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Date : 20181102


Dossier : T-48-18

Référence : 2018 CF 1108

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

GÉRARD LANGLOIS

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, M. Gérard Langlois, est pensionné. Il a atteint l’âge de 65 ans en juillet 2012. Il reçoit depuis août 2012 une pension de la sécurité de vieillesse [PSV] et un supplément de revenu garanti [SRG] [collectivement les prestations de retraite] qui lui sont versées conformément à la Loi sur la sécurité de la vieillesse, LRC 1985, c O‑9 [LSV] et au Règlement sur la sécurité de la vieillesse, CRC, c 1246 [RSV]. Il se représente seul dans la présente demande en contrôle judiciaire.

[2]  Le demandeur désire que le montant de ses prestations de retraite soit indexé en dehors du contexte législatif et réglementaire actuel pour tenir compte de l’augmentation du coût de la vie, tandis que ces dernières prestations doivent être exemptées de tout impôt fédéral. Le ministre de l’Emploi et du Développement social – qui est chargé de l’application de la LSV – a déjà rejeté une demande de réexamen du montant des prestations de retraite. Or, la division générale (section de la sécurité du revenu) [division générale] du Tribunal de la sécurité sociale [Tribunal] a déterminé qu’il n’y avait pas d’erreur dans le calcul du montant des prestations de retraite et que le Tribunal n’a pas le pouvoir d’augmenter le montant de ces prestations.

[3]  La division d’appel du Tribunal a rejeté la demande de permission d’en appeler du demandeur à l’encontre de la décision de la division générale. La décision contestée a été rendue sous l’autorité du paragraphe 58(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34) [LMEDS], qui prévoit que la division d’appel peut rejeter une demande de permission d’en appeler si « elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ».

[4]  La norme de contrôle applicable à l’examen des motifs de refus d’accorder la permission d’en appeler d’une décision de la division générale est la norme de la décision raisonnable (Tracey c Canada (Procureur général), 2015 CF 1300 aux paras 21-23; O'Rourke c Canada (Procureur général), 2018 CF 498 au para 3; Bergeron c Canada (Procureur général), 2016 CF 220 au para 6), tandis que les questions d’équité procédurale ou de nature constitutionnelle sont tranchées en fonction de la norme de la décision correcte (Association des pilotes d'Air Canada c Kelly, 2011 CF 120 aux paras 45-46; Atkinson c Canada (Procureur général), 2014 CAF 187 aux paras 25, 32; Glover c Canada (Procureur général), 2017 CF 363 au para 16).

[5]  En plus de faire état dans son affidavit de sa situation personnelle, le demandeur invoque divers extraits d’articles de journaux sur le coût de la vie au Canada. Le demandeur soutient que la situation de précarité dans laquelle il se retrouve depuis qu’il a pris sa retraite va à l’encontre de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 [Charte], tandis que le pouvoir discrétionnaire octroyé par le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [LIR], doit être exercé de bonne foi, en conformité avec les principes d’équité procédurale et en considérant tous les faits pertinents au dossier.

[6]  Avant d’aller plus avant, les précisions suivantes s’imposent.

[7]  Connue auprès des contribuables en tant que disposition en matière d’équité, le paragraphe 220(3.1) de la LIR permet expressément au ministre du Revenu national de renoncer en tout ou en partie à des pénalités ou intérêts payables en vertu de la LIR [la disposition d’allègement]. Or, aucune telle décision n’a été rendue en vertu de la disposition d’allégement, tandis que cette question n’était pas devant le Tribunal dans le présent dossier.

[8]  Par ailleurs, le demandeur invoque dans son affidavit et son mémoire plusieurs faits nouveaux qui n’étaient pas devant le Tribunal. Le demandeur réclame également des dommages-intérêts « pour préjudices causés ». D’une part, il ne peut pas soulever des faits nouveaux à l’occasion d’une demande de contrôle judiciaire (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19). D’autre part, suivant l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, cette Cour n’a pas compétence pour accorder des dommages-intérêts dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Canada (Procureur général) c TeleZone Inc, [2010] 3 RCS 585 au para 52).

[9]  Ayant considéré l’ensemble des représentations des parties, la Cour conclut que le rejet de la demande de permission d’en appeler constitue une issue acceptable, compte tenu de la preuve au dossier et du droit applicable. Toute allégation de violation d’un principe d’équité procédurale est sans fondement. Il en est de même de toute attaque constitutionnelle du demandeur à l’encontre de la validité des dispositions législatives et règlementaires. Le Tribunal pouvait présumer de la constitutionnalité des dispositions législatives et règlementaires applicables. De plus, le Tribunal n’avait pas le pouvoir en vertu de la LMEDS d’augmenter le montant des prestations de retraite du demandeur. Bref, l’appel du demandeur était voué à l’échec. Il n’y a donc pas lieu d’intervenir en l’espèce.

[10]  Pour mieux comprendre la conclusion générale de la Cour, il est utile de faire les commentaires suivants.

[11]  Premièrement, le demandeur n’a pas soulevé ou démontré une erreur de fait ou de droit dans le calcul du montant des prestations de retraite. En effet, les articles 3 et 7 de la LSV prévoient qu’un résident canadien est normalement admissible à recevoir une PSV lorsqu’il atteint l’âge de 65 ans, et ce, sans égard à sa situation d’emploi ou son revenu. Le SRG quant à lui est un bénéfice accordé aux personnes âgées à faible revenu, qui ont peu ou aucune autre source de revenu que la PSV. Le revenu du demandeur pour une année civile est celui déterminé aux termes de la LIR. Il inclut notamment les prestations de retraite de l’année antérieure. Dans le cas du demandeur (qui a résidé au Canada pour au moins dix ans depuis son dix-huitième anniversaire), le montant du SRG a été déterminé en fonction du paragraphe 12(5) et le l’article 13 de la LSV. Au passage, toute suggestion du demandeur à l’effet que les prestations de retraite doivent être exemptées de tout impôt fédéral est sans fondement légal : selon la division 56(1)a)(i)(A) de la LIR, ces prestations constituent du revenu.

[12]  Deuxièmement, le Tribunal n’a pas le pouvoir en vertu de la LMEDS d’appliquer des principes d’équité pour augmenter, à sa guise, le montant des prestations de retraite. En l’espèce, selon les paragraphes 7(2) et 12(2) de la LSV, le montant de la PSV et du SRG, respectivement, doit être ajusté sur une base trimestrielle, donc quatre fois par an, selon des changements à l’indice des prix à la consommation [IPI]. Selon l’article 9 du RSV, l’IPI auquel la LSV réfère est celui publié par Statistique Canada. Objectivement parlant, l’IPI est une mesure du prix au détail moyen d’une multitude de biens et services que les consommateurs canadiens achètent pour déterminer le coût de la vie moyen dans une économie donnée. Cet indicateur est toujours calculé en fonction d’une année de base: Statistiques Canada. L’IPI n’est pas une statistique personnelle établie en fonction du coût de la vie du demandeur : l’IPI canadien ne diffère pas d’un citoyen canadien à un autre (pour une explication à ce sujet voir : Introduction à l’indice des prix à la consommation du Canada : https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/62-553-x/2014001/chap/chap-1-fra.htm; Banque du Canada, The Consumer Price Index: https://www.banqueducanada.ca/wp-content/uploads/2010/11/indice_prix_consommation.pdf).

[13]  Troisièmement, le Tribunal n’est pas légalement tenu de tenir une audience orale au niveau d’une demande de permission d’en appeler. Il s’agit d’une décision discrétionnaire (voir les articles 43 et 44 Règlement sur le tribunal de la sécurité sociale, DORS/2013-60 [RTSS]; Robbins c Canada (Procureur général), 2017 CAF 24 au para 21). Dans le cas sous étude, la décision administrative du Tribunal d’instruire le présent dossier comme un appel ordinaire, en l’absence d’un avis constitutionnel adéquat, est raisonnable et ne va à l’encontre d’aucun principe d’équité procédurale. La procédure prescrite à l’alinéa 20(1)a) du RTSS n’a pas été respectée par le demandeur. L’avis fourni devait être assez précis pour que le Tribunal puisse adéquatement se prononcer au mérite (Canada (Procureur général) c Stewart, 2018 CF 768 au para 46). Or, l’avis constitutionnel était déficient à sa face même. La demande de permission d’en appeler et les observations écrites ultérieures du demandeur n’ont pas corrigé les déficiences de l’avis, car elles ne contiennent toujours pas la(les) disposition(s) législatives et règlementaires visée(s), ni une argumentation constitutionnelle cohérente.

[14]  Quatrièmement, le Tribunal n’a pas omis de considérer tout élément de preuve pertinent. Le Tribunal n’avait pas à répondre aux multiples questions qui lui ont été adressées par le demandeur – lesquelles ont été reprises par le demandeur devant la Cour. Au risque de me répéter, ce qu’il est important de savoir, c’est que le montant des dépenses courantes du demandeur n’entre pas dans le calcul des prestations de retraite et de tout ajustement autorisé en vertu de la LSV et du RSV. Le Tribunal n’a pas à « prouver » au demandeur que celles-ci sont conformes à la Constitution du Canada. Il faut ici présumer de la constitutionnalité des dispositions législatives et règlementaires en cause. Bien que la Cour apprécie la situation précaire difficile dans laquelle se retrouve le demandeur, avec égards, l’appel du demandeur devant le Tribunal n’avait effectivement aucune chance raisonnable de succès au mérite.

[15]  Cinquièmement, aucun argument sérieux n’a été soulevé devant cette Cour par le demandeur au niveau de toute violation alléguée à l’article 7 ou à l’article 15 de la Charte, ou au paragraphe 36(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, qui ont été brièvement évoqués par le demandeur, sans plus de précision, tandis qu’aucun avis de question constitutionnelle n’a été signifié et déposé devant cette Cour conformément à l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, de sorte que les dispositions législatives et réglementaires en cause ne peuvent être déclarées invalides, inapplicables ou sans effet (Bilodeau-Massé c Canada (Procureur général), 2017 CF 604 aux paras 84-88).

[16]  Cela dit, le demandeur se fonde principalement sur le « Guide à l’intention des Canadiens » rédigé à l’époque du gouvernement de Brian Mulroney, un document non contraignant, ainsi que sur les affaires Banque de Toronto c Lambe (1887), 12 App Cas 575; Co‑operative Committee on Japanese Canadians v Attorney-General of Canada, 1946 CanLII 361 (UK JCPC), [1947] AC 87; Fort Frances Pulp and Power Co v Manitoba Free Press Co Ltd, [1923] AC 695, 1923 CanLII 429 (UK JCPC), qui ont été décidées avant l’entrée en vigueur de la Charte en 1982.

[17]  Dans l’arrêt Gosselin c Québec (Procureur général), [2002] 4 RCS 429 [Gosselin], la Cour suprême du Canada a examiné l’article 45 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c C-12 (à la lumière du paragraphe 11(1) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 993 RTNU 3 et des articles 22 et 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, AG Rés 217 A (III), Doc A/810 NU, p 71 (1948)), ainsi que les articles 7 et 15 de la Charte. Le plus haut tribunal du pays conclut que les articles 7 et 15 de la Charte ne créent pas une obligation positive de la part d’un gouvernement d’assurer que chaque individu a un niveau de vie adéquat (Gosselin aux paras 55-56, 72-74, 81-83).

[18]  D’autre part, les trois arrêts rendus par le Comité judiciaire du conseil privé qu’invoque le demandeur ne sont pas pertinents en l’espèce. Dans ces affaires, il s’agissait de circonscrire la portée des compétences en matière du contrôle de prix et l’offre des biens; de taxation; et du pouvoir d’urgence du Parlement. Or, la portée juridique des articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 n’est pas en cause dans le présent dossier, non plus que celle du paragraphe 36(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

[19]  De toute façon, il incombe exclusivement aux législateurs et aux gouvernements compétents de donner suite aux engagements politiques mentionnés au paragraphe 36(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette disposition ne confère aucun droit d’action à un individu (Cape Breton (Regional Municipality) v Nova Scotia (Attorney General), 2009 NSCA 44 aux paras 55-66, 86; Regional District of East Kootenay v Augustine, 2017 BCSC 322 aux paras 34-35). Il n’appartient pas aux tribunaux de décider des montants devant être accordés par les gouvernements aux personnes âgées à faible revenu résidant au Canada afin de leur permettre à la retraite de faire face à l’augmentation du coût de la vie (Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C-B), [1991] 2 RCS 525 aux pp 544-546 a contrario).

[20]  Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le tout sans frais.


JUGEMENT au dossier T-48-18

LA COUR ADJUDGE ET ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Le tout sans frais.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-48-18

 

INTITULÉ :

GÉRARD LANGLOIS c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

QUÉBEC (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 OCTOBRE 2018

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 novembre 2018

 

COMPARUTIONS :

Gérard Langlois

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Me Stéphanie-Yung Hing

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Gatineau (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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