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Date : 20180905


Dossier : IMM-3546-18

Référence : 2018 CF 890

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 septembre 2018

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

MUHAMMAD AFZAL WATTO

demandeur

et

LE CONSEIL DE RÉGLEMENTATION DES CONSULTANTS EN IMMIGRATION DU CANADA (CRCIC) ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Le Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada (CRCIC) est l’organisme de réglementation national qui supervise les conseillers en immigration agréés. Cet organisme réglemente les personnes qui fournissent des conseils ou une représentation sur les questions d’immigration à des clients payants et qui ne sont pas autrement assujettis à une réglementation en application de leur adhésion à un autre ordre professionnel (par exemple, les avocats en application de leur adhésion aux barreaux provinciaux). En plus d’établir des critères d’admission à la profession, le CRCIC supervise le perfectionnement professionnel et la conduite de ses membres, entend, fait enquête et rend un jugement relativement aux plaintes à l’encontre de ses membres et administre un processus disciplinaire visant à sanctionner les membres qui ne répondent pas aux normes applicables. Après une désignation par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, en juin 2011, en application du paragraphe 91(5) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), les membres du CRCIC peuvent représenter ou conseiller des clients payant concernant des questions relatives à la Loi. (Une désignation similaire a été faite en application du paragraphe 21.1(5) de la Loi sur la citoyenneté, LRC (1985), c C-29.)  Une discussion très utile sur le contexte de la création de la Société canadienne de consultants en immigration, le prédécesseur du CRCIC, figure dans la décision Onuschak c Société canadienne de consultants en immigration, 2009 CF 1135, aux paragraphes 11 à 19.

[2]  Le demandeur est un consultant en immigration membre du CRCIC. En décembre 2015, il a fait l’objet d’une plainte auprès du CRCIC. Au terme de l’enquête, la plainte a été transmise au comité de discipline du CRCIC aux fins d’audience.

[3]  L’audience a commencé le 8 février 2018, devant un tribunal composé de trois commissaires. Au début de l’audience, le demandeur a soulevé sept questions préliminaires, dont une objection à la composition du tribunal au motif qu’un de ses membres (le président) n’est pas membre du CRCIC. Les objections du demandeur relativement à la question soumise en tribunal tel qu’il était constitué ont été rejetées dans une décision écrite rendue le 12 juillet 2018. La reprise de l’audience disciplinaire a ensuite été prévue pour le 30 août 2018.

[4]  Dans un avis de demande daté du 26 juillet 2018, le demandeur cherche à obtenir un contrôle judiciaire de la décision rendue le 12 juillet 2018 par le comité de discipline. Dans un avis de requête daté du 22 août 2018, le demandeur cherche également, entre autres, à obtenir un sursis interlocutoire de l’audience disciplinaire en attente de la décision définitive concernant la demande de contrôle judiciaire.

[5]  J’ai été saisi de cette requête de sursis le 28 août 2018. Le CRCIC, un des défendeurs, s’y opposait. L’avocate du ministère de la Justice qui a comparu au nom des défendeurs, le Procureur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté (le ministre), n’a pas pris position concernant cette requête. Elle a également demandé que le Procureur général du Canada et le ministre soient retirés du présent dossier. J’aborderai cette question plus loin.

[6]  Peu de temps après l’audience, j’ai émis une ordonnance dans laquelle j’accueillais la requête et j’accordais un sursis interlocutoire de l’audience disciplinaire en attente de la décision définitive concernant la demande de contrôle judiciaire. J’ai indiqué que je fournirais les motifs de cette ordonnance à une date ultérieure. Ces motifs sont énoncés ci-dessous. Avant d’aborder ces motifs, toutefois, certaines questions préliminaires doivent être abordées puisqu’elles ont un effet direct sur la façon dont cette question sera traitée à partir de ce moment.

II.  COMPÉTENCE

[7]  La première question préliminaire est celle de la compétence de la Cour relativement à la demande de contrôle judiciaire. Cette question peut, en partie, être tranchée aisément en raison de la récente décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Zaidi c Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, 2018 CFA 116 [Zaidi]. Toutefois, bien que cette décision réponde à certaines questions clés concernant le contrôle judiciaire des décisions du CRCIC, d’autres restent sans réponse. Pour comprendre les conséquences de la décision dans l’affaire Zaidi, il est nécessaire de rappeler certains faits.

[8]  M. Zaidi souhaitait devenir un consultant réglementé en immigration canadienne. Le CRCIC a pour mandat d’établir et d’administrer les compétences nécessaires pour obtenir cette désignation. Le CRCIC a refusé la demande de M. Zaidi au motif qu’il n’a pas obtenu la note minimale requise à l’évaluation des compétences linguistiques. Se représentant lui-même, M. Zaidi a contesté la décision du CRCIC en présentant une demande de contrôle judiciaire. La question a été abordée comme une demande en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7. Le CRCIC et le ministre ont été désignés comme défendeurs, mais à la demande de ce dernier, on a ordonné le retrait du ministre de ce dossier dès le stade initial.

[9]  La juge McDonald a rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. Zaidi (Zaidi c Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, 2017 CF 141). Notamment, elle a conclu que le CRCIC n’a rendu aucune « décision » susceptible de contrôle par la Cour en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (voir le paragraphe 16).

[10]  Se représentant encore lui-même, M. Zaidi en a appelé de cette décision devant la Cour d’appel fédérale. Ni le procureur général du Canada ni le ministre n’étaient parties à l’appel. Le CRCIC était le seul défendeur.

[11]  En disposant de l’appel, la Cour d’appel fédéral a pris deux décisions importantes. Premièrement, le CRCIC est un office fédéral au sens du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales; les Cours fédérales ont donc compétence pour entendre les contrôles judiciaires. Le juge Near, (juge de la Cour d’appel), au nom de la Cour, a expliqué le fondement de sa conclusion comme suit (au paragraphe 9) :

En l’espèce, l’appelant a présenté une demande de contrôle judiciaire d’une « décision » au cœur même du mandat du CRCIC consistant à réglementer les personnes aptes à exercer une profession. De plus, ce pouvoir prend sa source dans une loi fédérale, la LIPR, en vertu de laquelle le gouvernement a délégué son pouvoir de réglementation au CRCIC. Je suis d’avis que cette décision est de nature publique et qu’elle a été rendue dans l’exercice des pouvoirs qui ont été délégués par le gouvernement fédéral, et que les cours fédérales ont compétence pour entendre l’affaire en application du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

[12]  À la lumière de cette conclusion, il ne fait aucun doute que la Cour a compétence pour examiner la demande de contrôle judiciaire du demandeur. La tenue d’une procédure disciplinaire concernant un membre est clairement au cœur du mandat du CRCIC à titre d’organisme d’autoréglementation des consultants en immigration, dont la source de la compétence est la loi fédérale.

[13]  Deuxièmement, la Cour d’appel fédérale a conclu que les procédures de contrôle judiciaire concernant le CRCIC étaient assujetties aux articles 72 et 74 de la LIPR. Cela signifie qu’en l’absence d’une question à certifier, la Cour d’appel fédérale n’a pas compétence pour entendre l’appel de M. Zaidi. (Puisqu’elle a tranché la question en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, on n’a pas demandé à la juge McDonald de certifier une question en application du paragraphe 74(d) de la LIPR.)

[14]  Comme la Cour d’appel fédéral l’a fait valoir, le fait que le CRCIC tire son pouvoir de réglementer les professionnels de l’immigration de la désignation de l’organisation par le ministre en application du paragraphe 91(5) de la LIPR est suffisant pour l’assujettir à la compétence des Cours fédérales. Toutefois, la Cour n’explique pas en détail pourquoi elle a également conclu que les décisions du CRCIC, un ordre professionnel autoréglementé, sont des « questions » assujetties à la LIPR au sens du paragraphe 72(1) de cette loi et, par conséquent, sont assujetties au processus judiciaire plus restrictif qui y est énoncé.

[15]  Cette deuxième conclusion a des conséquences importantes sur le traitement futur de la question en l’espèce. L’une de ces conséquences est qu’aux termes du paragraphe 72(1) de la LIPR, un demandeur doit d’abord obtenir une autorisation pour présenter une demande de contrôle judiciaire. Aucune exigence de la sorte ne s’applique aux demandes de contrôle judiciaire présentées en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

[16]  En l’occurrence, le demandeur a formulé sa demande de contrôle judiciaire en faisant expressément référence au paragraphe 72(1) de la LIPR et a inclus une demande d’autorisation. Bien que sa requête devant être présentée le 28 août 2018 demandait initialement l’autorisation de présenter sa demande de contrôle judiciaire dans le cadre de la réparation demandée, le demandeur a ensuite reconnu qu’il ne s’agissait pas de la façon appropriée de procéder. Certaines des étapes nécessaires pour préparer la demande d’autorisation à soumettre à la considération de la Cour n’avaient pas encore été exécutées à ce stade et, quoi qu’il en soit, la pratique habituelle de la Cour consiste à trancher les demandes d’autorisation sans comparution (voir la LIPR, paragraphe 72(2)). Je décrirai plus tard les étapes restantes pour soumettre la demande d’autorisation.

[17]  Un deuxième facteur important de la conclusion selon laquelle les procédures de contrôle judiciaire concernant le CRCIC sont assujetties aux articles 72 et 74 de la LIPR est la désignation des défendeurs concernés. La Cour d’appel fédérale n’a pas abordé cette question dans Zaidi. Il s’agit de la prochaine question abordée en l’espèce.

III.  DÉSIGNATION DES DÉFENDEURS APPROPRIÉS

[18]  Le demandeur a désigné le CRCIC, le procureur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme défendeurs dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire. Le procureur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ont demandé à se retirer comme défendeurs. De même, bien qu’aucune des parties n’ait soulevé cette question, je me suis demandé si le CRCIC pouvait être défendeur dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire assujettie aux articles 72 et 74 de la LIPR.

[19]  L’alinéa 5(2)b) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, prévoit que sauf dans le cas où il est lui-même le demandeur, le défendeur d’une demande d’autorisation est « lorsqu’il s’agit d’une mesure visée par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, tout ministre chargé de l’application de cette loi à l’égard de la mesure visée par l’autorisation recherchée ». Je remarque qu’aucun autre défendeur potentiel n’est indiqué.

[20]  Eut égard à cette règle et en l’absence d’objection de la part d’une autre partie, je suis d’accord avec ministère de la Justice que le procureur général du Canada n’aurait jamais dû être désigné comme défendeur. J’ordonnerai que le procureur général du Canada soit retiré de la procédure et que l’intitulé de la cause soit modifié en conséquence.

[21]  En ce qui concerne le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, l’avocate du ministère de la Justice reconnaît que, en lui-même, l’alinéa 5(2)b) exige qu’il soit désigné comme défendeur dans la demande de contrôle judiciaire étant donné sa responsabilité dans la désignation du CRCIC en application du paragraphe 91(5) de la LIPR. L’avocate a fait valoir, toutefois, que je dois interpréter cette règle conformément à l’article 3 de la Loi sur les Cours fédérales, DORS/98-106, qui est intégrée aux Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés à l’article 4(1) de ces dernières. L’article 3 des Règles des Cours fédérales énonce que ces règles « sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ». L’avocate a fait valoir que le retrait du ministre aurait pour effet de favoriser une décision équitable rendue de la façon la plus expéditive et la moins coûteuse possible.

[22]  L’argument de l’avocate selon lequel le ministre n’est pas bien placé pour défendre la décision du CRCIC et qu’il a donc peu, voire rien à contribuer à la procédure de contrôle judiciaire, est très convaincant. Toutefois, sans rendre de décision finale dans cette affaire, je ne suis pas convaincu que le principe énoncé à l’article 3 des Règles de cours fédérales pourrait m’autoriser à ignorer le langage clair et dénué d’ambiguïté de l’alinéa 5(2)b) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés. En outre, il n’est pas clair pour moi, à ce stade, si la participation du ministre aurait nécessairement pour conséquence de compliquer ou de prolonger indûment la demande de contrôle judiciaire. Finalement, à ce stade précoce, je ne peux écarter la possibilité que le ministère puisse aider la Cour relativement aux questions de droit générales qui pourraient être soulevées en lien avec la demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, je ne suis pas prêt à retirer le ministre comme défendeur pour l’instant. Cette décision est rendue sans porter atteinte au droit du ministre de réitérer sa demande à une étape ultérieure de la présente procédure, si on lui conseille de le faire.

[23]  La dernière question préliminaire consistait à déterminer si le CRCIC a été correctement désigné comme demandeur dans le cadre de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Le fondement juridique pour désigner le CRCIC est loin d’être clair pour moi, même si une de ses décisions est l’objet en la demande. La LIPR elle-même ne prévoit rien à ce sujet. L’article 303 des Règles des Cours fédérales, qui établit la règle générale pour désigner des défendeurs dans le cadre de demandes de contrôle judiciaire, ne s’applique pas aux procédures de contrôle judiciaire qui sont assujetties à la LIPR (voir le paragraphe 4(1) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés). Comme il est indiqué précédemment, l’alinéa 5(2)b) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés prévoit que seul le ou les ministres peuvent être désignés comme défendeurs dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire en application de la LIPR. Il ne prévoit pas désigner le tribunal dont la décision est en cause comme un défendeur. À cet égard, l’alinéa 5(2)b) est en phase avec les restrictions bien établies de la common law concernant le champ d’intervention des tribunaux dont les décisions sont contestées dans le cadre d’un contrôle judiciaire (voir, par exemple, la discussion portant sur ces restrictions par le juge Stratas dans Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 246, aux paragraphes 15 à 24). En outre, le caractère inapplicable de l’article 303 des Règles des Cours fédérales implique que le mécanisme par lequel le CRCIC aurait pu être désigné comme défendeur (en application du paragraphe 303(3), où la Cour peut se substituer au procureur général lorsque, sur demande de ce dernier, la Cour « est convaincue que celui-ci est incapable d’agir à titre de défendeur ou n’est pas disposé à le faire » après avoir été ainsi désigné) n’est pas disponible. D’autre part, il convient de noter que la décision a en cause n’a pas été prise par le CRCIC lui-même, mais plutôt par un tribunal de son comité de discipline et que le CRCIC a comparu comme partie dans le cadre de la procédure devant ce comité.

[24]  Ceci dit, j’ai décidé qu’il n’était pas nécessaire ou souhaitable de trancher cette question à ce stade de la procédure. Le demandeur a désigné le CRCIC comme défendeur (en fait, comme principal défendeur puisque le procureur général et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ont été désignés pour plus de sûreté seulement) et il n’a pas suggéré son retrait. Il est évident que le CRCIC est concerné par les questions soumises à l’analyse de la Cour, tant sur le plan de la requête de sursis de la procédure disciplinaire et que de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente. Je souligne également que la Cour d’appel fédérale n’a pas soulevé de question concernant la position du CRCIC dans l’affaire Zaidi. Par conséquent, sous réserve de toute autre ordonnance de la Cour, je conclus que le CRCIC doit continuer de participer à cette demande de contrôle judiciaire à titre de défendeur, au moins pour le moment.

IV.  LA REQUÊTE DE SURSIS

[25]  Cela m’amène, finalement, aux motifs invoqués pour accepter la demande d’injonction interlocutoire visant à surseoir à la procédure disciplinaire. Conformément à la pratique habituelle de la Cour, les motifs expliquant ma décision d’accorder la requête seront relativement brefs.

[26]  Le critère à appliquer pour l’octroi d’une injonction interlocutoire est bien connu. Le demandeur doit démontrer trois éléments : 1) que la demande de contrôle judiciaire soulève « une question sérieuse à trancher », c’est-à-dire que la demande n’est ni futile ni vexatoire; 2) qu’il subira des préjudices irréparables si l’injonction est refusée; et 3) que la prépondérance des inconvénients (l’évaluation visant à établir quelle partie subirait le plus grand préjudice si l’injonction interlocutoire était accordée ou refusée, en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond) joue en faveur de l’injonction. Voir R. c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5, au paragraphe 12 (renvois omis); Manitoba (P.G.) c Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 RCS 110; et RJR -- MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311.

[27]  Se penchant d’abord sur la question de savoir si la demande de contrôle judiciaire soulève une question importante, le demandeur a concentré ses observations sur la requête en sursis et la question de savoir si le tribunal disciplinaire peut compter un membre qui n’est pas membre du CRCIC. Plus particulièrement, le demandeur soutient que la participation d’un non-membre au tribunal du comité de discipline est contraire à l’article 158 de la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, LC 2009, c 23, loi en vertu de laquelle le CRCIC est constitué.

[28]  L’article 158 de la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif est libellé ainsi :

Les statuts ou les règlements administratifs peuvent autoriser le conseil d’administration, les membres ou un comité du conseil ou des membres à prendre, contre un membre, des mesures disciplinaires allant jusqu’à son exclusion. Le cas échéant, ils prévoient également les circonstances justifiant la prise de telles mesures et les modalités applicables.

[29]  Le tribunal du comité de discipline a conclu que l’application des principes pertinents de l’interprétation des lois a fait en sorte qu’il y ait « deux interprétations plausibles de cette disposition parmi lesquelles le tribunal pourrait choisir ». Les deux interprétations vont comme suit :

  1. l’article 158 vise à imposer des limites aux membres d’un comité de discipline, de façon qu’une société pourrait ne pas avoir de statuts ou de règlements administratifs portant sur un comité de discipline composé de personnes autres que les administrateurs de la société, ses membres ou tout comité formé d’administrateurs ou de membres;

  2. l’article 158 n’est pas exhaustif et ne limite pas la capacité de la société à adopter des règlements administratifs pour créer un comité de discipline qui comprend des personnes autres que des administrateurs ou des membres.

[30]  Le tribunal a éventuellement adopté la deuxième interprétation, un choix dont le caractère approprié est maintenant remis en question dans sa demande de contrôle judiciaire. Compte tenu de la propre reconnaissance du tribunal que les deux interprétations de la disposition sont « plausibles » et à la lumière du raisonnement détaillé du tribunal pour défendre l’interprétation adoptée, je conclus que la question de savoir si elle a adopté une interprétation justifiable de l’article 158 de la Loi répond au critère de « question sérieuse à juger ». (En abordant la question de cette façon, j’évite délibérément tout commentaire à ce stade sur ce qui constitue la norme de contrôle applicable.)

[31]  Deuxièmement, je conclus également que le demandeur a établi qu’il subirait des préjudices irréparables si on n’ordonnait pas le sursis de cette audience disciplinaire. Je fonde cette conclusion sur deux facteurs. Premièrement, si le demandeur devait avoir gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire, le temps, les efforts et les autres ressources qu’il aurait eu à consacrer à l’audience disciplinaire auraient été inutiles. Compte tenu de la nature de la procédure sous-jacente, l’octroi de dommages-intérêts contre le CRCIC ne lui aurait pas permis de récupérer sa perte. Deuxièmement, compte tenu du stade précoce de l’audience à l’heure actuelle, la divulgation des éléments de preuve étayant l’allégation d’inconduite lors de l’audience pourrait entraîner une atteinte injustifiée à la réputation du demandeur (à tout le moins, injustifiée pour l’instant) advenant que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. À cet égard, la position du demandeur est beaucoup plus proche de celles examinées dans Adriaanse c Malmo-Levine, 1998 CanLII 8809 (CF) et Bennett v British Columbia (Superintendent of Brokers) (1993), 77 BCLR (2d) 145 (CA), où des sursis de procédures disciplinaires ont été ordonnés à un stade précoce des procédures, que celle examiné dans Camp c Canada (Procureur général), 2017 CF 240 [Camp], où un sursis d’une procédure disciplinaire qui était presque entièrement terminée a été refusée. Voir, plus particulièrement, la discussion sur l’importance de la chronologie dans Camp, aux paragraphes 24 à 28.

[32]  Enfin, je suis convaincu que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi d’un sursis. Encore une fois, je fonde cette conclusion sur deux facteurs. Premièrement, bien que le CRCIC, et le public en général, ait un intérêt légitime à ce que la plainte à l’encontre du demandeur soit jugée et tranchée en temps opportun, ils n’ont aucun intérêt à ce que cela soit fait devant un tribunal qui n’est pas constitué conformément à la loi. La demande de contrôle judiciaire permettra de trancher cette question élémentaire. Deuxièmement, bien que l’avocate du CRCIC ait souligné, à juste titre, l’importance de ne pas permettre la fragmentation des procédures administratives par des demandes interlocutoires de contrôle judiciaire, je conclus que la question juridique soulevée par le demandeur concernant la composition du tribunal disciplinaire tribunal correspond à l’exception prévue en cas de « circonstances exceptionnelles » à cette règle générale : voir Canada (Agence des services frontaliers) c C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, aux paragraphes 30 à 33; et Singh c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 683, aux paragraphes 28 à 37. À la lumière de ces renseignements, je conclus également qu’un sursis interlocutoire de la procédure disciplinaire à l’encontre du demandeur aura pour effet d’éviter, plutôt que favoriser, la fragmentation de cette procédure. À l’inverse, le refus d’un sursis aura l’effet opposé advenant que la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit accueillie alors que l’audience disciplinaire est toujours en cours.

V.  PROCHAINES ÉTAPES

[33]  Après avoir conclu qu’il était approprié d’ordonner un sursis interlocutoire de la procédure disciplinaire à l’encontre de ce demandeur, je tiens à ajouter qu’il est dans l’intérêt de toutes les parties concernées que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire soit traitée le plus rapidement possible. Comme il a été mentionné auparavant, la plainte à l’encontre du demandeur a été déposée initialement en décembre 2015. Il y a déjà longtemps qu’elle aurait dû être jugée. Les procédures devant la Cour ne devraient pas aggraver le retard plus qu’il n’est absolument nécessaire.

[34]  Le demandeur a mis en état sa demande d’autorisation conformément à l’article 10 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, le 27 août 2018. En ce qui concerne la discussion précédente concernant le rôle du ministre dans cette affaire, le ministre pourrait très bien décider de ne pas prendre position relativement à la demande d’autorisation. Ainsi, je demanderai au ministre d’aviser les autres parties et la Cour de cette décision au plus tard le 7 septembre 2018, à 16 h (HNE). Évidemment, si le ministre prévoit s’opposer à la demande d’autorisation, il disposera du délai prévu à l’article 11 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés pour signifier et déposer ses documents en réponse.

[35]  De même, je souligne que le CRCIC a présenté des observations écrites s’opposant à l’autorisation ainsi qu’un sursis relativement à la requête entendue le 28 août 2018. Bien que le CRCIC ait le droit de déposer une réponse relative à la demande d’autorisation conformément à l’article 11 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, il pourrait également se fier simplement aux documents écrits déjà déposés comme observations pour s’opposer à l’autorisation de présenter la demande de contrôle judiciaire. Ainsi, je demanderai au CRCIC d’aviser les autres parties et la Cour de cette décision au plus tard le 7 septembre 2018, à 16 h (HNE). Advenant que le CRCIC souhaite déposer des documents en réponse à la demande d’autorisation proprement dite, il dispose du délai prévu à l’article 11 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés pour ce faire.

[36]  Si le ministre ne se prononce pas sur la demande d’autorisation et si le CRCIC choisit de se fonder sur ses observations écrites antérieures, le demandeur aura jusqu’à 12 septembre 2018, à 16 h (HNE) pour déposer toute observation en réponse. Autrement, le délai de soumission des observations en réponse établi à l’article 13 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés s’appliquera.

[37]  Si l’autorisation est accordée, la mise en rôle de l’audience relative à la demande d’autorisation de contrôle judiciaire ainsi que la signification et le dépôt d’autres documents seront déterminés conformément à l’article 74 de la LIPR et à l’article 15 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés.

VI.  DÉPENS

[38]  Finalement, par souci d’exhaustivité, je me pencherai sur la question des dépens.

[39]  L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés affirme ce qui suit :

Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens.

[40]  Sans aucun doute conscient de la nature exceptionnelle des dépens dans le cadre des procédures de contrôle judiciaire en vertu de la LIPR, le demandeur n’a pas cherché à obtenir de dépens relativement à la demande sous-jacente ou à la requête de sursis interlocutoire. Dans les circonstances, aucuns dépens ne seront adjugés.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER IMM-3546-18

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. que la demande de sursis interlocutoire de la procédure du tribunal du comité de discipline du CRCIC, qui devait reprendre le 30 août 2018, soit accordée;

  2. que la demande du procureur général du Canada d’être retiré de la procédure soit accordée et que l’intitulé de la cause soit modifié en conséquence;

  3. que la demande du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de se retirer de la procédure soit refusée sans préjudice au droit du ministre de renouveler cette demande à un stade ultérieure de la procédure;

  4. que l’on demande au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration d’aviser les autres parties et la Cour au plus tard le 7 septembre 2018, à 16 h (HNE) de la décision à savoir s’il se prononcera sur la demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire. Si le ministre prévoit s’opposer à la demande d’autorisation, il disposera du délai prévu à l’article 11 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés pour signifier et déposer ses documents en réponse;

  5. que l’on demande au CRCIC d’aviser les autres parties et la Cour au plus tard le 7 septembre 2018 à 16 h (HNE), de sa décision de se fonder sur les documents déjà déposés relativement à la question de savoir si l’autorisation de soumettre une demande de contrôle judiciaire doit être accordée ou s’il souhaite plutôt déposer d’autres documents conformément à l’article 11 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés; et

  6. si le ministre ne se prononce pas sur la demande d’autorisation et si le CRCIC choisit de se fonder sur ses observations écrites déposées antérieurement, que le demandeur ait jusqu’à 12 septembre 2018, à 16 h (HNE) pour déposer toute observation en réponse. Autrement, le délai de soumission des observations en réponse établi à l’article 13 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés s’appliquera.

  7. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3546-18

 

INTITULÉ :

MUHAMMAD AFZAL WATTO c LE CONSEIL DE RÉGLEMENTATION DES CONSULTANTS EN IMMIGRATION DU CANADA ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 août 2018

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 septembre 2018

 

COMPARUTIONS :

William J. Macintosh

 

Pour le demandeur

 

V. Ross Morrison

Shane Greaves

 

Pour le défendeur, LE CONSEIL DE RÉGLEMENTATION DES CONSULTANTS EN IMMIGRATION DU CANADA

 

Prathima Prashad

pour les défendeurs (le procureur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Macintosh Law

Sechelt (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

Morrison Brown Sosnovitch LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur, LE CONSEIL DE RÉGLEMENTATION DES CONSULTANTS EN IMMIGRATION DU CANADA

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour les défendeurs (le procureur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)

 

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