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Date : 20181106


Dossier : T‑152‑17

Référence : 2018 CF 1112

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 novembre 2018

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

MILANO PIZZA LTD.

demanderesse

et

6034799 CANADA INC., CHADI WANSA, YOUSSEF ZAHER ALIAS JOSEPH ZAHER, ET YOUSEF NASSAR ALIAS JOE NASSAR

défendeurs

ET ENTRE :

6034799 CANADA INC., CHADI WANSA, YOUSSEF ZAHER ALIAS JOSEPH ZAHER, ET YOUSEF NASSAR ALIAS JOE NASSAR

demandeurs reconventionnels

et

MILANO PIZZA LTD., MAZEN KASSIS, MARWAN KASSIS, MAHMOUD TABAJA, MILANO BASELINE ET JOE KASSIS

défendeurs reconventionnels

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Milano Pizza Ltd., est propriétaire de la marque de commerce déposée no TMA571,144 en liaison avec MILANO PIZZERIA ainsi que du dessin‑marque qui l’accompagne; ceux‑ci sont employés relativement à des services de restauration pour emporter offrant la livraison. Le dessin‑marque MILANO est reproduit ci‑dessous.

[2]  La demanderesse allègue également être propriétaire des marques de commerce déposées MILANO PIZZERIA et MILANO PIZZA ainsi que du droit d’auteur relatif au dessin‑marque déposé MILANO. Ensemble, les marques de commerce déposées et non déposées dont la demanderesse allègue être propriétaire seront désignées dans les présents motifs comme les « marques MILANO ».

[3]  La demanderesse a intenté une poursuite devant la Cour, dans laquelle elle allègue que les défendeurs ont usurpé ses droits exclusifs en matière de droit d’auteur et de marque de commerce sur le dessin‑marque déposé MILANO et qu’ils ont également attiré l’attention du public sur leur commerce de manière à créer de la confusion entre leur entreprise et celle de la demanderesse. La demanderesse allègue également que les défendeurs ont illégalement fait passer leurs produits et leurs services pour les siens et qu’ils ont entraîné la diminution de la valeur de l’achalandage rattaché de son dessin‑marque déposé MILANO.

[4]  Les défendeurs ont contesté l’action et ont présenté une demande reconventionnelle dans le but d’obtenir une déclaration statuant que la marque de commerce déposée no TMA571,144 est invalide. Les défendeurs demandent en outre des dommages‑intérêts ainsi qu’une injonction contre les défendeurs reconventionnels relativement à l’allégation selon laquelle ils auraient attiré l’attention du public sur leurs produits, leurs services et leur entreprise d’une manière susceptible de créer de la confusion avec ceux des défendeurs.

[5]  Les défendeurs ont déposé une requête en jugement sommaire dans laquelle ils demandent le rejet de l’action de la demanderesse. La demanderesse cherche également à obtenir un jugement sommaire en sa faveur sur toutes les questions en litige, à l’exception de sa demande relative au droit d’auteur.

[6]  Pour les motifs énoncés ci‑dessous, j’ai conclu qu’il n’existe aucune véritable question litigieuse en ce qui concerne l’enregistrabilité du dessin‑marque MILANO aux termes de l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les marques de commerce. Par conséquent, je vais rendre un jugement sommaire en faveur de la demanderesse relativement à cette question. Je suis également convaincue qu’il n’existe aucune véritable question litigieuse pour ce qui est de la revendication de la demanderesse à l’égard du droit d’auteur et je vais rendre un jugement sommaire en faveur des défendeurs rejetant l’action de la demanderesse, dans la mesure où elle est fondée sur le droit d’auteur.

[7]  Toutefois, je suis convaincue qu’il existe une véritable question litigieuse pour ce qui a trait aux autres questions soulevées par les parties dans leurs actes de procédure. En conséquence, la requête en jugement sommaire sera par ailleurs rejetée.

I.  Les parties

[8]  La demanderesse, Milano Pizza Ltd., possède et exploite l’entreprise de pizzeria Milano, qu’elle décrit comme [traduction« un groupe de propriétaires et d’exploitants indépendants de pizzerias ».

[9]  La société défenderesse, 6034799 Canada Inc., exploite une pizzeria au 1141, chemin Baxter, dans la ville d’Ottawa. Les particuliers défendeurs, Chadi Wansa, Youssef Zaher alias Joseph Zaher et Yousef Nassar alias Joseph Nassar sont les uniques administrateurs de la société défenderesse.

[10]  Les particuliers défendeurs reconventionnels sont les uniques administrateurs de la demanderesse, Milano Pizza Ltd. Marwan Kassis, Mazen Kassis, Mahmoud Tabaja (et une quatrième personne qui n’est pas partie à la présente action) possèdent chacun 25 % des actions de Milano Pizza Ltd. La défenderesse reconventionnelle Milano Baseline est une entreprise connue du public sous la dénomination de « Milano Pizza » et est située au 2529, chemin Baseline, dans la ville d’Ottawa. Ce commerce est exploité par le défendeur reconventionnel Joe Kassis.

[11]  Divers membres de la famille Kassis ont pris part aux événements qui ont donné naissance à la présente action. Par souci de clarté, je vais faire mention des membres de la famille Kassis par leur prénom respectif dans les présents motifs.

II.  Le contexte

[12]  Un bref survol des faits qui ont donné lieu à la présente action est nécessaire pour placer en contexte les questions en litige soulevées dans la requête des défendeurs.

[13]  Marwan Kassis (l’un des défendeurs reconventionnels) se présente comme le fondateur de l’entreprise de pizzeria Milano, même s’il semble que divers membres de la famille Kassis possèdent et exploitent des pizzerias dans la région d’Ottawa depuis la fin des années 1970.

[14]  Au cours des premières années, les pizzerias Milano ont été exploitées directement par des membres de la famille Kassis. Au début des années 1990, six pizzerias étaient exploitées sous l’enseigne des pizzerias Milano dans divers quartiers de la ville d’Ottawa, dont la pizzeria Milano située au 1141, chemin Baxter.

[15]  Au milieu des années 1990, Marwan a commencé à vendre des pizzerias Milano à d’autres personnes qui en sont devenues propriétaires et exploitantes.

[16]  La pizzeria du chemin Baxter a été vendue à un exploitant indépendant en 1994. Même si la preuve ne concorde pas quant à l’identité de l’acheteur, je comprends que les parties s’entendent sur le fait qu’en 1996, la pizzeria du chemin Baxter a d’abord appartenu à Vahid Khorrami, puis à M. Khorrami et à son frère Farid, qui étaient actionnaires d’une société à dénomination numérique. Ils ont continué à exploiter le restaurant comme une pizzeria Milano jusqu’en décembre 2002, lorsqu’ils ont vendu la pizzeria du chemin Baxter à la société défenderesse 6034799 Canada Inc. La société défenderesse continue d’exploiter la pizzeria du chemin Baxter à ce jour.

[17]  Comme nous le verrons de façon détaillée plus loin dans les présents motifs, un grave différend a pris naissance entre les parties en ce qui concerne les conditions entourant la vente de la pizzeria du chemin Baxter, au départ à M. Khorrami et à ses partenaires, puis à la défenderesse 6034799 Canada Inc. La demanderesse fait valoir que les acheteurs des pizzerias Milano, y compris la pizzeria du chemin Baxter, ont toujours été assujettis à des contrats de licence régissant l’emploi des marques MILANO, alors que les défendeurs et M. Khorrami nient catégoriquement avoir déjà été parties à de tels contrats.

[18]  Milano Pizza Ltd. a été constituée en société en mai 1996; par la suite, l’entreprise de pizzeria Milano de Marwan a été cédé à la nouvelle personne morale et a poursuivi ses activités sous cette dénomination. Marwan a subséquemment vendu à Mazen, à Mahmoud Tabaja et à la quatrième personne un quart des actions de Milano Pizza Ltd. chacun. Il existe actuellement 35 pizzerias qui sont exploitées sous la dénomination Milano à Ottawa et dans l’est de l’Ontario.

[19]  Le logo reproduit dans le dessin‑marque MILANO a commencé à être employé par Milano Pizza Ltd. (ou sa prédécesseure) et par les exploitants indépendants de pizzerias Milano à un certain moment au milieu des années 1990. Milano Pizza Ltd. a demandé que la marque soit enregistrée en octobre 1997 en invoquant qu’elle avait commencé à l’employer en mars 1994. Au début, le Bureau des marques de commerce hésitait à enregistrer la marque, mais celle‑ci a finalement été déposée en novembre 2002.

[20]  Même si elle revendiquait le droit d’employer la dénomination « Milano Pizzeria » en lien avec des services de restauration avec livraison, la demanderesse a expressément renoncé au droit à l’usage exclusif du mot « pizzeria » indépendamment de la marque de commerce. La demanderesse ajoute dans son mémoire des faits et du droit qu’elle ne revendique pas la propriété du mot « Milano » en tant que tel comme marque de commerce ou autre.

[21]  Même si je ne comprends pas pourquoi l’identité de propriétaire enregistré du dessin‑marque MILANO fait l’objet d’un litige, il existe un désaccord important entre les parties en ce qui concerne la validité de l’enregistrement, les circonstances de la création de la marque, les conditions en vertu desquelles celle‑ci et les autres marques Milano ont été employées par les exploitants des pizzerias Milano et la légalité de la propriété enregistrée du dessin‑marque MILANO par la demanderesse.

[22]  Il semble que la relation entre les parties ait été très bonne pendant de nombreuses années. Toutefois, celle‑ci a commencé à se détériorer aux alentours de 2013; les difficultés ont culminé lors de la rupture complète de la relation en 2016 et du dépôt de la présente poursuite en 2017.

[23]  Les défendeurs continuent d’exploiter la pizzeria du chemin Baxter sous la dénomination « Milano pizzeria ». Ils admettent que la société défenderesse continue d’employer les marques MILANO dans le cours général de l’exploitation de son entreprise.

III.  Le droit concernant les requêtes en jugement sommaire

[24]  Avant d’examiner le fond de la requête des défendeurs, il est important d’avoir une bonne compréhension du droit applicable aux requêtes en jugement sommaire devant la Cour fédérale.

[25]  Le jugement sommaire a pour objet de permettre à la Cour de statuer sommairement sur des actions qui ne devraient pas se rendre à procès, parce qu’elles ne soulèvent pas de véritable question litigieuse qui devrait donner lieu à un procès, épargnant ainsi les ressources judiciaires limitées et améliorant l’accès à la justice.

[26]  La Cour suprême du Canada a eu l’occasion de passer en revue le droit applicable aux requêtes en jugement sommaire et d’étudier les valeurs qui sous‑tendent la procédure des jugements sommaires dans l’arrêt Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 RCS 87. Même si la Cour d’appel fédérale a statué que l’arrêt Hryniak n’a pas modifié de façon importante la procédure ou les critères à appliquer en présence d’une requête en jugement sommaire déposée sous le régime des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, la décision de la Cour suprême rappelle néanmoins les principes qui guident l’interprétation des Règles des Cours fédérales : Manitoba c Canada, 2015 CAF 57, au paragraphe 11, [2015] ACF no 214.

[27]  En fait, bien que la décision Hryniak ait été rendue sous le régime des Règles de procédure civile de l’Ontario, R.R.O. 1990, Règlement 194 (dont le libellé est différent de celui des Règles des Cours fédérales en matière de jugement sommaire), la Cour suprême a clairement indiqué que les valeurs et les principes sur lesquels reposait son interprétation des Règles de procédure civile de l’Ontario « sont d’application générale » : Hryniak, précité, au paragraphe 35.

[28]  Au paragraphe 24 de l’arrêt Hryniak, la Cour suprême a fait remarquer que les formalités excessives et les procès interminables occasionnant des dépenses et des délais inutiles « peuvent faire obstacle au règlement juste et équitable des litiges » (les italiques figurent dans l’original). La procédure du jugement sommaire peut notamment améliorer l’accès à la justice pour les plaideurs qui ne seraient autrement pas en mesure de pour faire appel au système judiciaire afin de régler des litiges : Hryniak, précité, au paragraphe 4. Voir aussi les paragraphes 21‑33.

[29]  En conséquence, la Cour suprême a statué que « les règles régissant les jugements sommaires doivent recevoir une interprétation large et propice à la proportionnalité et à l’accès équitable à un règlement abordable, expéditif et juste des demandes » : Hryniak, précité, au paragraphe 5. Cela étant dit, pour être « juste et équitable », la procédure « doit permettre au juge de dégager les faits nécessaires au règlement du litige et d’appliquer les principes juridiques pertinents aux faits établis » : Hryniak, précité, au paragraphe 28.

[30]  En Cour fédérale, les jugements sommaires sont régis par les dispositions des articles 213 à 215 des Règles des Cours fédérales, dont le libellé intégral est joint à l’annexe A des présents motifs.

[31]  Le paragraphe 215(1) des Règles prévoit que la Cour rend un jugement sommaire quand le juge est convaincu « qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense ». Selon la Cour suprême, il n’existe « aucune véritable question en litige nécessitant la tenue d’un procès » lorsque la demande n’a pas de fondement juridique ou lorsque le juge dispose de « la preuve nécessaire pour trancher justement et équitablement le litige » : Hryniak, précité, au paragraphe 66. Voir aussi Manitoba, précité, au paragraphe 15, et Burns Bog Conservation Society c Canada, 2014 CAF 170, aux paragraphes. 35‑36, 2014 ACF no 655.

[32]  Les Règles des Cours fédérales prévoient également que lorsqu’il existe une véritable question de fait ou de droit litigieuse nécessitant un procès, les juges peuvent tenir un procès sommaire conformément aux dispositions de l’article 216 des Règles. Dans ces cas, les juges disposent de pouvoirs accrus pour trancher des questions de fait litigieuses : Manitoba, précité, au paragraphe 16. Toutefois, aucune demande de cette nature n’a été formulée en l’espèce et il serait déplacé de la part de la Cour de tenir un procès sommaire sans une demande des parties : Manitoba, précité, au paragraphe 18.

[33]  La question qui se pose lors de l’examen d’une requête en jugement sommaire n’est pas « de savoir si une partie n’a aucune chance d’obtenir gain de cause au procès, mais plutôt d’établir si le succès de la demande est tellement douteux que celle‑ci ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits dans le cadre d’un éventuel procès ». Par conséquent, « les jugements sommaires ne sont pas réservés aux affaires particulièrement claires » : les deux citations sont tirées de la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Campbell, 2014 CF 40, [2014] ACF no 30, au paragraphe 14, qui cite ITV Technologies Inc. c WIC Television Ltd, 2001 CAF 11, 199 FTR 319, aux paragraphes 4 à 6; Premakumaran c Canada, 2006 CAF 213, [2007] 2 RCF 191, aux paragraphes 9 à 11; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Schneeberger, 2003 CF 970, au paragraphe 17, [2004] 1 RCF 280.

[34]  Il incombe à la partie requérante de démontrer qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse. Toutefois, les parties qui répondent à des requêtes en jugement sommaire sont également tenues de « présenter leurs meilleurs arguments » dans leur réponse : F. Von Langsdorff Licensing Ltd. c S.F. Concrete Technology, Inc. (1999), 165 FTR 74, aux paragraphes 12 et 27, [1999] ACF no 526.

[35]  La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut se fonder sur des conjectures touchant la preuve qui pourrait être produite à une étape ultérieure de l’instance. Les intimés doivent plutôt invoquer des faits précis dans leur réponse à une requête en jugement sommaire et produire les éléments de preuve démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse : article 214 des Règles. Voir aussi MacNeil c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2004 CAF 50, au paragraphe 37, [2004] ACF no 201. Cette exigence est réputée nécessiter qu’une partie intimée doit « jouer atout ou risquer de perdre » : voir Kirkbi AG c Ritvik Holdings Inc. (1998), 150 FTR 205, au paragraphe 18, [1998] ACF no 912.

[36]  Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, pour être « juste et équitable », le dossier dont est saisi le juge des requêtes doit lui permettre de dégager les faits nécessaires au règlement du litige : Hryniak, précité, au paragraphe 28. Un jugement sommaire ne sera pas rendu lorsque le juge n’est pas en mesure de dégager les faits essentiels ou lorsqu’il serait injuste de le faire.

[37]  Il est en effet de jurisprudence constante que le tribunal saisi d’une requête en jugement sommaire ne doit pas se prononcer sur les questions de crédibilité. En règle générale, le juge qui entend et observe le témoignage principal et le contre‑interrogatoire des témoins est mieux à même d’apprécier leur crédibilité et de tirer des inférences que le juge qui doit uniquement se fonder sur des affidavits et des éléments de preuve documentaires : TPG Technology Consulting Ltd. c Canada, 2013 CAF 183, au paragraphe 3, [2013] ACF no 836.

[38]  En l’absence de témoignages de vive voix, le juge des requêtes qui est saisi d’une véritable question litigieuse ne peut pas apprécier la crédibilité de la façon appropriée ou encore examiner à fond la preuve et la soupeser : MacNeil, précité, au paragraphe 38. Par conséquent, les litiges devraient faire l’objet d’un procès lorsqu’il existe des questions sérieuses quant à la crédibilité des témoins : Newman c Canada, 2016 CAF 213, au paragraphe 57, [2016] ACF no 952; Suntec Environmental Inc. c Trojan Technologies, Inc., 2004 CAF 140, aux paragraphes 20 et 28‑29, [2004] ACF no 636; MacNeil, précité, au paragraphe 32.

[39]  Cela étant dit, « l’existence d’une apparente contradiction de preuves n’empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire ». Les juges doivent « se pencher de près » sur le fond de l’affaire et décider s’il y a des questions de crédibilité à trancher : Granville Shipping Co. c Pegasus Lines Ltd. S.A., [1996] ACF no 481, au paragraphe 7, [1996] 2 CF 853.

[40]  Lorsqu’il statue sur ce point, le juge des requêtes doit faire preuve de prudence puisque le prononcé d’un jugement sommaire fera en sorte que la partie ne pourra pas présenter de preuve à l’instruction au sujet de la question litigieuse. Autrement dit, la partie qui répond à une requête et qui n’a pas gain de cause perdra « la possibilité de se faire entendre en cour » : voir Apotex Inc. c Merck & Co., 2004 CF 314, au paragraphe 12, 248 F.T.R. 82, conf. par 2004 CAF 298, [2004] ACF no 1495.

[41]  Après cet examen des principes pertinents régissant les requêtes en jugement sommaire, voyons maintenant si la requête est bien fondée au regard de chacun des défendeurs. La première question à trancher porte sur la validité du dessin‑marque déposé MILANO de la demanderesse.

IV.  La marque de commerce déposée no TMA571,144 est‑elle valide?

[42]  Les défendeurs allèguent que l’enregistrement du dessin‑marque MILANO est invalide, car celui‑ci n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement. Ils font également valoir qu’il n’était pas distinctif à l’époque où ont été entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement et que la demanderesse n’était pas la personne qui avait le droit d’en obtenir l’enregistrement.

[43]  La demanderesse demande également un jugement sommaire déclarant que l’enregistrement du dessin‑marque MILANO est valide et a été usurpé par les défendeurs.

[44]  Deux des arguments des défendeurs concernant la validité mettent en cause des questions relatives au degré de contrôle qui a été exercé par Milano Pizza Ltd. sur l’emploi du dessin‑marque MILANO par les défendeurs et par des tiers. En fait, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si l’emploi du dessin‑marque MILANO par les exploitants indépendants des pizzerias Milano en général, et par les propriétaires et exploitants de la pizzeria du chemin Baxter en particulier, a été fait en vertu d’un contrat de licence, de sorte que tout emploi relevait du contrôle de la demanderesse et profitait à celle‑ci.

[45]  Par conséquent, je vais commencer mon analyse en me demandant si je suis en présence d’une véritable question litigieuse en ce qui concerne l’existence d’un contrat de licence entre la demanderesse et les défendeurs avant d’examiner les arguments des défendeurs en ce qui a trait à la validité.

V.  Y a‑t‑il une véritable question litigieuse en ce qui concerne l’existence d’un contrat de licence entre la demanderesse et les défendeurs?

[46]  Les deux parties ont produit une preuve volumineuse en ce qui concerne les conditions en vertu desquelles les marques MILANO ont été employées par les exploitants indépendants des pizzerias Milano, y compris par les défendeurs. Pour établir s’il existe ou non une véritable question litigieuse en ce qui a trait à la nature de la relation entre les parties, il est nécessaire d’étudier de manière assez détaillée la preuve produite par les deux parties.

A.  La preuve de la demanderesse

[47]  La demanderesse fait valoir que tous les exploitants indépendants des pizzerias Milano emploient les marques MILANO, y compris le dessin‑marque MILANO, en vertu d’un contrat de licence et sous le contrôle de la demanderesse.

[48]  D’après la demanderesse, en contrepartie du droit d’employer les marques MILANO, les contrats de licence avec les exploitants indépendants des pizzerias Milano exigent qu’ils achètent toutes les fournitures de leurs pizzerias, à l’exception des légumes et du matériel de comptabilité, d’un fournisseur désigné par la demanderesse. La demanderesse fait valoir que cette obligation lui permet de conserver un degré de contrôle sur le goût et la qualité des aliments servis dans les pizzerias Milano.

[49]  La demanderesse reçoit alors des remises de la part de son fournisseur désigné en fonction de la valeur des achats effectués par les exploitants indépendants. Outre le fait que cet arrangement lui procure un flux de rentrées, la demanderesse allègue qu’elle se sert des remises pour la mise en marché et la promotion de l’entreprise de pizzeria Milano.

[50]  La demanderesse ajoute que les contrats de licence avec les exploitants indépendants des pizzerias Milano imposaient à ceux‑ci des restrictions géographiques qui les empêchaient de faire de la publicité ou d’accepter des commandes de repas à l’extérieur d’un territoire précis.

[51]  Dans la mesure où la pizzeria du chemin Baxter est concernée, Marwan et Mazen Kassis ont souscrit des affidavits dans lesquels ils déclarent sous serment que ses exploitants étaient en tout temps assujettis à un contrat de licence qui régissait leur emploi des marques MILANO.

[52]  Mazen Kassis affirme sous serment que la pizzeria du chemin Baxter a été vendue en 1994 à un acheteur qui l’a exploitée conformément à une licence accordée par son frère Marwan. Mazen ajoute qu’au cours des premières années suivant la constitution en société de la demanderesse, « de nombreux » (mais probablement pas tous) exploitants indépendants des pizzerias Milano ont conclu des contrats de licence écrits avec la demanderesse. Pour prouver le bien‑fondé de cette allégation, il a produit une facture datée de 1999 d’un avocat qui a agi pour le compte de la demanderesse relativement à certains services, y compris la préparation d’un [traduction« mini‑contrat de franchisage ».

[53]  Mazen fait en outre valoir que même s’ils n’avaient pas conclu de contrat de licence par écrit, tous les exploitants [traduction« employaient les marques de commerce MILANO PIZZERIA sous licence et qu’ils étaient tous assujettis à tout le moins à l’engagement d’achat et à la restriction territoriale, comme c’est le cas aujourd’hui ». Selon Mazen, ces exploitants incluaient Vahid Khorrami qui, rappelons‑le, était l’un des propriétaires du commerce du chemin Baxter immédiatement avant que les défendeurs en fassent l’acquisition.

[54]  Mazen allègue qu’un contrat de licence par écrit a été conclu par la demanderesse et par la société défenderesse à peu près en même temps que la vente de la pizzeria du chemin Baxter aux défendeurs et que ce contrat énonçait les conditions encadrant l’emploi des marques MILANO par la société défenderesse. En plus de l’engagement d’achat et de la restriction territoriale, Mazen affirme que la société défenderesse s’est engagée à payer une « redevance de franchise » de 500 $ par mois à la demanderesse en contrepartie de l’emploi des marques MILANO.

[55]  La demanderesse n’a pas été en mesure de produire une copie de ce contrat de licence. Mazen indique qu’il a fouillé dans les dossiers de la demanderesse et qu’il a été incapable de trouver sa copie du contrat. Il affirme que [traduction« pour autant que je sache, elle a été détruite lors d’une inondation qui s’est produite au domicile de Marwan en 2005 ».

[56]  Mazen déclare que l’obligation pour la société défenderesse de payer une « redevance de franchise » de 500 $ par mois a été éliminée d’un commun accord en 2005. À la suite de cette modification aux conditions du contrat de licence, Mazen affirme que les défendeurs ont exploité le commerce du chemin Baxter sous licence pendant plus de 14 ans et qu’ils se sont généralement conformés à l’engagement d’achat et à la restriction territoriale. 

[57]  Pour justifier cette allégation, Marwan a produit des comptes des ventes de Tannis Food Distributors, le fournisseur désigné de la demanderesse, qui font mention des achats effectués pour le compte de la pizzeria du chemin Baxter au cours des années. Ces comptes confirment que les défendeurs ont acheté des quantités importantes de fournitures à cette compagnie.

[58]  Selon Mazen, les relations entre la demanderesse et les défendeurs ont commencé à se détériorer en 2015; la situation a culminé lors de la résiliation du contrat de licence des défendeurs par la demanderesse le 29 juin 2016. À ce moment‑là, la demanderesse a exigé que le restaurant du chemin Baxter cesse de s’afficher comme une pizzeria Milano, ce que les défendeurs ont refusé de faire.

[59]  Dans son affidavit, Marwan Kassis se dit généralement d’accord sur la version des événements exposée par Mazen.

[60]  Bien qu’il ne se souvienne pas qui a signé l’accord, Marwan confirme qu’il existait un contrat de licence écrit entre la demanderesse et les défendeurs, lequel régissait [traduction« les conditions essentielles de l’exploitation d’une PIZZERIA MILANO (c.‑à‑d. l’achat de sauce de marque MILANO PIZZERIA, de fromage et de peppéroni chez Tannis ainsi que la restriction de la publicité sur leur territoire) », ainsi que la redevance de franchise.

[61]  Marwan admet que la demanderesse n’a pas été en mesure de retrouver une copie du contrat de licence conclu avec les défendeurs. Il affirme qu’il a probablement été détruit lors d’une inondation qui s’est produite à son domicile. Pour justifier cette théorie, Marwan a produit une lettre de son assureur, dans laquelle il est indiqué qu’il avait souscrit une police d’assurance locataire auprès de State Farm au cours des années allant de 1999 à 2014 et qu’il avait présenté quatre demandes d’indemnisation à la compagnie pendant cette période. Aucune mention n’est faite des dates de ces demandes d’indemnisation ni de leur objet.

[62]  Marwan conteste l’allégation de Vahid Khorrami selon laquelle il a exploité indépendamment le commerce du chemin Baxter en exerçant le [traduction« contrôle complet » sur ses méthodes de publicité et de mise en marché de l’entreprise. Marwan convient que les exploitants indépendants des pizzerias Milano [traduction« jouissaient de beaucoup de liberté » et qu’ils contrôlaient notamment la façon dont ils faisaient la publicité et la mise en marché de leur commerce. Toutefois, il fait valoir que toutes les pizzerias, y compris celle du chemin Baxter, étaient tenues d’acheter leurs fournitures chez un fournisseur désigné et de restreindre leurs ventes et leur publicité à leur territoire géographique. Sous réserve de ces règles, Marwan convient que les exploitants indépendants des pizzerias Milano [traduction« étaient libres d’exploiter leur entreprise comme ils le jugeaient approprié ».

[63]  La demanderesse a également produit un affidavit de George Shacker. M. Shacker travaillait comme représentant des ventes chez Tannis Food Distributors à Ottawa et il était le principal représentant chargé des ventes d’aliments et de fournitures à tous les établissements des pizzerias Milano. Il affirme que pour certains types de fournitures, en particulier le fromage, le peppéroni et la sauce à pizza, les exploitants indépendants des pizzerias Milano achetaient exclusivement des produits de marque MILANO PIZZERIA. Avant que ces produits soient créés, les exploitants indépendants achetaient seulement les marques de fromage, de peppéroni et de sauce à pizza désignées par la demanderesse.

[64]  M. Shacker ajoute que les défendeurs achetaient [traduction« la vaste majorité » de leurs fournitures chez Tannis Food Distributors, y compris la totalité de leur fromage, de leur peppéroni et de leur sauce à pizza, à l’instar de tous les autres exploitants indépendants des pizzerias Milano.

[65]  En dernier lieu, la demanderesse a produit des affidavits de sept exploitants indépendants des pizzerias Milano, lesquels confirment tous qu’ils exploitent leur pizzeria Milano en vertu de contrats de licence écrits conclus avec la demanderesse, bien que l’un des exploitants, Ari Fazil, admette que seulement une de ses trois pizzerias Milano fait l’objet d’un contrat de licence écrit et que les règles encadrant l’exploitation de ses deux autres pizzerias n’ont pas été énoncées par écrit.

[66]  La plupart des contrats de licence avec les exploitants indépendants des pizzerias Milano qui ont été produits par la demanderesse prévoient que la demanderesse [traduction« a déposé le nom “ Milano Pizza ” comme marque de commerce ». Les contrats prévoient également que la demanderesse octroie au titulaire de la licence [traduction« une licence non exclusive l’autorisant à employer le nom “ Milano Pizza ” à certaines conditions ». Dans ces contrats, on ne trouve aucune mention particulière du dessin‑marque MILANO PIZZERIA, bien que certains d’entre eux mentionnent en fait le « logo Milano ».

B.  La preuve des défendeurs

[67]  Les défendeurs nient avoir conclu un contrat de licence (écrit ou non) avec Marwan Kassis ou avec la demanderesse pour régir l’emploi des marques MILANO.

[68]  De plus, Vahid Khorrami affirme sous serment que son commerce n’a jamais été assujetti à un contrat de licence portant sur l’emploi des mots « Milano Pizzeria » comme dénomination commerciale au cours de la période pendant laquelle il a été propriétaire de la pizzeria du chemin Baxter. Il affirme qu’il a toujours été [traduction« complètement libre de faire ce qu’il voulait de la dénomination “ Milano Pizzeria ” » et du dessin‑marque MILANO.

[69]  M. Khorrami ajoute que les propriétaires de la pizzeria du chemin Baxter exploitaient leur commerce en toute indépendance de la demanderesse, qu’ils exerçaient un contrôle complet sur la façon dont ils faisaient la publicité et la mise en marché de leur commerce et qu’ils faisaient leurs propres choix en ce qui concerne les plats au menu, les recettes et les ingrédients.

[70]  D’après M. Khorrami, la centralisation des activités d’achat est entrée en vigueur à une certaine époque autour de 1996. Cette initiative était justifiée par la conscience qu’avaient les exploitants indépendants des pizzerias Milano qu’en regroupant leurs achats, ils seraient en mesure d’obtenir des escomptes et des remises financières qu’ils pourraient consacrer à leur budget commun de publicité et de mise en marché. M. Khorrami reconnaît que cet arrangement était logique au plan administratif, mais il fait valoir que la centralisation des achats était [traduction« purement volontaire » et qu’il faisait appel à d’autres fournisseurs pour certains produits, même s’il achetait des fournitures chez un fournisseur central.

[71]  M. Khorrami allègue que le système d’achat centralisé des pizzerias Milano a bien fonctionné au cours de la première année et que les escomptes et les remises financières qui ont découlé des volumes d’achat plus élevés ont été consacrées à la mise en marché et à la publicité communes au bénéfice de tous les exploitants indépendants des pizzerias Milano. Toutefois, au bout de plus ou moins un an, M. Khorrami affirme que Marwan a unilatéralement modifié cet arrangement et a revendiqué la propriété des remises et du nouveau dessin‑marque MILANO. M. Khorrami indique qu’il a décidé de passer outre aux exigences de Marwan et qu’il a continué à exploiter indépendamment la pizzeria du chemin Baxter en se servant de ses propres menus, ingrédients et recettes ainsi que de ses marques d’identification sur ses boîtes à pizza et de son matériel de publicité et de mise en marché. Dans la mesure où il a continué d’acheter des fournitures chez le fournisseur désigné, M. Khorrami affirme qu’il l’a fait volontairement, étant donné qu’il continuait d’être logique d’agir de cette façon en raison du prix et de la qualité des produits en question.

[72]  M. Khorrami soutient que sa vente de la pizzeria du chemin Baxter aux défendeurs [traduction« a été faite librement de toute restriction, entente ou licence préexistante qui aurait influé sur la vente du commerce ou sur son exploitation indépendante » par la société défenderesse.

[73]  Le défendeur Chadi Wansa nie lui aussi que lui‑même et ses coacquéreurs de la pizzeria du chemin Baxter aient jamais été assujettis à quelque forme de contrat de licence régissant leur emploi des marques MILANO. M. Wansa déclare que la société défenderesse a acquis l’actif de la pizzeria du chemin Baxter en 2002 de la société à numéro des frères Khorrami. Il a produit une copie du contrat d’achat de l’actif qui ne contient aucune condition régissant ou restreignant l’emploi des dénominations « Milano Pizzeria » ou « Milano Pizza », du dessin‑marque MILANO ni de tout autre droit de propriété intellectuelle.

[74]  M. Wansa fait également valoir que depuis qu’elle a acquis l’établissement du chemin Baxter, sa compagnie [traduction« exerce le plein contrôle des activités de Milano Baxter, y compris de l’emploi des noms commerciaux Milano Pizza et Milano Pizzeria, du logo Milano Pizzeria, des méthodes comptables, des uniformes, des affichages de menus, des plats offerts au menu, des recettes et des ingrédients utilisés dans nos pizzas et dans nos autres plats au menu ».

[75]  M. Wansa reconnaît que la société défenderesse a coordonné les achats et la publicité avec les exploitants indépendants des pizzerias Milano, mais il affirme que cette coordination était [traduction« tout à fait volontaire ». Selon M. Wansa, la demanderesse et les exploitants indépendants des pizzerias Milano collaborent dans le cadre de ce qu’il qualifie [traduction« une entreprise familiale et une coopérative d’achat organisées à la bonne franquette ». Dans le cadre de cet arrangement, la demanderesse et Marwan Kassis agissent à titre d’acheteurs et de coordonnateurs pour le compte des exploitants indépendants et ils sont rémunérés pour leur travail grâce aux remises des fournisseurs.

[76]  En 2003, M. Wansa a également acquis le nom de domaine milanopizzeria.ca et il s’est servi de ce nom de domaine et du site Web qu’il a créé afin de faire la promotion de l’établissement du chemin Baxter et, subséquemment, d’autres commerces indépendants de pizzerias Milano. Il a ensuite modifié le site Web pour permettre les commandes de repas en ligne.

[77]  M. Wansa déclare qu’il a employé les marques MILANO, y compris le dessin‑marque MILANO ainsi que le nom de domaine milanopizzeria.ca, pendant de nombreuses années au vu et au su de la demanderesse et sans que celle‑ci se plaigne de leur emploi. Pendant cette période, les particuliers et la société défendeurs n’ont jamais été parties à quelque genre de contrat de licence que ce soit avec la demanderesse et n’ont jamais été assujettis à quelque restriction que ce soit régissant l’emploi des marques MILANO.

[78]  Mazen Kassis a assumé la présidence de la demanderesse en 2013. M. Wansa affirme que Mazen a alors commencé à tenter d’exercer de plus en plus de contrôle à l’égard des exploitants indépendants des pizzerias Milano dans le but de produire des revenus supplémentaires au bénéfice de la demanderesse. D’après M. Wansa, Mazen a allégué qu’en raison de sa propriété du dessin‑marque MILANO, la demanderesse avait le droit exclusif d’employer la dénomination commerciale Milano Pizzeria au Canada. Ces prétentions ont débouché sur l’introduction de poursuites contre les défendeurs et d’autres exploitants indépendants de pizzerias Milano.

[79]  À une exception près, les contrats de licence qui ont été produits par la demanderesse ont tous été signés en 2012 ou subséquemment, ce qui, d’après M. Wansa, corrobore sa prétention selon laquelle Mazen a commencé à tenter de changer les règles du jeu en 2013 ou vers cette date.

[80]  M. Wansa ajoute qu’avant de prendre conscience des intentions véritables de Mazen, il a été persuadé de céder la propriété du nom de domaine milanopizzeria.ca à la demanderesse, étant entendu que celle‑ci prendrait ensuite à sa charge le coût de l’exploitation du site Web. M. Wansa fait valoir que la cession a été faite à la condition que la demanderesse s’engage à ne jamais retirer la pizzeria du chemin Baxter du site Web de Milano Pizzeria. M. Wansa a produit un échange de courriels qui, d’après lui, justifient son allégation selon laquelle la demanderesse a pris cet engagement envers lui.

[81]  Selon M. Wansa, Mazen et Mahmoud Tabaja (un autre des défendeurs reconventionnels) ont effectué des démarches auprès de la société défenderesse à un certain nombre de reprises pour demander que la compagnie signe un contrat de licence régissant l’emploi du dessin‑marque MILANO. M. Wansa affirme qu’il a refusé que son entreprise signe une entente de cette nature, étant donné qu’il croyait que la demanderesse n’était pas propriétaire du dessin‑marque MILANO et qu’il n’était pas disposé à renoncer à l’autonomie dont le commerce du chemin Baxter avait bénéficié pendant quelque 15 ans.

[82]  L’effort déployé par Mazen pour exercer de plus en plus de contrôle sur les pizzerias Milano indépendantes en général et sur la pizzeria du chemin Baxter en particulier a fini par provoquer l’éclatement de la relation entre la demanderesse et les défendeurs. L’un des résultats de cette rupture a été le retrait de la pizzeria du chemin Baxter du site Web de Milano Pizzeria en 2016, ce qui, affirme M. Wansa, a causé une perte de revenus aux défendeurs. L’introduction de la présente poursuite est un autre résultat de la rupture de la relation entre les parties.

C.  Analyse

[83]  À la lumière de cet examen de la preuve produite par chacune des parties, on constate aisément qu’il existe une divergence d’opinions fondamentale entre les parties sur la question de savoir si les défendeurs ont déjà été assujettis à un contrat de licence, écrit ou non, qui aurait régi leur emploi des marques MILANO en général et du dessin‑marque MILANO en particulier, ainsi que sur la question de savoir quelles auraient pu être les conditions d’une telle entente.

[84]  Les deux parties ont produit une preuve par affidavits dans laquelle leurs témoins respectifs ont déclaré sous serment que les défendeurs étaient ou n’étaient pas obligés par une entente quelconque de cette nature. Pour régler ces questions, il faut donc procéder à l’appréciation de la crédibilité relative des divers témoins.

[85]  Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt TPG Technology précité, les juges qui entendent et observent les témoins qui déposent de vive voix au procès sont mieux placés pour apprécier la crédibilité relative des témoins et pour tirer des inférences que les juges qui doivent uniquement se fonder sur des affidavits et des éléments de preuve documentaires.

[86]  Je suis convaincue qu’il ne serait pas approprié d’essayer de trancher la question de savoir s’il existait réellement un contrat de licence régissant l’emploi par les défendeurs des marques MILANO à la seule lumière du dossier dont je suis saisie. Il existe irréfutablement une véritable question litigieuse relativement à cet enjeu et il est évident que celle‑ci devrait être tranchée en tenant compte des témoignages rendus de vive voix.

[87]  Ayant statué que je suis saisie d’une véritable question litigieuse quant à l’existence d’un contrat de licence entre les parties et quant aux conditions en vertu desquelles les défendeurs ont employé les marques MILANO à compter de 2002, je dois ensuite décider si un jugement peut ou devrait être rendu relativement à l’un ou l’autre des arguments que les défendeurs ont fait valoir en ce qui concerne la validité des marques MILANO. Le premier de ces arguments porte sur la question de savoir si le dessin‑marque MILANO était enregistrable en date du 22 novembre 2002. Cette question sera l’objet des prochains paragraphes.

VI.  Le dessin‑marque MILANO était‑il enregistrable à la date de l’enregistrement?

[88]  En vertu des dispositions de l’article 19 de la Loi sur les marques de commerce, l’enregistrement d’une marque de commerce est présumé valide et les défendeurs reconnaissent qu’ils ont le fardeau de prouver que le dessin‑marque MILANO de la demanderesse est invalide. Je souscris à cette affirmation : Tommy Hilfiger Licensing Inc. c Produits de Qualité I.M.D. Inc., 2005 CF 10, au paragraphe 34, [2005] ACF no 17. Le libellé intégral des dispositions pertinentes de la Loi sur les marques de commerce est joint à l’annexe B des présents motifs.

[89]  Les défendeurs soutiennent que, aux termes des dispositions de l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les marques de commerce, le dessin‑marque MILANO n’était pas enregistrable en date du 22 novembre 2002 (la date de l’enregistrement de la marque) pour des raisons de confusion.

[90]  D’après les défendeurs, la marque « Milano » était et est constituée d’un mot n’étant principalement que le nom ou le nom de famille d’un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes, ce qui va à l’encontre des dispositions de l’alinéa 12(1)a) de la Loi sur les marques de commerce. Les défendeurs font en outre valoir que « Milano » donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse d’un lieu d’origine des services en lien avec lesquels ce mot est employé, en violation des dispositions de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce.

[91]  À l’appui de leur théorie selon laquelle le dessin‑marque MILANO n’était pas enregistrable, les défendeurs font ressortir des déclarations qui ont été faites par l’avocat de la demanderesse durant la poursuite portant sur le dessin‑marque MILANO. Ces remarques ont été formulées en réponse aux préoccupations que le registraire des marques de commerce avait soulevées au sujet de la confusion possible avec la marque de commerce préexistante no TMA380,997.

[92]  Dans sa réponse, l’avocat de la demanderesse a fait remarquer que le mot « MILANO » [traduction« est en réalité un nom commercial commun en lien avec des restaurants et des cafés au Canada ». La demanderesse a en outre fait observer que la Cour a déjà statué que « MILANO » est simplement le nom d’un lieu géographique qui ne possède pas de signification secondaire, qui ne peut pas être monopolisé et qui demeure du domaine public : Livitadis (Milano Dining Room & Lounge Ltd. et al.) c Milano Express (Medicine Hat) Ltd. (1987), 15 C.P.R. (3d) 272, [1987] F.C.J. No. 413.

[93]  Les défendeurs allèguent que la demanderesse ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Après avoir obtenu l’enregistrement du dessin‑marque MILANO en plaidant que le mot « MILANO » donne une description claire et non distinctive et qu’il ne peut donc pas être monopolisé, la demanderesse ne peut pas maintenant plaider qu’elle possède des droits exclusifs à l’égard des marques MILANO, y compris du dessin‑marque MILANO. À tout le moins, ajoutent les défendeurs, le dessin‑marque MILANO est invalide selon l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les marques de commerce, étant donné qu’il n’aurait pas été enregistrable à la date de l’enregistrement.

A.  Existe‑t‑il une véritable question litigieuse en ce qui a trait à l’enregistrabilité?

[94]  La question de savoir si le dessin‑marque MILANO était enregistrable en date du 22 novembre 2002 ne met aucunement en cause la crédibilité des témoins. Elle ne dépend pas non plus du fait qu’il existait ou n’existait pas entre les parties un contrat de licence valide régissant l’emploi par les défendeurs du dessin‑marque MILANO. Par conséquent, je suis convaincue qu’il convient de trancher cette question sur requête en jugement sommaire.

[95]  La position des défendeurs présente une difficulté, en ce sens que leurs observations sur cette question sont pratiquement toutes centrées sur les mots que contient le dessin‑marque MILANO, plutôt que sur les éléments de communication graphique de la marque. Toutefois, le dessin‑marque MILANO ne contient pas seulement les mots « Milano Pizzeria ». En fait, comme je l’ai fait remarquer précédemment, la demanderesse a expressément renoncé à employer le mot « pizzeria » en lien avec le dessin‑marque MILANO et elle ne prétend pas maintenant être propriétaire du mot « Milano » en soi comme marque de commerce ou autre.

[96]  En plus des mots « Milano Pizzeria », le dessin‑marque MILANO de la demanderesse comporte aussi des éléments de communication graphique qui rendent la marque distinctive dans son ensemble. Ceux‑ci comprennent la mise en page et la police de caractère des mots ainsi que la pointe de pizza qui figure dans la lettre « O » de « Milano » et qui est l’élément le plus distinctif du dessin‑marque MILANO.

[97]  Comme l’a souligné la Cour fédérale dans la décision Milano Dining Room précitée, « Milano » est simplement une ville de l’Italie; il s’agit d’un terme descriptif au plan géographique. La Cour a donc statué que le mot ne peut normalement pas être enregistré comme marque de commerce, à moins qu’il ait acquis « un nom ou une signification secondaire ou graphique ».

[98]  Les deux marques en cause dans l’affaire Milano Dining Room employaient le mot « Milano », mais la Cour a statué que la similitude entre les marques s’arrêtait là. L’intimée dans cette affaire employait également le mot « Express » en lien avec « Milano » ainsi que le logo d’un train, ce qui est encore plus important pour notre analyse. Compte tenu des différences entre les deux marques, la Cour n’était pas convaincue que celles‑ci créeraient de la confusion et elle a refusé de radier la marque « MILANO EXPRESS » accompagnée d’un train de l’intimée.

[99]  En l’espèce, non seulement le dessin‑marque MILANO contient‑il les mots « Milano » et « Pizzeria », il comporte également les éléments de communication graphique décrits ci‑dessus, ce qui rend la marque distinctive. Compte tenu de ceux‑ci, les défendeurs n’ont pas prouvé qu’il existe une véritable question litigieuse à l’égard de l’enregistrabilité du dessin‑marque MILANO aux termes de l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les marques de commerce.

B.  Un jugement sommaire devrait‑il être rendu en faveur de la demanderesse?

[100]  Étant donné que j’ai statué qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse en ce qui concerne l’enregistrabilité du dessin‑marque MILANO aux termes de l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les marques de commerce, la question qui se pose ensuite consiste à décider si un jugement sommaire devrait être rendu en faveur de la demanderesse sur cette question, vu que la requête en jugement sommaire dont je suis saisie a été présentée par les défendeurs et que la demanderesse n’a présenté aucune requête incidente.

[101]  Invoquant la décision de la Cour Apotex Inc. c Pfizer Canada Inc., 2016 CF 136, [2017] 1 R.C.F. 3, la demanderesse fait valoir que la Cour peut en fait prononcer un jugement sommaire en faveur d’une partie qui répond à une requête en jugement sommaire, même si elle n’a pas présenté de requête incidente.

[102]  Dans la décision Apotex, le juge Diner a statué que s’il était en mesure de se prononcer sur une question de fait ou de droit et s’il n’y avait rien d’autre à gagner en soumettant la question à un procès exhaustif, il pouvait se prononcer en faveur de la partie intimée, même si elle n’avait pas présenté de requête incidente en jugement sommaire : paragraphes 34‑35. Il a ensuite conclu que « comme la question principale dans la présente requête prévoit l’interprétation de la loi régissant les paiements de taxe, et qu’elle ne dépend pas des éléments de preuve présentés, je conclus que la Cour peut accorder un jugement sommaire en faveur de l’une ou l’autre des parties, qu’une motion incidente ait été déposée ou non ».

[103]  D’après ce que je comprends, les défendeurs sont d’accord sur le fait qu’un jugement sommaire peut en fait être rendu en faveur d’une partie intimée dans un cas approprié, même en l’absence d’une requête incidente de la part de cette partie. Toutefois, les défendeurs affirment que les questions litigieuses en l’espèce sont beaucoup plus complexes que la situation factuelle dont la Cour était saisie dans l’affaire Apotex et qu’il s’agit donc d’un cas qui ne se prête pas au prononcé d’un jugement sommaire en faveur de la demanderesse. Face à cette position, on peut certes se demander comment il se fait que le cas se prête au prononcé d’un jugement sommaire en faveur de la partie requérante si la complexité des questions abordées dans la requête des défendeurs est telle qu’un jugement sommaire ne devrait pas être rendu en faveur de la partie intimée.

[104]  Les défendeurs font également valoir que le caractère adéquat de leur défense n’est pas remis en question par la requête en jugement sommaire, donnant ainsi à entendre qu’ils n’ont pas présenté l’intégralité de leur cause devant la Cour à l’appui de leur requête. Je ne souscris pas à cet argument.

[105]  Comme je l’ai déjà fait remarquer, les parties à une requête en jugement sommaire sont tenues de présenter leurs meilleurs arguments sur chaque question, ce qui signifie qu’elles doivent présenter toute leur preuve à l’appui de la requête ou en réponse à celle‑ci. En fait, la Cour a fait observer qu’une fois saisie d’une requête en jugement sommaire, la Cour « est justifiée de tenir pour acquis que les parties à la requête ont présenté leurs meilleurs arguments et que, si l’affaire était instruite, aucune preuve additionnelle ne serait déposée » : Rude Native Inc. c Tyrone T. Resto Lounge, 2010 CF 1278, au paragraphe 16, [2010] ACF no 1580.

[106]  De plus, en prétendant qu’ils n’avaient pas présenté l’intégralité de leur défense devant la Cour, les défendeurs ont formulé un commentaire général dans le contexte de l’ensemble de la cause et celui‑ci ne portait pas expressément sur la question de l’enregistrabilité. Les défendeurs ont été avisés du fait que la demanderesse allait demander un jugement sommaire en sa faveur dans son mémoire des faits et du droit. Toutefois, sans égard à leur affirmation vague selon laquelle ils n’avaient pas produit devant la Cour toute leur preuve à l’appui de leur défense, les défendeurs n’ont signalé aucun élément de preuve (que ce soit en lien avec la question de l’enregistrabilité du dessin‑marque MILANO de la demanderesse ou autre) qu’ils n’ont pas exposé ou qu’ils n’ont pas pu exposer devant la Cour.

[107]  Pour ce qui est de savoir si la Cour a le pouvoir d’accorder un jugement sommaire en faveur d’une partie intimée, je commencerais en faisant remarquer que la requête des défendeurs en jugement sommaire était très précise en ce qui concerne les conditions du redressement demandé. Contrairement à la situation à laquelle la Cour d’appel fédérale faisait face dans l’affaire Albian Sands Energy Inc. c Positive Attitude Safety System Inc., 2005 CAF 332, [2006] 2 R.C.F. 50 (décision annulant un jugement sommaire rendu en faveur d’une partie non requérante sur des questions qui n’avaient pas été soulevées dans la requête en jugement sommaire de la partie requérante), la question de l’enregistrabilité du dessin‑marque MILANO aux termes de l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les marques de commerce a été invoquée directement devant la Cour dans l’avis de requête des défendeurs. Par conséquent, la question de l’enregistrabilité relève manifestement de la portée de la requête dont je suis saisie.

[108]  Il importe de souligner que dans l’arrêt Albian Sands, la Cour d’appel fédérale n’a pas laissé entendre qu’un jugement sommaire ne pouvait jamais être rendu en faveur d’une partie intimée. Elle a plutôt statué qu’il ne convenait pas d’accorder un jugement sommaire en faveur de la partie intimée dans cette affaire, étant donné que les questions sur lesquelles le jugement avait été accordé ne relevaient pas toutes de la portée de la requête dont la Cour était saisie. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[109]  J’admets que la jurisprudence n’est pas unanime sur ce point. Dans la décision Venngo Inc. c Concierge Connection Inc., faisant affaire sous le nom Perkopolis, Morgan C. Marlowe et Richard Thomas Joynt, 2013 CF 300, [2013] ACF no 1439, conf. 2013 CAF 272, [2013] ACF no 1298, la Cour a statué que la Cour fédérale ne pouvait pas accorder de jugement sommaire contre une partie requérante, à l’exception possible des situations dans lesquelles l’unique véritable question litigieuse est une question de droit : paragraphes 5 et 6.

[110]  La décision a été subséquemment confirmée par la Cour d’appel fédérale. Toutefois, il appert des motifs de la Cour d’appel fédérale que le seul pourvoi en appel dont elle était saisie avait été interjeté par la partie requérante qui alléguait que la Cour fédérale avait commis une erreur en rejetant sa requête en jugement sommaire. Aucun pourvoi en appel ne semble avoir été interjeté par la partie intimée dans la requête à l’égard de la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle un jugement sommaire ne devait pas être rendu en sa faveur en l’absence d’une requête incidente en jugement sommaire de sa part. Par conséquent, il n’existe pas de jurisprudence en appel que je serais tenue de prendre en compte sur cette question.

[111]  Le paragraphe 215(1) des Règles des Cours fédérales prévoit que « [s]i, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence ». Rien dans le libellé de cette disposition des Règles ne restreint le pouvoir qu’a la Cour de rendre un jugement sommaire en faveur d’une partie intimée dans une requête en jugement sommaire.

[112]  En fait, comme je l’ai mentionné ci‑dessus, une fois que la Cour est saisie d’une question qu’elle est appelée à trancher par voie sommaire, les deux parties sont tenues de présenter leurs meilleurs arguments. La Cour est ensuite appelée à décider si le dossier dont elle est saisie révèle une véritable question litigieuse. Il serait contraire aux dispositions de l’article 3 des Règles des Cours fédérales et aux valeurs qui sous‑tendent la procédure de jugement sommaire, qui a été décrite dans les arrêts Hryniak et Manitoba, que la Cour ordonne qu’une question donne lieu à un procès en bonne et due forme lorsqu’il paraît évident, à la lumière du dossier dont elle est saisie, qu’il n’existe en fait aucune véritable question litigieuse, simplement en raison du fait que c’est la partie intimée, et non la partie requérante, qui a été en mesure d’établir que tel était en fait le cas.

[113]  Pour ces motifs, je suis convaincue qu’il convient d’accorder un jugement sommaire en faveur de la demanderesse sur la question de l’enregistrabilité.

VII.  Le dessin‑marque MILANO était‑il invalide en raison de son manque de caractère distinctif au moment où la demande reconventionnelle a été introduite?

[114]  Invoquant les dispositions de l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur les marques de commerce, les défendeurs allèguent que le dessin‑marque MILANO n’était pas distinctif en date du 2 juin 2017 (la date à laquelle la demande reconventionnelle a été introduite). Les défendeurs affirment que cet argument est fondé sur le fait qu’il y a eu emploi du dessin‑marque (de même que des marques de commerce et des dénominations dont il est dérivé) pendant une très longue période par chacun des exploitants indépendants des pizzerias Milano à la connaissance de la demanderesse, de sorte que le dessin‑marque déposé MILANO ne pouvait pas distinguer les services de la demanderesse de ceux des défendeurs et d’autres.

[115]  Comme nous l’avons vu auparavant, les défendeurs allèguent qu’eux‑mêmes et d’autres exploitants indépendants de pizzerias Milano s’étaient servis des marques MILANO, y compris du dessin‑marque MILANO, sans qu’aucun contrôle ne soit exercé par la demanderesse sur l’emploi des marques, de sorte que leur emploi des marques n’a pas profité à la demanderesse aux termes du paragraphe 50(1) de la Loi sur les marques de commerce. Selon le libellé de cette disposition, « si une licence d’emploi d’une marque de commerce est octroyée (…) à une entité par le propriétaire de la marque (…) et que celui‑ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des produits et services, l’emploi, la publicité ou l’exposition de la marque (…) par cette entité (…) ont le même effet (…) que s’il s’agissait de ceux du propriétaire. ».

[116]  Selon les défendeurs, l’emploi des marques MILANO par eux‑mêmes et par d’autres en lien avec leurs propres pizzerias a eu comme effet d’enlever tout caractère distinctif aux marques de la demanderesse quant à ses marchandises et ses services.

[117]  La décision sur la question du caractère distinctif sera donc tributaire, du moins en partie, des conclusions factuelles qui découleront en fin de compte quant à l’existence d’un contrat de licence entre la demanderesse et les défendeurs, qu’il ait été écrit ou non, et aux conditions, le  cas échéant, qui régissaient l’emploi des marques MILANO de la demanderesse par les défendeurs et d’autres exploitants indépendants de pizzerias Milano. Étant donné que j’ai déjà statué qu’il existe une véritable question litigieuse à l’égard de ces points, il s’ensuit qu’il ne convient pas de disposer de la question du caractère distinctif sur une requête en jugement sommaire.

VIII.  La demanderesse avait‑elle le droit d’enregistrer le dessin‑marque MILANO?

[118]  Invoquant les dispositions de l’alinéa 18(1)d) de la Loi sur les marques de commerce, les défendeurs font valoir que Milano Pizza Ltd. n’avait pas le droit d’enregistrer le dessin‑marque MILANO, parce qu’il n’était pas employé comme marque à la date de son premier emploi allégué, c’est‑à‑dire en mars 1994. Pour justifier cette allégation, les défendeurs font remarquer que la demanderesse n’a commencé à exister qu’en 1996 et qu’elle n’avait pas désigné de prédécesseur en droit en ce qui concerne la propriété du dessin‑marque MILANO.

[119]  Les défendeurs allèguent en outre que le dessin‑marque MILANO crée de la confusion par rapport aux marques de commerce et aux noms commerciaux qui avaient été employés antérieurement au Canada par chacun des exploitants indépendants de pizzerias Milano et par des tiers, de sorte que le droit réclamé par Milano Pizza Ltd. serait contraire aux dispositions de l’alinéa 16(1)a) de la Loi sur les marques de commerce, qui traite des marques de commerce qui ont été antérieurement employées au Canada ou révélées au Canada par une autre personne. Les défendeurs invoquent également l’alinéa 16(1)c) de la Loi sur les marques de commerce, qui porte sur les noms commerciaux qui ont été antérieurement employés au Canada par une autre personne.

[120]  Étant donné que cet emploi était connu par les défendeurs reconventionnels, les défendeurs font valoir que la disposition sur l’incontestabilité au bout de cinq ans, qui est énoncée au paragraphe 17(2) de la Loi sur les marques de commerce, ne s’applique pas.

[121]  Il existe un conflit d’opinions fondamental entre les parties quant aux circonstances qui ont donné lieu à la création du dessin‑marque MILANO. Selon l’enregistrement de la marque de commerce, la marque aurait été employée pour la première fois en mars 1994. Toutefois, Marwan Kassis ne se souvient pas du moment précis où il a eu l’idée du dessin‑marque MILANO, quoique Mazen affirme que celle‑ci date du début des années 1990. Mazen ajoute que la marque a commencé à être employée par la demanderesse et par les exploitants indépendants de pizzerias Milano à un moment donné au milieu des années 1990.

[122]  En revanche, Vahid Khorrami déclare sous serment que le dessin‑marque MILANO n’existe que depuis 1996, lorsque la marque a commencé à être employée par les exploitants indépendants de pizzerias Milano qui étaient libres de l’employer à leur guise.

[123]  Nous sommes donc en présence d’un désaccord factuel important entre les parties en ce qui concerne la date à laquelle le dessin‑marque MILANO a été employé pour la première fois et les conditions régissant son emploi par les exploitants indépendants de pizzerias Milano, y compris le propriétaire précédent de la pizzeria du chemin Baxter. Le règlement de ce différend reposera en grande partie sur l’appréciation de la crédibilité relative des divers témoins.

[124]  Pour décider si la demanderesse avait le droit d’enregistrer le dessin‑marque MILANO, nous devrons également établir si la demanderesse a contrôlé l’emploi du dessin‑marque MILANO par les défendeurs, leurs prédécesseurs et d’autres exploitants indépendants de pizzerias Milano avant l’enregistrement de la marque. Comme je l’ai indiqué précédemment, la décision sur cette question dépendra, du moins en partie, des conclusions factuelles que je tirerai en fin de compte en ce qui concerne l’existence d’un contrat de licence entre la demanderesse et les défendeurs et leurs prédécesseurs ainsi que les conditions, le cas échéant, qui régissaient l’emploi des marques MILANO de la demanderesse. En tant que tel, il ne convient pas de trancher la question sur une requête en jugement sommaire.

IX.  Existe‑t‑il une véritable question litigieuse en ce qui a trait à la substitution?

[125]  L’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce prévoit que nul ne peut « appeler l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre ». La demanderesse fait valoir que les défendeurs ont agi exactement de cette façon en employant les marques MILANO en lien avec leurs commerces de pizzerias Milano et que cet emploi a créé de la confusion sur le marché.

[126]  Les parties se sont contentées de présenter des observations très limitées sur la question de la substitution dans le cadre des observations qu’elles ont formulées à l’égard de la requête des défendeurs. Toutefois, je crois comprendre que les défendeurs désirent obtenir un jugement sommaire rejetant cet aspect de la poursuite de la demanderesse et que la demanderesse demande un jugement sommaire en sa faveur relativement à cette allégation de substitution.

[127]  Dans une action en substitution, la question consiste à savoir si un défendeur a fait passer ses marchandises ou ses services pour ceux d’un demandeur en employant une marque de commerce qui ressemble de si près à celle du demandeur qu’elle incite les consommateurs à croire qu’ils reçoivent en fait les marchandises ou les services du demandeur : A. Kelly Gill, Fox on Canadian Law of Trade‑marks and Unfair Competition, 4th ed., feuilles mobiles, Toronto, Thomson Reuters Canada, 2002, chapitre 9, section 9.4(b).

[128]  Comme je l’ai déjà indiqué, les défendeurs admettent que la société défenderesse a employé et continue d’employer les marques MILANO (y compris le dessin‑marque MILANO) dans le cours général de son entreprise de pizzeria dans la région d’Ottawa.

[129]  Toutefois, pour avoir gain de cause sur une allégation de substitution, un demandeur doit être en mesure de démontrer que la marque de commerce ou les marques de commerce en cause est ou sont des signes distinctifs de ses marchandises ou de ses services. Le défendeur réussira à repousser une action en substitution s’il peut établir que les marques de commerce en cause [traduction« ne sont pas exclusivement associées aux marchandises, aux services ou à l’entreprise du demandeur et qu’elles ne sont donc pas distinctives » : Fox, précité, chapitre 9, section 9.4(b).

[130]  Comme je l’ai déjà mentionné, les défendeurs affirment qu’en l’absence d’un mécanisme valide d’octroi de licences, tout droit que la demanderesse aurait pu avoir dans les marques MILANO a été éteint en raison de l’emploi des marques par les défendeurs et par des tiers, lequel a fait en sorte que les marques ont perdu tout caractère distinctif qu’elles auraient pu avoir à un moment donné.

[131]  J’ai conclu qu’il existe une véritable question litigieuse à savoir si les défendeurs ont déjà été assujettis à un contrat de licence, écrit ou non, qui aurait régi leur emploi des diverses marques MILANO et quelles auraient été précisément les conditions qu’une telle entente aurait comportées. Il existe également une véritable question litigieuse quant à savoir si l’emploi par les défendeurs et par des tiers des marques MILANO déposées et non déposées a fait disparaître le caractère distinctif des marques MILANO.

[132]  Étant donné que je ne puis statuer sur l’allégation de substitution sans trancher ces questions, il s’ensuit qu’un jugement sommaire ne devrait pas être rendu relativement à l’allégation de substitution de la demanderesse.

[133]  Avant de clore la discussion sur cette question, je ferais remarquer qu’il est vrai que l’existence d’une marque de commerce déposée constitue une défense complète à une action pour substitution. Toutefois, le fait que j’ai déjà statué qu’il existe de véritables questions litigieuses en ce qui concerne la validité du dessin‑marque MILANO est un motif supplémentaire justifiant mon refus d’accorder un jugement sommaire sur cette question.

X.  Existe‑t‑il une véritable question litigieuse en ce qui a trait à la dépréciation de l’achalandage de la demanderesse?

[134]  Le paragraphe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce prévoit que « [n]ul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce ». Toutefois, une action fondée sur l’article 22 pour dépréciation de l’achalandage peut seulement être intentée et accueillie à l’égard d’une marque de commerce déposée : Fox, précité, chapitre 9, section 9.3. L’invalidité d’une marque de commerce déposée constitue une défense complète à une action pour dépréciation de l’achalandage : PVR Co. Ltd. c Decosol Ltd. (1972), 10 C.P.R. (2d) 203, p. 212, [1972] F.C.J. No. 1131, et Fox, précité, chapitre 9, section 9.1.

[135]  J’ai précédemment statué qu’il existe de véritables questions litigieuses en ce qui concerne la validité du dessin‑marque MILANO. Par conséquent, je suis convaincue qu’un jugement sommaire ne devrait pas être rendu relativement à la réclamation de la demanderesse concernant la dépréciation alléguée de la valeur de l’achalandage lié au dessin‑marque MILANO.

XI.  Existe‑t‑il une véritable question litigieuse en ce qui a trait à la réclamation de la demanderesse fondée sur le droit d’auteur?

[136]  En dernier lieu, la demanderesse allègue que les défendeurs ont violé son droit d’auteur sur le dessin‑marque MILANO et sur son matériel publicitaire, plus particulièrement ses menus de plats pour emporter. Les défendeurs font valoir que la demanderesse ne peut pas prouver qu’il existe un droit d’auteur sur le logo représenté dans le dessin‑marque MILANO (le « logo MILANO ») ni qu’elle possède le droit d’auteur sur le logo MILANO ou sur les menus de Milano.

[137]  Marwan Kassis allègue être à l’origine du logo MILANO et il affirme dans son affidavit que même s’il ne se souvient pas de l’année au cours de laquelle il a [traduction« imaginé ce dessin ou au moins cette idée », il a [traduction« assurément créé ce concept », en parlant du logo MILANO. Marwan ajoute qu’il se souvient seulement d’avoir retenu les services d’un graphiste afin que celui‑ci [traduction« créée une version raffinée de [son] idée » et qu’il a imaginé seul l’idée qui est à l’origine du logo MILANO.

[138]  Mazen Kassis affirme que le logo MILANO [traduction« a d’abord été conçu par Marwan au début des années 1990 ». Mazen ajoute que Marwan [traduction« a tracé un croquis à main levée du logo qui ressemble au logo actuel et que le logo a été créé avec l’aide d’un dessinateur ». Mazen fait valoir qu’il a cherché la facture de ce travail de graphisme ainsi que le croquis original de Marwan, mais qu’il n’a pas été en mesure de retrouver ni l’un ni l’autre de ces documents.

[139]  Vahid Khorrami avance une version totalement différente des faits en ce qui concerne les circonstances qui ont donné lieu à la création du logo MILANO. Il affirme qu’en 1996, Marwan a demandé aux exploitants indépendants de pizzerias Milano de contribuer au coût de la conception d’un logo pour créer une apparence plus uniforme entre les exploitants indépendants et pour que ce logo soit employé dans leurs activités communes de publicité et de mise en marché.

[140]  D’après M. Khorrami, chacun des six exploitants indépendants de pizzerias Milano a contribué au coût des services d’un graphiste [traduction« chargé de préparer un certain nombre de logos différents qui allaient être présentés à l’ensemble du groupe ». Après avoir pris connaissance d’une panoplie de logos différents, M. Khorrami indique que le groupe a voté sur le logo qui devait être adopté par les exploitants de pizzerias Milano et qu’il a choisi ce qui est finalement devenu le dessin‑marque MILANO.

[141]  M. Khorrami fait valoir qu’il n’y a eu aucune discussion à l’époque en ce qui concerne la propriété ou l’octroi sous licence du logo, ni sur les conditions, les restrictions ou les limitations qui se rattacheraient à son emploi. Les exploitants de pizzerias Milano étaient libres d’employer le logo MILANO dans leurs affiches, leurs menus et ailleurs, à leur guise.

[142]  La preuve révèle donc un différend fondamental au sujet de la création du logo MILANO. Ces versions des faits ne peuvent pas être véridiques toutes les deux, ce qui soulève manifestement des questions de crédibilité à cet égard. Selon la demanderesse, cette contradiction dans la preuve suffit à soulever une véritable question litigieuse. Même si je suis du même avis que la demanderesse sur le fait que l’existence de questions de crédibilité peut souvent donner naissance à de véritables questions litigieuses, comme je vais l’expliquer ci‑dessous, je ne suis pas persuadée que c’est le cas en l’espèce.

[143]  Sous réserve des conditions énoncées dans la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‑42, le droit d’auteur existe au Canada sur toutes les œuvres artistiques originales. Les marques de commerce et les logos ont été reconnus comme des œuvres artistiques pour les besoins du droit d’auteur : Loi sur le droit d’auteur, article 5; Motel 6 Inc. c No. 6 Motel Limited (1981), [1982] 1 CF 638, au paragraphe 3; Guillemette c. Centre coopératif de loisirs et de sports du Mont Orignal (1986), 15 C.P.R. (3d) 409, [1986] ACF no 814. Le libellé intégral des dispositions pertinentes de la Loi sur le droit d’auteur est joint à l’annexe C des présents motifs.

[144]  La protection du droit d’auteur sur des œuvres artistiques ne couvre pas les idées; elle se limite à leur expression : Kantel c Grant, [1933] Ex. C.R. 84, au paragraphe 12. Les idéateurs ne sont généralement pas considérés comme des auteurs. Étant donné que le droit d’auteur prend naissance dans l’expression d’une œuvre et non dans l’idée qui la sous‑tend, une personne qui se contente de suggérer l’idée d’une œuvre n’est pas l’auteur de celle‑ci : Kantel, précité, aux paragraphes 10‑11.

[145]  Marwan Kassis prétend avoir imaginé la conception ou au moins l’idée du logo MILANO, y compris la pointe de pizza dans la lettre « O » de MILANO. Toutefois, il n’a pas donné d’explication sur l’information qui a été transmise au graphiste ni sur la façon dont le dessin créé par le graphiste se comparait à son idée ou à son concept – les éléments qui étaient similaires et ceux qui pouvaient être différents.

[146]  Mazen Kassis allègue que Marwan a remis au graphiste un croquis à main levée représentant son idée pour le logo MILANO, lequel ressemblait à l’image qui a finalement été enregistrée comme dessin‑marque MILANO, affirme‑t‑il. Cependant, Mazen n’a pas décrit à quel point le croquis de Marwan ressemblait au logo MILANO ni comment ceux‑ci pouvaient être différents l’un de l’autre.

[147]  Marwan lui‑même ne mentionne pas avoir préparé de croquis de cette nature et il n’a pas allégué avoir remis au graphiste un croquis représentant son idée ou son concept pour le logo MILANO.

[148]  Comme je l’ai mentionné auparavant dans les présents motifs, la partie qui introduit une requête en jugement sommaire et celles qui répondent à une telle requête sont tenues de « présenter leurs meilleurs arguments » dans le cadre de l’examen de la requête. À mon avis, la demanderesse n’a pas réussi à le faire en l’espèce. Sa preuve concernant les circonstances qui ont mené à la création du logo MILANO est vague, imprécise, incohérente et incomplète. Elle ne réussit pas à démontrer que c’est Marwan, et non le graphiste non identifié, qui a exercé le talent et le jugement nécessaires pour produire une œuvre originale : CCH Canadienne Ltée c Barreau du Haut‑Canada, 2004 CSC 13, au paragraphe 16, [2004] 1 RCS 339.

[149]  Cela étant dit, le problème le plus fondamental qui découle de la preuve de la demanderesse en ce qui concerne la question du droit d’auteur est le suivant : même si je devais accepter la totalité de la preuve de Mazen et Marwan Kassis et conclure qu’elle suffisait à établir que Marwan a réellement été l’auteur du logo MILANO, elle ne démontrerait toujours pas que la demanderesse est titulaire de droits opposables aux tiers à cet égard.

[150]  Même si Marwan était réellement titulaire du droit d’auteur sur le logo MILANO, il n’existe aucune preuve qu’il aurait cédé ce droit d’auteur à la demanderesse. Le paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur prévoit qu’une cession de droit d’auteur n’est valable « que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l’objet, ou par son agent dûment autorisé ». Le simple transfert de la possession matérielle de l’œuvre elle‑même n’opère pas transfert de la propriété de l’œuvre : Massie & Renwick c Underwriters’ Survey Bureau Ltd., [1940] SCR 218, page 8.

[151]  Non seulement la demanderesse a‑t‑elle omis de produire un document dans lequel Marwan aurait exprimé l’intention de céder son droit d’auteur sur le logo MILANO à la demanderesse, mais ni Mazen ni Marwan n’ont jamais laissé entendre qu’une telle cession avait eu lieu.

[152]  Il n’a donc pas été établi que la demanderesse était titulaire d’un droit d’auteur opposable aux tiers sur le logo MILANO. Par conséquent, dans la mesure où sa réclamation est fondée sur le droit d’auteur, la cause de la demanderesse est à ce point incertaine qu’elle ne mérite pas d’être prise en considération par le juge des faits dans le cadre d’un procès futur. Par conséquent, il s’ensuit qu’il n’existe aucune véritable question litigieuse à cet égard.

[153]  On ne peut pas voir sans équivoque à la lumière du dossier si la demanderesse fait valoir un droit d’auteur sur les menus de Milano, exception faite de leur emploi du logo MILANO. Si tel est réellement le cas, il suffit de dire qu’elle n’a produit aucune preuve concernant la paternité des menus ni la façon de savoir comment, quand et où ceux‑ci ont été créés. Par conséquent, la demanderesse n’a pas non plus réussi à établir qu’elle était justifiée à faire valoir un droit d’auteur sur les documents en question.

[154]  En conséquence, dans la mesure où la réclamation de la demanderesse repose sur le droit d’auteur, sa demande est rejetée.

XII.  Conclusion

[155]  Pour ces motifs, un jugement sommaire est rendu en faveur de la demanderesse, déclarant que le dessin‑marque MILANO de la demanderesse était enregistrable en date du 22 novembre 2002, conformément à l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les marques de commerce.

[156]  Un jugement sommaire est rendu en faveur des défendeurs, rejetant la demande de la demanderesse, dans la mesure où elle est fondée sur le droit d’auteur.

[157]  La requête en jugement sommaire est par ailleurs rejetée et les questions qui restent en suspens seront décidées à l’issue du procès sur la présente action.

XIII.  Les dépens

[158]  Les deux parties ont demandé un jugement sommaire sur de nombreuses questions. La demanderesse a réussi à obtenir un jugement sommaire sur la question de l’enregistrabilité et les défendeurs ont eu gain de cause sur la question du droit d’auteur. Je refuse de rendre un jugement sommaire sur les questions qui demeurent en suspens, car je conclus qu’elles soulèvent de véritables questions litigieuses. Dans ces circonstances et par l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, les dépens de la requête suivront l’issue de la cause.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑152‑17

LA COUR statue que :

  1. La marque de commerce déposée no TMA571,144 est valide en vertu des dispositions de l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les marques de commerce;

  2. La demande de la demanderesse relative au droit d’auteur est rejetée;

  3. À tous autres égards, la requête en jugement sommaire est rejetée;

  4. Les dépens de la requête suivront l’issue de la cause.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de décembre 2018.

Claude Leclerc, traducteur


ANNEXE A

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106

Federal Courts Rules, SOR/98‑106

Jugement et procès sommaires

Requête et signification

Summary Judgment and Summary Trial

Motion and Service

Requête d’une partie.

Motion by a party

213 (1) Une partie peut présenter une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire à l’égard de toutes ou d’une partie des questions que soulèvent les actes de procédure. Le cas échéant, elle la présente après le dépôt de la défense du défendeur et avant que les heure, date et lieu de l’instruction soient fixés

213 (1) A party may bring a motion for summary judgment or summary trial on all or some of the issues raised in the pleadings at any time after the defendant has filed a defence but before the time and place for trial have been fixed.

Nouvelle requête

Further motion

(2) Si une partie présente l’une de ces requêtes en jugement sommaire ou en procès sommaire, elle ne peut présenter de nouveau l’une ou l’autre de ces requêtes à moins d’obtenir l’autorisation de la Cour.

(2) If a party brings a motion for summary judgment or summary trial, the party may not bring a further motion for either summary judgment or summary trial except with leave of the Court.

Obligations du requérant

Obligations of moving party

(3) La requête en jugement sommaire ou en procès sommaire dans une action est présentée par signification et dépôt d’un avis de requête et d’un dossier de requête au moins vingt jours avant la date de l’audition de la requête indiquée dans l’avis.

(3) A motion for summary judgment or summary trial in an action may be brought by serving and filing a notice of motion and motion record at least 20 days before the day set out in the notice for the hearing of the motion.

Obligations de l’autre partie

Obligations of responding party

(4) La partie qui reçoit signification de la requête signifie et dépose un dossier de réponse au moins dix jours avant la date de l’audition de la requête indiquée dans l’avis de requête.

(4) A party served with a motion for summary judgment or summary trial shall serve and file a respondent’s motion record not later than 10 days before the day set out in the notice of motion for the hearing of the motion.

Jugement sommaire


Summary Judgment

Faits et éléments de preuve nécessaires

Facts and evidence required

214 La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée sur un élément qui pourrait être produit ultérieurement en preuve dans l’instance. Elle doit énoncer les faits précis et produire les éléments de preuve démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse.

214 A response to a motion for summary judgment shall not rely on what might be adduced as evidence at a later stage in the proceedings. It must set out specific facts and adduce the evidence showing that there is a genuine issue for trial.

Absence de véritable question litigieuse

If no genuine issue for trial

215 (1) Si, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

215 (1) If on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

Somme d’argent ou point de droit

Genuine issue of amount or question of law

(2) Si la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est :

(2) If the Court is satisfied that the only genuine issue is

a) la somme à laquelle le requérant a droit, elle peut ordonner l’instruction de cette question ou rendre un jugement sommaire assorti d’un renvoi pour détermination de la somme conformément à la règle 153;

(a) the amount to which the moving party is entitled, the Court may order a trial of that issue or grant summary judgment with a reference under rule 153 to determine the amount; or

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui‑ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

(b) a question of law, the Court may determine the question and grant summary judgment accordingly.

Pouvoirs de la Cour

Powers of Court

(3) Si la Cour est convaincue qu’il existe une véritable question de fait ou de droit litigieuse à l’égard d’une déclaration ou d’une défense, elle peut :

(3) If the Court is satisfied that there is a genuine issue of fact or law for trial with respect to a claim or a defence, the Court may

a) néanmoins trancher cette question par voie de procès sommaire et rendre toute ordonnance nécessaire pour le déroulement de ce procès;

(a) nevertheless determine that issue by way of summary trial and make any order necessary for the conduct of the summary trial; or

b) rejeter la requête en tout ou en partie et ordonner que l’action ou toute question litigieuse non tranchée par jugement sommaire soit instruite ou que l’action se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale.

(b) dismiss the motion in whole or in part and order that the action, or the issues in the action not disposed of by summary judgment, proceed to trial or that the action be conducted as a specially managed proceeding.


ANNEXE B

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T‑13

Trade‑marks Act, R.S.C., 1985, c. T‑13

 

 

Interdictions

7 Nul ne peut :

Prohibitions

7 No person shall

 

[. . .]

[. . .]

 

b) appeler l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

(b) direct public attention to his goods, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his goods, services or business and the goods, services or business of another;

 

[. . .]

[. . .]

 

c) faire passer d’autres produits ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;

(c) pass off other goods or services as and for those ordered or requested; or

 

[. . .]

[. . .]

 

Marque de commerce enregistrable

12 (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

When trade‑mark registrable

12 (1) Subject to section 13, a trade‑mark is registrable if it is not

 

a) elle est constituée d’un mot n’étant principalement que le nom ou le nom de famille d’un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes;

(a) a word that is primarily merely the name or the surname of an individual who is living or has died within the preceding thirty years;

 

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou en liaison avec lesquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou de leur lieu d’origine;

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the goods or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

 

[. . .]

[. . .]

 

Enregistrement des marques employées ou révélées au Canada

16 (1) Tout requérant qui a produit une demande selon l’article 30 en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce qui est enregistrable et que le requérant ou son prédécesseur en titre a employée ou fait connaître au Canada en liaison avec des produits ou services, a droit, sous réserve de l’article 38, d’en obtenir l’enregistrement à l’égard de ces produits ou services, à moins que, à la date où le requérant ou son prédécesseur en titre l’a en premier lieu ainsi employée ou révélée, elle n’ait créé de la confusion :

Registration of marks used or made known in Canada

16 (1) Any applicant who has filed an application in accordance with section 30 for registration of a trade‑mark that is registrable and that he or his predecessor in title has used in Canada or made known in Canada in association with goods or services is entitled, subject to section 38, to secure its registration in respect of those goods or services, unless at the date on which he or his predecessor in title first so used it or made it known it was confusing with:

 

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;

(a) a trade‑mark that had been previously used in Canada or made known in Canada by any other person;

 

[. . .]

[. . .]

 

c) soit avec un nom commercial qui avait été antérieurement employé au Canada par une autre personne.

(c) a trade‑name that had been previously used in Canada by any other person.

 

[. . .]

[. . .]

 

Quand l’enregistrement est incontestable

17 (2) Dans des procédures ouvertes après l’expiration de cinq ans à compter de la date d’enregistrement d’une marque de commerce ou à compter du 1er juillet 1954, en prenant la date qui est postérieure à l’autre, aucun enregistrement ne peut être radié, modifié ou jugé invalide du fait de l’emploi ou révélation antérieure mentionnée au paragraphe (1), à moins qu’il ne soit établi que la personne qui a adopté au Canada la marque de commerce déposée l’a fait alors qu’elle était au courant de cet emploi ou révélation antérieure.

When registration incontestable

17 (2) In proceedings commenced after the expiration of five years from the date of registration of a trade‑mark or from July 1, 1954, whichever is the later, no registration shall be expunged or amended or held invalid on the ground of the previous use or making known referred to in subsection (1), unless it is established that the person who adopted the registered trade‑mark in Canada did so with knowledge of that previous use or making known.

 

[. . .]

[. . .]

 

Quand l’enregistrement est invalide

18 (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

When registration invalid

18 (1) The registration of a trade‑mark is invalid if

 

a) la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement;

(a) the trade‑mark was not registrable at the date of registration;

 

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement;

(b) the trade‑mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced;

 

[. . .]

[. . .]

 

d) sous réserve de l’article 17, l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement.

(d) subject to section 17, the applicant for registration was not the person entitled to secure the registration.

 

[. . .]

[. . .]

 

Droits conférés par l’enregistrement

19 Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de produits ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle‑ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces produits ou services.

Rights conferred by registration

19 Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trade‑mark in respect of any goods or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade‑mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade‑mark in respect of those goods or services.

 

[. . .]

[. . .]

 

Dépréciation de l’achalandage

22 (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce.

Depreciation of goodwill

22 (1) No person shall use a trade‑mark registered by another person in a manner that is likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching thereto.

 

[. . .]

[. . .]

 

Licence d’emploi d’une marque de commerce

Licence to use trade‑mark

 

50 (1) Pour l’application de la présente loi, si une licence d’emploi d’une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui‑ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des produits et services, l’emploi, la publicité ou l’exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial — ou partie de ceux‑ci — ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s’il s’agissait de ceux du propriétaire.

50 (1) For the purposes of this Act, if an entity is licensed by or with the authority of the owner of a trade‑mark to use the trade‑mark in a country and the owner has, under the licence, direct or indirect control of the character or quality of the goods or services, then the use, advertisement or display of the trade‑mark in that country as or in a trade‑mark, trade‑name or otherwise by that entity has, and is deemed always to have had, the same effect as such a use, advertisement or display of the trade‑mark in that country by the owner.

 

[. . .]

[. . .]

 


ANNEXE C

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C‑42)

Copyright Act, R.S.C., 1985, c. C‑42

Conditions d’obtention du droit d’auteur

5 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le droit d’auteur existe au Canada, pendant la durée mentionnée ci‑après, sur toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale si l’une des conditions suivantes est réalisée :

Conditions for subsistence of copyright

5 (1) Subject to this Act, copyright shall subsist in Canada, for the term hereinafter mentioned, in every original literary, dramatic, musical and artistic work if any one of the following conditions is met:

a) pour toute œuvre publiée ou non, y compris une œuvre cinématographique, l’auteur était, à la date de sa création, citoyen, sujet ou résident habituel d’un pays signataire;

(a) in the case of any work, whether published or unpublished, including a cinematographic work, the author was, at the date of the making of the work, a citizen or subject of, or a person ordinarily resident in, a treaty country;

[. . .]

[. . .]

Cession et licences

13 (4) Le titulaire du droit d’auteur sur une œuvre peut céder ce droit, en totalité ou en partie, d’une façon générale ou avec des restrictions relatives au territoire, au support matériel, au secteur du marché ou à la portée de la cession, pour la durée complète ou partielle de la protection; il peut également concéder, par une licence, un intérêt quelconque dans ce droit; mais la cession ou la concession n’est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l’objet, ou par son agent dûment autorisé.

Assignments and licences

13 (4) The owner of the copyright in any work may assign the right, either wholly or partially, and either generally or subject to limitations relating to territory, medium or sector of the market or other limitations relating to the scope of the assignment, and either for the whole term of the copyright or for any other part thereof, and may grant any interest in the right by licence, but no assignment or grant is valid unless it is in writing signed by the owner of the right in respect of which the assignment or grant is made, or by the owner’s duly authorized agent.

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COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑152‑17

 

INTITULÉ :

MILANO PIZZA LTD. c 6034799 CANADA INC., CHADI WANSA, YOUSSEF ZAHER ALIAS JOSEPH ZAHER ET YOUSEF NASSAR ALIAS JOE NASSAR ET AUTRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 OctobrE 2018

 

jugEment ET MOTIFS 

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 6 NOVEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Jaimie Bordman

 

POUR LA demanderesse ET LES DÉFENDEURS RECONVENTIONNELS

 

Michael D. Andrews

 

POUR LES défendeurs ET DEMANDEURS RECONVENTIONNELS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Macera & Jarzyna, s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA demanderesse ET LES DÉFENDEURS RECONVENTIONNELS

 

Andrews Robichaud

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES défendeurs ET DEMANDEURS RECONVENTIONNELS

 

 

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