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Date : 20181030

Dossier : T-431-18

Référence : 2018 CF 1089

Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2018

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

PROPRIO DIRECT INC.

demanderesse

et

VENDIRECT INC.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La demanderesse Proprio Direct Inc. [Proprio] présente cette requête conformément aux règles 369, 75, 76 et 200 des Règles des Cours fédérales [les Règles] en vue d'obtenir une ordonnance modifiant sa déclaration peu après la clôture des procédures pour ajouter une nouvelle cause d’action en matière de droit d'auteur à celle de la cause d’action de la marque de commerce invoquée à l’origine.

[2]  La défenderesse Vendirect inc. [Vendirect] maintient que les modifications demandées par Proprio représentent une cause d’action nouvelle et différente de la demande initiale, lesquelles modifications se basent sur des faits tout aussi différents, ce qui, selon la défenderesse est interdit en vertu de la règle 201.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la Cour autorise les modifications demandées vu que la Règle 201 ne s’applique pas à une modification ajoutant une nouvelle cause d'action à une déclaration qui n’est pas prescrite par délai de prescription tant qu’elle ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu’elle serve les intérêts de la justice.

I.  Faits

[4]  La demanderesse est une agence immobilière qui offre des services de courtage immobilier dans l’ensemble de la province du Québec. Elle offre un service hybride qui se situe entre les services de vente des propriétés sans intermédiaire et une agence traditionnelle.

[5]  La défenderesse est également une agence immobilière qui offre des services de courtage immobilier dans l’ensemble de la province du Québec. Elle adopte un modèle d’affaires qui ressemble à celui de Proprio.

[6]  La demanderesse est titulaire de la marque PROPRIO DIRECT (LMC 430,877) depuis septembre 1987. Elle est également propriétaire des marques de commerce PROPRIODIRECTCOM (LMC 632,855), PROPRIO DIRECT & DESSIN (LMC 727,578), PROPRIO DIRECT & DESSIN (LMC 831,750), et PROPRIO DIRECT & DESSIN (LMC 831,752. La demanderesse allègue que celles-ci sont des marques notoires hautement distinctives, estimées et reconnues par les consommateurs.

[7]  Le ou vers le 5 mars 2018, la demanderesse a intenté un recours en contrefaçon de marques de commerce contre Vendirect dans le cadre du présent dossier. La demanderesse allègue que la défenderesse a déposé une demande d’enregistrement pour une marque de commerce SLOGAN ECONOMIZEZ...VENDDIRECT ET DESSIN portant le numéro de demande 18173576 [la marque litigieuse] à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada.

[8]  Cette marque aurait été utilisée par la défenderesse depuis le 9 janvier 2017 sur son site Web et sur sa page Facebook. La demanderesse allègue donc que l’utilisation de cette marque viole les droits exclusifs qui se rattachent à la famille de marques de commerce mentionnées ci-haut dont seule la demanderesse, Proprio Direct, est titulaire.

[9]  La défenderesse rejette la demande pour divers motifs. Le 4 avril 2018, Vendirect a signifié sa défense à l’encontre de l’action. À la suite d’une requête réussie en radiation des paragraphes de la défense et du dépôt d'une défense modifiée, le 24 juillet 2018 la demanderesse a cherché à modifier sa déclaration par avis de requête ajoutant une nouvelle cause d'action allégeant une violation des droits d’auteur.

[10]  L’amendement recherché vise à modifier la déclaration initiale afin d’y ajouter des réclamations en matière de droit d’auteur. La demanderesse allègue que la défenderesse s’est illégalement approprié le fruit de l’exercice du talent et du jugement découlant des programmes de mise en marché de la demanderesse en reproduisant parfois les textes de manière quasi littérale, et d’autres fois s’appropriant l’essence qualitative d’un programme en reproduisant les caractéristiques essentielles du logo Proprio Direct.

[11]  La défenderesse maintient que les faits reliés à ces causes d’action ne peuvent être associés aux prétentions initiales de Proprio Direct et représentent une cause d’action nouvelle et différente de la demande initiale, lesquelles modifications se basent sur des faits tout aussi différents, ce qui selon la défenderesse est interdit en vertu de la Règle 201.

II.  Analyse

[12]  La Cour est d’avis que l’opposition de la défenderesse à la requête ne repose sur aucun prétendu préjudice sérieux causé par les modifications ni sur une affirmation selon laquelle les modifications sont sujettes à un délai de prescription qui se serait écoulé. Elle vise à convaincre la Cour qu'elle devrait appliquer la Règle 201 sans tenir compte de son association à la Règle 77 qui fait en sorte que son application se limite uniquement aux causes d'action sujettes à un délai de prescription.

[13]  La Cour a indiqué à l’audience qu’elle autoriserait la requête afin de permettre l’adoption d’un calendrier accéléré. La Cour a conclu que les motifs pour faire droit à la requête en modification étaient évidents, car la nouvelle cause d’action fondée en droit d’auteur n’était pas sujette à un délai de prescription. Cette conclusion est étayée par le raisonnement de la Cour dans l'affaire Seanix Technology Inc c Synnex Canada Ltd., 2005 CF 243 270 FTR 183; 39 CPR (4th) 129 [Seanix Technology].

[14]  Outre les Règles 75, 76, 77 et 201 qui sont pertinentes, les anciennes Règles 424 et 427, similaires aux Règles 77 et 201 font partie importante de l’analyse qui suit [nous soulignons] :

Modifications avec autorisation

Amendments with leave

 

 

75(1) Sous réserve du paragraphe (2) et de la règle 76, la Cour peut à tout moment, sur requête, autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.

 

75(1) Subject to subsection (2) and rule 76, the Court may, on motion, at any time, allow a party to amend a document, on such terms as will protect the rights of all parties.

 

 

Autorisation de modifier

Leave to amend

 

76. Un document peut être modifié pour l'un des motifs suivants avec l'autorisation de la Cour, sauf lorsqu'il en résulterait un préjudice à une partie qui ne pourrait être réparé au moyen de dépens ou par un ajournement :

 

76 With leave of the Court, an amendment may be made

a) corriger le nom d'une partie, si la Cour est convaincue qu'il s'agit d'une erreur qui ne jette pas un doute raisonnable sur l'identité de la partie;

 

(a) to correct the name of a party, if the Court is satisfied that the mistake sought to be corrected was not such as to cause a reasonable doubt as to the identity of the party, or

 

b) changer la qualité en laquelle la partie introduit l'instance, dans le cas où elle aurait pu introduire l'instance en cette nouvelle qualité à la date du début de celle-ci.

(b) to alter the capacity in which a party is bringing a proceeding, if the party could have commenced the proceeding in its altered capacity at the date of commencement of the proceeding, unless to do so would result in prejudice to a party that would not be compensable by costs or an adjournment.

 

Autorisation postérieure au délai de prescription

Amendment after expiration of limitation period

 

77. La Cour peut autoriser une modification en vertu de la règle 76 même si le délai de prescription est expiré, pourvu qu’il ne l’ait pas été à la date du début de l’instance.

77. The Court may allow an amendment under rule 76 notwithstanding the expiration of a relevant period of limitation that had not expired at the date of commencement of the proceeding.

 

 

Nouvelle cause d’action

 

Amendment to add new cause of action

 

201. Il peut être apporté aux termes de la règle 76 une modification qui aura pour effet de remplacer la cause d’action ou d’en ajouter une nouvelle, si la nouvelle cause d’action n'a pas de faits qui sont essentiellement les mêmes que ceux sur lesquels se fonde une cause d’action pour laquelle la partie qui cherche à obtenir la modification a déjà demandé réparation dans l’action.

201. An amendment may be made under rule 76 notwithstanding that the effect of the amendment will be to add or substitute a new cause of action, if the new cause of action arises out of substantially the same facts as a cause of action in respect of which the party seeking the amendment has already claimed relief in the action.

 

Ancienne règle 424

 

Former Rule 424

 

424. Lorsque permission de faire un amendement mentionné à la Règle 425, 426 ou 427 est demandée à la Cour après l'expiration de tout délai de prescription applicable, mais qui courait à la date du début de l'action, la Cour pourra néanmoins, accorder cette permission dans les circonstances mentionnée dans la Règle applicable s'il semble juste de le faire.

424. Where an application to the Court for leave to make an amendment mentioned in Rule 425, 426 or 427 is made after any relevant period of limitation current at the date of commencement of the action has expired, the Court may, nevertheless, grant such leave in the circumstances mentioned in that Rule if it seems just to do so.

 

Ancienne règle 427

Former Rule 427

 

427. Un amendement peut être permis en vertu de la Règle 424 même si l'amendement aura pour effet d'ajouter une nouvelle cause d'action ou de remplacer une ancienne cause d'action par une nouvelle, si la nouvelle cause d'action naît de fait qui sont les mêmes ou à peu près les mêmes que ceux sur lesquels se fonde une cause d'action qui a déjà fait l'objet, dans l'action, d'une demande redressement présentée par la partie qui demande la permission de faire l'amendement.

 

427. An amendment may be allowed under Rule 424 notwithstanding that the effect of the amendment will be to add or substitute a new cause of action if the new cause of action arises out of the same facts or substantially the same facts as a cause of action in respect of which relief has already been claimed in the action by the party applying for leave to make the amendment.

 

[15]  Dans Seanix Technology, le protonotaire Lafrenière, tel était alors son titre, a rejeté une motion contestant des modifications à la demande reconventionnelle qui soulevaient de nouveaux moyens de défense et une nouvelle cause d'action, car « aucun délai de prescription n’est expiré ». Le protonotaire a fait remarquer que « Les défenderesses n'étaient donc pas obligées de démontrer que les modifications découlaient de faits qui étaient essentiellement les mêmes que dans la cause d'action initiale. » La décision a néanmoins été portée en appel.

[16]  En appel, à l’appui de la décision, la défenderesse a soutenu que « le protonotaire a bien appliqué les articles 75 et 201 des Règles », car la Règle 201 « ne s'applique pas si un aucun délai de prescription n'est en jeu, comme en l'espèce. ». La défenderesse a également soutenu que la décision du protonotaire était étayée par (1) une interprétation contextuelle de l’article 201, par rapport aux articles 75, 76 et 77; (2) par la jurisprudence établie en vertu des anciennes Règles; (3) par un examen des propositions qui ont entraîné la promulgation des nouvelles Règles.

[17]  Le juge Lemieux, exerçant un pouvoir discrétionnaire de novo, a souscrit aux conclusions et à la décision du protonotaire. Il a décrit comme suit la relation entre les Règles 424 et 427, soit les anciennes règles équivalentes aux Règles 77 et 201, ainsi que leur objectif commun au paragraphe 16 :

[16]  Il est clair que, selon les anciens articles 424 et 427 des Règles, une modification visant l'ajout d'une nouvelle cause d'action pouvait être autorisée même lorsqu'il y avait prescription, si la nouvelle cause d'action reposait sur des faits qui étaient les mêmes ou essentiellement les mêmes que ceux de la cause d'action initiale, dans la mesure où il paraissait équitable de l'autoriser. (Voir Domco Industries Ltd. c. Mannington Mills Inc. [1990] A.C.F. no 269 (CA). Selon moi, il n'y a rien dans le régime des nouvelles Règles qui modifie cette jurisprudence et d'ailleurs, le projet de révision des Règles de la Cour fédérale donne à penser que les anciennes Règles continueront de s'appliquer à cet égard.

[Je souligne]

[18]  Dans l’affaire Domco Industries Ltd (renversée pour d’autres motifs) la Cour d’appel a souscrit à l’interprétation des Règles en question par le juge Strayer :

[8]  Pour ce qui est de l'autorisation de modifier la déclaration, le juge Strayer a déclaré que la modification devait satisfaire les conditions mentionnées aux Règles 424 et 427 de la Cour fédérale citées précédemment. Selon lui, ces Règles permettent une modification ajoutant une nouvelle cause d'action, quand bien même le délai de prescription applicable à cette cause d'action aurait expiré depuis le dépôt de la déclaration initiale, si deux conditions sont remplies :

(1) la nouvelle cause d'action se fonde sur des faits qui sont les mêmes ou à peu près les mêmes que ceux de la cause d'action initialement plaidée (Règle 427),

(2) « il semble juste de le faire » (Règle 424).

[19]  En d’autres termes, les Règles 77 et 201 doivent être considérées ensemble, telles que l’exigeaient explicitement les versions précédentes de ces règles. C’est là le fondement de la conclusion du protonotaire Lafrenière selon laquelle la Règle 201 s’applique seulement aux causes d’actions sujettes à un délai de prescription expiré. Ce fut également le fondement de l’interprétation du juge Lemieux.

[20]  La Cour reconnaît qu'il y a des décisions qui n'ont pas interprété Seanix Technology comme exigeant que la Règle 201 soit interprétée conjointement avec la Règle 77, dont par exemple, Khadr c Canada, 2014 CF 1001, au paragraphe 6. Cependant, après un examen approfondi des motifs, la Cour est respectueusement d’avis que le juge Lemieux a soutenu la conclusion du protonotaire Lafrenière selon laquelle la Règle 201 ne s’applique qu’aux causes d’action sujettes à des délais de prescription échus.

[21]  Tous ces problèmes découlent du fait que la recherche d’une interprétation logique des dispositions du Règlement relatives aux amendements requière un travail d’interprétation extrêmement ardu. Cela a été reconnu par le juge Teitelbaum dans la première décision ayant examiné la Règle 201 telle qu’elle fut formulée après 1998, soit Scottish & York Insurance Co v Canada, [2000] FCJ No 6 [Scottish & York Insurance].

[22]  Le juge Teitelbaum a été obligé d’adopter une interprétation très généreuse de la Règle 201, afin d’élargir considérablement son champ d’application. En effet, dans cette décision la Cour a appliqué la règle 201 aux modifications provenant de la Règle 75; soit à toutes les formes d’amendements. Toutefois, il ne faut pas oublier que cette cause concernait l’ajout d’une cause d’action prescrite.

[23]  L’interprétation du juge Teitelbaum a délibérément fait abstraction du libellé de la Règle 201 qui indiquait explicitement qu'elle ne s'appliquait qu’aux circonstances très limitées de la règle 76, c.-à-d. changement de nom ou de capacité de la partie. Sans le mentionner, cette interprétation a également fait abstraction du libellé de la Règle 75 ce qui indiquait explicitement qu’elle ne s’appliquait pas aux circonstances de la Règle 76, ce qui circonscrivait les Règles 77 et 201.

[24]  Bien que cette Cour s'inquiète de la portée excessive de changements faits à ces règles par cette décision, qui semble avoir grandement reformulé le libellé non équivoque des règles 201 et 75, cette interprétation a nécessairement été reprise dans toute la jurisprudence ultérieure de la Cour, puisque sans celle-ci la règle 201 avait peu de sens.

[25]  Selon la Cour, l’interprétation du juge Teitelbaum devrait s'appliquer de la même manière que la Règle 77 en parrainage avec la Règle 201, qui est elle aussi étroitement circonscrite par la Règle 76, de sorte que les deux règles s'appliquent simultanément à tout amendement, comme ce fut le cas pour leurs anciens homologues Règles 424 et 427.

[26]  Par leur libellé relatif à un délai de prescription expiré et à une nouvelle cause d'action, ces Règles ne peuvent faire référence qu'à une nouvelle cause d'action sujette à un délai de prescription expiré. Elles ne s’appliquent donc pas pour interdire une modification visant à ajouter une cause d'action qui n'est pas prescrite par un délai de prescription expiré, comme c’est le cas pour la modification demandée par la demanderesse.

[27]  Revenant à Seanix Technology, même si la décision a approuvé Scottish & York Insurance, le juge Lemieux ne l’a pas appliqué pour soutenir la décision du protonotaire Lafrenière. La Cour n'a procédé à aucune comparaison des faits sous-jacents de la nouvelle cause et des causes d’action qui apparaissaient déjà dans la déclaration. Au lieu de cela, la décision a appliqué les principes généraux de préjudice pour rejeter l’appel de la décision du protonotaire aux paragraphes 12 à 15 :

[12]  Je n'ai pas l'intention d'exercer mon pouvoir discrétionnaire pour prendre une décision différente de celle du protonotaire qui, à mon avis, est bonne.

[13]  L'arrêt de la Cour d'appel fédérale Canderel c. Canada, 1993 CanLII 2990 (CAF), [1994] 1 C.F. 3, qui a toujours été appliqué, dit que la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvues, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice.

[14]  En l'espèce, selon moi, la demanderesse ne subira aucune injustice si les demandes de modification des défenderesses sont autorisées et la demanderesse n’a pas allégué telle injustice en l'espèce.

[15]  En outre, la question litigieuse entre les parties est de savoir si les défenderesses ont contrefait les marques de commerce de la demanderesse. Les moyens de défense invoqués par les défenderesses sont réguliers et pertinents au regard des actions de la demanderesse et la demande reconventionnelle est liée à ces moyens de défense.

[Je souligne]

[28]  Scottish & York Insurance reformule implicitement la Règle 201, afin que celle-ci s’applique à la Règle 75, en dépit de son libellé qui limite explicitement son application à la Règle 76. Si nous acceptons la logique de Scottish & York Insurance, il nous faudrait aussi reformuler la Règle 77 pour que celle-ci s’applique également à la Règle 75, et ce, en dépit de son libellé qui limite explicitement son application à la Règle 76. Ceci assure que ces règles aient le même effet qu’auraient eu les Règles 424 et 427 qui se référaient l’une à l’autre, tel qu’il fut établi dans Seanix Technologies.

[29]  Si l’on n’interprète pas les deux règles ensemble, ni l’une ni l’autre n’aurait de sens logique. L’objectif de la Règle 201 est de permettre les amendements qui ajoutent une cause d’action légitime basée sur les mêmes faits bien qu’elle soit sujette à une période de prescription qui s’est écoulée. Cela reflète la règle fondamentale de la plaidoirie exprimée dans la Règle 173 qui exige seulement que déclaration contienne « un exposé concis des faits substantiels la partie se fonde », à partir duquel toute cause d’action valable fondée sur ces faits est autorisée.

[30]  De plus, cette interprétation est conforme avec un principe de base, soit que l’expiration d’un délai de prescription à l’égard d’une nouvelle cause d’action fondée sur de nouveaux faits crée une présomption de préjudice causé par un amendement. Cette présomption sera généralement déterminante dans le cadre d’une requête en vue d’obtenir un amendement, à moins qu’il ne puisse être démontré qu’il existe de circonstances spéciales susceptibles de renverser la présomption : Frohlick c. Pinkerton Canada Limited (2008), 88 OR (3d) 401 (CA).

[31]  Si la Règle 75 ne s’applique pas simultanément aux Règles 77 et 201, tel qu’elle le fut dans Scottish & York Insurance (une affaire impliquant une nouvelle cause d’action non sujette à une période de prescription), l’objectif de la Règle 201 n’est pas atteint. Si la Règle 201 ne s’applique pas de pair avec la Règle 77, elle aurait l’effet contraire et indésirable d’interdire des amendements qui ajoutent des causes d’action valables qui ne sont pas prescrites, tel que celle qui fait l’objet de cette procédure.

[32]  Il faut aussi rappeler qu’il n’existe aucune règle qui empêche l’inclusion causes d’action distincte valable fondée sur des faits différents dans une seule et même déclaration, dans la mesure où ceci ne cause aucun préjudice réel à l’autre partie. Si une cause d’action avait été admissible dans la déclaration initiale, il n’y a aucun motif d’empêcher des modifications ultérieures qui ajouteraient cette cause d’action à la déclaration, sauf dans les intérêts de la justice.

[33]  Refuser l’ajout d’une cause d’action valable qui peut être immédiatement reconstituée dans une nouvelle action puisqu’elle n’est pas sujette à un délai de prescription  serait contraire au but véritable de la Règle 201 et à la Règle 3 qui établit le principe d’interprétation générale qui favorise l’adoption d’une solution au litige qui soit la plus juste et la plus expéditive et économique que possible. L’avocat de la demanderesse a indiqué lors de l’audience que si la modification était refusée, il reconstituerait simplement la cause d’action dans une nouvelle action. Un tel résultat enfreindrait manifestement la règle contre la multiplicité des actions, établie dans Halifax (Municipalité régionale) c Canada, 2008 CF 1159 au para 10.

[34]  Dans tous les cas, la Règle 179 des Règles des Cours fédérales semble prévoir des modifications, puisqu’elle autorise l’ajout d’un fait postérieur à l’ouverture d’une procédure, même si ce fait donne lieu à une nouvelle réclamation ou défense. Une règle similaire a été interprétée dans l'affaire Clarkson et al c Lukovich et al (1986), 54 OR (2e) 609. La Cour a indiqué [je souligne] que « La nouvelle règle permet de statuer sur les droits comportant des causes d'action et des moyens de défense postérieurs à l'ouverture de la procédure. » [TRADUCTION : The new rule allows rights to be adjudicated that involve causes of action and defences that arise subsequent to the commencement of proceedings]

[35]  En somme, puisque les arguments de la défenderesse opposés aux amendements sont dénués de mérite, et que cette dernière ne subirait aucun préjudice si les modifications proposées par la demanderesse sont autorisées, la requête visant à ajouter les modifications à la déclaration est accueillie : Canderel c Canada, 1993 CanLII 2990 (CAF), [1994] 1 CF 3.

III.  Reformulation des règles de modification des actes de procédure

[36]  Étant donné que le juge Teitelbaum et cette Cour ont été obligés d’interpréter très généreusement toutes les règles de modification des actes de procédure, on pourrait envisager le besoin de leur reformulation.

[37]  Faisant référence au fait qu’un « virage culturel s’impose » au système de justice civile (Hryniak c Mauldin, [2014] 1 RCS 87, 2014 CSC 7 au paragraphe 28), et au principe de courtoisie entre les juridictions, toute reformulation pourrait envisager une simplification du processus de modification des actes de procédure par une seule règle mandataire adoptée dans d’autres juridictions provinciales. Cela devrait diminuer les motions relatives à des amendements, sauf en cas de motifs de fond tels que des délais de prescription expirés ou l’absence de cause d’action valable.

IV.  Dépens

[38]  La demanderesse réclame des dépens d’un montant total de 4 000 $, en se basant sur le fait que la modification intervient peu de temps après la clôture des actes de procédure et que celle-ci ne sert à rien, à part augmenter les délais et les coûts puisqu’en cas de succès, elle exigerait qu'une nouvelle déclaration soit émise. La défenderesse soutient qu’aucun coût ne devrait être adjugé. Elle fait valoir que normalement la partie qui présente la requête en modification de ses conclusions doit subir les dépens, d’autant plus que la Règle 201, tel qu’elle a été interprétée, constitue un motif légitime pour opposer la requête. Elle fait également valoir qu’elle n’a pas eu suffisamment de temps pour décider si elle devait ou non s’opposer à la requête avant que celle-ci ne soit présentée.

[39]  La Cour admet que la jurisprudence relative à l’application de l’article 201 n'est pas constante. Cependant, la Cour est préoccupée par l’opposition de la défenderesse, compte tenu du fait que celle-ci devait être consciente qu’il lui fallait démontrer un préjudice afin d’empêcher les modifications, en particulier puisque la modification a été effectuée peu après la clôture des procédures écrites. La défenderesse n’a pas convaincu la Cour qu’elle avait un motif valable pour ne pas consentir à la modification. En effet, la demanderesse pourrait sans obstacle présenter la cause d'action en droit d’auteur dans une nouvelle déclaration. Il n’y a donc aucun réel avantage à refuser d’inclure cette cause d’action dans la requête existante.

[40]  Par conséquent, la Cour accorde des dépens tout compris à la demanderesse de 1000 $.

LA COUR ORDONNE que la requête soit accueillie permettant les modifications à la déclaration qui est la pièce « EC-9 » de l’affidavit de Me Elizabeth Cullen du 24 juillet 2018 du dossier de la demanderesse avec dépens accordés à la demanderesse toute comprise de 1000 $.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-431-18

INTITULÉ :

PROPRIO DIRECT INC. c VENDIRECT INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 août 2018

 

ORDONNANCE ET MOTIFS

LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

LE 30 octobre 2018

COMPARUTIONS :

Me Marc-André Nadon

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Simon Delisle

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Prévost Fortin D’aoust SENCRL

Avocats

Boisbriand, Québec

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Deveau Avocats

Avocats

Laval, Québec

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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