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Date : 20181004


Dossier : T-1787-16

Référence : 2018 CF 971

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2018

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

QUALITY PROGRAM SERVICES INC.

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L’ONTARIO, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DE L’ÉNERGIE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Quality Program Services Inc. [QPS], a intenté la présente action contre la défenderesse, Sa Majesté la Reine du chef de l’Ontario, représentée par le ministre de l’Énergie [Ontario], en réclamant des dommages-intérêts et d’autres mesures de redressement pour usurpation de marque de commerce, commercialisation trompeuse et dépréciation d’achalandage en vertu de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 [la Loi]. Ces allégations ont trait à la marque « EMPOWER ME » déposée par QPS en vertu de la Loi et en liaison avec des services de sensibilisation, de conservation et d’efficacité énergétiques, ainsi qu’à l’utilisation par l’Ontario de la marque « emPOWERme/ENERGISEZmoi » en relation avec un site Web qui renseigne les contribuables consommateurs d’électricité de cette province sur le réseau électrique ontarien et la conservation de l’énergie.

[2]  Après que l’action a été engagée, l’Ontario a demandé au registraire des marques de commerce [le registraire] de donner avis public de l’adoption et de l’emploi de « emPOWERme » comme marque officielle du gouvernement de l’Ontario en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi, et le registraire a par la suite produit un tel avis. Entre autres moyens de défense, la province fait valoir que la qualité de marque officielle représente une défense complète contre les allégations de QPS.

[3]  Le présent jugement et ses motifs se rapportent à une requête en procès sommaire qui, en application de la règle 213 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, a été déposée le 27 décembre 2017 et plaidée à Vancouver le 25 juin 2018.

[4]  Comme je l’explique plus en détail dans la suite de cette décision, j’ai conclu que le sous-alinéa 9(1)n)iii) de la Loi ne met pas l’Ontario à l’abri des revendications en vertu de la Loi. L’allégation d’usurpation de marque de commerce de QPS en vertu de l’article 20 de la Loi est accueillie, parce que j’ai jugé que la marque de l’Ontario pouvait être confondue avec celle de QPS. Les autres allégations sont rejetées, puisqu’elles ont à voir avec le développement par QPS de l’achalandage lié à sa marque qui se limite actuellement à la province de Colombie-Britannique et n’est pas touché par l’usage que fait l’Ontario de sa marque sur son propre sol. J’adjuge dans mon jugement des dommages-intérêts de 10 000 $ à QPS.

II.  Contexte

[5]  QPS est une entreprise de la Colombie-Britannique constituée en personne morale en 2009 et qui, depuis avril 2012, exécute dans cette province un programme axé sur la sensibilisation, la conservation et l’efficacité énergétiques et qui est actuellement appelé « Empower Me » [le programme Empower Me]. Ce programme vise les collectivités de Néo-Canadiens qui, selon QPS, ne participaient pas aux programmes de rendement énergétique établis par les gouvernements et les services publics. QPS attribue cette non-participation à un manque de sensibilisation et, souvent, à une crainte ou une défiance à l’égard des autorités gouvernementales, un certain nombre de Néo-Canadiens ayant fait l’expérience de formes de gouvernement plus autoritaires dans leur pays d’origine.

[6]  Le programme Empower Me s’adresse aux Néo-Canadiens en embauchant des gens de confiance de leurs collectivités comme « mentors en énergie », lesquels font ensuite de la sensibilisation dans ces mêmes collectivités afin de recruter des gens en tant que « champions » du programme. Travaillant avec ces recrues, les mentors en énergie leurs donnent renseignements et conseils sur la conservation et l’efficacité énergétiques. À leur tour, les champions transmettent les connaissances acquises aux autres membres de leur collectivité ou recrutent d’autres champions pour le programme. QPS tire des revenus du programme Empower Me grâce à des parrainages des administrations locales, des sociétés d’utilité publique et des entreprises. Au moment de déposer sa requête, QPS exploitait ce programme uniquement en Colombie-Britannique, mais dans son affidavit déposé le 31 octobre 2017 à l’appui de la requête, Areef Abraham, président de QPS, a indiqué que celle‑ci avait l’intention d’étendre le programme à l’Alberta et à l’Ontario en 2018.

[7]  QPS a fait une demande de marque de commerce à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada le 12 avril 2013 en vue de l’emploi de la marque « EMPOWER ME » relativement aux services en question de sensibilisation, de conservation et d’efficacité énergétiques. Son programme initialement baptisé « Empower Green » est devenu « EMPOWER ME » comme marque de commerce le 20 avril 2013, date à laquelle la marque a été affichée au stand de QPS à l’occasion d’un festival tenu à Surrey (Colombie-Britannique). Le dépôt recherché par QPS a été accordé le 23 juillet 2014 sous le numéro d’enregistrement de marque de commerce TMA882733. QPS exploite la marque « EMPOWER ME » sur son site Web, dans les médias sociaux, dans divers types de matériel promotionnel, à des stands dans le cadre d’activités culturelles communautaires et pour sa publicité dans différentes publications. La marque a également été utilisée sous licence par des organismes de parrainage pour la promotion du programme Empower Me. Elle est habituellement affichée dans une combinaison de lettres majuscules et minuscules sous la forme « EmPower Me ».

[8]  Le 27 novembre 2013, l’Ontario a annoncé le lancement d’un site Web intitulé « emPOWERme » qui, selon la description qu’il en donne, vise à aider les consommateurs d’énergie de cette province à assumer la responsabilité de l’énergie qu’ils utilisent en comprenant mieux le réseau électrique ontarien. Le site « emPOWERme » en question a connu diverses versions depuis son lancement, mais son but a toujours été de sensibiliser les Ontariens aux aspects de la production, de la distribution, de la mesure et de la conservation de l’électricité dans ce réseau.

[9]  Dans l’affidavit déposé par l’Ontario à l’appui de sa position sur cette requête, John Whytock, qui coiffe la Direction des communications du ministère provincial de l’Énergie, explique également que la province est en train de faire migrer le site Web de ce ministère vers le site Web principal du gouvernement ontarien et que, au terme de cette opération, la page Web « emPOWERme » n’existera plus. L’intéressé ajoute que l’Ontario a l’intention de retrancher toutes les mentions du terme « emPOWERme » du contenu transféré au nouveau site. Ainsi et comme l’a précisé l’avocat de l’Ontario à l’audition de la présente requête, le site « emPOWERme » pourrait bientôt cesser d’exister, bien que l’avocat reconnaisse que ce fait n’est pas juridiquement pertinent pour le redressement sollicité dans la requête.

[10]  QPS a eu connaissance du site Web de l’Ontario en novembre 2015. Elle a écrit à l’Ontario le 15 décembre 2015 pour lui demander de cesser toute utilisation de la marque « Empower Me ». Dans sa réponse du 18 février 2016, l’Ontario a fait valoir que le contenu et la promotion de son site Web se sont limités à la province et qu’il n’a pas utilisé le nom « emPOWERme » à des fins commerciales. Il a aussi fait remarquer que le ministère de l’Énergie de l’Ontario est une autorité publique en vertu de la Loi et habilité à ce titre à demander au registraire de donner avis public de l’adoption et de l’emploi de « emPOWERme » comme marque officielle du gouvernement ontarien. QPS a donné suite le 10 août 2016 avec une lettre de son avocat réaffirmant sa position et, le 26 octobre 2016, elle a intenté la présente action.

[11]  L’Ontario a ensuite sollicité la qualité de marque officielle pour « emPOWERme » en écrivant au registraire le 19 décembre 2016 et lui demandant de donner avis public de l’adoption et de l’emploi par le ministère de l’Énergie de « emPOWERme » comme marque officielle en vertu de l’alinéa 9(1)n) de la Loi. Le registraire a produit l’avis en question le 10 janvier 2018.

III.  Questions

[12]  Après avoir examiné les divers arguments avancés par les parties, j’estime que la caractérisation par la demanderesse des questions devant être tranchées par la Cour constitue un cadre approprié pour aborder les arguments des parties. Ces questions sont les suivantes :

  1. Cette action se prête‑t-elle à une décision par procès sommaire?

  2. La qualité de marque officielle de « emPOWERme » protège-t-elle la défenderesse contre les revendications de la demanderesse?

  3. La défenderesse a-t-elle usurpé la marque de commerce de la demanderesse à l’encontre des articles 19 et 20 de la Loi?

  4. Comme demande subsidiaire, la défenderesse doit-elle être tenue pour responsable de commercialisation trompeuse envers la demanderesse à l’encontre du paragraphe 7b) de la Loi?

  5. Comme autre demande subsidiaire, la défenderesse a-t-elle déprécié l’achalandage lié à la marque de commerce « EMPOWER ME » à l’encontre de l’article 22 de la Loi?

  6. Si la défenderesse peut être tenue pour responsable à l’égard de toute revendication de la demanderesse, quel est le redressement qui s’impose?

IV.  Analyse

A.  Cette action se prête-t-elle à une décision par procès sommaire?

[13]  L’Ontario ne s’oppose pas à ce que cette action puisse être décidée par procès sommaire. Si la règle 213 permet à une partie de présenter une requête en procès sommaire, c’est la règle 216(6) qui autorise la Cour à rendre jugement « sur l’ensemble des questions ou sur une question en particulier ». Comme elle le dit, la Cour doit être « convaincue de la suffisance de la preuve pour trancher l’affaire, indépendamment des sommes en cause, de la complexité des questions en litige et de l’existence d’une preuve contradictoire […] à moins d’être d’avis qu’il serait injuste de trancher les questions en litige dans le cadre de la requête ».

[14]  La Cour a conclu que les facteurs à prendre en considération pour déterminer si un procès sommaire est approprié comprennent le montant en cause, la complexité de l’affaire, son urgence, tout préjudice susceptible de survenir en raison d’un retard, le coût de la présentation de l’affaire à un procès conventionnel relativement au montant en cause, le cours de l’instance et toute autre question à prendre en considération (voir Driving Alternative Inc. c. Keyz Thankz Inc., 2014 CF 559 [Driving Alternative], au par. 36).

[15]  Je conviens avec QPS que ces facteurs militent en faveur d’un jugement par procès sommaire en l’espèce. L’indemnité financière que recherche la demanderesse est relativement modeste, ce qui incline à éviter aux parties le coût d’un procès complet. Il n’y a pas de questions de fait complexes à trancher ni de questions de crédibilité, et l’issue de cette affaire a amplement à voir avec des questions de droit. De plus, une décision rapide dans cette affaire par procès sommaire est souhaitable parce que QPS a l’intention d’étendre prochainement ses activités à l’extérieur de la Colombie-Britannique et qu’une décision par procédure sommaire préviendra des retards au lieu d’en créer.

B.  La marque officielle « emPOWERme » protège-t-elle la défenderesse contre les revendications de la demanderesse?

[16]  On a là une pure question de droit qui, selon l’Ontario, offre une défense complète contre toutes les allégations de QPS. L’Ontario est d’avis que, parce que sa marque « emPOWERme » a la qualité de marque officielle en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi, cet article et la jurisprudence qui s’y rattache ont pour effet d’immuniser l’Ontario contre toute revendication qui, en vertu de la Loi, tiendrait à l’emploi de cette marque. QPS conteste cette position, faisant valoir que ce même sous-alinéa procure à l’Ontario certains moyens de protection contre l’utilisation par d’autres de marques susceptibles d’être confondues avec la marque officielle, mais sans le mettre à l’abri des revendications. Elle soutient que ce point n’a pas été traité précédemment dans la jurisprudence et considère que la position ontarienne n’est pas confortée par le libellé du sous-alinéa 9(1)n)(iii), la prise en compte de son interaction avec les autres dispositions de la Loi, ni la jurisprudence sur laquelle s’appuie la province.

[17]  Prenons d’abord le libellé du sous-alinéa 9(1)n)(iii) :

Marques interdites

Prohibited marks

9 (1) Nul ne peut adopter à l’égard d’une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque composée de ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu’on pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui suit :

9 (1) No person shall adopt in connection with a business, as a trade-mark or otherwise, any mark consisting of, or so nearly resembling as to be likely to be mistaken for,

[…]

[…]

n) tout insigne, écusson, marque ou emblème :

n) any badge, crest, emblem or mark

[…]

[…]

(iii) adopté et employé par une autorité publique au Canada comme marque officielle pour des produits ou services,

(iii) adopted and used by any public authority, in Canada as an official mark for goods or services,

à l’égard duquel le registraire, sur la demande de Sa Majesté ou de l’université ou autorité publique, selon le cas, a donné un avis public d’adoption et emploi;

in respect of which the Registrar has, at the request of Her Majesty or of the university or public authority, as the case may be, given public notice of its adoption and use;

[18]  Je conviens avec QPS que l’interprétation que fait l’Ontario du sous-alinéa n’est pas étayée par les dispositions expresses de cet article. Le sous-alinéa 9(1)n)(iii) interdit à quiconque d’adopter une marque composée d’une marque officielle ou dont la ressemblance est telle qu’on pourrait probablement la confondre avec une marque officielle. Il n’est pas à interpréter comme conférant à l’autorité publique une protection particulière contre les revendications d’usurpation de marque de commerce ou autres allégations en vertu de la Loi.

[19]  Je note que c’est l’adoption qui est frappée d’interdiction au sous-alinéa 9(1)n)(iii). La Cour a conclu ce qui suit dans l’affaire Cable Control Systems inc. c. Office de la sécurité des installations électriques, 2012 CF 1272 [Cable Control Systems], au paragraphe 6 : « Les parties qui employaient auparavant une marque officielle visée par le sous-alinéa 9(1)n)(iii) peuvent continuer de le faire, mais seulement en liaison avec les marchandises et services utilisés jusqu’au moment où la marque officielle a fait l’objet d’un avis public. » En d’autres termes, bien que ce point ne soit pas en litige dans la présente affaire, il paraît clair en droit que la qualité de marque officielle de l’Ontario n’empêche pas QPS de continuer à utiliser sa marque « EMPOWER ME » enregistrée en liaison avec les services à l’égard desquels elle a dûment été déposée. En fait, l’Ontario n’a pas pour position que QPS serait dans l’impossibilité d’étendre son emploi de la marque relative aux services en question aux nouveaux marchés prévus, l’Alberta et l’Ontario, bien que faisant valoir qu’il s’agit là d’un point de droit ouvert qui n’a pas encore été traité dans la jurisprudence applicable.

[20]  Toutefois, l’Ontario est d’avis que le sous-alinéa 9(1)n)(iii) lui assure une protection absolue contre les revendications de QPS. À l’appui, il invoque la jurisprudence de la Cour et d’autres tribunaux qui ont interprété ce sous-alinéa. Dans l’affaire Insurance Corp. of British Columbia c. Stainton Ventures Ltd., 2014 BCCA 296 [Stainton], aux paragraphes 21 et 22, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique décrit la nature d’une marque officielle :

[traduction]

[21]  À ma connaissance, le Canada est le seul pays au monde à avoir une loi qui accorde un pouvoir aussi large aux « autorités publiques » et à d’autres pour créer des marques officielles. Bien qu’offrant une certaine similitude avec les marques de commerce, celles‑ci n’obéissent pas aux mêmes règles. En fait, elles ne sont pas « enregistrées » au même titre que les marques de commerce. Elles sont constatées par le registraire des marques de commerce et versées dans la base de données de ces marques au site Web de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, organe d’Industrie Canada.

[22]  Dans son document, Canadian Trademark Law (Markham : LexisNexis Canada, 2010), la professeure Teresa Scassa s’exprime ainsi sur la nature des marques officielles et leur mode de création :

À la page 81 :

[traduction]

Toute entité ayant qualité d’« autorité publique » peut demander au registraire de donner avis public de l’adoption et de l’emploi de tout insigne, écusson, emblème ou marque adopté par cette autorité publique. L’avis public n’est pas la même chose que le dépôt; il n’y a pas de processus d’examen et, en fait, il n’y a pas d’exigence que les marques officielles soient conformes à des normes particulières. Il n’y a donc pas d’exigence quant à leur caractère distinctif ni au risque de confusion avec des marques de commerce déposées ou des marques qui sont déjà employées ou connues au Canada. Les marques officielles n’ont pas à être reconduites et peuvent seulement être contestées par une demande de contrôle judiciaire de la décision prise par le registraire des marques de commerce de donner avis public d’une marque officielle. [Renvois omis.]

À la page 159 :

Il n’y a pas de délai d’avis public ni d’opposition pour les marques officielles. Il n’y a pas non plus d’exigence d’examen de la marque qui peut fort bien être identique ou assimilable par confusion à des marques de commerce déjà déposées. Il n’est pas nécessaire de caractériser les marchandises ou les services visés par les marques officielles, bien que certains avis publics livrent cette information. Même avec une caractérisation des marchandises ou des services, cette désignation ne limite pas l’applicabilité de la marque. Une marque officielle peut être descriptive et n’a pas à présenter de caractère distinctif. On peut aussi risquer de la confondre avec une marque existante. Une fois l’avis public donné, personne ne peut adopter la marque ou une autre « dont la ressemblance est telle qu’on pourrait probablement la confondre avec la marque officielle ». Ajoutons que les marques officielles ne viennent pas à expiration. Ce ne sont pas des marques de commerce déposées, et elles ne sont donc pas assujetties aux mêmes procédures d’examen, d’opposition, de contestation ou de radiation. Comme l’a fait remarquer un tribunal, « une fois qu’un avis public a été donné concernant l’adoption et l’emploi d’une marque officielle, celle-ci est « pour ainsi dire impossible à radier ». Toute contestation de sa validité doit se faire par voie de demande de contrôle judiciaire de la décision prise par le registraire de donner avis public de son adoption et de son emploi. [Renvois omis.]

[21]  Comme il est indiqué dans ces passages, l’avis public confère la qualité de marque officielle sans égard au fait que la marque officielle en question puisse être identique ou assimilable par confusion à des marques de commerce déjà déposées, et il n’y a aucune exigence de préavis ni de processus d’opposition (voir aussi Canadian Jewish Congress c. Chosen People Ministries, Inc., 2002 CFPI 613, au par. 22). L’Ontario fait observer que les tribunaux ont confirmé le droit des autorités publiques à adopter comme marques officielles des marques de commerce déjà déposées. Dans l’affaire Ordre des Architectes de l’Ontario c. Association of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218 au paragraphe 34, la Cour d’appel fédérale conclut ce qui suit :

[34]  L’avis public donné conformément au sous-alinéa 9(1)n)(iii) a un effet important, celui d’empêcher d’autres personnes, à partir de cette date, d’employer toute marque, « comme marque de commerce ou autrement », qui est susceptible d’être confondue avec la marque officielle (article 11), sauf pour les marchandises ou services porteurs de la marque avant la date de l’avis public de la marque officielle : Association olympique canadienne c. Konica Canada Inc., [1992] 1 C.F. 797 aux par. 21 à 23 (C.A.). De plus, le registraire ne peut refuser de donner avis public d’adoption et emploi d’une marque comme marque officielle pour des marchandises ou services pour le motif qu’elle est simplement descriptive, qu’elle ne permet pas de distinguer les marchandises ou services de l’autorité publique ou qu’elle est susceptible d’être confondue avec la marque d’un tiers. De fait, le registraire n’a virtuellement pas le pouvoir discrétionnaire de refuser de donner avis public d’adoption et emploi d’une marque comme marque officielle, une fois que l’auteur de la demande établit qu’il a satisfait aux critères de la loi : Mihaljevic c. British Columbia (1988), 22 F.T.R. 59, aux pp. 88 et 89, conf. par (1990), 34 C.P.R. (3d) 54 (C.A.F.).

[22]  De même, dans l’affaire Cable Control Systems au paragraphe 18, la Cour explique ce qui suit :

[18]  À mon avis, le contexte plus large relatif à l’emploi de la Marque officielle présenté par Cable Control ne rend pas la décision du registraire déraisonnable. Je suis convaincu que la preuve additionnelle n’aurait pas eu d’effet appréciable sur la décision de ce dernier de donner avis public de la Marque officielle. Comme l’a fait remarquer l’avocate de l’Office, le registraire n’avait pas à se renseigner sur les enregistrements ou l’emploi de la même marque par d’autres parties, étant donné qu’un tel emploi se serait avéré sans pertinence au regard de la décision de donner avis public de la Marque officielle. Tout ce que l’Office avait à faire était de convaincre le registraire qu’il était une autorité publique et qu’il avait adopté et employé la marque en question (FileNET Corp., [2002] CAF 418 (CAF), au paragraphe 7). [Soulignement ajouté.]

[23]  J’admets que la jurisprudence indique clairement que le risque que la marque d’une autorité publique soit confondue avec celle d’une autre partie ne constitue pas un motif pour le registraire de refuser de donner avis public et, par conséquent, de conférer la qualité de marque officielle à la marque de l’autorité, et cette confusion ne constitue pas non plus un motif de contestation de la décision du registraire d’agir en ce sens. Cependant, je conviens avec QPS que ce principe est conceptuellement distinct de la question de savoir si l’adoption et l’emploi par une autorité publique d’une marque officielle présentant un risque de confusion avec une marque de commerce déjà déposée peuvent néanmoins représenter une usurpation en vertu de l’article 19 ou 20 de la Loi ou justifier des allégations de commercialisation trompeuse ou de dépréciation d’achalandage au sens de cette loi. Aucune des sources sur lesquelles se fonde l’Ontario ne répond à cette question.

[24]  Le plus souvent, les sources que cite l’Ontario consistent en des demandes de contrôle judiciaire de la décision du registraire de donner avis public en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii). De telles demandes reposant sur l’argument du risque de confusion d’une marque officielle avec une marque de commerce déjà déposée ont systématiquement été rejetées. Stainton est une action civile, mais non une action pour usurpation de marque de commerce intentée par le titulaire d’une marque déjà déposée. L’action en justice dans cette affaire a plutôt été intentée par l’autorité publique, en l’occurrence l’Insurance Corporation of British Columbia, alléguant que la marque officielle ICBC de la demanderesse était employée sans autorisation dans des noms de domaine Internet. Dans l’affaire Stainton, la Cour a utilisé le libellé général précité pour préciser la nature d’une marque officielle, mais cette explication n’a pas été donnée dans le contexte d’une action civile contre une autorité publique pour usurpation de marque de commerce.

[25]  La marque officielle ICBC a aussi été visée par la décision de la Cour dans ICBC c. Canada (Registrar of Trade Marks), [1980] 1 CF 669 [ICBC], aux par. 73 à 75 où le juge Cattanach donne l’explication suivante de l’effet du sous-alinéa 9(1)n)(iii) :

[Traduction]

[73]  Il est clair que le sous-alinéa 9(1)n)(iii) prévoit l’emploi d’une marque officielle qu’une autorité publique a jugé bon d’adopter comme un usage exclusif de cette autorité. Lorsqu’il donne avis de l’adoption et emploi d’une marque officielle, le registraire a pour but d’aviser le public de cette adoption à titre de marque officielle par l’autorité publique pour empêcher toute usurpation de cette marque. À mon avis, le sous-alinéa ne confère pas au registraire des attributions de supervision pour les raisons déjà mentionnées.

[74]  J’en comprends fort bien les conséquences. Une autorité publique peut entreprendre de fournir des marchandises et des services au public et, ce faisant, adopter une marque officielle. Cela fait, il est impossible à tout autre d’utiliser cette marque et, par conséquent, l’autorité publique peut, de son propre chef, s’approprier la marque ainsi adoptée et l’utiliser sans restriction ni contrôle autre que de sa propre conscience et de la volonté ultime de l’électorat exprimée par la méthode à sa disposition.

[75]  Voilà à mon avis l’intention du législateur qui découle du libellé de l’article 9 de la Loi, et c’est la politique que le Parlement, dans sa grande sagesse, a jugé bon de mettre en œuvre par voie législative.

[26]  Encore une fois, le libellé est très large, mais il importe de reconnaître le contexte où la Cour a donné son explication. L’affaire ICBC est un appel interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi de la décision prise par le registraire de refuser de donner avis public de l’adoption et de l’emploi d’une marque officielle par l’autorité publique demanderesse. Ainsi, cette explication du juge Cattanach a à voir avec le manque de pouvoir discrétionnaire du registraire au moment de donner avis public, et notamment en cas de conflit entre la marque officielle et des marques de commerce déposées. On ne saurait y voir un fondement pour la proposition de l’Ontario disant que la qualité de marque officielle le met à l’abri des revendications de QPS. En réalité, si le paragraphe 84 de la décision ICBC indique que la marque de commerce normale enregistrée par un négociant doit céder le pas à la marque officielle adoptée et employée par l’autorité publique, la décision n’explique pas en détail ce qu’on entend par là et l’opinion exprimée est de toute façon clairement incidente, puisque le juge Cattanach déclare expressément que cette question particulière ne lui a pas été soumise.

[27]  L’Ontario évoque en fait une décision où on considère l’effet de la qualité de marque officielle comme moyen de défense dans une action civile. Dans W & H Ventures Ltd. (c.o.b. Michel’s Bakery Café) c. Manitoba Lotteries Corp. (c.o.b. Michele’s Restaurant), 4 CPR (4e) 180 [W & H], la demanderesse, W & H, a sollicité une injonction contre la défenderesse, Manitoba Lotteries, voulant l’empêcher de faire affaire sous l’appellation de Michele’s Restaurant. La demanderesse avait déjà déposé le nom Michel’s Bakery Café en vertu de la Loi sur l’enregistrement des noms commerciaux du Manitoba et intenté une action en commercialisation trompeuse en produisant aussi une requête en mesure injonctive. La Cour du Banc de la Reine du Manitoba a rejeté cette requête en concluant que la demanderesse n’avait pas satisfait au critère d’une injonction. Au paragraphe 17 toutefois, la Cour s’est prononcée sur un autre argument présenté par la défenderesse, à savoir qu’elle aurait pu défendre sa cause en obtenant la qualité de marque officielle pour Michele’s Restaurant :

[Traduction]

[17]  Comme l’a déclaré le juge Twaddle dans le Renvoi relatif aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, [1991] 4 W.W.R. 193 au par. 209 :

… la province ne peut pas réglementer l’emploi d’une marque de commerce parce qu’elle présente une similitude avec une appellation commerciale existante dans la province. Tant que la marque de commerce est utilisée en relation avec le produit ou le service qu’elle désigne, son titulaire peut l’employer bien qu’elle puisse créer de la confusion entre son entreprise et une entreprise locale employant la même appellation. Tout différend portant sur cette confusion doit se régler en vertu des lois fédérales.

Bref, il semblerait que, en droit, le défendeur peut exercer ses droits en vertu de l’article 9 de la Loi sur les marques de commerce et, après s’être approprié unilatéralement une marque qui comporte un nom commercial, il peut employer cette appellation par la suite malgré l’enregistrement de ce qui pourrait être décrit comme une appellation semblable en vertu de la Loi.

[28]  Bien que cette déclaration soit incidente, elle semblerait de prime abord appuyer la position de l’Ontario, se situant dans le contexte d’un argument du défendeur selon lequel l’article 9 de la Loi peut constituer un moyen de défense en cas d’action civile. Il reste que, comme l’a fait valoir QPS, un examen attentif de la décision W & H révèle que la Cour du Banc de la Reine du Manitoba ne se prononçait pas, même incidemment, sur la question dont la Cour est saisie dans la présente affaire. L’analyse du paragraphe 17 de cette décision porte plutôt sur un point constitutionnel, à savoir que la législation provinciale des noms commerciaux ne saurait réglementer l’emploi d’une marque de commerce. Le renvoi à la fin du paragraphe 17 à la « Loi », mention précisée dans la décision, est celui de la Loi sur l’enregistrement des noms commerciaux du Manitoba. Dans l’affaire W & H, on ne forme pas de conclusion quant à l’étendue des droits d’une autorité publique en vertu de l’article 9 de la Loi sur les marques de commerce s’il est question du dépôt préalable d’une marque de commerce assimilable en application de la même loi fédérale.

[29]  Après avoir examiné les sources sur lesquelles s’appuie l’Ontario dans cette affaire, je me range à l’avis exprimé par QPS qu’aucune de ces affaires n’a directement traité de la question étudiée par la Cour qui est de savoir si le sous-alinéa 9(1)n)(iii) a pour effet de protéger l’autorité publique contre des revendications comme celles que forme QPS dans cette affaire. Je conviens avec QPS que, faute de jurisprudence pour interpréter cet article comme le préconise l’Ontario, la Cour ne devrait pas y aller d’une interprétation qui confère une immunité législative aux autorités publiques sans un libellé clair dans la loi pour conforter une telle interprétation. Comme il a été indiqué, les termes du sous-alinéa 9(1)n)(iii) interdisent certaines activités par d’autres une fois qu’est donné l’avis public de marque officielle. En revanche, on n’accorde pas expressément aux autorités publiques le droit d’employer une marque officielle de manière à contrevenir à d’autres dispositions de la Loi. Rien dans la formulation de l’article n’élimine les droits déjà conférés au titulaire d’une marque de commerce déposée. En fait et comme il a aussi été indiqué, on a établi dans l’affaire Cable Control Systems qu’une partie usant déjà d’une marque officielle en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii) peut continuer à l’utiliser en relation avec les marchandises et les services employés au moment où l’avis public est donné.

[30]  Je conclus également que la prise en considération des autres dispositions de la Loi appuie la position de QPS. Il est noté que le paragraphe 20(1), qui décrit les activités constituant une usurpation de marque de commerce, s’applique à « une personne » qui exerce de telles activités. De même, le paragraphe 7b), qui codifie le délit civil en common law de commercialisation trompeuse, dit que « nul » ne doit utiliser une marque de commerce déposée par autrui avec pour effet préjudiciable de déprécier l’achalandage qui s’y attache. QPS indique bien que, à l’article 2 de la Loi, « personne » s’entend aussi de « l’autorité administrative de tout pays ou État, de toute province, municipalité ou autre région administrative organisée ».

[31]  Bien que les arguments des parties n’aient pas porté sur quelque distinction utile à établir entre les sens respectifs des termes « autorité administrative » et « autorité publique », l’étendue de ces termes permet de conclure qu’au moins une partie des autorités publiques entrent dans la définition de « personne ». QPS fait valoir que, par conséquent, ce serait un résultat inusité si les autorités publiques, qui sont assujetties aux mêmes responsabilités que toute autre personne à l’article 7b), 20(1) ou 22 de la Loi, pouvaient se soustraire à cette responsabilité simplement en demandant que soit produit un avis public en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii). La demanderesse fait remarquer qu’il n’est pas inhabituel que le gouvernement exerce son activité dans une industrie de manière à faire concurrence au secteur privé et qu’une interprétation du sous-alinéa 9(1)n)(iii) comme celle que préconise l’Ontario laisserait un intervenant gouvernemental adopter impunément une marque reproduisant la propriété intellectuelle de son concurrent du secteur privé. QPS fait valoir que, sans un libellé qui le prévoit expressément, cela ne peut être l’effet que recherchait le législateur par le sous-alinéa 9(1)n)(iii).

[32]  L’Ontario a traité de cet argument à l’audition de cette question pour soutenir que la réponse réside dans la nature d’une autorité publique et dans les responsabilités liées à un tel rôle. En d’autres termes, l’Ontario fait valoir qu’on peut s’attendre à ce qu’une autorité publique agisse en toute responsabilité sans abuser des droits conférés par le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de manière à porter délibérément atteinte aux droits de parties commerciales en matière de marques de commerce. Je ne trouve pas cette réponse particulièrement convaincante. Je conviens qu’on s’attendrait à ce qu’une autorité publique agisse de façon responsable et évite tout abus de ses droits, mais j’ai de la difficulté à invoquer une telle attente pour conclure que le législateur avait l’intention de conférer aux autorités publiques le droit de porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle préexistants d’autres personnes, surtout si on considère le large éventail d’organismes constituant des autorités publiques auxquelles pourrait s’appliquer le sous-alinéa 9(1)n)(iii).

[33]  Enfin, j’ai examiné l’argument de l’Ontario selon lequel une condition préalable à la notification publique du registraire en vertu de l’article 9 était que l’Ontario ait adopté et employé sa marque avant de solliciter un tel avis. Je conviens qu’il s’agit là du droit qui s’applique (voir Ordre des Architectes de l’Ontario c. Association of Architectural Technologists of Ontario, [2001] 1 CF 577, au par. 23), mais à mes yeux, l’existence de cette condition ne permet pas logiquement de conclure que le législateur voulait que l’autorité publique soit à l’abri de toute revendication en vertu de la Loi à cause de l’adoption et de l’emploi requis.

[34]  Ayant conclu que le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi ne constitue pas un moyen de défense contre les revendications de QPS, je vais maintenant examiner si la demanderesse a établi ce qu’elle revendique.

C.  La défenderesse a-t-elle usurpé la marque de commerce de la demanderesse à l’encontre des articles 19 et 20 de la Loi?

[35]  QPS affirme qu’il y a usurpation de marque de commerce en vertu des articles 19 et 20 de la Loi. À l’audition de la requête en procès sommaire, j’ai demandé à l’avocat de QPS d’expliquer ses allégations en vertu de l’art. 19, lequel s’applique à l’emploi de la marque de commerce d’un demandeur par un défendeur, par opposition à l’utilisation d’une marque qui risque d’être confondue avec la marque de commerce du demandeur, situation visée par l’art. 20. L’avocat a répondu que les seules différences entre la marque de QPS et celle de l’Ontario tenaient à l’emploi des espaces et des majuscules. QPS avait déposé la marque « EMPOWER ME » pour laquelle elle employait normalement une combinaison de majuscules et de minuscules sous la forme « EmPower Me ». Quant à l’Ontario, elle emploie la forme « emPOWERme ». Comme le fait observer QPS, si les lettres sont les mêmes, l’emploi des espaces et des majuscules permet de distinguer les deux marques. Elles ne sont pas identiques et ma conclusion est que l’article 19 de la Loi ne s’applique pas (voir Cie générale des établissements Michelin − Michelin & Cie c. Syndicat national des travailleurs et travailleuses de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA − Canada) (1996), 124 RDCF 192 [Michelin], au par. 19).

[36]  En ce qui concerne l’article 20, QPS invoque l’alinéa 20(1)a) :

Violation

Infringement

20 (1) Le droit du propriétaire d’une marque de commerce déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne qui est non admise à l’employer selon la présente loi et qui :

20 (1) The right of the owner of a registered trade-mark to its exclusive use is deemed to be infringed by any person who is not entitled to its use under this Act and who

a) soit vend, distribue ou annonce des produits ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion;

(a) sells, distributes or advertises any goods or services in association with a confusing trade-mark or trade-name;

[37]  La question que doit trancher la Cour en ce qui concerne la revendication fondée sur l’art. 20 est de savoir si l’exploitation par l’Ontario de son site Web « emPOWERme » représente une distribution ou une annonce de services en liaison avec une marque de commerce qui risque d’être confondue avec la marque déposée par QPS. Le critère de confusion est prescrit par l’article 6 de la Loi, mais avant d’aborder la question, j’aimerais déterminer si cette exploitation est bel et bien une distribution ou une annonce de services au sens de l’alinéa 20(1)a).

[38]  Dans sa défense produite dans le cadre de cette action, l’Ontario soutient qu’il n’emploie pas la marque « emPOWERme » pour fournir quelque service que ce soit et que cet emploi n’a pas de fins commerciales. Dans son mémoire des faits et du droit et à l’audition de la requête en procès sommaire, il n’a pas particulièrement avancé l’argument selon lequel son site Web ne fournit pas de services. Il a précisé à l’audience avoir pour position que l’utilisation ou non de sa marque à des fins commerciales intéresse la revendication de QPS en dépréciation d’achalandage en vertu de l’article 22 de la Loi, mais non la revendication en usurpation en vertu de l’article 20.

[39]  Je n’ai aucune difficulté à conclure que l’exploitation que fait l’Ontario de son site Web représente un service. Comme l’a expliqué la Cour dans TSA Stores, Inc. c. Registraire des marques de commerce, 2011 CF 273 aux par. 16 et 17, « [l]a Loi ne définit pas le mot « services » » et « [d]ès lors que certains membres du public – consommateurs ou acheteurs – en tirent un avantage, l’activité constitue un service ». Comme il est expliqué dans l’affidavit de M. Whytock, le site Web « emPOWERme » vise à renseigner les Ontariens sur le réseau électrique de la province, notamment sous ses aspects de production, de distribution, de mesure et de conservation d’électricité. Bien que les consommateurs ontariens obtiennent leur électricité d’une entreprise de distribution locale, et non du ministère de l’Énergie, ce ministère a pour responsabilité de stimuler la conservation de l’énergie et d’inciter à la prudence dans la consommation énergétique en Ontario. Je conclus que la fourniture de ce site, qui sensibilise les consommateurs d’électricité et les aide à conserver cette énergie, représente un service aux fins de la Loi. En fait, c’est là une conclusion incontournable si on considère que l’Ontario a obtenu pour sa marque officielle « emPOWERme » une qualité qui, selon la formulation du sous-alinéa 9(1)n)(iii), ne vaut que pour les marques s’appliquant à des produits ou services.

[40]  Pour ce qui est de savoir si ce service est de nature commerciale, je note que, pour étayer sa position en vertu de l’article 22, l’Ontario invoque la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l’affaire British Columbia Automobile Assn. c. Office and Professional Employees’ International Union, Local 378, 2001 BCSC 156 [British Columbia Automobile Assn.]. Il est dit au paragraphe 153 de cette décision que la qualité non commerciale apparente du site Web du défendeur en l’espèce a permis de conclure que les marques de commerce en question n’étaient pas employées en liaison avec des marchandises ou des services et que l’emploi par le défendeur des marques de commerce de la demanderesse ne relevait pas de l’article 22 de la Loi.

[41]  Comme l’Ontario n’adopte pas comme position qu’il faut des fins commerciales pour qu’il y ait usurpation de marque de commerce à l’article 20, ce n’est pas la question qui m’est soumise dans l’examen de la revendication en vertu de cet article, mais je signale en tout état de cause que je juge convaincants les arguments de QPS selon lesquels les activités d’un défendeur n’ont pas nécessairement à être de nature commerciale pour qu’une revendication en vertu de l’article 20 se justifie, du moins là où une marque de commerce est employée en liaison avec des services. Je suis conscient que, dans l’affaire British Columbia Automobile Assn., on s’est appuyé en partie sur l’affaire Michelin pour conclure qu’un élément d’emploi commercial est nécessaire à une telle revendication et que la décision de la Cour dans cette même cause a traité de revendications en vertu tant de l’article 20 que de l’article 22. Au paragraphe 41 dans Michelin, le juge Teitelbaum a expliqué que le règlement de cette affaire de distribution par le syndicat défendeur de dépliants portant des marques de commerce de la demanderesse Michelin consistait à établir si celles‑ci étaient employées ou non en liaison avec les marchandises ou les services du défendeur. Pour conclure que tel n’était pas le cas, la Cour s’est fondée sur les articles 4(1) et (2) de la Loi :

Quand une marque de commerce est réputée employée

When deemed to be used

4 (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

 

4 (1) A trade-mark is deemed to be used in association with goods if, at the time of the transfer of the property in or possession of the goods, in the normal course of trade, it is marked on the goods themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the goods that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

Idem

Idem

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

(2) A trade-mark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of those services.

[42]  Dans la décision Michelin, la Cour a signalé que le paragraphe 4(1) sur l’emploi de marques de commerce en liaison avec des produits exigeait que cette utilisation se situe dans la pratique normale du commerce pour conclure que la distribution par le syndicat de dépliants à des fins de recrutement était inadmissible en tant qu’activité commerciale permettant de répondre à cette exigence. De même, la Cour a examiné si la distribution de dépliants pouvait constituer une annonce des services du syndicat en vertu du paragraphe 4(2), mais en concluant que tel n’était pas le cas, puisque le terme « annonce » avait également une connotation commerciale qui n’était pas confirmée dans cette affaire.

[43]  Toutefois, QPS fait remarquer que, selon le paragraphe 4(2), une marque de commerce est réputée être en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services. L’analyse dans Michelin ne traite pas de cette dernière possibilité, c’est-à-dire de l’éventualité qu’une marque employée ou montrée dans l’exécution de services ait la même connotation commerciale que si elle était utilisée « dans la pratique normale du commerce » ou en « annonce » selon l’examen de la Cour.

[44]  Je note également que la distinction entre les paragraphes 4(1) et (2) est que, dans le premier seulement, on précise que l’exigence vaut pour la « pratique normale du commerce », ce qui a été souligné dans Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, 4e éd., sur feuilles détachées (Toronto : Thomson Reuters, 2002) où il est dit aux pages 3-60 et 3‑61 qu’aucun élément commercial n’est nécessaire pour qu’une marque de commerce soit considérée comme employée en liaison avec des services selon le paragraphe 4(2).

[45]  Comme l’Ontario ne soutient pas qu’il faut une fin commerciale pour qu’il y ait usurpation en vertu de l’article 20, je ne forme aucune conclusion définitive sur ce point. Faute d’un argument convaincant selon lequel l’Ontario n’utiliserait pas sa marque en liaison avec la distribution d’un service comme à l’alinéa 20(1)a), je passerai plutôt à la question sur laquelle ont porté les observations de l’Ontario et qui est de savoir si la marque ontarienne risque d’être confondue avec celle de QPS.

[46]  Les paragraphes suivants de la Loi présentent de l’intérêt dans notre analyse du critère de confusion :

Quand une marque ou un nom crée de la confusion

When mark or name confusing

6 (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

 

6 (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

Idem

Idem

(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

[…]

(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the goods or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the goods or services are of the same general class.

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

(c) the nature of the goods, services or business;

d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

[47]  Comme point préliminaire dans cette analyse, je constate que, au moins à l’époque des événements à l’origine de la présente action, les parties fonctionnaient sur deux marchés différents. QPS fournissait ses services à des collectivités de la province de Colombie-Britannique et l’Ontario exploitait son site Web à l’intention des consommateurs d’énergie de sa province. Pour ce qui est de la pertinence de ce critère des régions, QPS s’appuie sur le principe énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Masterpiece Inc. c, Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27 [Masterpiece], aux paragraphes 29 à 31 :

[29]  Pour ce qui est de la confusion, les par. 6(1) et (2) de la Loi [sur les marques de commerce] prévoient ce qui suit :

6. (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans le même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

Le paragraphe 6(3) de la Loi vise l’emploi d’une marque de commerce qui crée de la confusion avec un nom commercial, et le par. 6(4), la situation inverse. Les paragraphes 6(2), (3) et (4) reprennent la même formule : « … lorsque l’emploi des deux […] dans la même région serait susceptible de faire conclure … ».

[30]  Il ressort immédiatement des mots « lorsque l’emploi des deux […] dans la même région » que le critère qu’il convient d’appliquer pour décider s’il y a confusion est fondé sur l’hypothèse que tant les noms commerciaux que les marques de commerce sont employés « dans la même région », que ce soit le cas ou non (le « critère fondé sur l’hypothèse »). Ainsi, le fait que des noms commerciaux et des marques de commerce similaires au point de créer de la confusion ne soient pas employés dans le même lieu géographique n’est d’aucune incidence en ce qui concerne ce critère. Il doit en être ainsi parce que l’art. 19 de la Loi précise que, sous réserve de certaines exceptions qui ne nous intéressent pas ici, l’enregistrement d’une marque donne à son propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle‑ci dans tout le Canada.

[31]  Pour que le propriétaire d’une marque de commerce déposée ait le droit exclusif à l’emploi de celle‑ci dans tout le Canada, il ne faut pas qu’elle soit susceptible de causer de la confusion avec une autre marque de commerce à quelque autre endroit que ce soit au pays.

[48]  L’Ontario entérine le principe énoncé dans Masterpiece pour ce qui est de l’interprétation de la locution « dans la même région » au paragraphe 6(2), mais il fait valoir que la desserte de marchés distincts par les parties demeure utile comme facteur permettant d’établir si l’emploi des deux marques dans la même région serait susceptible de faire conclure que les services des deux sont exécutés « par la même personne » comme au par. 6(2). Dans l’argument qu’il avance, l’Ontario souligne que sa marque est utilisée seulement à un site Web du gouvernement et uniquement comme outil d’éducation hors de toute fin commerciale et pour la seule gouverne des contribuables consommateurs d’électricité de sa province, à la différence de la marque de QPS qui, pour l’instant, est confinée dans son utilisation à la province de Colombie-Britannique. À mes yeux, on peut tenir compte de cet argument dans l’examen des facteurs et des circonstances de l’analyse de confusion − comme le prescrit le paragraphe 6(5) – au moment de déterminer si le critère de confusion du paragraphe 6(2) est respecté.

[49]  Il est bien connu en droit que, comme on l’explique au paragraphe 40 de Masterpiece, le critère de confusion est un critère de première impression dans l’esprit d’un consommateur occasionnel un peu pressé qui voit la marque, à un moment où il n’a qu’un souvenir imparfait de la marque antérieure, et ne s’arrête pas à l’examiner en détail ou à regarder de près les similitudes et les différences entre les deux marques. Dans l’affaire Masterpiece, on explique aussi au paragraphe 49 que, dans l’application des facteurs énumérés au paragraphe 6(5), le degré de ressemblance entre les marques est souvent ce qui serait du plus grand effet sur l’analyse de confusion.

[50]  Ainsi, je conviens avec QPS, en considérant d’abord ce facteur, qu’il existe une forte ressemblance entre sa marque et celle de l’Ontario. À la prononciation, on dirait la même marque. Comme il a été mentionné, elles sont visuellement identiques sauf pour des différences d’emploi de majuscules et d’espaces. L’Ontario soutient que, dans sa marque « emPOWERme », l’accent se met sur l’aspect de l’« électricité », puisqu’il est question d’éducation en ce qui concerne le réseau électrique de cette province. Dans sa marque « Empower Me », QPS insiste pour sa part sur l’autonomisation des gens, son emploi ayant à voir avec les efforts de la demanderesse pour émanciper les membres des collectivités de Néo-Canadiens qu’elle sert. J’admets que ces différences d’accent peuvent se déduire des différences d’emploi de majuscules et d’espaces, d’où une certaine différence aussi dans les idées véhiculées par les deux marques. Il reste que, selon moi, cette différence est largement éclipsée par les similitudes phonétiques et visuelles entre les deux. J’en conclus qu’elles se ressemblent fort.

[51]  En ce qui a trait aux autres facteurs, je constate que la marque de QPS présente foncièrement un caractère distinctif limité, recourant aux mots ordinaires du dictionnaire, bien qu’ayant acquis un trait distinctif plus appréciable, étant employée par QPS dans le cadre du programme Empower Me depuis 2012. Comme il a été mentionné, M. Abraham déclare dans son affidavit que la demanderesse utilise sa marque dans les médias électroniques et imprimés et dans diverses autres activités promotionnelles, ce qui comprend une utilisation sous licence par des organismes de parrainage pour la promotion de ce programme. Le critère du caractère distinctif favorise l’adoption d’une conclusion de confusion.

[52]  Quant à la période d’utilisation des deux marques, le critère favorise un peu QPS, celles‑ci ayant été employées pendant une même période et QPS étant l’utilisateur principal, ayant devancé l’autre de sept mois environ.

[53]  Pour ce qui est de la nature des services et de celle du commerce, les similitudes favorisant QPS sont le fait que les marchés des deux parties sont des groupes du public consommateur d’énergie, que les deux parties fournissent leurs services à la population sans qu’il en coûte quoi que ce soit au citoyen, et que les services des deux visent à permettre aux consommateurs de réduire leur consommation d’énergie. Cependant, il subsiste des différences, en ce sens que les services de l’Ontario sont limités à l’éducation assurée par l’exploitation de son site Web, tandis que QPS fournit ses services principalement par l’interaction personnelle de ses mentors en énergie et de ses champions.

[54]  Pour ce qui est de la nature des services et de celle du commerce, tout comme des circonstances générales, je comprends l’argument de l’Ontario disant que sa marque est utilisée uniquement sur un site Web gouvernemental en tant qu’outil éducatif destiné aux seuls consommateurs d’électricité de son territoire. Il reste que la marque de QPS figure non seulement à son propre site Web, mais aussi aux sites Web de ses organismes de parrainage, dont des administrations municipales de Colombie-Britannique. Les différences géographiques ne favorisent pas l’Ontario en raison du principe déjà énoncé qui vient de l’affaire Masterpiece. À mon avis, que la marque de l’Ontario figure à un site Web du gouvernement n’aide pas outre mesure la province à faire valoir qu’un consommateur occasionnel quelque peu pressé ne serait pas amené par confusion à penser que les services des parties sont exécutés par la même personne, et ce, parce que la marque de QPS figure elle aussi à des sites Web gouvernementaux. Dans l’ensemble, cette partie de l’analyse favorise une conclusion de confusion et, compte tenu de tous les facteurs prescrits par le paragraphe 6(5) et vu aussi les circonstances, je conclus que QPS l’emporte au critère de confusion.

[55]  Je suis conscient, au moment de former cette conclusion, que QPS n’a pas fourni de preuve d’études de marché ni d’autres éléments démontrant que les consommateurs sont réellement en proie à une certaine confusion entre les marques respectives des parties. L’obtention d’une telle preuve n’est cependant pas une condition préalable à une conclusion de confusion et qu’elle soit absente n’a peut-être pas de quoi étonner puisque les parties ont exercé par le passé leur activité sur des marchés distincts.

[56]  Je note également l’observation de l’Ontario disant que, si dans son affidavit QPS explique à l’appui de sa requête avoir l’intention d’étendre son programme Empower Me à l’Alberta et à l’Ontario, cette expansion n’a pas été plaidée dans sa demande qui définit les questions de cette action. À mon avis, rien n’en dépend aux fins de mon analyse en fonction de l’alinéa 20(1)a) de la Loi, laquelle ne fait pas intervenir ce projet d’expansion de la demanderesse.

[57]  Bref, je conclus sur ce point que QPS est titulaire de la marque de commerce no TMA882733 pour EMPOWER ME dans son emploi en liaison avec des services de sensibilisation, de conservation et d’efficacité énergétiques, que QPS a le droit exclusif d’utiliser cette marque et que l’Ontario l’a usurpée en contravention de l’art. 20 de la Loi.

[58]  Les autres revendications de cette action en vertu des articles 7b) et 22 de la Loi et pour lesquelles QPS demande des déclarations dans la présente requête relèvent de demandes subsidiaires. QPS ne réclame pas de dommages-intérêts supplémentaires ni des redressements autres que ceux de ses revendications en vertu de l’art. 20, mais la demanderesse a expliqué à l’audience qu’elle a présenté des demandes subsidiaires au cas où on ne ferait pas droit à ses revendications en vertu de l’art. 20, de sorte qu’elle puisse avoir gain de cause dans ses autres moyens d’action.

[59]  À proprement parler et vu le succès de QP dans ses revendications liées à l’art. 20, je n’ai pas à traiter de ces demandes subsidiaires, mais je le fais ici brièvement par souci d’exhaustivité.

D.  Comme demande subsidiaire, la défenderesse doit-elle être tenue pour responsable de commercialisation trompeuse envers la demanderesse à l’encontre du paragraphe 7b) de la Loi?

[60]  Le paragraphe 7b) de la Loi dit :

Interdictions

Prohibitions

7 Nul ne peut :

7 No person shall

b) appeler l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

(b) direct public attention to his goods, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his goods, services or business and the goods, services or business of another;

[61]  Cette disposition est une codification du délit en common law de la commercialisation trompeuse. Voici les trois éléments que doit démontrer le demandeur pour avoir gain de cause dans une telle action : a) existence d’un achalandage chez le demandeur; b) tromperie du public par fausse déclaration; c) dommages réels ou éventuels du demandeur (voir Kirkbi AG c. Ritvik Holdings Inc., 2005 CSC 65 aux paragraphes 66 à 68). QPS est d’avis, et je suis d’accord, qu’il faut une même analyse de confusion pour une action en commercialisation trompeuse que pour une action en usurpation de marque de commerce. Toutefois, QPS admet aussi que le principe énoncé dans l’affaire Masterpiece, selon lequel la confusion est évaluée en fonction de l’hypothèse de l’emploi de deux marques de commerce dans la même région, que ce soit ou non le cas, ne vaut pas pour une action en commercialisation trompeuse. Je me range à cet avis qui est conforme à ce que disent les sources citées par l’Ontario quant à la protection de l’achalandage assurée par la sanction du délit de commercialisation trompeuse dans la seule région où cet achalandage est acquis (voir H-D U.S.A. c. Berrada, 2014 CF 207 [Berrada], aux par. 125 et 126; Canadian Memorial Services c. Personal Alternative Funeral Services Ltd. (2000), 182 RDCF 28, au par. 48; McCurdy Enterprises Ltd. c. Shamrock Spring Water Inc., 2005 NLTD 196, au par. 70).

[62]  QPS convient également avoir acquis de l’achalandage seulement dans la province de Colombie-Britannique, ses activités commerciales passées ne s’étant pas étendues au-delà de cette province. À mon avis, cela empêche QPS d’avoir gain de cause dans sa demande en commercialisation trompeuse. La demanderesse est tenue de démontrer qu’il y a des dommages réels ou éventuels pour son achalandage en Colombie-Britannique du fait de l’emploi par l’Ontario de sa marque risquant d’être confondue avec la sienne. Elle fait valoir que le site Web de l’Ontario peut être consulté par le grand public en Colombie-Britannique, ainsi que le démontre l’affidavit de Dulce Campos, chercheur en marques de commerce au service de l’avocat de la demanderesse qui a joint les résultats d’une recherche dans Internet par le mot clé « empower me energy ». Les résultats comprennent le site Web de l’Ontario « emPOWERme ». QPS fait valoir que c’est une recherche qui a été faite en Colombie-Britannique par M. Dulce.

[63]  Je ne trouve pas cet argument convaincant, je comprends que le site Web de l’Ontario peut être consulté en Colombie-Britannique, mais la Cour n’a reçu aucune preuve que les consommateurs britanno-colombiens l’avaient visité et, si oui, combien nombreux ils avaient été. Les éléments de preuve sont insuffisants pour faire conclure que l’utilisation par l’Ontario de la marque de QPS à son site Web « emPOWERme » a nui à l’achalandage de la demanderesse en Colombie-Britannique.

E.  Comme autre demande subsidiaire, la défenderesse a-t-elle déprécié l’achalandage lié à la marque de commerce « EMPOWER ME » à l’encontre de l’article 22 de la Loi?

[64]  QPS prétend que l’Ontario doit être tenu pour responsable envers elle de la dépréciation de son achalandage à l’encontre du par. 22(1) de la Loi qui dit :

Dépréciation de l’achalandage

Depreciation of goodwill

22 (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce.

22 (1) No person shall use a trade-mark registered by another person in a manner that is likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching thereto.

[65]  Pour obtenir gain de cause dans des revendications en vertu de l’art. 22, le demandeur doit démontrer quatre éléments : a) le défendeur a employé sa marque de commerce déposée en liaison avec des marchandises ou des services; b) la marque de commerce déposée du demandeur est suffisamment bien connue pour qu’un achalandage suffisant y soit attaché; c) la marque du demandeur a été employée de manière à produire un effet sur cet achalandage; d) l’effet probable serait de déprécier cet achalandage (voir Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 [Veuve Clicquot], au par. 46).

[66]  Là encore, QPS admet que l’achalandage qu’elle a créé en relation avec sa marque se limite à la Colombie-Britannique, mais invoque la possibilité pour les consommateurs de cette province d’accéder par une recherche au site Web de l’Ontario. Pour les raisons que j’ai déjà exposées dans mon analyse des revendications de QPS en vertu du paragraphe 7b), cet argument n’emporte pas chez moi la conviction que la marque de l’Ontario a été utilisée d’une manière susceptible de déprécier l’achalandage de la demanderesse.

[67]  Toutefois, QPS avance un argument supplémentaire en s’appuyant sur le raisonnement dans 2 For 1 Subs Ltd. c. Ventresca (2006), 48 CPR (4e) 311 [2 For 1 Subs], selon lequel l’utilisation par l’Ontario de sa marque à son propre site Web a nui à la possibilité pour elle d’entrer sur le marché ontarien. L’affaire 2 For 1 Subs comportait, entre autres moyens d’action, une revendication en commercialisation trompeuse dans une situation où les parties n’étaient pas directement en concurrence sur le même marché. Le franchiseur demandeur réclamait des dommages-intérêts en commercialisation trompeuse au défendeur qui avait acquis l’actif d’un restaurant d’un franchisé de la chaîne 2 For 1 Subs pour ensuite exploiter l’établissement sous le même nom et la même bannière sans conclure de convention de franchise avec le franchiseur. Toutefois, les parties n’étaient pas en concurrence directe, puisque le défendeur avait repris les locaux du franchisé et qu’il n’y avait pas d’autres franchises 2 For 1 Subs dans la région. Pour conclure à l’existence de dommages réels ou éventuels à l’achalandage du franchiseur, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu aux paragraphes 55 et 56 :

[traduction]

[55]   La troisième exigence concernant les dommages réels ou éventuels est aussi respectée. Dans une affaire où le défendeur est en concurrence directe avec le demandeur, on peut établir l’existence de dommages en démontrant la probabilité de perte de chiffre d’affaires au profit d’un concurrent, mais là où comme en l’espèce les parties ne sont pas en concurrence directe parce que le défendeur a repris les locaux du demandeur et qu’il n’y a pas d’autres franchises de 2 For 1 Subs dans la région, les dommages pour le demandeur résident dans la perte de maîtrise sur l’incidence de son appellation commerciale sur le marché du défendeur et dans la création possible d’une entrave à l’utilisation de sa marque de commerce s’il devait réintégrer le marché du défendeur (Rinaldo, Remedies in Tort (vol. 3) (édition sur feuilles détachées, 2005) aux p. 19‑34 et 19-35).

[56]  En d’autres termes, vu la conclusion précédente selon laquelle le public serait enclin à voir le 241 Subs de Rose comme lié à la franchise 2 For 1 Subs ou autorisé par elle, la confusion créée par l’exploitation du restaurant 241 Subs de Rose empêcherait cette franchise de revenir sur le marché de Barrie et de s’établir à nouveau comme franchise indépendante. À mes yeux, il y a dommages, ou du moins dommages éventuels.

[68]  Selon moi, l’analyse dans l’affaire 2 For 1 Subs ne favorise pas QPS quand elle cherche à avoir gain de cause dans ses revendications en vertu de l’art. 22. Comme il est expliqué dans l’affaire Veuve Clicquot au paragraphe 54, on doit faire intervenir dans la détermination de l’existence d’un achalandage susceptible d’être déprécié des facteurs comme l’étendue géographique de la marque du demandeur à laquelle l’achalandage est attaché. Comme pour les revendications en commercialisation trompeuse, la difficulté pour QPS est que son achalandage se limite à la province de Colombie-Britannique et qu’elle n’a pas su démontrer l’existence d’un effet préjudiciable à cet achalandage. Dans l’affaire 2 For 1 Subs, la situation était différente, la Cour ayant conclu que le demandeur avait clairement établi un achalandage sur le marché où le défendeur exerçait son activité à cause de son exploitation antérieure d’une franchise sur le marché en question.

[69]  J’en conclus que QPS n’a pas établi les éléments nécessaires pour avoir gain de cause dans sa revendication en vertu de l’article 22.

F.  Si la défenderesse peut être tenue pour responsable à l’égard de toute revendication de la demanderesse, quel est le redressement qui s’impose?

[70]  Outre le redressement déclaratoire en ce qui concerne ses droits en matière de marques de commerce, le moyen de réparation que demande QPS est une ordonnance obligeant l’Ontario à lui verser des dommages-intérêts pour un montant de 50 000 $. La demanderesse reconnaît qu’une quantification précise de ses dommages-intérêts serait difficile à faire, mais en faisant valoir que ce défi d’une quantification ne saurait empêcher la Cour d’évaluer les dommages-intérêts le mieux possible.

[71]  QPS arrive au chiffre de 50 000 $ en se reportant aux affaires Driving Alternative et Trans-High Corp. c. Hightimes Smokeshop and Gifts Inc., 2013 CF 1190. Dans ces deux affaires, la Cour a opté pour une somme de 25 000 $ faute d’éléments de preuve pour une quantification de dommages-intérêts. La demanderesse a fait valoir qu’elle devrait recevoir 25 000 $ pour chacune des deux années entières qui se sont écoulées depuis sa lettre du 15 décembre 2015 où elle demande à l’Ontario de renoncer et de mettre fin à l’utilisation de sa marque de commerce. Elle soutient que, tout au long de cette période, le public a été exposé à la marque usurpée par l’Ontario et que la conséquence commerciale pour elle de cette violation est de nuire à sa capacité d’entrer sur le marché ontarien. Elle allègue que sa séparation d’avec le gouvernement est d’un intérêt capital pour son modèle d’affaires en ce qui concerne le programme Empower Me et que les consommateurs possibles de ses services en Ontario croiront qu’il s’agit réellement là d’un programme du gouvernement de cette province, ce qui pourrait les empêcher d’y adhérer.

[72]  L’Ontario est d’avis que, même si QPS avait droit à des dommages-intérêts, le montant réclamé de 50 000 $ est excessif. Il s’en prend à la logique de l’argument de la demanderesse quant à sa séparation d’avec le gouvernement, considérant que le modèle d’affaires de celle‑ci s’appuie sur des parrainages, notamment dans les administrations locales. Il renvoie la Cour aux affaires Maxwell Realty Inc. c. Omax Realty Ltd., 2016 CF 1122 [Maxwell Realty] et Teavana Corp. c. Teayama Inc., 2014 CF 372 [Teavana]. Ce sont des affaires où la Cour a accordé des dommages-intérêts compensatoires de 10 000 $ pour atteinte aux droits devant la loi d’un demandeur sans preuve de montant réel.

[73]  Je reconnais que, comme il est établi qu’il a été porté atteinte à ses droits en matière de marques de commerce, QPS a droit à des dommages-intérêts, et ce, malgré l’absence de preuve permettant de quantifier les dommages réels (voir Maxwell Realty aux par. 27 et 28; Teavana au par. 41; Oakley, Inc. c. Untel (2000), 193 RDCF 42 au par. 10). Je partage les préoccupations exprimées par l’Ontario au sujet de la logique de l’argument de QPS quant à sa séparation d’avec le gouvernement. Comme je l’ai expliqué plus haut dans ces motifs, j’ai trouvé que la marque de l’Ontario risquait d’être confondue avec celle de QPS, bien que l’Ontario soutienne que sa marque figure seulement à un site Web du gouvernement, puisque la marque de QPS figure elle aussi à des sites Web gouvernementaux. La demanderesse fait valoir la différence entre le fait d’être parrainée par le gouvernement et le fait que les consommateurs en déduisent que les services de QPS sont fournis par le gouvernement. Je n’ai toutefois pas la conviction que le consommateur quelque peu pressé en fonction des perceptions duquel l’analyse de confusion se fait établirait cette distinction.

[74]  Selon moi, l’approche requise pour quantifier les dommages-intérêts dans la présente affaire s’apparente à celle qu’emploie la Cour dans les affaires Maxwell Realty et Teavana, car il convient d’accorder des dommages-intérêts compensatoires pour atteinte aux droits de QPS en matière de marques de commerce sans la preuve d’une incidence particulière sur les activités de la demanderesse. En m’appuyant sur ces sources, j’adjuge des dommages-intérêts de 10 000 $.

V.  Dépens

[75]  À l’audition de cette requête, j’ai demandé aux parties ce qu’elles pensaient de la question des dépens. QPS a demandé la possibilité de traiter cette question après réception de la décision de la Cour sur le fond. L’Ontario est d’accord, bien qu’ayant demandé pour sa part la possibilité d’essayer d’en venir à une entente avec QPS sur les dépens après cette réception.

[76]  Dans mon jugement, j’accorderai donc aux parties 30 jours pour s’entendre sur les dépens et conseiller la Cour à cet égard ou encore pour lui proposer un délai de présentation de leurs observations écrites à ce sujet.


JUGEMENT DANS T-1787-16

LE JUGEMENT DE LA COUR est le suivant :

  1. La Cour déclare que la demanderesse est titulaire de la marque de commerce nTMA882733 pour EMPOWER ME en relation avec des services de sensibilisation, de conservation et d’efficacité énergétiques et qu’elle a le droit exclusif d’utiliser cette marque.

  2. La Cour déclare que la défenderesse a usurpé cette marque en contravention de l’art. 20 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13.

  3. La défenderesse doit verser à la demanderesse des dommages-intérêts d’un montant de 10 000 $ pour usurpation de marque de commerce.

  4. Les revendications de la demanderesse sont autrement rejetées.

  5. Dans les 30 jours suivant la date du présent jugement, les parties doivent :

    1. s’entendre sur les dépens et conseiller la Cour à cet égard;

    2. proposer conjointement à la Cour un délai de présentation de leurs observations écrites sur les dépens.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1787-16

INTITULÉ DE LA CAUSE :

QUALITY PROGRAM SERVICES INC. v SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L’ONTARIO

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 JUIN 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 4 OCTOBRE 2018

COMPARUTIONS :

Jonathan Woolley

Yui Fei

POUR LA DEMANDERESSE

Baaba Forson

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richards Buell Sutton LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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