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Date : 20181114


Dossier : IMM‑1886‑18

Référence : 2018 CF 1150

 [TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Toronto (Ontario), le 14 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Grammond

ENTRE :

KELVIN CHINEDU OBINEZE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Monsieur Obineze a demandé l’asile au Canada au motif qu’il a fait l’objet de persécution fondée sur la religion dans son pays natal, le Nigéria. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] a rejeté sa demande parce qu’elle a conclu qu’il pouvait échapper à la persécution s’il déménageait ailleurs au Nigéria. Il présente maintenant une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR. Je rejette sa demande parce que les conclusions de la SPR étaient raisonnables.

[2]  Le père de M. Obineze était le grand prêtre du sanctuaire Ovum, dans l’État d’Abia, dans le sud‑est du Nigéria. Après le décès de son père en janvier 2012, M. Obineze a refusé d’occuper les fonctions de grand prêtre, car elles allaient à l’encontre de ses convictions chrétiennes. Des membres de la communauté ont exercé des pressions sur M. Obineze et ont affirmé que son refus d’exercer les fonctions de grand prêtre le conduirait à la mort. M. Obineze a fui son village, est venu au Canada et a demandé l’asile.

[3]  La SPR a rejeté sa demande d’asile le 27 mars 2018. Elle a cru le récit de M. Obineze. Toutefois, elle a affirmé que M. Obineze pouvait échapper à la persécution en déménageant ailleurs au Nigéria. En droit des réfugiés, il s’agit d’une « possibilité de refuge intérieur » [PRI]. La SPR a estimé que M. Obineze pouvait déménager à Port Harcourt ou à Abuja, de grandes villes du Nigéria. Par conséquent, la SPR a conclu que M. Obineze ne répondait pas à la définition de réfugié au sens de la Convention.

[4]  La Cour examine les décisions de la SPR selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, [2016] 4 RCF 157, aux par. 30 à 35). Je dois m’assurer que la décision de la SPR se fonde sur une interprétation justifiable des principes juridiques applicables et sur une évaluation raisonnable des éléments de preuve.

[5]  En l’espèce, il n’y a aucun désaccord quant aux principes juridiques applicables. Les deux parties reconnaissent qu’il existe une PRI lorsque le demandeur d’asile ne subira probablement pas de persécution dans une certaine partie de son pays et qu’il n’est pas déraisonnable que le demandeur d’asile y trouve refuge (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) à la page 711 [Rasaratnam]; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA); Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CA) [Ranganathan]).

[6]  Afin de montrer que la décision de la SPR était déraisonnable, M. Obineze soutient en premier lieu que les résidents de son village sont en mesure de le retrouver partout au Nigéria, y compris à Port Harcourt et à Abuja. Devant la SPR, M. Obineze a affirmé que les résidents de son village disposaient de pouvoirs spirituels et avaient envoyé des messagers aux membres de la communauté qui vivent dans d’autres villes pour le retrouver. La SPR a souligné, toutefois, que le Nigéria est un pays de plus de 190 millions d’habitants et que Port Harcourt et Abuja sont de grandes villes ayant chacune une population de plus de deux millions de personnes. À mon avis, la conclusion de la SPR selon laquelle M. Obineze ne serait pas retrouvé à Port Harcourt ou à Abuja est raisonnable.

[7]  M. Obineze se fonde également sur le fait que le groupe terroriste Boko Haram a attaqué des lieux de culte, y compris des églises, à Abuja ces dernières années. Cet argument, cependant, n’a pas été présenté devant la SPR, et les motifs de la SPR n’y font pas référence. Quoi qu’il en soit, le risque de telles attaques peut seulement être considéré comme un risque général qui ne permet pas d’étayer une demande d’asile. À cet égard, il ne faut pas oublier qu’environ 40 % de la population du Nigéria est chrétienne.

[8]  De même, l’argument de M. Obineze concernant des tensions entre groupes religieux de la partie centrale du Nigéria ne semble pas avoir été soulevé devant la SPR. À ce propos, il suffit de dire que le conflit en question oppose des agriculteurs et des éleveurs de bétail. Par conséquent, il ne s’étendrait pas jusqu’à Abuja et à Port Harcourt.

[9]  Enfin, M. Obineze fait valoir qu’il serait indûment sévère de lui demander de déménager à Port Harcourt, compte tenu des [traduction« obstacles socioéconomiques et culturels » auxquels il y serait confronté. En résumé, il soutient que le coût de la vie est très élevé à Port Harcourt et qu’il est difficile pour les Nigérians qui viennent d’autres régions d’y trouver un emploi, car leurs origines ethniques seraient facilement reconnues par les résidents locaux. La SPR a admis, de façon générale, que le [traduction« déménagement serait difficile » et qu’il causerait [traduction« certaines difficultés ». Elle a conclu, toutefois, que cela ne suffisait pas à rendre le déménagement déraisonnable, ce qui fait que le deuxième volet du critère de Rasaratnam ne serait pas respecté.

[10]  Les conclusions de la SPR à cet égard étaient raisonnables. Elles tenaient compte de l’information disponible concernant les conditions au Nigéria. La SPR ne s’est pas dérobée à l’analyse des éléments de preuve relatifs aux difficultés associées à un déménagement à Port Harcourt. Cependant, il faut des arguments plus convaincants pour montrer qu’une PRI proposée est déraisonnable. Dans l’arrêt Ranganathan, le juge Gilles Létourneau de la Cour d’appel fédérale a affirmé que « la perte d’un emploi ou d’une situation, la diminution de la qualité de vie, le renoncement à des aspirations, la perte d’une personne chère et la frustration des attentes et des espoirs d’une personne » (au paragraphe 15) sont habituellement insuffisants pour respecter le critère. Les objections soulevées par M. Obineze concernant un déménagement à Port Harcourt sont de nature semblable.

[11]  Je souligne également que M. Obineze n’avance pas d’arguments semblables à propos d’Abuja. En conséquence, même si M. Obineze avait raison de dire que déménager à Port Harcourt serait indûment difficile, Abuja demeurerait tout de même une PRI appropriée.

[12]  À l’audience, l’avocat de M. Obineze a fait valoir un nouvel argument. Il a mis en doute la conclusion de la SPR selon laquelle M. Obineze, s’étant adapté à la vie au Canada au cours des six dernières années, pourrait également s’adapter à la vie à Abuja ou à Port Harcourt. Cet argument ne figure pas dans la demande de contrôle judiciaire ni dans le mémoire de M. Obineze. Comme je l’ai souligné dans Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 182, au paragraphe 6 :

[…] le mémoire joue un rôle crucial pour garantir l’équité et l’efficience du processus de la Cour. Si un demandeur avance des arguments qui n’ont pas été annoncés dans le mémoire, il devient difficile pour le défendeur de présenter des observations utiles et pour la Cour de faire une étude du dossier. La Cour peut refuser d’entendre des arguments qui ne se trouvaient pas dans le mémoire […]

[13]  En l’espèce, l’utilisation de ce nouvel argument à l’audience a privé le défendeur de toute occasion utile d’examiner le dossier, qui compte plus de 400 pages, pour y rechercher des éléments de preuve qui étayeraient une réponse. Par conséquent, je refuse d’examiner ce nouvel argument.

[14]  En conclusion, M. Obineze ne m’a pas convaincu que la SPR a rendu une décision déraisonnable. En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT DANS IMM‑1886‑18

LA COUR STATUE que :

1.  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.  Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

IMM‑1886‑18

 

INTITULÉ :

KELVIN CHINEDU OBINEZE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 NOVEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 14 NOVEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Kingsley I. Jesurobo

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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