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Date : 20180824


Dossier : T-1813-17

Référence : 2018 CF 855

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 août 2018

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

GEOX S.P.A.

demanderesse

et

GIUSEPPE DE LUCA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Énoncé des faits

[1]  M. Giuseppe De Luca est propriétaire de la marque de commerce canadienne déposée sous le numéro LMC 375 888 et portant le nom ANFIBIO & Dessin (la marque). À la demande de Geox S.p.A., la registraire des marques de commerce a modifié l’inscription pour retirer les « souliers » de l’état déclaratif des produits, mais a refusé de radier l’inscription au complet. La registraire a jugé que M. De Luca avait fourni suffisamment d’éléments pour prouver que la marque avait été employée en liaison avec des « bottes » au cours des trois ans précédant immédiatement l’envoi de l’avis aux termes de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), c T-13 (la Loi).

[2]  Geox S.p.A. a interjeté appel de la décision de la registraire aux motifs que le licencié de M. De Luca, appelé Chaussures De Luca Montréal Inc. employait une variante de la marque de commerce et non la marque de commerce déposée, que le licencié n’a pas employé la marque de commerce déposée en liaison avec les bottes et que, de toute façon, l’emploi de la marque n’a pas profité à M. De Luca.

[3]  La question portant sur le retrait des « souliers » de la marque de commerce n’a pas été débattue devant moi.

[4]  Pour les motifs exposés ci-dessous, je suis d’avis que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée et que le présent appel devrait être rejeté.

II.  Décision de la registraire

[5]  La registraire a conclu que la marque avait été employée d’une façon telle qu’elle n’en a pas perdu son identité et qu’elle est demeurée reconnaissable malgré les distinctions existant entre la forme sous laquelle elle a été enregistrée et celle sous laquelle elle a été employée.

[6]  Même si le contrat d’exclusivité liant M. De Luca et Chaussure De Luca Montréal Inc. (le contrat de licence) n’autorise pas expressément l’emploi d’une variante de la marque, la registraire n’a pas jugé que cet emploi constituait nécessairement une violation, car la variante employée par le licencié était encore la même marque de commerce que la marque.

[7]  Elle a été convaincue par les éléments de preuve par affidavit selon lesquels, au cours de la période pertinente, les bottes arboraient une étiquette de la marque et étaient livrées dans des boîtes arborant elles aussi la marque durant la période où le licencié vendait les produits aux détaillants.

[8]  Pour terminer, elle a conclu que les mentions de droit d’auteur faisant référence à un tiers, qui étaient affichées sur le site Web du licencié au cours de la période pertinente, ne contredisaient pas les éléments probants indiquant l’emploi de la marque par M. De Luca ou le licencié.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[9]  Geox S.p.A. soulève les questions suivantes :

  1. La registraire a-t-elle commis une erreur en concluant que l’emploi d’une variante de la marque respecte les dispositions de l’article 50 de la Loi sur les marques de commerce?

  2. La registraire a-t-elle commis une erreur en concluant que la marque était employée en liaison avec les bottes selon l’inscription au cours de la période pertinente?

  3. La demanderesse a-t-elle failli à son obligation de montrer qu’elle tirait profit de l’emploi de la marque, menant ainsi à la radiation de l’inscription?

[10]  Il n’y a pas de désaccord entre les parties quant à la norme de contrôle applicable. En l’absence de nouveaux éléments de preuve lors de l’appel d’une décision du registraire rendue en application de l’article 45 de la Loi, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique (voir la décision Dollar General Corporation c 2900319 Canada Inc., 2018 CF 778, au paragraphe 11).

[11]  Aucun nouvel élément de preuve ne m’a été présenté et le seul élément dont je dispose est une copie certifiée conforme du dossier du registraire. Par conséquent, j’examinerai cette décision selon la norme de la décision raisonnable et je m’abstiendrai d’intervenir en l’absence de conclusions déraisonnables.

IV.  Discussion

[12]  Le but et l’objet de l’article 45 de la Loi sont de prescrire une procédure simple, sommaire et expéditive afin de débarrasser le registre du « bois mort ». Le critère applicable n’est pas très strict, mais la simple affirmation par le propriétaire de l’emploi de sa marque de commerce ne suffit pas. Le propriétaire doit présenter suffisamment d’éléments de preuve pour que le décideur soit en mesure d’apprécier l’usage qui est fait de la marque, ainsi que le moment et le lieu de cet usage; il doit toutefois maintenir le sens des proportions et éviter la preuve surabondante (Uvex Toko Canada Ltd c Performance Apparel Corp, 2004 CF 448, au paragraphe 44).

A.  La registraire a-t-elle commis une erreur en concluant que l’emploi d’une variante de la marque respecte les dispositions de l’article 50 de la Loi sur les marques de commerce?

[13]  Geox S.p.A. soutient que M. De Luca ne peut montrer l’emploi de la marque en faisant valoir l’emploi d’une variante non autorisée de la marque par le licencié. De l’avis de Geox S.p.A., le contrat de licence n’autorise pas la création et l’emploi de variantes de la marque et toute variante de la marque employée par le licencié diffère de la marque; il s’ensuit que l’emploi d’une variante ne peut équivaloir à l’emploi de la marque sous licence. Ainsi, Geox S.p.A. soutient que l’emploi, la publicité et l’exposition de la variante ne constituent pas des emplois de la marque aux termes du contrat de licence et que l’article 50 de la Loi ne s’applique pas.

[14]  Dans une procédure prévue à l’article 45, l’emploi qui doit être démontré doit être l’emploi fait par le propriétaire inscrit ou un emploi qui profite à ce propriétaire, notamment l’emploi effectué par un licencié aux termes de l’article 50 de la Loi (voir les arrêts Spirits International BV c BCF SENCRL, 2012 CAF 131, au paragraphe 7, et Star-Kist Foods Inc v Canada (Registrar of Trade Marks), (1988), 20 CPR (3d) 46 (CAF), pages 51 et 52).

[15]  Aux termes du paragraphe 50(1) de la Loi, l’emploi de la marque par un licencié est réputé avoir le même effet qu’un emploi par le propriétaire inscrit si ce propriétaire contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des produits et services. Ainsi, pour tirer profit de cette disposition, le propriétaire doit montrer premièrement l’emploi, la publicité ou l’exposition de la marque par le licencié, et deuxièmement le contrôle direct ou indirect sur les caractéristiques ou la qualité des produits et services.

1)  Emploi, publicité et exposition de la marque

[16]  Geox S.p.A. soutient que l’emploi d’une variante de la marque ne constitue pas un emploi de la marque.

[17]  Cependant, en droit canadien, il n’existe pas une vision stricte de l’enregistrement des marques de commerce, car de multiples variantes peuvent être acceptées pour une marque (voir Promafil Canada Ltée c Munsingwear, Inc, [1992] ACF no 611, au paragraphe 37).

[18]  Selon la règle de droit applicable, « [l]es variantes du design enregistré ne doivent pas modifier le caractère distinctif de la marque; elles doivent maintenir ses éléments dominants » (voir l’arrêt Pizzaiolo Restaurants inc c Les Restaurants La Pizzaiolle inc, 2016 CAF 265, au paragraphe 16). Comme le juge Louis Pratte l’a affirmé dans la décision Canada (Registrar of Trade Marks) v Cie internationale pour l’informatique CII Honeywell Bull SA, [1985] 1 FC 406, au paragraphe 5, le critère pratique qu’il faut appliquer consiste à :

[traduction]

[...] comparer la marque de commerce enregistrée et la marque de commerce employée et à déterminer si les distinctions existant entre ces deux marques sont à ce point minimes qu’un acheteur non averti conclurait, selon toute probabilité, qu’elles identifient toutes deux, malgré leurs différences, des marchandises ayant la même origine.

[19]  Les éléments de preuve montrent que l’image employée par le licencié est une légère variante de la marque.

[20]  Selon l’inscription, la marque consiste en un pingouin regardant à droite et situé à gauche du mot ANFIBIO écrit en lettres majuscules. Le mot ANFIBIO est entouré d’un ovale. Les lettres majuscules paraissent un peu plus grandes que la moitié de la hauteur du pingouin.

[21]  La variante de la marque qui a été employée par le licencié montre un pingouin semblable, lui aussi regardant du côté droit et situé à gauche du mot ANFIBIO, écrit en lettres majuscules avec la même police de caractères. La proportion entre la taille du pingouin et celle des lettres reste la même, mais l’espacement entre les lettres du mot ANFIBIO, lui, est un peu plus large. De plus, le mot ANFIBIO n’est pas entouré d’un ovale. Au lieu de cela, l’inscription « bottes imperméables » figure au-dessus de ce mot et l’inscription « waterproof boots » apparaît en dessous, en petits caractères. Dans certains cas, on voit également une ligne horizontale ou la mention « Made in Canada » et une feuille d’érable sous le pingouin et les mots.

[22]  À mon avis, la décision de la registraire portant sur l’emploi de la marque appartient aux issues acceptables et justifiables. Bien que la marque ait été légèrement modifiée par le licencié, elle a conservé les caractéristiques dominantes de la marque enregistrée, à savoir le pingouin, le regard tourné vers la droite, situé à gauche du mot ANFIBIO écrit en majuscules. Par conséquent, l’emploi de la variante équivaut à l’emploi de la marque enregistrée.

2)  Contrôle direct ou indirect des caractéristiques ou de la qualité des produits et services

[23]  Le propriétaire doit également démontrer qu’il a maintenu le contrôle sur les caractéristiques ou la qualité des produits et services.

[24]  Ce contrôle se démontre en appliquant une de ces trois grandes méthodes (voir la décision Empresa Cubana Del Tabaco (Sociale Cubatabaco) c Shapiro Cohen, 2011 CF 102, aux paragraphes 83 et 84, confirmée par l’arrêt 2011 CAF 340) :

[84]  Il y a, pour le propriétaire inscrit d’une marque de commerce, essentiellement trois manières de démontrer l’effectivité de son contrôle afin de bénéficier de la présomption du paragraphe 50(1) de la Loi :

1.  il peut explicitement affirmer sous serment qu’il exerce effectivement le contrôle prévu : voir, par exemple, Mantha & Associés/Associates c. Central Transport Inc. (1995), 64 C.P.R. (3d) 354 (C.A.F.), par. 3;

2.  il peut produire des preuves démontrant qu’il exerce effectivement le contrôle nécessaire : voir, par exemple, Eclipse International Fashions Canada Inc. c. Shapiro Cohen, 2005 CAF 64, par. 3 à 6;

3.  il peut produire une copie du contrat de licence qui prévoit expressément l’exercice d’un tel contrôle.

[25]  Dans son affidavit, M. De Luca affirme qu’il est le fondateur du licencié Chaussures De Luca Montréal Inc., qu’il a vendu en 1991 tout en demeurant propriétaire de la marque.

[26]  Il affirme qu’au cours de la période pertinente, la marque était employée par le licencié à la condition expresse, inscrite au contrat de licence, que les produits soient de qualité. Il affirme qu’il contrôle la qualité et les caractéristiques des produits qui arborent la marque en procédant à des visites régulières de différents magasins de chaussures de Montréal, et que ces visites ont également eu lieu au cours de la période pertinente.

[27]  Il ajoute que la modification légère de la marque avait pour but de moderniser l’image et que les éléments essentiels de la marque ont été conservés. Il mentionne spécifiquement le pingouin situé à gauche du mot ANFIBIO écrit en lettres majuscules. À son avis, l’ajout des mots « bottes imperméables » et « waterproof boots » ne sert qu’à informer le consommateur du fait que les bottes sont imperméables.

[28]  M. Franco Rota, directeur, trésorier et contrôleur du licencié, a lui aussi fait une déclaration sous serment dans laquelle il explique que le licencié emploie la marque depuis 1991 en conformité avec les termes du contrat de licence exclusive conclu avec M. De Luca. Selon ce contrat de licence, le licencié doit veiller à la qualité des produits vendus qui arborent la marque, apporter des améliorations aux produits et développer de nouveaux produits ayant des caractéristiques semblables. Un manquement à cet égard peut entraîner la production d’un avis de défaut et la résiliation du contrat de licence. M. Rota ajoute que, jusqu’à la date de sa déclaration sous serment, M. De Luca n’a jamais envoyé d’avis de défaut au licencié.

[29]  Dans sa déclaration sous serment, M. Rota décrit également la manière dont il a employé la marque en liaison avec les produits au profit de M. De Luca en versant à celui-ci des redevances en fonction du volume de vente auprès des détaillants et des consommateurs au cours de la période pertinente.

[30]  À mon avis, la registraire a conclu à juste titre qu’il existait suffisamment d’éléments de preuve établissant le contrôle du propriétaire sur les caractéristiques et la qualité des biens arborant la marque. Geox S.p.A. n’a pas invoqué de jurisprudence à l’appui de sa thèse selon laquelle l’article 50 de la Loi ne s’applique pas aux circonstances en l’espèce.

[31]  Bien qu’il n’autorise pas précisément l’emploi d’une variante de la marque par le licencié, le contrat de licence n’indique pas non plus que l’emploi d’une variante est proscrit. Quoi qu’il en soit, M. De Luca a agréé la variante, du moins implicitement. En effet, il savait, après avoir vu les produits dans les magasins, que la marque avait été modifiée par le licencié et il a reçu des redevances provenant de la vente de produits arborant une variante de la marque. Pourtant, il n’a jamais cru bon d’aviser le licencié que celui-ci était en défaut dans son emploi de la marque.

[32]  Je ne constate aucune erreur susceptible de révision dans la conclusion de la registraire, à savoir que l’emploi de la marque par le licencié était conforme au contrat de licence. Par conséquent, l’article 50 de la Loi s’applique et l’emploi d’une variante de la marque par le licencié est réputée avoir le même effet que l’emploi, la publicité et l’exposition de la marque par le propriétaire.

B.  La registraire a-t-elle commis une erreur en concluant que la marque était employée en liaison avec les bottes selon l’inscription au cours de la période pertinente?

[33]  Selon l’argumentation de Geox S.p.A., les éléments de preuve ne suffisent pas à démontrer que, au moment du transfert de possession, la marque était employée en liaison avec les bottes, car aucune des images appuyant l’affidavit de M. Rota ne montre d’étiquette apposée à une paire de bottes, ni de paire de bottes dans une boîte ouverte.

[34]  Le paragraphe 4(1) de la Loi régit l’utilisation d’une marque de commerce en liaison avec certaines catégories de produits :

Quand une marque de commerce est réputée employée

When deemed to be used

4 (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

4 (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the goods, in the normal course of trade, it is marked on the goods themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any manner associated with the goods that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

[35]  Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits lorsque, au moment où la propriété est transférée, les conditions suivantes sont satisfaites (voir la décision Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd c Skyway Cigar Store (1998), 81 CPR (3d) 203 (CF), au paragraphe 45) :

1.  il doit s’agir d’une marque de commerce définie à l’article 2 [de la Loi sur les marques de commerce], c’est-à-dire une marque employée pour distinguer les marchandises;

2.  la marque doit être liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est donné;

3.  le transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises doit avoir lieu dans la pratique normale du commerce.

[36]  Dans les instances en vertu de l’article 45, le titulaire de la marque de commerce doit fournir une preuve prima facie de l’emploi de la marque au Canada au cours de la période pertinente (1400446 Alberta Ltd c Fogler, Rubinoff LLP, 2018 CF 79, au paragraphe 23). Les éléments de preuve par affidavit n’ont pas à être parfaits, mais, comme la présentation d’éléments de preuve contradictoires n’est pas permise, les ambiguïtés dans les éléments preuve doivent être interprétées à l’encontre du propriétaire inscrit (voir la décision Diamant Elinor Inc c 88766 Canada Inc, 2010 CF 1184, au paragraphe 76). Toutefois, le décideur peut à juste titre tirer des conclusions des faits établis lorsqu’il examine la preuve dans son ensemble (voir l’arrêt Eclipse International Fashions Canada Inc c Cohen, 2005 CAF 64, au paragraphe 7).

[37]  Aux termes du paragraphe 4(1) de la Loi, une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si elle est apposée « sur les produits mêmes » ou « sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués », ou si elle est, « de toute autre manière, liée aux produits ».

[38]  M. Rota indique expressément au paragraphe 12 de sa déclaration sous serment que des étiquettes identiques à celles représentées dans l’image ont été apposées aux produits vendus au cours de la période pertinente. Il ajoute également au paragraphe 13 que des boîtes arborant la marque et contenant des bottes ont été vendues aux détaillants au cours de la période pertinente.

[39]  De plus, les factures jointes en tant que pièce 3 à la déclaration sous serment de M. Rota montrent que les transferts font partie de la pratique normale du commerce au cours de la période pertinente. Ces factures appuient également la conclusion selon laquelle la marque était employée en liaison avec les bottes, puisque, dans le corps des factures, la description des articles vendus nous indique des bottes ANFIBIO, aucune autre marque de commerce n’y est mentionnée et les bottes sont les seuls articles vendus (voir la décision Hortilux Schreder BV c Iwasaki Electric Co Ltd, 2011 CF 967, au paragraphe 20, confirmée par 2012 CAF 321).

[40]  À mon avis, il était raisonnable que la registraire conclue que l’ensemble formé par les images sur l’étiquette et sur la boîte arborant la marque, ainsi que les factures étayant la déclaration sous serment de M. Rota, suffisait à prouver l’emploi de la marque en liaison avec les bottes.

C.  La demanderesse a-t-elle failli à son obligation de montrer qu’elle tirait profit de l’emploi de la marque, menant ainsi à la radiation de l’inscription?

[41]  Étant donné les conclusions que j’ai tirées, à savoir que l’emploi de la marque en liaison avec les bottes apportait un profit à M. De Luca, il n’est plus nécessaire de déterminer si l’emploi de la marque sur le site Web www.bottesanfibio.com lui apportait un bénéfice quelconque. Cependant, je vais aborder l’argument de Geox S.p.A. voulant que le fait d’afficher l’avis de droit d’auteur d’un tiers sur le site Web au cours de la période pertinente a créé suffisamment d’ambiguïtés concernant l’emploi de la marque pour justifier une interprétation défavorable à M. De Luca.

[42]  Geox S.p.A. soutient notamment l’argument voulant que les captures d’écran du site Web ne montrent pas un emploi autorisé par M. De Luca ni un emploi qui lui serait profitable aux termes de l’article 50 de la Loi. Geox S.p.A. juge ambigu le fait que les captures d’écran contiennent divers avis de droit d’auteur, l’un d’entre eux mentionnant Arteca Design Inc., un tiers, et que la déclaration sous serment de M. Rota ne précise pas qu’une licence ou une sous-licence a été octroyée à ce tiers pour l’exposition de la marque ou d’une variante de la marque au cours de la période pertinente. Selon Geox S.p.A., tout emploi de la marque sur le site Web constituerait un emploi non autorisé par un tiers, et cet emploi ne profiterait nullement à M. De Luca.

[43]  D’abord, je suis d’avis qu’il était raisonnable que la registraire conclue que l’emploi non autorisé de la marque par un tiers au cours de la période pertinente, démontré par des captures d’écran, ne contredit pas tous les autres éléments de preuve qui, eux, démontrent clairement que le licencié employait la marque conformément au contrat de licence au cours de la période pertinente. Il est tout à fait possible que l’emploi non autorisé par un tiers coexiste avec l’emploi autorisé par un licencié.

[44]  Deuxièmement, la seule confusion que je puisse détecter en l’espèce concerne la différence entre l’ensemble des droits octroyés au propriétaire d’une marque de commerce inscrite et l’ensemble des droits associés au droit d’auteur. Le premier ensemble porte nécessairement sur la marque, comme je l’ai déjà dit. Le deuxième ensemble, par contre, pourrait porter sur divers éléments du contenu du site Web, notamment les images et le texte. N’ayant pas connaissance du contenu de l’entente qui pourrait avoir été conclue entre le licencié et le tiers Arteca Design Inc., sans doute un développeur de site Web, je n’arrive pas à voir une quelconque ambiguïté dans le fait que le contenu du site Web soit protégé par le droit d’auteur d’Arteca Design Inc. à un moment quelconque au cours de la période pertinente.

[45]  M. Rota mentionne expressément dans son affidavit que le licencié vend ses produits aux détaillants et aux consommateurs au moyen du site Web www.bottesanfibio.com. De plus, les captures d’écran du site Web, tant celles de la période pertinente (conservées sur le site d’archives « Wayback Machine ») que celles d’aujourd’hui, montrent la marque ou une variante de celle-ci ainsi que divers modèles de bottes pour hommes et femmes.

[46]  À mon avis, ces éléments de preuve suffisent à démontrer que le domaine du site Web www.bottesanfibio.com appartient au licencié et que celui-ci en fait usage. L’avis de droit d’auteur du tiers ne crée aucune ambiguïté concernant l’emploi de la marque par le licencié au cours de la période pertinente.

V.  Conclusion

[47]  Par conséquent, je conclus que la décision de la registraire était raisonnable et que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les dépens sont adjugés au défendeur.


JUGEMENT dans le dossier T-1813-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. La somme forfaitaire de 1 000 $ est adjugée au défendeur à titre de dépens.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1813-17

INTITULÉ :

GEOX S.P.A. c GIUSEPPE DE LUCA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 JUILLET 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 24 AOÛT 2018

COMPARUTIONS :

Timothy C. Bourne

Pour la demanderesse

Franco Iezzoni

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ridout & Maybee LLP

Ottawa (Ontario)

Pour la demanderesse

Pateras & Iezzoni Inc.

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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