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Date : 20181109


Dossier : T-1844-17

Référence : 2018 CF 1136

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

ATTRACTION INC.

Demanderesse

et

ETHIKA INC.

Intimée

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’un appel interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C., 1985 c T-13, (la Loi) et de l’alinéa 300d) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, contre la décision du registraire des marques de commerce (le registraire) datée du 19 septembre 2017. La décision radiait l’enregistrement au Canada de la marque de commerce « ethica & design » (ci-après appelée la marque) portant le numéro TMA 790,889, enregistrée le 15 février 2011 aux fins de son emploi en liaison avec un éventail d’articles vestimentaires.

[2]  Le 18 août 2015, le registraire a délivré à la demanderesse un avis au titre de l’article 45 de la Loi. Celui-ci enjoignait à la demanderesse de démontrer que la marque de commerce avait été employée au Canada en liaison avec chacun des produits que spécifie l’enregistrement au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date. La période pertinente pour établir l’emploi se situait entre le 18 août 2012 et le 18 août 2015.

[3]  En réponse à l’avis délivré au titre de l’article 45, la demanderesse a fourni un affidavit de son employée, Marina Roy. L’affidavit était très bref; il n’était composé que de trois paragraphes de fond et d’une pièce. Le registraire a constaté que la demanderesse n’avait produit aucune preuve de ventes ou de transferts réels des produits associés à la marque dans le cours normal du commerce durant la période pertinente, au Canada ou ailleurs. Par conséquent, le registraire a conclu que le défaut de la demanderesse de fournir la preuve de ventes ou de transferts, par exemple des factures ou des chiffres de ventes, portait un coup fatal à l’enregistrement. En conséquence, l’« emploi » au sens du paragraphe 4(1) n’a pas été établi, et le registraire a ordonné la radiation de l’enregistrement.

[4]  La demanderesse a déposé son avis d’appel le 1er décembre 2017. Je signale que ce dépôt était hors délai. Selon le paragraphe 56(1) de la Loi, l’appel peut être interjeté dans un délai de deux mois, ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l’expiration des deux mois. Or en l’espèce, il ne semble pas y avoir eu de demande de délai supplémentaire. Toutefois, avec le consentement des parties, les délais prévus pour l’instruction de l’affaire ont été suspendus pour une période de 90 jours, au moyen d’une ordonnance datée du 22 janvier 2018. Pour les besoins de l’espèce, et conformément au principe général énoncé à l’article 3 des Règles des Cours fédérales, je tiendrai pour acquis que la Cour a implicitement accordé une prorogation lorsqu’elle a décidé d’émettre l’ordonnance. Dans d’autres circonstances, le défaut d’interjeter appel dans les délais prescrits ou d’obtenir une prorogation serait fatal à l’appel.

[5]  Le 31 juillet 2018, la demanderesse a déposé son dossier de demande, y compris un autre affidavit de Marina Roy, souscrit le 17 mai 2015, et un certain nombre de pièces photographiques. Conformément aux articles 306 à 309 des Règles des Cours fédérales, ces dépôts ont été faits dans les délais autorisés par l’ordonnance de suspension.

[6]  Dans une ordonnance datée du 21 août 2018, l’intimée initiale, une firme d’avocats, a été remplacée par l’intimée actuelle, Ethika Inc., encore une fois sur consentement des parties. Dans une lettre envoyée à la Cour et datée du 20 août 2018, les avocats d’Ethika Inc. ont fait savoir que, mis à part la requête visant à changer le nom de l’intimée, ils n’avaient pas l’intention de participer à la demande.

[7]  Dans une lettre adressée à la Cour et datée du 24 septembre 2018, les avocats de la demanderesse ont pris acte de la lettre de l’intimée datée du 20 août 2018 et ont fait savoir qu’ils n’avaient pas l’intention de fournir des observations additionnelles au-delà de celles contenues dans le dossier de demande. Ils ont soutenu que la preuve supplémentaire exposée dans le dossier de demande établissait clairement que la marque avait été employée dans le cours normal du commerce de la demanderesse pendant la période allant du 18 août 2012 au 18 août 2015.

[8]  Le 10 octobre 2018, demanderesse a présenté une demande d’audience au titre de l’article 314 des Règles. Le registraire a refusé la demande, puisqu’elle ne renfermait pas suffisamment de détails sur l’endroit, la date ou la durée prévus pour l’audition de la demande. Dans une lettre datée du 11 octobre 2018, les avocats de la demanderesse ont informé la Cour que, même si le dossier était prêt à faire l’objet d’une décision, les parties n’exigeaient pas la tenue d’une audience. L’intimée n’avait pas l’intention de présenter des observations, écrites ou orales, et la demanderesse se contentait de s’appuyer sur les éléments de preuve et les observations écrites apparaissant dans son dossier de demande. La demanderesse a demandé des directives à la Cour.

[9]  À la différence des requêtes, aucune règle expresse ne permet de statuer sur une demande écrite. Toutefois, aucune règle ne l’interdit expressément non plus. Habituellement, la tenue d’une audience est nécessaire. L’audience peut se tenir en personne ou, conformément à l’article 32, par voie de conférence téléphonique ou de vidéoconférence ou par tout autre moyen de communication électronique.

[10]  Certains éléments de jurisprudence étayent la proposition selon laquelle la Cour ne devrait pas empêcher un plaideur d’avoir un accès pratique au moyen d’une demande écrite : voir Crawshaw c Canada (Procureur général), 2002 CFPI 732, 221 FTR 27 et la jurisprudence qui y est citée. Mais ces affaires portaient sur les circonstances exceptionnelles de demandes présentées par des détenus qui, entre autres considérations, pourraient ne pas avoir les moyens de payer les honoraires d’un avocat ou les frais liés aux mesures de sécurité nécessaires pour pouvoir comparaître devant un tribunal. Aujourd’hui, en pareils cas, des mesures d’adaptation seraient normalement prises en vertu de l’article 32 des Règles.

[11]  En l’espèce, la Cour est consciente du fait que la mise au rôle d’une audience qui n’a pas été demandée par les parties leur occasionnerait des frais supplémentaires. La Cour note aussi que la décision visée par l’appel concerne une question bien précise : l’absence de preuve de ventes durant la période pertinente. La demanderesse a maintenant présenté des éléments de preuve attestant des ventes, et l’intimée a choisi de ne pas présenter d’observations pour les contester ou pour demander la tenue d’une audience. Dans ces circonstances spéciales, la Cour juge approprié de trancher la question sur la foi du dossier de demande, et sans la tenue d’une audience. Si ce point avait été contesté, une audience aurait été nécessaire.

[12]  Lors d’un appel interjeté contre la décision du registraire, le paragraphe 56(5) de la Loi prévoit que le tribunal peut tenir compte d’une preuve apportée en plus de celle qui n’a pas été fournie au registraire et qu’il peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi. La Cour peut ainsi substituer sa propre opinion à celle du registraire sans qu’il soit nécessaire de trouver une erreur dans le raisonnement de celui-ci : Molson Breweries c John Labatt Ltée., [2000] 3 CF 145 (CA), au paragraphe 51, 180 FTR 99; Vêtements corporatifs Multi-Formes Inc c Riches, McKenzie & Herbert LLP, 2008 CF 1237, aux paragraphes 12 à 16, 73 CPR (4th) 3 [Vêtements Multi-Formes].

[13]  Comme il est mentionné aux paragraphes 20 à 22 de l’affaire Vêtements Multi-Formes précitée, le critère que le propriétaire inscrit doit remplir selon l’article 45 n’est pas contraignant. Le but de la procédure prévue à cet article est de débarrasser le registre du « bois mort ». Il n’est pas nécessaire de faire une preuve surabondante d’usage ou d’utilisation de la marque. Ainsi, même la preuve d’une seule vente effectuée dans le cours normal du commerce serait jugée suffisante, à condition qu’elle soit considérée comme une véritable transaction commerciale et qu’elle ne soit pas perçue comme ayant été conçue délibérément pour protéger l’enregistrement de la marque de commerce.

[14]  En l’espèce, le registraire n’a pas commis d’erreur en concluant que la demanderesse avait omis de fournir une preuve de l’emploi. Cependant, cette lacune a été comblée par les nouveaux éléments de preuve présentés dans l’affidavit du 17 mai 2018 de Mme Roy. Il n’est pas nécessaire d’examiner les autres conclusions du registraire, vu qu’elles n’ont pas été déterminantes dans l’affaire.

[15]  L’affidavit de Mme Roy daté 17 mai 2018 contient 71 paragraphes décrivant la connaissance qu’a Mme Roy des activités de ventes de son employeur, compte tenu de ses 24 années d’emploi et de ses 16 années de travail à titre de coordonnatrice des ventes. Dans cet affidavit, elle décrit comment les produits fabriqués par son employeur ont été vendus au Canada, et comment la marque a été utilisée dans les catalogues de son employeur durant la période pertinente. Les pièces jointes sont les suivantes : des photographies de catalogues où la marque apparaît, la vidéo d’une émission de télévision concernant l’entreprise, des photographies des étiquettes de vêtements arborant la marque, et des factures et des rapports de ventes concernant les produits et arborant également la marque.

[16]  J’admets que ces éléments de preuve font état de l’utilisation de la marque durant la période pertinente en ce qui concerne les t-shirts, les chemises polo, les chandails à manches longues, les chandails à capuche, les chandails, les chapeaux, les tuques, les mitaines, les foulards, les couvertures et les robes. Ces produits sont vendus comme articles promotionnels et comme souvenirs à des grossistes et à des détaillants, qui peuvent leur ajouter leur propre marque avant de les vendre aux consommateurs. Mais cela n’enlève rien au fait que les produits étaient vendus sous la marque de commerce de la demanderesse durant la période pertinente. Au cours de cette période, il est clair qu’il ne s’agissait pas de « bois mort ».

[17]  Par conséquent, il sera fait droit à l’appel.

[18]  La demanderesse a sollicité les dépens. La Cour est d’avis que le présent appel n'aurait pas été nécessaire si la demanderesse avait fourni au registraire des éléments de preuve suffisants en réponse à l’avis délivré au titre de l’article 45. Dans ces circonstances, la Cour exercera son pouvoir discrétionnaire de refuser l’adjudication de dépens à la partie ayant obtenu gain de cause.


ORDONNANCE DANS T-1844-17

LA COUR ORDONNE :

  1. qu’il soit fait droit à l’appel;

  2. que la décision du registraire, datée du 19 septembre 2017, de radier la marque de commerce canadienne portant le numéro d’enregistrement TMA 790,889 soit annulée;

  3. que l’enregistrement de la marque de commerce « ethica & design » en liaison avec des vêtements pour les bébés, les enfants, les préadolescents, les hommes et les femmes, notamment les t-shirts, les chemises polo, les chandails à manches longues, les chandails à capuche, les chandails, les chapeaux, les tuques, les mitaines, les foulards, les couvertures et les robes pour les marchés de la villégiature, des souvenirs, des affaires et des promotions soit maintenu;

  4. que les parties assument leurs propres dépens.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de novembre 2018.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER

T-1844-17

INTITULÉ DE LA CAUSE

ATTRACTION INC. c ETHIKA INC.

REQUÊTE EXAMINÉE SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO)

ORDONNANCE ET MOTIFS

le juge MOSLEY

DATE :

le 9 novembre 2018

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Therrien Couture

S.E.N.C.R.L./ LLP

Sherbrooke (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

Gervas W. Wall

Deeth Williams Wall LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

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