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Date : 20180919


Dossier : IMM-830-18

Référence : 2018 CF 933

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

SIYUN LIU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Mme Liu, est une citoyenne de la Chine qui a présenté une demande d’asile parce qu’elle pratiquait le Falun Gong. La Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu que sa demande n’était pas crédible, qu’elle n’était pas une adepte authentique du Falun Gong et que sa demande était manifestement infondée. Pour les motifs suivants, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie en raison de la prise en compte déraisonnable par la SPR de la citation à comparaître. Sans soumettre d’analyse, la SPR a conclu que la citation à comparaître qui a été présentée était fausse, et cette conclusion a mené la SPR à conclure ultimement que la demande était manifestement infondée.

Contexte

[2]  Mme Liu soutient qu’elle pratique le Falun Gong depuis 2016. En août 2017, le Bureau de la sécurité publique (BSP) de la Chine a effectué une descente au sein des groupes de pratique et a procédé à l’arrestation de quelques membres. Mme Liu s’est enfuie et s’est cachée. Grâce à l’aide d’un passeur, elle a obtenu un visa pour aller aux États-Unis, et s’est rendue au Canada où elle a présenté une demande d’asile.

Décision de la SPR

[3]  Dans sa décision du 22 décembre 2017, la SPR a déterminé que Mme Liu n’avait pas établi qu’il y avait une possibilité très réelle de persécution au sens de la Convention ou qu’elle ferait l’objet de persécution à son retour en Chine au motif qu’elle était une adepte authentique du Falun Gong.

[4]  La SPR a interrogé Mme Liu sur les aspects factuels du Falun Gong et son avocat l’a interrogée sur les aspects conceptuels. Elle a été capable de répondre à certaines questions factuelles, mais a fourni des réponses confuses aux questions conceptuelles sur le Falun Gong. En ce qui concerne la preuve documentaire, elle a soumis deux lettres d’adeptes au Canada. La SPR a fait remarquer que l’auteur de la première lettre était non identifiable, et l’auteure de la seconde lettre n’a pas fourni de preuve permettant de déterminer si elle était une adepte authentique. Les photographies présentées comme éléments de preuve de la pratique en public du Falun Gong par Mme Liu n’ont pas démontré qu’elle le pratiquait de façon soutenue au Canada selon la SPR.

[5]  La SPR a également souligné un manque d’éléments de preuve de son tuteur de Falun Gong ou des adeptes en Chine, et un manque de motifs justifiant l’absence de preuve. La SPR a conclu qu’elle avait fait des déclarations incohérentes concernant sa pratique en Chine qui ont mené la SPR à tirer une conclusion défavorable.

[6]  Mme Liu a bel et bien fourni une citation à comparaître comme preuve de la possibilité qu’elle soit persécutée si elle retournait en Chine. La SPR a déterminé que ce genre de document peut facilement être fabriqué et que les citations à comparaître sont rarement mises en application en Chine. De plus, la SPR a fait observer qu’aucune sommation de suivi n’avait été signifiée et a conclu que Mme Liu n’était pas recherchée par le BSP.

[7]  La SPR a souligné qu’elle a obtenu un visa pour aller aux États-Unis, et a voyagé là-bas au moyen d’un passeport chinois, mais que son témoignage était contradictoire quant à savoir où était son passeport à la suite de son entrée illégale au Canada. Pour ces motifs, la SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité. La SPR a ainsi conclu qu’elle n’était pas une adepte authentique du Falun Gong au Canada et qu’elle n’était pas recherchée par le BSP. En conséquence, la SPR a déterminé que la sommation était fausse et a conclu que sa demande était manifestement infondée.

Questions en litige

[8]  Même si la demanderesse soulève un certain nombre de questions en lien avec la décision de la SPR, en ce qui a trait au traitement de la citation à comparaître de la SPR, ma conclusion permet de trancher la présente demande de contrôle judiciaire.

Norme de contrôle et analyse

[9]  Les parties ont convenu que la révision devait être assujettie à la norme de la décision raisonnable. Une décision raisonnable possède les caractéristiques principales énoncées dans l’arrêt Dunsmuir, qui sont « la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[10]  Mme Liu soutient que le traitement de la citation à comparaître de la SPR était déraisonnable et a mené à la conclusion manifestement infondée. En pareil cas, le demandeur fait face à des conséquences importantes.

[11]  En évaluant la demande de Mme Liu, la SPR a tiré des conclusions défavorables sur la crédibilité, en ce qui concerne ses connaissances du Falun Gong et son défaut de produire un élément de preuve crédible à l’appui. Cependant, l’élément qui a mené la SPR à conclure que la citation à comparaître déposée par Mme Liu était un faux document n’est pas clair.

[12]  La SPR déclare avoir pris en compte le cartable national de documentation et observé que les demandes d’asile présentées par les Chinois représentaient un risque élevé de contenir de faux documents. La SPR a également fait observer que les citations à comparaître ou les sommations du tribunal signifiées en Chine ne sont généralement pas appliquées. La SPR a fait remarquer qu’il semble n’y avoir aucun document ayant des conséquences importantes ni pénalités à l’encontre de Mme Liu pour avoir omis de se présenter à la date prévue de la sommation.

[13]  Toutefois, la SPR n’a pas fourni d’analyses ni de motifs quant à la raison pour laquelle la citation à comparaître devant la SPR aux fins d’examen était fausse. La SPR n’a pas pris en compte les caractéristiques du document en soi, comme sa mise en page, son texte, son libellé, l’autorité compétente, les timbres ou les sceaux. Il semble que la SPR ait fondé sa conclusion de faux document sur les renseignements versés dans le cartable national de documentation, selon lesquels les demandes d’asile présentées par les Chinois représentaient un risque élevé de contenir de faux documents. Quoi qu’il en soit, pour que la conclusion de la SPR soit justifiée, transparente et intelligible, elle doit fournir une justification qui permet de conclure que la citation à comparaître en l’espèce est fausse.

[14]  Au paragraphe 42 de la décision, la SPR conclut que la citation à comparaître [traduction] « n’étaie pas vraiment sa demande d’une manière ou d’une autre », mais elle conclut ensuite au paragraphe 59 [traduction] « que la sommation présentée est fausse ». Même en reconnaissant le renvoi à la citation à comparaître par la SPR comme à celle d’une sommation découlait d’une simple erreur typographique, on ne peut déterminer clairement de quelle façon la SPR a d’abord accordé de l’importance au document, pour ensuite déclarer que le document était faux.

[15]  La SPR accroît ensuite l’incidence de cette conclusion lorsqu’elle lie la [traduction] « fausse sommation » à la conclusion ultime que la demande de Mme Liu est manifestement infondée. La manière dont la SPR a tiré cette conclusion n’est ni transparente ni intelligible.

[16]  Dans Warsame c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 596, la Cour a affirmé ce qui suit quant à la distinction entre les conclusions défavorables concernant la crédibilité et les conclusions de fraude :

[30]  Pour qu’une demande d’asile soit dite frauduleuse, il faut que le demandeur ait déclaré qu’une situation est d’une certaine nature alors qu’en réalité elle ne l’est pas. Mais ce n’est pas n’importe quel mensonge ou rapport inexact qui revêt la demande d’asile d’un caractère frauduleux. Il faut pour cela que les déclarations malhonnêtes, les supercheries, les mensonges touchent à un aspect important de cette demande, de sorte à influer substantiellement sur la décision dont elle fera l’objet. À mon sens, une demande d’asile ne peut être dite frauduleuse si la malhonnêteté n’a pas d’effet substantiel sur la décision à laquelle elle donne lieu.

[17]  En l’espèce, la seule partie de la demande de Mme Liu que la SPR estime « frauduleuse » est le document de citation à comparaître. Comme il est énoncé précédemment, la SAR n’explique pas raisonnablement de quelle façon elle est parvenue à cette conclusion. La SPR ne définit pas [traduction] « les déclarations malhonnêtes, les supercheries, les mensonges [qui] touchent une partie importante de la demande d’asile » pour soutenir que la demande en soi était manifestement infondée.

[18]  La raison et la logique dictent que, si la SPR tire une conclusion aussi importante, le raisonnement sera transparent et intelligible et bien motivé. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce. Par conséquent, la décision de la SPR est déraisonnable et la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM-830-18

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Le 22 décembre 2017, la décision de la Section d’appel des réfugiés est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différent pour nouvel examen;

2.  Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée.

« Ann Marie McDonald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-830-18

INTITULÉ :

SIYUN LIU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 août 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 19 septembre 2018

COMPARUTIONS :

Shelley Levine

Pour la demanderesse

Melissa Mathieu

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levine & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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