandeurs :

  • a) La SPR a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’un risque d’extorsion ne constituait pas un risque personnel dans les circonstances de la présente affaire?

  • b) La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation des problèmes de santé mentale de Gabor?

  • c) La SPR a‑t‑elle commis une erreur en décidant de ne pas appliquer le paragraphe 108(4) de la LIPR?

V.  LA NORME DE CONTRÔLE

[22]  Les conclusions tirées par la SPR au titre de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR quant à la question de savoir si un demandeur d’asile est exposé à un risque personnel ou généralisé sont des conclusions mixtes de fait et de droit. Il est bien établi qu’elles sont à ce titre soumises à la norme de la décision raisonnable (Barragan Gonzalez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 502, au paragraphe 27; Correa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 252, au paragraphe 19 [Correa]; Lozano Navarro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 768, au paragraphe 15; Garcia Vasquez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 477, aux paragraphes 13 et 14, et Innocent c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1019). La même norme s’applique aussi à la question de savoir si le paragraphe 108(4) de la LIPR entre en jeu (Velez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 290, au paragraphe 13 [Velez]).

[23]  La norme de la décision raisonnable « s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit » (Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, [2016] 2 RCS 80, au paragraphe 18). Le tribunal chargé de la révision s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et détermine si la décision appartient « […] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Ces critères sont remplis « [si les motifs] permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16). La cour siégeant en révision ne doit intervenir que lorsque ces critères ne sont pas remplis. Il ne lui revient pas de soupeser à nouveau la preuve ou de substituer à la décision l’issue qu’elle estime préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61).

VI.  ANALYSE

A.  La SPR a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’un risque d’extorsion ne constituait pas un risque personnel dans les circonstances de la présente affaire?

[24]  L’alinéa 97(1)b) de la LIPR exige entre autres que la menace à la vie ou que le risque de traitements ou peines cruels ou inusités auxquels est exposée la personne qui sollicite une protection au titre de cette disposition ne vise pas généralement d’autres individus se trouvant dans son pays de nationalité ou qui en sont originaires. Les demandeurs soutiennent que la SPR s’est fondée sur un précédent dépassé dans son évaluation de la nature du risque auquel M. Komaromi serait exposé s’il retournait en Hongrie. Ils citent des décisions plus récentes dans lesquelles la SPR a vu la Cour infirmer, dans le cadre de contrôles judiciaires, ses conclusions portant que des demandeurs d’asile ayant fui leurs pays après avoir été victimes de membres de gang qui les avaient extorqués et menacés de mort n’étaient exposés qu’à un risque généralisé. Les demandeurs invoquent tout particulièrement à cet égard la décision Correa, principalement les paragraphes 83 et 84, dans lesquels le juge Russell énonce un certain nombre de principes devant être considérés au moment de déterminer si un risque donné est personnel ou généralisé.

[25]  Je ne peux souscrire à l’observation des demandeurs. La Cour a expliqué dans de nombreuses décisions comment distinguer sur la base de principes le risque personnel du risque généralisé. Une décision souvent citée est Portillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 678 [Portillo], dans laquelle la juge Mary Gleason, qui siégeait alors à la Cour, a conclu, après avoir examiné un long courant jurisprudentiel, que l’article 97 commande la démarche ci-après. Tout d’abord, la SPR doit considérer s’il existe un risque permanent éventuel et, le cas échéant, en définir précisément la nature. La SPR doit ensuite comparer le risque auquel est exposé le demandeur d’asile à celui auquel doit faire face une partie importante de la population de son pays pour déterminer si ces risques sont similaires de par leur nature et leur gravité. Si les risques ne sont pas les mêmes, le demandeur d’asile aura droit à une protection au titre de l’article 97 : voir Portillo, aux paragraphes 40 et 41. Comme l’a expliqué par la suite la juge Gleason dans Ortega Arenas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 344, cette deuxième étape fait appel à une analyse « prospective qui ne touche pas tant à la cause du risque qu’à la probabilité de ce qui arrivera au demandeur à l’avenir, comparativement à l’ensemble ou à un segment significatif de la population en général » (au paragraphe 14). Je ferais remarquer que, dans la décision visée par la demande de contrôle judiciaire en l’espèce, le commissaire de la SPR cite Portillo et en énonce correctement les principes.

[26]  La décision Correa est compatible avec ce cadre d’analyse. De ce que je saisis de ses motifs, le juge Russell tentait de concilier deux courants jurisprudentiels de la Cour en ce qui a trait à la manière de distinguer le risque personnel du risque généralisé. Dans Correa, comme dans d’autres décisions se rapportant à l’article 97, l’erreur susceptible de contrôle tenait au fait que la SPR avait confondu les raisons pour lesquelles le demandeur avait été pris pour cible avec le risque lui-même (paragraphes 93 et 94). Si nous prenons ainsi l’exemple d’un homme d’affaires victime d’extorsion, il serait erroné de la part de la SPR de conclure à l’existence d’un risque généralisé, étant donné que les gens d’affaires sont généralement la cible d’extorsion, sans tenir compte la façon particulière dont le demandeur d’asile avait été pris pour cible et sans se demander s’il était de ce fait personnellement exposé à un risque permanent éventuel, comparativement aux autres.

[27]  En l’espèce, la SPR n’a pas commis une telle erreur. Ayant plutôt examiné la raison pour laquelle M. Komaromi avait initialement été pris pour cible, la SPR a estimé que le risque prospectif auquel il serait exposé était conjectural. Si M. Nagy et son groupe s’intéressaient encore à M. Komaromi, comme c’était le cas par le passé, il aurait alors été possible de démontrer qu’il s’agissait d’un risque personnel et non généralisé. Mais le commissaire a conclu qu’il était improbable qu’ils s’intéressent encore à lui. Comme M. Komaromi n’avait plus d’entreprise en Hongrie, il était plus probable que le contraire que M. Nagy et son groupe soient simplement passés à quelqu’un d’autre. Cela n’empêche pas qu’ils pourraient de nouveau s’intéresser à lui à son retour en Hongrie, mais cela ne se produirait vraisemblablement que s’ils jugeaient qu’il en valait la peine. Rien ne donne à penser que ce serait le cas. Dans le même ordre d’idées, le commissaire a jugé invraisemblable l’idée même que le groupe ait offert une prime sur la personne de M. Komaromi. La demande d’asile a donc échoué à la première étape de l’analyse fondée sur le cadre de l’arrêt Portillo; les demandeurs n’avaient pas établi l’existence d’un risque permanent prospectif en particulier. Compte tenu de la preuve dont disposait la SPR et des motifs fournis, les conclusions du commissaire appartiennent aux issues raisonnables. Par ailleurs, une fois que ce dernier a déterminé que M. Komaromi n’avait pas établi qu’il risquait d’être de nouveau pris pour cible en Hongrie comme il l’avait été par le passé, le seul risque auquel il était exposé concernait aussi les autres gens d’affaires dans ce pays – autrement dit, il s’agissait d’un risque généralisé et non personnel – ce qui ne saurait satisfaire aux exigences de l’alinéa 97(1)b). Le commissaire a bien compris qu’il s’agissait de deux questions distinctes et a correctement appliqué le critère.

B.  La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation des problèmes de santé mentale de Gabor?

[28]  Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a écarté l’opinion des parents de Gabor portant que ses problèmes de santé mentale étaient liés aux expériences qu’avait vécues la famille en Hongrie. Ils font valoir aussi que la SPR n’a pas fait preuve de la sensibilité requise au moment de considérer les perspectives d’avenir qui s’offriraient à Gabor s’il devait retourner en Hongrie.

[29]  Encore une fois, je ne puis souscrire à ces observations. La SPR a expliqué, par des motifs clairs et convaincants, pourquoi elle préférait la preuve produite par Gabor à celle de ses parents en ce qui concerne la cause de ses problèmes. Même s’il est vrai que l’on peut facilement se fourvoyer sur les causes des problèmes de santé mentale vécus par un individu, il n’y a aucune raison de penser que c’est ce qui s’est produit avec Gabor. L’avis des professionnels médicaux qui l’ont traité à l’hôpital concordait avec l’idée qu’il se faisait de ses problèmes. Dans de telles circonstances, il était loisible à la SPR de rejeter les opinions de M. Komaromi et de Mme Revesz à l’effet contraire, et le commissaire a expliqué pourquoi il avait tiré cette conclusion. La Cour n’a aucune raison de la modifier.

[30]  Le commissaire a reconnu que Gabor nourrissait de sincères appréhensions quant aux soins qu’il serait en mesure d’obtenir en Hongrie. Cependant, comme il l’a lui-même admis, une telle appréhension ne justifierait d’accorder une protection à Gabor que s’il risquait de se voir refuser ces soins pour des motifs de persécution. Pour le commissaire, rien n’indiquait que ce serait le cas. Il lui était loisible de tirer cette conclusion et ses motifs en expliquent le fondement. La Cour n’a aucun motif de revenir sur cette conclusion non plus.

C.  La SPR a-t-elle commis une erreur en décidant de ne pas appliquer le paragraphe 108(4) de la LIPR?

[31]  L’alinéa 108(1)e) de la LIPR prévoit que le demandeur n’a pas qualité de réfugié si « les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus ». Cependant, le paragraphe 108(4) de la LIPR prévoit que cette disposition « ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré ».

[32]  Même s’ils n’ont pas invoqué cette disposition devant la SPR, les demandeurs soutiennent que cette dernière a commis une erreur en n’envisageant pas l’application potentielle du paragraphe 108(4) de la LIPR.

[33]  La jurisprudence établit clairement que le paragraphe 108(4) ne s’applique que dans les cas où la SPR a conclu que la demande d’asile ou de protection soumise était valide, mais que les motifs qui avaient amené l’intéressé à demander l’asile avaient cessé d’exister (Velez, au paragraphe 31; Brovina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2004 CF 635, au paragraphe 5; Yamba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 457, au paragraphe 6 (CAF)). La SPR n’a pas tiré une telle conclusion en l’espèce. Elle n’a donc pas commis d’erreur en n’envisageant pas l’application du paragraphe 108(4).

VII.  CONCLUSION

[34]  Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[35]  Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale en vue de la certification. Je conviens que la présente affaire ne soulève pas de telle question.

[36]  Enfin, d’après l’intitulé initial, le défendeur est le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Même s’il est ainsi couramment désigné, le nom du défendeur au titre de la Loi demeure le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration : paragraphe 5(2) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, et paragraphe 4(1) de la LIPR. Par conséquent, l’intitulé du présent jugement est modifié de manière à ce que le défendeur désigné soit le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑522‑18

LA COUR STATUE que :

  1. L’intitulé est modifié de manière à désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme le défendeur approprié.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Aucune question grave de portée générale n’est formulée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 7e jour de décembre 2018.

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑522‑18

 

INTITULÉ :

KOMAROMI ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 17 juillet 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

le 20 novembre 2018

 

COMPARUTIONS :

Daniel M. Fine

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Manuel Mendelzon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel M. Fine

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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