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Dossier : IMM‑4505‑17

Référence : 2018 CF 1124

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

GUANGQUAN WANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, Guangquan Wang, est un citoyen de la Chine. M. Wang a déclaré dans son témoignage qu’il vivait avec sa famille dans une maison appartenant à son père dans le village de Dongxia, dans la ville de Qingzhou, en Chine. La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, à l’encontre d’une décision rendue le 29 septembre 2017 par la Section d’appel des réfugiés (la SAR), qui confirmait la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) par laquelle cette dernière rejetait la demande d’asile du demandeur. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II.  Contexte

[2]  Dans son témoignage, le demandeur a déclaré qu’en avril 2016, le comité du village de Dongxia a annoncé son intention d’exproprier la maison de son père et les terres avoisinantes en vue d’y construire une ferme d’élevage de renards. Le gouvernement local a offert une indemnité d’expropriation, mais celle‑ci était bien en deçà de la valeur marchande.

[3]  Le demandeur s’est chargé de mobiliser les 28 ménages touchés par l’expropriation des terres. Avec l’aide d’un autre villageois, Hongtao Wang, il a rédigé une lettre de pétition sur laquelle tous les propriétaires ont apposé leur signature et leur empreinte digitale. Ils ont présenté la pétition au chef du village, qui l’a transmise au gouvernement local.

[4]  Le 27 juillet 2016, le chef du village a convoqué une réunion et a annoncé que l’indemnité offerte initialement serait maintenue. En réponse, le demandeur a suggéré que les familles touchées contestent la décision auprès du bureau du gouvernement local. Avec l’aide de Hongtao Wang, le demandeur a rédigé une pétition contestant la minime indemnité offerte.

[5]  Le 10 août 2016, le demandeur prétend que les propriétaires ont protesté devant l’immeuble du gouvernement local. Lors de la manifestation, un fonctionnaire du bureau du maire a accepté leur pétition et a demandé les numéros de téléphone de Hongtao Wang et du demandeur. Le 22 août 2016, le fonctionnaire les a appelés et a réaffirmé que la décision concernant l’indemnité offerte était définitive.

[6]  Le 30 août 2016, Hongtao Wang et le demandeur ont organisé une manifestation à l’hôtel de ville de Qingzhou, à laquelle ont participé une cinquantaine de villageois. Cette fois‑ci, les autorités ont refusé d’accepter leur pétition, et les agents de sécurité ont chassé les manifestants à coups de matraque. Le demandeur a déclaré qu’il a été frappé au bras et que Hongtao Wang a reçu un coup à la tête. Les organisateurs ont ensuite élaboré un plan pour faire entendre leurs protestations devant le gouvernement provincial le 9 septembre 2016.

[7]  Entre‑temps, le demandeur a déclaré que Hongtao Wang a pris des photographies de ses blessures et les a publiées en ligne. Peu de temps après, Hongtao Wang a été arrêté par le Bureau de la sécurité publique (le « BSP ») et a été accusé d’incitation et d’atteinte à la stabilité sociale et au développement économique.

[8]  Après l’arrestation de Hongtao Wang, le demandeur a déclaré s’être caché, puis avoir communiqué avec un passeur de clandestins afin de prendre des dispositions pour quitter la Chine.

[9]  Après avoir quitté la Chine, le demandeur affirme que les agents du BSP ont interrogé sa famille afin de savoir où il se trouve et ont clairement manifesté leur intention de l’arrêter. De façon plus précise, le BSP a rendu visite à sa famille à trois reprises depuis son départ (le 30 décembre 2016, le 19 janvier 2017 et le 10 mars 2017).

[10]  Le demandeur affirme que son épouse lui a dit que, le 20 décembre 2016, des agents du BSP ont visité leur maison et ont indiqué qu’ils souhaitaient savoir où était le demandeur puisqu’ils voulaient l’arrêter. Il affirme que, selon son épouse, les agents du BSP ont déclaré que le demandeur devait se présenter devant le BSP de la ville de Qingzhou et l’ont accusé d’avoir organisé la résistance au gouvernement, compromis la stabilité sociale et perturbé le développement économique.

[11]  Le demandeur prétend également qu’en février 2017, son père s’est rendu au bureau du gouvernement local de Dongxia pour demander à être indemnisé pour l’expropriation. Cette dernière devait avoir lieu en avril 2017, après quoi la famille du demandeur n’aurait plus de maison. Le gouvernement a répondu que son père ne serait indemnisé qu’une fois que le demandeur se serait présenté au BSP de la ville de Qingzhou.

A.  La décision de la Section de la protection des réfugiés

[12]  Dans sa décision relativement brève datée du 18 avril 2017, la SPR a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[13]  La SPR a accepté le fait que le demandeur d’asile se soit identifié en tant que citoyen de la Chine, mais a conclu que son manque de crédibilité était déterminant.

[14]  La SPR a tiré plusieurs conclusions défavorables concernant la crédibilité, notamment les suivantes :

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[15]  Dans une décision datée du 29 septembre 2017, la SAR a confirmé la décision de la SPR et a rejeté l’appel. Pour en arriver à sa décision, la SAR a examiné le dossier et a apprécié la preuve et les conclusions de la SPR. La SAR était en désaccord avec certaines conclusions de la SPR et en approuvait certaines autres.

A.  Les souvenirs de la visite du Bureau de la sécurité publique

[16]  Il y a eu confirmation de la conclusion de la SPR selon laquelle il est absurde que le demandeur ne se souvienne pas de ce que les agents ont dit à sa famille, lorsqu’ils se sont rendus au domicile de cette dernière, le 30 décembre 2016. Selon la SAR, cette conclusion était cruciale, puisqu’elle touche au cœur même de l’affirmation du demandeur selon laquelle son épouse lui a dit que le BSP l’avait accusé d’avoir [traduction« organisé la résistance au gouvernement, compromis la stabilité sociale et perturbé le développement économique » et qu’il avait l’intention de l’arrêter.

[17]  Dans le cadre de l’audience, le demandeur a été invité à six reprises à expliquer ce qui s’était passé lors de la visite du BSP au domicile de sa famille, le 30 décembre 2016, détails qu’il a communiqués dans une version mise à jour de l’exposé circonstancié du formulaire FDA seulement une semaine avant l’audience. Bien que la question lui ait été posée six fois, le demandeur ne s’est, à aucun moment, rappelé le fait que le BSP l’avait accusé d’avoir organisé la résistance au gouvernement. Compte tenu de la nature de la demande d’asile présentée par le demandeur, la SAR a conclu que les éléments de preuve présentés à l’appui de cet événement étaient déterminants en vue d’établir sa crainte d’être persécuté à son retour en Chine.

B.  La lettre de l’épouse du demandeur

[18]  La SAR a convenu que l’explication donnée par le demandeur pour justifier le fait qu’il n’avait pas reçu de lettre de son épouse attestant ses allégations n’était pas raisonnable. La SAR a conclu que, bien que la crainte du demandeur d’être arrêté par le BSP fut [traduction« au cœur de sa demande d’asile », la preuve présentée à l’appui de cette menace était [traduction« une preuve dérivée et anecdotique ». La SAR a fait observer qu’en l’absence d’éléments de preuve documentaire, l’article 11 des Règles de la SPR précise que le demandeur d’asile doit expliquer pourquoi il n’a pas de documents à fournir et quelles mesures il a prises pour tenter de se procurer ces documents. La SAR n’a pas accepté l’explication du demandeur selon laquelle il ne voulait pas causer d’ennuis à son épouse, en estimant qu’il aurait pu lui demander de se servir d’intermédiaires pour lui envoyer la lettre ou demander à d’autres membres de sa famille, comme à son père, de lui en transmettre une. La SAR a conclu qu’il était illogique que la famille du demandeur n’ait eu aucune difficulté à envoyer des pétitions par la poste sur lesquelles figuraient des noms et des empreintes digitales, mais qu’elle ait été incapable de lui envoyer des lettres personnelles attestant les faits allégués, tels qu’ils ont été décrits par le demandeur.

C.  L’absence de documents à l’appui

[19]  La SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle avait conclu que les explications du demandeur quant à l’absence de documents à l’appui démontrant l’intérêt que lui portait le BSP n’étaient pas valables.

[20]  La SAR était d’accord avec la SPR sur le fait que l’absence d’un mandat ou d’une sommation était un facteur à considérer au moment d’établir si le demandeur était poursuivi par les autorités chinoises et que l’absence de tels documents portait atteinte à la crédibilité du demandeur. La SAR a reconnu que la délivrance d’une sommation n’est pas obligatoire en Chine ou qu’elle n’y est pas exécutée de façon uniforme à l’échelle du pays, mais elle a indiqué que, compte tenu des faits particuliers de l’espèce, il était « fort probable qu’une sommation ou un mandat aurait été délivré », étant donné l’intérêt soutenu que manifestait le BSP à l’égard du demandeur. Par conséquent, la SAR a conclu que l’absence d’une sommation portait atteinte à la crédibilité du demandeur.

[21]  La SAR a constaté des incohérences dans le certificat de propriété et lui a donc accordé peu de poids. En outre, la SAR a conclu que les autres éléments de preuve documentaire n’étayaient pas l’allégation du demandeur selon laquelle il est recherché par les autorités chinoises.

D.  Le désaccord de la SAR avec le tribunal de la SPR

[22]  La SAR n’était pas d’accord avec deux des conclusions défavorables rendues par la SPR quant à la crédibilité.

[23]  Premièrement, la SAR a conclu que l’explication du demandeur selon laquelle ses problèmes avaient commencé en septembre plutôt que lorsqu’il a été battu, le 30 août 2016, était raisonnable. Sur ce point, la SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[24]  Deuxièmement, la SAR a estimé que la conclusion de la SPR selon laquelle le père du demandeur n’aurait pas demandé une indemnisation au gouvernement, en février 2017, était erronée, puisqu’il s’agissait là d’une conclusion quant à la vraisemblance et qu’une telle conclusion ne devrait être tirée que dans les cas les plus manifestes. La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur sur ce point.

E.  La conclusion de la SAR

[25]  La SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle avait jugé que le demandeur n’avait pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, le principal aspect de sa demande d’asile, à savoir qu’il est recherché par le BSP du fait qu’il était une tête dirigeante dans les protestations formulées contre l’expropriation et les indemnisations insuffisantes offertes pour la propriété de son père et celle des autres villageois. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour prouver qu’il était recherché par les autorités chinoises et qu’il n’avait pas donné d’explications valables pour justifier l’absence de tels éléments de preuve.

IV.  Les questions en litige

[26]  En se fondant sur les observations et les arguments avancés par les avocates, la Cour est invitée à se pencher sur les questions suivantes :

V.  Arguments et analyse

A.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[27]  Lors de l’examen d’une décision rendue par la SAR, la norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions de fait, ainsi qu’aux conclusions mixtes de fait et de droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47, 53, 55, 62; Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93, au paragraphe 35).

B.  La Section d’appel des réfugiés a‑t‑elle omis de fournir des motifs suffisants?

(1)  Les arguments du demandeur

[28]  Le demandeur soutient que la décision de la SAR ne tient pas compte de la façon dont les deux erreurs commises par la SPR quant à la crédibilité ont affecté l’analyse de la SAR. Selon lui, si la SPR n’avait pas commis ces deux erreurs, elle aurait peut‑être tiré une conclusion différente. Il affirme qu’en l’absence d’une telle analyse, [traduction« M. Wang est en droit de se demander comment la décision rendue à l’égard de sa demande d’asile pourrait être confirmée, alors que la Commission a manifestement commis deux erreurs dans son raisonnement ».

(2)  Arguments du défendeur

[29]  Le défendeur soutient que l’insuffisance des motifs ne permet pas, à elle seule, de casser une décision, en renvoyant à l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14, 16 et 18. Le défendeur affirme que le raisonnement suivi par le décideur a été exposé et qu’il reflète le fait que la SAR a tenu compte des facteurs pertinents (VIA Rail Canada Inc c Office national des transports (CA), [2001] 2 CF 25, aux paragraphes 21­22).

[30]  En outre, la SAR a examiné la décision de la SPR, a constaté deux erreurs et a analysé de façon indépendante les autres conclusions de la SPR, auxquelles elle a souscrit, avant de rejeter l’appel. Le défendeur soutient que lorsque la SAR constate l’existence d’une erreur dans une décision de la SPR, cela ne signifie pas que l’affaire doit être renvoyée à la SPR pour que cette dernière rende une nouvelle décision.

[31]  Le défendeur formule également le commentaire selon lequel le demandeur conteste essentiellement l’importance accordée au témoignage et à la preuve présentés par M. Wang et que ces éléments ne justifient pas un contrôle judiciaire (He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 525; Brar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (CAF) 1986 ACF no 346).

(3)  Analyse

[32]  La Cour juge non convaincant l’argument du demandeur selon lequel la décision de la SAR n’explique pas convenablement comment les erreurs commises par la SPR en matière de crédibilité ont influé sur sa décision définitive. Après avoir examiné chacune des conclusions individuelles en l’espèce, la SAR a conclu qu’elle était d’accord avec la principale conclusion de la SPR : M. Wang n’a pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est recherché par le BSP, du fait qu’il était une tête dirigeante dans les protestations formulées contre l’expropriation et les indemnisations insuffisantes offertes pour la propriété de son père et celle des autres villageois.

[33]  La SAR a conclu que la SPR avait tiré deux conclusions déraisonnables concernant la crédibilité; toutefois, ces erreurs ne faisaient pas disparaître le principal problème qui figurait dans la demande de M. Wang, à savoir qu’il n’a fourni aucune preuve provenant des membres de sa famille, malgré le fait que son récit quant à sa persécution par le BSP s’appuyait exclusivement sur les dires de ces derniers, qui affirmaient que les autorités le cherchaient. De plus, un écart important a été observé sur ce point entre son exposé circonstancié écrit et son témoignage de vive voix.

C.  Les conclusions de la SAR concernant le manque d’éléments de preuve à l’appui étaient‑elles raisonnables?

(1)  Les arguments du demandeur

[34]  Le demandeur soutient qu’en confirmant la conclusion concernant la crédibilité tirée par la Commission, la SAR était tenue d’indiquer pourquoi l’explication compréhensible et très raisonnable fournie par M. Wang quant aux raisons pour lesquelles il n’a pas obtenu de lettre de son épouse a été rejetée.

[35]  Le demandeur affirme également qu’il était erroné de la part de la SAR de conclure que l’absence d’une sommation du BSP le rendait non crédible. Le demandeur soutient qu’il s’agissait là d’une autre conclusion quant à la vraisemblance et donc d’une erreur.

(2)  Arguments du défendeur

[36]  Le défendeur affirme que le demandeur n’a relevé aucune erreur susceptible de révision dans la décision de la SAR. Il soutient que la SAR a conclu, à juste titre, que l’absence d’éléments de preuve à l’appui provenant de l’épouse ou d’un autre membre de la famille du demandeur, de même que d’une sommation ou de tout document démontrant que le demandeur est poursuivi par le BSP, constitue une omission importante.

[37]  Le défendeur soutient qu’il était loisible à la SAR de tirer une conclusion défavorable de ce fait, en particulier dans la mesure où le demandeur était clairement conscient qu’il devait produire des documents, compte tenu des autres types de documents qu’il a présentés (voir Dunda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1026, aux paragraphes 19 et 22; Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12, au paragraphe 10 [Amarapala]; Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 681, au paragraphe 8). Je constate que, dans la décision Amarapala, la Cour a déclaré ce qui suit :

[10]  Il est bien établi qu’un tribunal ne peut tirer de conclusions négatives du seul fait qu’un demandeur d’asile n’a pas transmis de documents extrinsèques pour corroborer sa demande. Cependant, lorsqu’un tribunal a des motifs valables de douter de la crédibilité d’un demandeur, le fait que celui‑ci n’ait pas transmis de documents corroborants est un facteur dont il peut à bon droit tenir compte s’il n’accepte pas l’explication du demandeur quant à la raison pour laquelle il n’a pas transmis ces documents. Voir Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. 755, paragraphe 9, le juge O’Reilly.

[38]  Le défendeur affirme que les conclusions de la SAR concernant la sommation étaient également raisonnables (Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1362, au paragraphe 52; He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 362, au paragraphe 23). Le défendeur soutient qu’au paragraphe 56 de la décision Liu, la Cour a conclu qu’il « n’était […] guère sensé que le BSP consacre autant de temps à des visites répétées à la maison du demandeur, simplement parce que celui‑ci avait crié contre un fonctionnaire municipal en public, plutôt que de simplement remettre à sa famille une “certaine forme de citation à comparaître” ».

(3)  Analyse

[39]  La Cour a adressé une mise en garde aux décideurs, leur déconseillant de tirer « des conclusions défavorables quant à la crédibilité sur la base d’hypothèses quant aux réactions probables des autorités chinoises, ou d’une présomption d’uniformité des pratiques en matière d’application de la loi » (Xu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 924, au paragraphe 14, citant Weng c Canada (MCI) (25 octobre 2012), Ottawa IMM­1536­12 (CF), au paragraphe 6).

[40]  Plus récemment, la Cour a conclu que le fait que la SPR n’avait pas tenu compte des renseignements sur le pays en examinant la probabilité que le BSP délivre une sommation en Chine constituait une erreur susceptible de révision [Zhang c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 444, au paragraphe 16] (Zhang) :

[16] La SPR a encore une fois écarté la preuve relative à la situation du pays lorsqu’elle a examiné cette question. La preuve indiquait qu’une sommation « peut » être laissée et le demandeur a témoigné qu’elle avait été montrée, mais pas laissée à sa mère. Cependant, la SPR a conclu qu’une sommation « aurait » été laissée étant donné le haut niveau d’intérêt du BSP envers le demandeur. Il s’agit d’une hypothèse qui n’est pas justifiée par la documentation relative à la situation du pays. Elle était donc déraisonnable.

[Souligné dans l’original.]

[41]  En l’espèce, la commissaire de la SAR a examiné la preuve documentaire concernant les citations à comparaître et les arrestations en Chine, en mettant l’accent sur l’article 81 du code de procédure pénale et le règlement de 2012 du ministère de la Sécurité publique (MSP) chinois concernant le traitement des cas de nature administrative par les responsables de la sécurité publique (le règlement du MSP). Comme dans la décision Zhang, l’article 81 prévoit qu’un membre « peut » recevoir les sommations, les avis et autres documents judiciaires si la personne visée est absente. En outre, selon le règlement du MSP, lorsqu’une personne doit faire l’objet d’une enquête, elle « peut » se voir signifier une sommation.

[42]  Après avoir examiné la preuve concernant la situation dans ce pays, la commissaire de la SAR a fait observer que la preuve documentaire montre que la délivrance d’une sommation n’est pas obligatoire ni appliquée de façon uniforme dans tout le pays, mais que, selon le demandeur, le BSP a tenté à plusieurs reprises de le retrouver. La SAR a conclu que même si la politique relative aux citations à comparaître « n’est pas toujours mise en œuvre, il est fort probable qu’une sommation ou un mandat aurait été délivré à l’égard de l’appelant compte tenu des efforts soutenus du PSB pour le retrouver, ce qui aurait démontré que le PSB s’intéressait sérieusement à l’appelant ». La commissaire de la SAR a ensuite déclaré que, dans ce contexte, l’absence d’une sommation ou d’un mandat d’arrestation, alors qu’un tel document « aurait normalement dû être délivré », porte atteinte à la crédibilité du demandeur.

[43]  Cette conclusion est conforme à la décision rendue par la Cour dans Zhang, qui a affirmé qu’à la lumière de la preuve sur la situation dans le pays, la conclusion de la SAR était conjecturale et n’était pas étayée par les conditions qui prévalent là‑bas. Lorsque la preuve démontre qu’une sommation « peut » être délivrée, il n’est pas raisonnable de conclure que le défaut de présenter une sommation est si improbable au point d’en entacher la crédibilité du demandeur.

[44]  Par conséquent, la Cour conclut que la décision de la SAR sur ce point était déraisonnable.

VI.  Conclusion

[45]  Pour les motifs exposés précédemment, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

[46]  Le demandeur a cherché à faire certifier une question d’importance générale concernant l’obligation de la SAR d’expliquer l’incidence des erreurs commises par la SPR sur la décision de la SAR et la raison pour laquelle une décision peut être maintenue en dépit de celles‑ci. Le demandeur laisse entendre que la Cour se doit de fournir une orientation à cet égard.

[47]  Le défendeur s’oppose à la certification de la question, au motif que celle‑ci ne répond pas au critère applicable à cet égard.

[48]  À la lumière de l’argument avancé par le défendeur, je suis convaincu que la question proposée ne répond pas aux exigences à satisfaire aux fins de certification. Aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT dans IMM‑4505‑17

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question de portée générale n’est certifiée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de novembre 2018.

Maxime Deslippes, traducteur



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