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Date : 20181019


Dossier : IMM-269-18

Référence : 2018 CF 1052

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2018

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

TATIANA CERVJAKOVA

demandeure

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  En juillet 2017, la demandeure, son époux et leurs deux jeunes enfants sont venus au Canada en tant que visiteurs de la Lettonie, leur pays de nationalité. Peu après son arrivée ici, la demandeure a présenté une demande d’admission à un programme de quatre ans en comptabilité internationale et en finance au Collège Seneca à Toronto. En septembre 2017, Seneca a offert l’admission au programme à la condition qu’elle fasse d’abord une année d’études pour améliorer sa maîtrise de l’anglais.

[2]  En octobre 2017, la demandeure a présenté une demande de permis d’études afin de pouvoir entreprendre ce programme d’études de cinq ans. Elle était toujours au Canada lorsqu’elle a présenté sa demande au bureau des visas à Los Angeles, en Californie. La demande a été refusée le 4 janvier 2018. L’agent des visas n’était pas convaincu que la demandeure quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé. L’agent n’était pas non plus convaincu que la demandeure avait suffisamment de ressources financières pour terminer le programme d’études proposé.

[3]  La demandeure sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, soutenant que la décision de l’agent est déraisonnable.

[4]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. À mon avis, la conclusion de l’agent selon laquelle la demandeure n’avait pas établi qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé et qu’elle avait les moyens de payer pour le programme proposé est déraisonnable. La demande de permis d’études doit donc être réexaminée.

[5]  Les cadre juridique applicable n’est pas contesté.

[6]  Premièrement, il existe une présomption selon laquelle les étrangers qui souhaitent entrer au Canada sont des immigrants et il leur incombe de réfuter cette présomption (Danioko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 479, au paragraphe 15; Ngalamulume c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1268, au paragraphe 25 [Ngalamulume]).

[7]  Deuxièmement, à l’étape du contrôle judiciaire, la décision de l’agent des visas est évaluée selon la norme de la décision raisonnable. La déférence est accordée à la décision de l’agent en raison de son expertise présumée à l’égard des critères applicables et parce que ce genre de décision discrétionnaire est de nature essentiellement factuelle(Ngalamulume, au paragraphe 16). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable « s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit »  (Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc, 2016 CSC 38, au paragraphe 18). La cour de révision s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel »et elle statue sur « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16). Un agent des visas n’est pas tenu de donner des motifs détaillés, mais les motifs fournis doivent être suffisants pour expliquer le résultat (Pacheco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 347, au paragraphe 36; Ogbuchi c Canada (Citoyenneté et Immigration, 2016 FC 764, aux paragraphes 12 et 13; Omijie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 878, aux paragraphes 22 à 28). La cour de révision ne devrait intervenir que si les motifs donnés, dans le contexte du dossier, ne satisfont pas à ce critère.

[8]  Dans sa demande de permis d’études, la demandeure a expliqué qu’elle avait trouvé le programme au Seneca lorsqu’elle a examiné les possibilités d’éducation au Canada après son arrivée avec sa famille. La demandeure a déclaré qu’elle avait l’intention de retourner en Lettonie à la fin de ses études, où elle continuerait de travailler dans le domaine de la comptabilité. De nombreux membres de la famille, y compris les parents de la demandeure et ceux de son époux, vivent tous en Lettonie. Rien n’indique que la demandeure avait de la famille au Canada (à l’exception, bien sûr, de son époux et de ses deux enfants).

[9]  Les motifs de l’agent sont exposés à deux endroits, soit dans la lettre type envoyée à la demandeure, dans laquelle certaines cases ont été cochées pour indiquer les conclusions de l’agent; et les notes de l’agent dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC].

[10]  La lettre de décision indiquait que le permis d’études avait été refusé pour les raisons suivantes :

  • L’agent n’était pas convaincu que la demandeure quitterait le Canada à la fin de son séjour, ayant pris en considération [traduction] « plusieurs facteurs, notamment: »

  • o Les liens familiaux de la demandeure au Canada et dans son pays de résidence.

  • o La durée du séjour proposé au Canada.

  • o Le but de la visite.

  • o La situation d’emploi actuelle de la demandeure.

  • o Les biens personnels et la situation financière de la demandeure.

  • L'agent n'était pas convaincu que la demandeure avait,

[traduction] « sans travailler au Canada, des ressources financières suffisantes et disponibles »pour payer les frais de scolarité pour le cours ou le programme d'études qu'elle comptait suivre, pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille pendant la période d'études proposée et pour payer, pour elle-même et sa famille, pour aller au Canada et en revenir.

[11]  Les notes du SMGC indiquent les motifs de la décision suivants :

Après avoir examiné tous les renseignements disponibles, y compris la situation personnelle de la demandeure principale, sa situation professionnelle, financière et familiale, le coût élevé des études proposées et l'accessibilité de programmes semblables dans son pays d'origine, je ne suis pas convaincu que la motivation de la demandeure principale à poursuivre des études au Canada est raisonnable, que le but premier est d'étudier et qu'elle quittera le pays à la fin d'une période de séjour autorisée.

(Par souci de lisibilité, je me suis permis de remplacer les abréviations utilisées par l’agent dans les notes.)

[12]  Compte tenu de toutes les circonstances de cette affaire, à mon avis, les conclusions de l’agent ne répondent pas aux critères de transparence, d’intelligibilité et de justification. La conclusion selon laquelle la demandeure ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour autorisé est particulièrement troublante. La conclusion selon laquelle on ne pouvait pas faire confiance à la demandeure pour se conformer au droit canadien est une chose sérieuse. La demandeure avait fait tout ce qu’elle était censée faire. Elle a obtenu un visa de visiteur à son arrivée au Canada. Elle a demandé un permis d’études lorsqu’elle a décidé d’entreprendre d’autres études dans son domaine (elle avait travaillé en comptabilité pendant plusieurs années en Lettonie). La seule chose qui donne à penser qu’elle ne s’était pas conformée au droit canadien en matière d’immigration se trouve dans l’observation de l’agent selon laquelle la demandeure avait inscrit la profession de ses deux enfants comme « étudiants », mais rien n’indiquait qu’ils avaient reçu un permis d’études. Les enfants avaient 4 et 11 ans. Bien qu’on aie pu s’attendre à ce qu’ils soient à l’école, rien n’indique qu’ils l’étaient lorsque la demande a été présentée.

[13]  De même, l’agent note que la raison pour laquelle demandeure n’a pas demandé de permis d’études avant de quitter la Lettonie pour le Canada est  « incertaine ». La demandeure n’était pas tenue de le faire. La seule exigence était que la demande soit traitée par un bureau des visas à l’extérieur du Canada. La demandeure se trouvait au Canada lorsqu’elle a envoyé sa demande, mais elle était ici légalement. Elle avait le droit de présenter sa demande quand elle l’a fait et de la manière dont elle l’a fait. Le simple fait de ne pas savoir clairement pourquoi cela s’est produit ne permet pas raisonnablement de conclure que la demandeure ne s’était pas comportée de bonne foi.

[14]  L’agent n’était pas non plus convaincu que la demandeure avait les moyens financiers de payer pour le programme et de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille pendant un séjour prolongé au Canada. Cette conclusion n’est pas non plus raisonnablement étayée par le dossier. La demandeure a présenté des éléments de preuve selon lesquels elle disposait de fonds suffisants pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, surtout si l’on tient compte du fait qu’un manuel de politique indique que la capacité d’un demandeur de financer la première année du cours proposé est le principal facteur à prendre en considération. (Après cela, un demandeur n’a qu’à démontrer une probabilité de sources de financement futures.)

[15]  La demandeure a demandé un permis de travail ouvert pour son époux en vertu de l’alinéa 199e) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. Même s’il n’était pas évident que son époux serait en mesure de trouver du travail au Canada, la preuve de la situation financière de la demandeure laissait entendre que la viabilité de ses plans ne dépendait pas d’une telle issue. Il est vrai que le mari de la demandeure avait laissé un emploi en Lettonie. La décision de la demandeure d’étudier au Canada pourrait fort bien entraîner des sacrifices financiers pour elle-même et sa famille, mais la preuve donnait à penser que la famille pouvait se le permettre. C’est souvent ce qu’il faut pour améliorer sa situation dans la vie. Il n’y avait aucun fondement pour conclure qu’il s’agissait, de la part de la demandeure, d’une décision déraisonnable qui soulevait des doutes quant à sa véritable motivation.

[16]  Il peut sembler étrange que la demandeure et sa famille aient décidé soudainement de prolonger de cinq ans leurs vacances d’été au Canada. Mais la vie prend souvent des tournures inattendues. Rien dans les circonstances de l’affaire n’appuyait raisonnablement la conclusion selon laquelle la demandeure n’avait pas établi qu’elle voulait rester au Canada pour étudier dans son domaine, qu’elle pouvait se permettre de le faire et qu’elle quitterait le pays lorsqu’elle serait censée le faire.

[17]  Les parties n’ont pas suggéré de questions pour la certification. Je conviens qu’il n’y en a pas.

[18]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision datée du 4 janvier 2018 de rejeter la demande de permis d’études est cassée et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour réexamen.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-269-18

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision datée du 4 janvier 2018 de refuser la demande de permis d’études est cassée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour réexamen.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-269-18

 

INTITULÉ :

TATIANA CERVJAKOVA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 AOÛT 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 octobre 2018

 

COMPARUTIONS :

H. J. Yehuda Levinson

 

POUR LA DEMANDEURE

 

Daniel Engel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levinson and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDEURE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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