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Date : 20181005


Dossier : T-1507-17

Référence : 2018 CF 1004

Ottawa (Ontario), le 5 octobre 2018

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

CYRILLE RAOUL TEMATE

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Le 4 mai 2016, le demandeur, M. Cyrille Raoul Temate, dépose une plainte contre l’Agence de la santé publique du Canada [Agence] auprès de la Commission canadienne des droits de la personne [Commission]. Il allègue avoir été victime de discrimination en matière d’emploi fondée sur sa race, couleur et origine nationale ou ethnique, contrairement à l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), c H-6 [LCDP]. Notamment, il reproche à l’Agence d’avoir muté, après le désistement du candidat choisi, une tierce personne dans un poste de gestionnaire alors qu’il était le seul candidat dans le bassin établi à la suite du processus de nomination interne.

[2]  Dans un rapport signé le 27 avril 2017, une agente des droits de la personne [l’agente] recommande, en vertu de l’alinéa 41(1)e) de la LCDP, que la Commission ne statue pas sur la plainte de M. Temate puisque le dernier acte discriminatoire allégué s’est produit plus d’un an avant le dépôt de la plainte. L’agente est également d’avis que M. Temate n’a pas fait preuve de diligence dans le dépôt de sa plainte et qu’il n’a fourni aucune explication raisonnable pour le retard.

[3]  Les deux (2) parties ont été conviées à présenter des observations en réponse au rapport de l’agente, ce que chacune a fait.

[4]  Le 23 août 2017, la Commission rend une décision dans laquelle elle refuse de statuer sur la plainte. Elle en informe les parties par voie de lettre le 30 août 2017.

[5]  Au début de sa décision, la Commission confirme avoir étudié le formulaire de plainte, le rapport de l’agente ainsi que les observations écrites des parties. Elle est d’avis, après examen de la plainte telle que déposée, que M. Temate se plaint de ne pas avoir été choisi à partir du bassin de candidats pour lequel il s’était qualifié. Elle conclut donc que le dernier acte discriminatoire allégué constitue le choix d’un autre candidat dans le processus de sélection.

[6]  Elle poursuit en soulignant que M. Temate a appris qu’il n’était pas le candidat choisi entre le 12 et le 15 janvier 2015 et que ces informations lui ont été confirmées lors d’une rencontre le 30 janvier 2015. Selon la Commission, M. Temate aurait compris qu’il était victime d’une décision discriminatoire peu de temps après puisqu’il a contacté la Commission pour la première fois au mois de mai 2015. La Commission souligne également que M. Temate a soulevé les mêmes allégations de discrimination dans une plainte déposée le 9 juin 2015 auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique [CRTEFP].

[7]  La Commission se penche ensuite sur certains arguments que soulève M. Temate dans ses observations en réponse au rapport de l’agente.

[8]  Tout d’abord, elle conclut qu’aucun acte discriminatoire n’a eu lieu le 29 juin 2015, lorsque M. Temate a appris que le poste avait été pourvu par la mutation d’une tierce personne qui ne s’était pas qualifiée dans le bassin, ni le 5 juillet 2015, date à laquelle il a reçu la réponse à sa demande d’accès à l’information. Il s’agit plutôt, selon elle, de deux (2) instances où M. Temate aurait reçu des informations supportant son allégation de ne pas être choisi du bassin de candidats.

[9]  Elle conclut ensuite que le fait que l’Agence ait donné des instructions, le 4 avril 2016, de ne plus communiquer avec M. Temate dans le contexte de la défense de sa plainte devant la CRTEFP n’est pas un acte de traitement différentiel pouvant constituer le dernier acte discriminatoire.

[10]  Elle rejette de plus l’argument selon lequel le dernier acte de discrimination aurait eu lieu dans le cadre d’un autre processus de dotation se déroulant entre les mois d’août 2016 et de janvier 2017. Elle estime qu’il s’agit plutôt de faits nouveaux distincts des faits décrits dans la plainte initiale.

[11]  La Commission termine sa décision en indiquant que M. Temate aurait été averti du délai de prescription pour le dépôt d’une plainte tel que noté aux paragraphes 17 et 18 du rapport de l’agente.

[12]  M. Temate sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Il soutient que la Commission a erré dans son interprétation de l’alinéa 41(1)e) de la LCDP puisqu’il n’était pas « évident et manifeste » que la plainte ne devrait pas être traitée par la Commission. Il reproche également à la Commission d’avoir omis d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 41(1)e) de la LCDP de proroger le délai. Finalement, M. Temate invoque une crainte raisonnable de partialité de la part de la Commission au motif qu’elle avait « l’esprit fermé » à l’égard de sa preuve et de ses observations.

[13]  Après examen du dossier, la Cour estime qu’il y a matière à intervention dans la présente instance.

II.  Analyse

[14]  Selon l’alinéa 41(1)e) de la LCDP, la Commission peut refuser de statuer sur toute plainte déposée si plus d’un an s’est écoulé depuis le dernier des faits sur lesquels la plainte est fondée. La Commission peut toutefois, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, accorder un délai supérieur pour le dépôt de la plainte.

[15]  L’alinéa 41(1)e) de la LCDP se lit ainsi :

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

[...]

[...]

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

[16]  Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à une telle décision est celle de la décision raisonnable (Richard c Canada (Procureur général), 2010 CAF 292 au para 9; Gauthier c Canada (Procureur général), 2017 CF 697 au para 15 [Gauthier]; Grenier c Canada (Procureur général), 2016 CF 687 au para 28 [Grenier]; Musée Canadien des Civilisations c Alliance de la fonction publique du Canada, 2014 CF 247 au para 33 [Musée Canadien des Civilisations]; Richard c Canada (Conseil du Trésor), 2008 CF 789 au para 10 [Richard]).

[17]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 aux para 14-18).

[18]  En ce qui a trait à l’allégation de partialité, celle-ci relève de l’équité procédurale. La Cour d’appel fédérale a récemment précisé que les questions d’équité procédurale ne se prêtent pas nécessairement à une analyse relative à une norme de contrôle. Le rôle de cette Cour est plutôt de déterminer si la procédure est équitable compte tenu de toutes les circonstances (Canadian Pacific Railway Company v Canada (Attorney General), 2018 FCA 69 au para 54; Dunsmuir au para 79).

[19]  Il est utile de rappeler le contexte dans lequel s’inscrit la décision de la Commission. Lorsqu’une plainte est déposée, la Commission doit d’abord déterminer si elle doit y donner suite selon le paragraphe 41(1) de la LCDP. Au cours de cette étape préliminaire, la Commission doit notamment cerner les plaintes nécessitant un examen plus approfondi et écarter celles qui, selon elle, sont irrecevables en raison de l’une des cinq (5) exceptions prévues au paragraphe 41(1) de la LCDP (Musée Canadien des Civilisations au para 38; Canada (Procureur général) c Première Nation des Mohawks de la Baie de Quinte, 2012 CF 105 aux para 38-39 [Maracle]; Bredin c Canada (Procureur général), 2007 CF 1361 au para 26 [Bredin]; Société de développement du Cap-Breton c Hynes, [1999] ACF no 340 (QL)1999 CanLII 7768 (CF) au para 16 [Cap-Breton]).

[20]  Le pouvoir discrétionnaire qu’exerce la Commission pour écarter une plainte à cette étape du processus doit se limiter aux cas où il est « évident et manifeste » (plain and obvious) que la plainte ne devrait pas être traitée puisque la décision de la Commission met fin à la plainte (Société canadienne des postes c Canada (Commission canadienne des droits de la personne) [1997] ACF no 578 (CF) (QL) au para 3; Musée Canadien des Civilisations aux paras 64, 68; Khapar c Air Canada, 2014 CF 138 au para 46 [Khapar]; Bredin au para 24; conf par [1999] ACF no 705, 1999 CanLII 7865 (CAF)). À cette étape préliminaire, la Commission n’est pas tenue d’examiner le bien-fondé de la plainte (Khapar au para 64; Bredin au para 26; Cap-Breton au para 16).

[21]  Si la Commission détermine que la plainte est irrecevable pour le motif qu’elle a été déposée à l’extérieur du délai d’un an prévu à l’alinéa 41(1)e) de la LCDP, elle doit ensuite décider si elle exerce son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai pour déposer la plainte (Bredin au para 27; Price c Concord Transportation Inc, 2003 CF 946 au para 38).

[22]  Lorsque la Commission décide de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire et refuse de statuer sur la plainte, elle a l’obligation, en vertu du paragraphe 42(1) de la LCDP, de motiver sa décision auprès du plaignant. Si la Commission fait siennes les recommandations de l’agent et ne fournit pas de motifs ou ne fournit que de brefs motifs, le rapport de l’agent pourra être considéré comme faisant partie des motifs de la Commission (Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404 au para 37; Gauthier au para 14; Grenier au para 40; Richard au para 14; Bredin c Canada (Procureur général), 2006 CF 1178 au para 57).

[23]  En tenant compte de ce contexte procédural et des principes qui en découlent, la Cour estime que la question déterminante en l’instance porte sur le pouvoir discrétionnaire de la Commission de proroger le délai pour déposer une plainte.

[24]  À cet égard, M. Temate reproche à la Commission d’avoir omis de considérer plusieurs facteurs dans l’exercice de sa discrétion. Il allègue que la Commission aurait dû examiner si le délai a été encouru de bonne foi ou s’il a causé quelconque injustice ou préjudice. Elle aurait dû également considérer les objectifs de la LCDP et l’effet du rejet de la plainte sur M. Temate.

[25]  En réponse, la Procureure générale du Canada [PGC] soutient que la Commission a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire de statuer ou non sur la plainte en dépit du dépôt hors délai de la plainte. Elle prétend que la Commission a considéré de nombreux facteurs, dont la durée du délai, la nature de la plainte, les considérations d’intérêt public, la plainte devant la CRTEFP et le contrôle de M. Temate sur le délai encouru. M. Temate a été expressément avisé par la Commission du délai d’un an et n’a pas offert d’explication justifiant ce délai. La PGC estime qu’il était raisonnable pour la Commission, à la lumière de ces facteurs, de ne pas accorder un délai supérieur à M. Temate pour le dépôt de sa plainte.

[26]  L’alinéa 41(1)e) de la LCDP ne précise pas les critères qui devraient guider la Commission dans l’exercice de sa discrétion. Toutefois, cette Cour a eu l’occasion de se prononcer sur la question dans l’affaire Richard. Il est utile d’en reproduire certains passages :

[8]  Comme on peut le constater, l’alinéa 41(1)e) de la LCDP ne précise pas les critères à respecter pour exercer le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai d’un an. Il appartient donc à la Commission d’élaborer le critère qu’elle estime indiqué pour la guider dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Suivant la jurisprudence, les critères utilisés par la Commission peuvent être semblables, quoique non identiques, à ceux qu’appliquent les tribunaux : « Parmi ces facteurs, citons les suivants : (1) est‑ce de bonne foi que la plainte a été déposée tardivement? et (2) la personne visée par la plainte a‑t‑elle subi un préjudice ou une injustice en raison du dépôt tardif de la plainte? » (Bredin c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1178, au paragraphe 51) [sic] (Bredin)). Cela suppose que la Commission doit tirer des conclusions de fait au sujet de la bonne foi du plaignant, du caractère raisonnable des explications que celui-ci avance pour justifier le retard et de la question de savoir si le défendeur a subi un préjudice en raison du retard.

[9]  Chaque demande de prorogation de délai doit être jugée par la Commission selon sa valeur intrinsèque. Le poids à accorder à un facteur déterminé peut varier d’une affaire à l’autre. De plus, la liste des facteurs ou des critères applicables en matière de prorogation de délai n’est pas exhaustive. L’importance du retard et la nature précise de l’allégation de discrimination (c’est-à-dire la question de savoir si elle est exceptionnelle ou non et si elle était isolée ou continue), ajoutées au fait que le plaignant a agi de bonne foi et n’a pas déposé une plainte futile, frivole ou vexatoire sont également des facteurs dont la Commission peut tenir compte pour exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai d’un an. Compte tenu des objectifs de la LCDP et du préjudice qui risque d’être causé aux victimes de discrimination, le long retard apporté à porter plainte peut ne pas constituer, en soi, un motif raisonnable de refuser de proroger le délai de prescription d’un an, et ce, d’autant plus si le plaignant avance une explication raisonnable pour justifier son retard ou si le défendeur ne subit aucun préjudice.

(Richard aux para 8-9; voir aussi Bredin au para 29.)

[27]  Lorsqu’on examine la décision de la Commission, il n’y a aucune indication qu’elle a considéré quelconque facteur pouvant justifier une prorogation de délai. Elle se limite au commentaire laconique suivant :

Enfin, tel que noté aux paragraphes 17 et 18 du Rapport, on aurait averti le plaignant du délai de prescription pour le dépôt d’une plainte en vertu du paragraphe 41(1)e) de la [LCDP].

[28]  Même si l’on accepte que le rapport de l’agente puisse constituer les motifs de la Commission, il n’en demeure pas moins que les paragraphes 17 et 18 auxquels réfère la Commission ne lui sont d’aucun secours. Ces deux (2) paragraphes ne font que dresser le bilan des gestes posés par M. Temate après l’expiration du délai d’un an. Ils ne comportent aucune analyse ou conclusion et ils ne tiennent surtout pas compte des facteurs à considérer dans l’exercice discrétionnaire de proroger le délai.

[29]  De plus, il est explicitement indiqué au paragraphe 17 que M. Temate aura « l’occasion d’offrir plus de renseignements au sujet du délai lorsqu’il sera invité à commenter sur le rapport ». Conformément aux directives de l’agente, M. Temate s’est effectivement prévalu de cette invitation. En réponse au paragraphe 8(g) du rapport qui prévoit une série de questions sur lesquelles la Commission pourra se pencher si la plainte est déposée hors délai, M. Temate fait valoir, entre autres, qu’il a eu recours à d’autres mécanismes de règlement de différends dont celui de faire une plainte à la CRTEFP, qu’il n’était pas représenté depuis le mois d’août 2015 et que l’Agence savait depuis le dépôt de la plainte à la CRTEFP qu’il alléguait de la discrimination.

[30]   Dans sa décision, la Commission ne répond aucunement aux observations de M. Temate. Elle ne dit pas qu’elle rejette ses explications ni qu’elle adhère aux conclusions du rapport sur la justification du délai. Vu l’invitation lancée par l’agente dont s’est prévalu M. Temate, il aurait été raisonnable que la Commission se prononce sur le bien-fondé ou non des explications fournies par M. Temate.

[31]  Par ailleurs, la Commission ne se prononce pas non plus sur un autre élément qui a fait l’objet d’une invitation par l’agente. Dans son rapport, l’agente mentionne au paragraphe 21 que l’Agence n’a pas indiqué si sa capacité à contester la plainte serait sérieusement minée si jamais la Commission statuait sur la plainte. Elle indique que l’Agence aurait l’occasion de fournir des commentaires sur ce point dans ses observations en réponse au rapport. Compte tenu que le préjudice subi par la partie visée par la plainte constitue l’une des considérations énoncées au paragraphe 8(g) du rapport dont la Commission peut tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, il aurait été raisonnable que la Commission se prononce sur la question puisque la réponse de l’Agence ne contient aucune allégation à cet effet.

[32]  La Cour reconnaît qu’elle doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de la Commission, et plus particulièrement lorsqu’il s’agit d’une décision rendue en vertu du paragraphe 41(1) de la LCDP (Alliance de la fonction publique du Canada c Canada (Procureur général), 2015 CAF 174 au para 34; Bell Canada c Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier du Canada, [1998] ACF no 1609 (QL) au para 51; Musée Canadien des Civilisations au para 59; Maracle au para 40; Cap-Breton au para 15).

[33]  Cependant, rien dans la décision de la Commission ne permet de conclure que la Commission s’est effectivement penchée sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Au contraire, lorsqu’elle est lue dans son ensemble, la décision semble porter uniquement sur le fait que la plainte était prescrite. Ceci étant dit, même si l’on pouvait présumer que la Commission avait considéré les facteurs qui devaient la guider dans l’exercice de sa discrétion, la Cour estime que la décision ne satisfait pas aux critères de justification, de transparence et d’intelligibilité énoncés dans l’arrêt Dunsmuir puisque ses motifs sont clairement insuffisants.

[34]  Pour ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il n’est donc pas nécessaire pour la Cour de se prononcer sur les autres moyens soulevés par M. Temate. Cependant, la Cour croit opportun d’exprimer certaines préoccupations à l’égard de l’interprétation que fait la Commission de l’évènement du 4 avril 2016. M. Temate reproche à l’Agence d’avoir donné des instructions de ne plus lui parler et d’arrêter tout contact avec lui. Dans sa décision, la Commission conclut qu’il ne s’agit pas d’un acte de traitement différentiel pouvant constituer le dernier acte discriminatoire au motif qu’ « il est évident qu’il s’agit d’une stratégie de la part de la part de [l’Agence] qui, à ce point-là, défendait la plainte devant la CRTEFP depuis presque deux ans déjà ». Or, selon la décision même de la Commission, la plainte auprès de la CRTEFP a été déposée le 9 juin 2015, soit moins d’un an avant l’évènement du 4 avril 2016. Il appert également du rapport de l’agente que M. Temate a reçu la décision de la CRTEFP le 27 janvier 2016. Les procédures devant la CRTEFP auraient donc été terminées le 4 avril 2016.

[35]  Par ailleurs, il n’appert pas du dossier ni de la décision que la Commission s’est penchée sur l’allégation que l’on retrouve dans la réponse de M. Temate au rapport concernant des « déclarations incendiaires, racistes, discriminatoires » en lien avec une téléconférence ayant eu lieu en novembre 2015, malgré le fait que la Commission a choisi de se prononcer sur les arguments de M. Temate, soulevés pour la première fois dans ses observations au rapport de l’agente.

[36]  En terminant, la Cour aimerait souligner qu’elle n’a pas tenu compte de l’affidavit de M. Temate ainsi que des pièces qui y étaient annexées. La Cour souscrit aux arguments de la PGC selon lesquels (1) l’affidavit de M. Temate et ses pièces ne sont pas conformes aux exigences des paragraphes 80(1) et 80(3) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, ne comportant pas la signature d’un commissaire à l’assermentation et (2) les pièces que tente d’introduire M. Temate ne font pas partie du dossier de la Commission (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19-20; Gauthier au para 12; Caba c Canada (Procureur général), 2012 CF 1017 aux para 18-21).

[37]  À la demande de cette Cour, M. Temate a soumis, suite à l’audience, un mémoire de frais réclamant la somme totale de 5 354,50 $ à titre de débours et dépens. Cette somme représente, selon M. Temate, 100 $ à titre de débours et 5 254,50 $ (taxe incluse) de dépens pour la préparation et le dépôt de la demande, la préparation et la participation à l’audience et les significations après le jugement.

[38]  Pour sa part, la PGC réclame un montant de 3 750 $.

[39]  Dans l’exercice de sa discrétion, la Cour n’accordera des dépens à M. Temate qu’au montant de 3 000 $ compte tenu qu’une partie de l’audience a été consacrée à entendre les parties sur l’admissibilité des documents déposés par M. Temate et sur son argument que le dossier certifié n’était pas complet, lequel a été soulevé pour la première fois à l’audience et qui s’est avéré sans fondement.


JUGEMENT au dossier T-1507-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision de la Commission canadienne des droits de la personne en date du 23 août 2017 est annulée et l’affaire est renvoyée à la Commission pour un nouvel examen par un autre décideur;

  3. Le demandeur a droit à des dépens au montant de 3 000 $.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1507-17

INTITULÉ :

CYRILLE RAOUL TEMATE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 SEPTEMBRE 2018

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 5 OCTOBRE 2018

COMPARUTIONS :

William N. Fuhgeh

Pour le demandeur

Charles Maher

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fuhgeh Law Office

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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