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Date : 20181107


Dossier : IMM‑4969‑18

Référence : 2018 CF 1116

[TRADUCTION FRANÇAISE, RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 7 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

JW ALIAS JH

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision très détaillée de 43 pages dans laquelle une commissaire de la Section de l’immigration [SI] énonce les motifs de mise en liberté du défendeur.

[2]  Le ministre s’oppose à la mise en liberté du défendeur parce que le défendeur présente un risque de fuite. Il soutient qu’il y a lieu d’infirmer la décision, car la commissaire n’a pas fourni de motifs clairs et convaincants pour s’écarter des décisions antérieures de la SI.

[3]  La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Pour être raisonnable, il faut que la décision soit conforme à la norme énoncée dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47 :

Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

(Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9)

[4]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision faisant l’objet du présent contrôle satisfait à la norme énoncée dans l’arrêt Dunsmuir. Plus particulièrement, elle se justifie au regard des faits et du droit.

[5]  Pour ce qui est du droit, dans l’arrêt Thanabalasingham, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’un commissaire de la SI est tenu de fournir des motifs clairs et convaincants pour aller à l’encontre d’une décision antérieure de cette section :

Les décisions rendues à l’égard du contrôle des motifs de la détention sont des décisions fondées essentiellement sur les faits pour lesquelles il est habituellement fait preuve de retenue. Bien que, comme il a été précédemment mentionné, un commissaire ne soit pas lié par les décisions antérieures, je partage l’opinion du ministre selon laquelle il faut, dans les cas où un commissaire décide d’aller à l’encontre des décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne, que des motifs clairs et convaincants soient énoncés. Il existe des raisons valables pour exiger de tels motifs clairs et convaincants.

La crédibilité de la personne en cause et celle des témoins sont souvent des questions en litige. Dans les cas où un décideur antérieur a eu la possibilité d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et d’évaluer leur crédibilité, il est nécessaire que le décideur subséquent explique clairement les raisons pour lesquelles l’évaluation de la preuve faite par le décideur antérieur ne justifie pas le maintien de la détention. Par exemple, l’admission de nouveaux éléments de preuve pertinents constituerait un fondement valable pour aller à l’encontre d’une décision antérieure ordonnant la détention. Subsidiairement, une nouvelle évaluation des éléments de preuve antérieurs fondée sur de nouvelles prétentions peut également être suffisante pour aller à l’encontre d’une décision antérieure.

La meilleure façon pour le commissaire de fournir des motifs clairs et convaincants serait d’expliquer précisément ce qui a entraîné la nouvelle conclusion, c’est‑à‑dire expliquer ce que la décision antérieure énonçait et les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion contraire.

Cependant, même si le commissaire n’énonce pas explicitement les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion différente de celle tirée par le commissaire antérieur, il peut le faire de façon implicite dans ses motifs de la décision subséquente. Ce qui serait inacceptable serait une décision rendue hâtivement sans qu’il soit fait mention d’une manière significative des motifs antérieurs de la détention.

(Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2004 CAF 4, aux paragraphes 10 à 13)

[6]  Le défendeur a présenté deux autres décisions dans lesquelles la Cour fédérale analyse la norme à laquelle il est nécessaire de satisfaire pour qu’un commissaire de la SI puisse conclure qu’il existe une « solution de rechange à la détention » appropriée :

Canada (Sécurité publique et protection civile) c Ali, 2018 CF 552, au paragraphe 47 :

Une fois que le ministre a établi une preuve prima facie selon laquelle une personne constitue un danger pour le public ou présente un risque de fuite, il incombe à la personne de démontrer pourquoi sa mise en liberté est justifiée : John Doe précité, au paragraphe 4. Ce principe vaut également pour les conditions de mise en liberté. Autrement dit, dans de telles circonstances, il incombe à la personne de démontrer que ses conditions de mise en liberté sont suffisamment solides pour garantir que le grand public ne sera pas exposé à un risque important de préjudice, et offrir un certain degré de certitude que la personne se présentera pour son renvoi du Canada, le cas échéant.

Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Berisha, 2012 CF 1100, au paragraphe 85 :

La Cour est d’accord avec le commissaire : il n’est pas possible d’examiner la solution de rechange à la détention et de s’attendre à la perfection. Cependant, une solution de rechange raisonnable doit être examinée en ayant à l’avant‑plan les circonstances précises de l’intéressé et, selon la prépondérance des probabilités, il doit s’agir d’une solution de rechange faisant en sorte que la personne se présentera vraisemblablement pour son renvoi. Dans le contexte de la décision visée en l’espèce, le simple examen de la technologie de la surveillance électronique ne suffit pas. S’impose également un examen sérieux de la vraisemblance qu’une personne détenue et reconnue comme présentant un important risque de fuite sera motivée par la surveillance électronique à respecter les conditions et à ne pas court‑circuiter cette technologie et s’enfuir.

[7]  Pour ce qui est des faits, la crédibilité des éléments de preuve étayant les faits que la commissaire a constatés ne suscite aucun litige.

[8]  La commissaire a indiqué clairement pourquoi elle s’écartait des décisions antérieures de la SI, dont les siennes. Pour ce qui est du plan de surveillance électronique proposé, elle indique :

[traduction]

Donc, en résumé, je suis d’avis qu’en raison de la technologie contenue dans les deux bracelets inamovibles que vous porteriez, il serait peu probable que vous réussissiez à retirer les deux avant que Hilton Security, une caution, la GRC ou l’ASFC se rendent à l’endroit où vous vous trouveriez. Je conclus qu’en raison de la technologie des bracelets, qui fait en sorte qu’il est très difficile de les couper pour les retirer, des sirènes et d’un plan d’intervention qui ferait appel à plusieurs parties, l’ASFC, la police, le service de sécurité et des cautions qui interviendraient en cas de violation, tous ces éléments combinés font qu’il est peu probable que vous enfreigniez la condition qui vous oblige à rester présent en tout temps à l’intérieur de votre domicile.

Je crois donc, là encore, qu’il est important de réitérer que la surveillance électronique n’est pas – n’est pas juste une condition ou un plan de mise en liberté isolé, mais qu’il s’agit d’un mécanisme qui aidera à faire en sorte que vous vous conformiez à des conditions qui garantiront que vous serez à la disposition de l’ASFC pendant la durée des procédures en matière d’immigration qui vous concernent.

Je crois qu’il est pertinent aussi de signaler qu’il y a – qu’il y a déjà eu une proposition de surveillance électronique antérieure dans la procédure de contrôle de la détention vous concernant. Elle a été mentionnée la première fois le 5 mars 2018 et, ensuite, on m’a donné plus de détails lors de votre audience tenue en juin 2018. J’ai rejeté la proposition de surveillance électronique à ce moment‑là, parce que la technologie proposée par vous ou par l’entreprise proposée, Tratek, T‑r‑a‑t‑e‑k, était un bracelet en caoutchouc plus rudimentaire qui, a‑t‑il été déterminé, était plus facile à retirer que le dispositif technologique que l’on propose maintenant d’utiliser. De plus, le représentant du ministre qui était présent à l’audience tenue en juin 2018 avait déclaré en réplique que l’ASFC n’avait pas d’agents en fonction entre minuit et 8 h qui auraient pu intervenir en cas de violation. Et j’avais indiqué à ce moment dans ma décision que si l’on disposait d’une technologie différente, l’option de la surveillance électronique pourrait être reconsidérée. J’avais également suggéré qu’il fallait qu’un représentant de l’ASFC témoigne au sujet des niveaux de dotation de l’Agence ainsi que de la capacité d’intervention en cas de violation. Cela a été fait depuis ce temps. Les renseignements dont je dispose maintenant sont donc nettement différents de ceux qui m’ont été soumis en juin et cela m’amène à tirer une conclusion différente sur l’efficacité probable de la surveillance électronique.

(Décision, aux pages 20 et 21)

[9]  La commissaire a également indiqué clairement pour quels motifs elle acceptait une caution que la SI avait auparavant rejetée. Comme elle l’a indiqué :

[traduction]

Son rôle ne consisterait donc pas maintenant à exercer sur vous une pression morale, mais à agir de pair avec le système de surveillance électronique pour éviter que vous violiez les conditions imposées. [...] Vous saurez que si vous essayez de retirer les bracelets en les coupant ou si vous sortez de la zone géographique approuvée, alors M. Sikorski, Hilton Security, la police ou l’ASFC interviendront. M. Sikorski fait partie du plan général qui vous oblige à rester dans votre lieu de résidence, là où l’ASFC peut entrer en contact avec vous pendant que vos procédures en matière d’immigration sont en cours.

(Décision, p. 22)

[10]  Je conclus que les motifs de décision de la commissaire satisfont au critère énoncé dans l’arrêt Dunsmuir pour ce qui est de la détermination du caractère raisonnable, car la décision est transparente et intelligible et elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La commissaire a appliqué correctement le droit susmentionné pour rendre la décision de mettre en liberté le défendeur, et les motifs qu’elle a énoncés pour ordonner sa mise en liberté sont clairs et convaincants.

[11]  Il y a donc lieu de rejeter la présente demande.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

Il n’y a pas de question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑4969‑18

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c JW ALIAS JH

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 NOVEMBRE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :

LE 7 NOVEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Helen Park

POUR LE DEMANDEUR

Lorne Waldman

Joanna Berry

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Waldman and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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