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Date : 20180919

Dossier : IMM-398-18

Référence : 2018 CF 930

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2018

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

L.E.

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), de la décision rendue le 4 janvier 2018 par une agente d’immigration principale (l’agente), qui a rejeté la demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR.

II.  Faits

[2]  La demanderesse est une femme nigériane de 33 ans qui est arrivée au Canada le 29 juillet 2014. Elle est mère de trois enfants : un fils de 5 ans et deux filles, l’une âgée de 7 ans et l’autre de 3 ans. À son arrivée au Canada, la demanderesse a présenté une demande d’asile.

[3]  La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté sa demande le 2 octobre 2014 en concluant qu’elle manquait dans l’ensemble de crédibilité. Le 2 février 2015, notre Cour a rejeté la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision de la SPR.

[4]  La demanderesse n’a pas respecté les procédures de renvoi et elle a été arrêtée par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) le 20 août 2015. Au moment de sa détention, les agents de l’ASFC ont confisqué ses biens et ont découvert des images pornographiques de ses enfants sur son téléphone.

[5]  Le 31 mars 2016, la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) de la demanderesse a aussi été rejetée. Le 20 juin 2016, notre Cour a rejeté la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision rendue au sujet de la demande d’ERAR (dossier IMM-1658-16).

[6]  La demanderesse a été accusée de production, de possession et de distribution de pornographie juvénile sur la base de la preuve photographique portant sur ses enfants, découverte sur son téléphone cellulaire. La demanderesse a été reconnue coupable de cette infraction en décembre 2016 et elle a été condamnée à une peine d’emprisonnement de 18 mois.

[7]  La décision de première instance ne figure pas dans le dossier de la demanderesse. Son dossier contient toutefois une évaluation de son comportement sexuel rédigée par un psychiatre, le DFedoroff, aux fins de la détermination de la peine par le tribunal pénal; ce dossier contenait également certaines conclusions du jugement de la cour de première instance, notamment des conclusions hautement défavorables quant à la crédibilité de la demanderesse. Les éléments de preuve de la demanderesse ont été jugés [traduction] « non crédibles et non fiables », le tribunal concluant que la demanderesse [traduction] « inventait des réponses qui servaient ses intérêts et qu’elle voulait faire croire au tribunal » et qu’elle « dirait n’importe quoi pour se tirer d’affaire ».

[8]  Le tribunal pénal a conclu que les photographies répondaient à la définition de pornographie juvénile, car elles ne [traduction] « s’apparentaient d’aucune façon à “d’innocentes photographies de famille”, contrairement à ce que prétendait la demanderesse », et a cité de nombreux témoignages incriminants étayant sa conclusion. Le tribunal pénal a aussi rejeté l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle voulait, par ses photographies, présenter à son mari les problèmes médicaux dont ses enfants étaient atteints. En dépit de ces conclusions, le DFedoroff a indiqué que la demanderesse [traduction] « déclinait toute responsabilité de la présumée infraction » et se disait [traduction] « totalement innocente ».

[9]  Les trois enfants de la demanderesse ont été temporairement placés sous la garde de la Société d’aide à l’enfance et ils vivent actuellement au Canada avec leur père, qui a présenté une demande d’asile distincte qui a finalement été acceptée en 2015. À cause des convictions de la demanderesse, il lui a été interdit d’avoir des contacts avec ses enfants sans l’autorisation de la Société d’aide à l’enfance (SAE) et de son agente de probation. La demanderesse n’a donc eu aucun contact avec ses enfants entre la date de sa condamnation, en décembre 2016, et le moment où elle a fini de purger sa peine, en septembre 2017. Depuis septembre 2017, la demanderesse a eu quelques visites préautorisées surveillées avec ses enfants.

[10]  Pendant son incarcération au Centre de détention d’Ottawa-Carleton, la demanderesse a déclaré divers problèmes de santé médicaux et émotionnels qui ont été traités par le personnel et des médecins.

[11]  Le 14 septembre 2017, après avoir purgé sa peine, la demanderesse a été placée dans un centre de détention de l’immigration en attendant son renvoi du Canada.

[12]  En octobre 2017, la demanderesse a obtenu que son renvoi prévu du Canada soit reporté en raison de nouveaux problèmes médicaux. Elle a demandé que son renvoi soit reporté jusqu’à ce qu’une décision soit rendue au sujet de la demande de résidence permanente de son mari ou, sinon, qu’il soit reporté de trois semaines, le temps qu’elle termine ses traitements médicaux en cours et qu’elle se procure les médicaments dont elle avait besoin. Elle a été libérée du centre de surveillance de l’immigration le 26 octobre 2017.

[13]  Le 30 octobre 2017, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire, en application du paragraphe 25(1) de la LIPR, en demandant la levée de son interdiction de territoire au Canada pour grande criminalité, imposée en application du paragraphe 36(1) de la LIPR, ainsi qu’une dispense pour raisons de santé afin de pouvoir être incluse sur la demande de résidence permanente de son mari à titre de personne protégée.

[14]  La demande pour motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse était fondée sur ses besoins médicaux – qui, alléguait-elle, ne pourraient être satisfaits si elle était renvoyée au Nigéria – ainsi que sur l’intérêt supérieur de ses enfants qui, estimait-elle, serait mieux satisfait si elle était autorisée à rester au Canada. La demanderesse alléguait en outre qu’elle serait exposée à des risques si elle retournait au Nigéria, à cause des critiques que son mari avait formulées à l’endroit du groupe Boko Haram. La demanderesse alléguait enfin avoir reçu des menaces d’usuriers du Nigéria sur son téléphone, par l’application WhatsApp.

[15]  La demande pour motifs d’ordre humanitaire a été refusée le 4 janvier 2018. L’agente a évalué quatre aspects de la demande de la demanderesse, à savoir son casier judiciaire, ses présumés problèmes médicaux, son degré d’établissement au Canada et l’intérêt supérieur de ses enfants, et a soupesé tous ces facteurs dans son appréciation globale de la demande de la demanderesse. L’agente a conclu que le dossier de la demanderesse n’était pas suffisamment convaincant pour mener à une conclusion favorable.

[16]  La demanderesse a été informée de la décision et des motifs concernant sa demande pour motifs d’ordre humanitaire le 24 janvier 2018, durant une rencontre régulière avec l’ASFC. Elle a alors été arrêtée, et un avis de renvoi prévu pour le 31 janvier 2018 lui a été signifié. Le 26 janvier 2018, la demanderesse a déposé devant notre honorable Cour une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision.

[17]  Le 30 janvier 2018, la demanderesse a obtenu le report de son renvoi jusqu’au règlement définitif de l’affaire. Elle a ensuite été libérée par la Section de l’immigration le 2 février 2018, puis elle a obtenu l’autorisation de présenter la présente demande de contrôle judiciaire.

III.  Questions en litige

[18]  Les questions soulevées par la demanderesse, concernant le caractère raisonnable de la décision, s’énoncent comme suit :

  1. L’agente a-t-elle omis de tenir compte de la santé mentale de la demanderesse et des traitements en santé mentale disponibles au Nigéria?

  2. L’agente a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve d’expert présentée par le Dr Fedoroff pour l’évaluation de l’interdiction de territoire de la demanderesse pour criminalité?

  3. L’agente a-t-elle fait abstraction d’éléments de preuve et commis une erreur dans son évaluation de la criminalité de la demanderesse?

  4. L’agente a-t-elle commis des erreurs dans son évaluation de la preuve sur l’intérêt supérieur des enfants?

IV.  Norme de contrôle

[19]  Le contrôle des décisions visant des demandes pour motifs d’ordre humanitaire doit se faire en regard de la norme de la décision raisonnable, laquelle exige l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et l’analyse de questions de fait et de droit : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Okoloubu, 2008 CAF 326, au paragraphe 30, Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 FC 757, aux paragraphes 54 et 55; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61.

V.  Analyse

A.  L’agente a-t-elle omis de tenir compte de la santé mentale de la demanderesse et des traitements en santé mentale disponibles au Nigéria?

[20]  L’agente a souligné qu’il incombait à la demanderesse de fournir i) des éléments de preuve documentaire de son médecin confirmant le diagnostic de ses problèmes de santé, les traitements dont elle avait besoin et le fait que ces traitements étaient essentiels à son bien-être physique ou mental; et ii) une confirmation des autorités sanitaires compétentes de son pays d’origine attestant que les traitements requis n’étaient pas disponibles dans ce pays. L’agente a conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée de ce fardeau.

[21]  L’agente a insisté sur le peu de renseignements communiqués par la demanderesse. L’agente a notamment souligné le fait que la demanderesse n’avait fourni aucun pronostic, aucun renseignement sur les résultats habituels des traitements de ses problèmes médicaux, ni aucune lettre de son médecin confirmant qu’elle devait subir une autre chirurgie. La demanderesse n’a pas non plus fourni d’éléments de preuve sur ses problèmes de santé actuels, bien que la demande de report de son renvoi ait été acceptée. La demanderesse n’a pas fourni de documentation médicale à jour après sa mise en liberté, bien que son avocate ait déclaré qu’elle avait l’intention de le faire. L’agente a également noté que la demanderesse avait indiqué, au moment d’obtenir le report de son renvoi en octobre 2017, moins de trois mois avant que l’agente rende sa décision, qu’il lui suffirait d’obtenir un bref report de trois semaines pour terminer ses traitements médicaux en cours et se procurer les médicaments nécessaires avant son renvoi vers le Nigéria.

[22]  La Cour ne partage pas l’avis voulant que l’agente n’ait pas suffisamment tenu compte de la preuve d’expert du DFedoroff, ni des autres éléments de preuve sur la santé mentale de la demanderesse, notamment son diagnostic de trouble de stress post-traumatique (TSPT). En février 2017, le DFedoroff a présenté une évaluation du comportement sexuel de la demanderesse en prévision de la détermination de sa sanction pénale. Le DFedoroff a diagnostiqué chez la demanderesse des symptômes s’apparentant au TSPT, un facteur dont l’agente a tenu compte dans sa décision. Le rapport du DFedoroff contenait des renseignements de base aux fins de la détermination de la peine de la demanderesse. Le DFedoroff n’a pas examiné les conséquences possibles du TSPT si la demanderesse devait être renvoyée au Nigéria. Le DFedoroff a également souligné les limites de son rapport, puisque celui-ci n’était basé que sur une seule séance avec la demanderesse et qu’il reposait essentiellement sur des renseignements provenant d’une personne qui, selon l’agente, présentait de graves problèmes de crédibilité.

[23]  De même, dans sa lettre, la travailleuse correctionnelle de la demanderesse, Mme Motiuk, a qualifié le risque de renvoi comme étant un « important élément de stress », en précisant toutefois que ce facteur s’ajoutait à plusieurs autres, dont les procédures judiciaires et la conclusion que la demanderesse n’était pas crédible. Le rapport n’abordait pas précisément le TSPT de la demanderesse, ni les effets que son renvoi aurait sur son TSPT ou sa santé mentale. La travailleuse sociale recommandait seulement que la demanderesse ne soit pas renvoyée avant que l’examen de la demande pour motifs d’ordre humanitaire soit terminé, afin que la demanderesse puisse rétablir des liens avec sa famille et qu’elle fasse l’objet d’une mise en liberté surveillée. Par conséquent, la conclusion selon laquelle les éléments de preuve sur la santé mentale de la demanderesse présentés à l’agente étaient inexistants ou insuffisants était raisonnable.

[24]  L’agente a aussi examiné la question des traitements en santé mentale disponibles au Nigéria. La Cour reconnaît que la demanderesse a fourni peu d’éléments de preuve pour démontrer qu’il lui serait impossible d’obtenir des traitements appropriés au Nigéria. La question de l’accès aux médicaments n’a pas été soulevée. En ce qui a trait aux services de counseling disponibles, notre Cour a tenu compte d’un rapport sur la situation dans le pays dans lequel il était indiqué qu’il n’y avait que 150 psychiatres au Nigéria et que les soins de santé financés par l’État étaient limités. Cependant, aucun élément de preuve n’indiquait que la demanderesse était traitée par un psychiatre ou autre professionnel comparable au Canada. De plus, l’avocate de la demanderesse a reconnu qu’il était possible d’obtenir des soins médicaux privés au Nigéria, mais déclare à tort que l’agente a formulé des hypothèses quant à la capacité de la demanderesse de payer pour des services de santé et à son accès actuel aux services de santé au Canada. L’agente a fait valoir que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de faire la preuve qu’elle n’avait pas les moyens d’assumer les coûts des services de santé au Nigéria ou qu’elle recevait actuellement des traitements au Canada. La Cour conclut à nouveau que les éléments de preuve sont insuffisants pour appuyer les allégations de la demanderesse qu’elle ne pourrait pas obtenir de traitements pour ses problèmes de santé mentale au Nigéria et que, de ce fait, la décision était déraisonnable.

B.  L’agente n’a pas fait abstraction d’éléments de preuve ni commis d’erreur dans son évaluation de la criminalité de la demanderesse

[25]  L’agente a conclu que la demanderesse n’avait pas présenté de motifs suffisamment probants pour lever son interdiction de territoire pour criminalité et que la nature de ses infractions criminelles ne constituait pas un facteur qui jouait en faveur.

[26]  La demanderesse fait valoir que l’évaluation que l’agente a faite des facteurs en cause dans son appréciation de l’interdiction de territoire et de la demande pour motifs d’ordre humanitaire n’est pas conforme au manuel d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Elle soutient que l’agente a fait abstraction d’éléments de preuve sur les risques atténués, en faisant là encore référence au rapport du DFedoroff. Le principal problème lié à cet argument tient au fait que la demanderesse a omis d’exposer à l’agente le raisonnement du juge de première instance qui a imposé une peine de trois ans qu’on ne peut que qualifier d’importante pour un acte unique de pornographie juvénile. La demanderesse n’a présenté à l’agente aucun élément de preuve sur la peine qui lui a été imposée, hormis les renseignements contenus dans le rapport du DFedoroff, ni exposé les motifs du juge de première instance.

[27]  Or, les procédures judiciaires et celles menant à la détermination de la peine, et plus particulièrement les motifs de jugement, doivent être le point de départ de toute discussion visant à atténuer une déclaration de culpabilité ou à admettre des exceptions. De plus, dans son rapport, le DFedoroff mentionne que la demanderesse n’assume pas la responsabilité des actes ayant mené à sa condamnation, un élément qui jusqu’à maintenant n’a pas été infirmé en appel.

[28]  La demanderesse soutient en outre que l’agente a commis une erreur en limitant l’importance du rapport du Dr Fedoroff parce que ce rapport était essentiellement fondé sur des renseignements qu’elle avait fournis. Elle cite à l’appui la décision de la Cour suprême du Canada dans Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 RCS 909, 2015 CSC 61 [Kanthasamy], au paragraphe 49. Dans cette décision, la Cour suprême critique l’agente qui a conclu que le rapport « repose essentiellement sur du ouï-dire », car la psychologue « n’a pas été témoin des faits à l’origine de l’anxiété vécue par le demandeur «. Personne ne peut contester un tel raisonnement car, comme l’a fait remarquer la Cour, cela ferait en sorte que la plupart des rapports médicaux devraient être rejetés. Ce même raisonnement ne peut toutefois pas s’appliquer à un rapport qui est fondé sur des événements vécus par une demanderesse dont la crédibilité a, à maintes reprises, été mise en doute dans des affaires mettant en cause des décideurs administratifs. De plus, dans l’arrêt Kanthasamy, le rapport de la psychologue examine directement les conséquences du renvoi. Aucun élément de preuve comparable n’a été présenté à l’agente en l’espèce.

[29]  De même, aucun élément de preuve n’appuie les allégations de la demanderesse selon lesquelles les conclusions de l’agente sont fondées sur [traduction] « un examen sélectif des éléments de preuve quant à la crédibilité de la demanderesse » ou sur [traduction] « une interprétation erronée de l’évaluation des risques faite par le Dr Fedoroff ». Le Dr Fedoroff n’a pas présenté d’évaluation des risques; de plus, l’absence de crédibilité de la demanderesse vaut à la fois pour les questions d’immigration et les questions pénales et elle a été décrite de façon détaillée, y compris dans le rapport du Dr Fedoroff.

[30]  La demanderesse conteste également la conclusion de l’agente selon laquelle, bien que la demanderesse ait elle-même été victime de mutilation génitale, il est inacceptable pour quiconque, selon les normes canadiennes, de s’intéresser aux organes génitaux des enfants. Selon la demanderesse, il s’agit d’une référence spécieuse qui nourrit [traduction] « un faux intérêt qui ne résiste pas à un examen plus approfondi ». Compte tenu du fait que la demanderesse demande la levée de son interdiction de territoire pour grande criminalité, il semble que ces remarques refléteraient l’opinion du juge de première instance qui a conclu que la conduite de la demanderesse « ne s’apparentait d’aucune façon à “d’innocentes photographies de famille”, contrairement à ce que prétendait la demanderesse ». La demanderesse allègue que les enfants nigérians se promènent souvent nus et que les photographies comme celles qu’elle a prises n’ont pas un caractère pornographique. Le juge de première instance a implicitement conclu qu’une telle conduite est inacceptable selon les normes canadiennes, en plus de laisser entendre qu’elle n’est pas crédible.

C.  L’évaluation faite par l’agente de l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse était-elle raisonnable?

[31]  L’agente a noté que, bien qu’il faille accorder une grande importance à l’intérêt supérieur des enfants, ce facteur ne l’emporte pas sur l’ensemble des autres facteurs et ne constitue qu’un seul de plusieurs facteurs importants à prendre en compte dans une décision pour motifs d’ordre humanitaire.

[32]  L’agente a examiné les éléments de preuve présentés par la demanderesse et le fait qu’elle a maintenu de solides liens affectifs et que sa séparation lui causera des souffrances, ainsi qu’à son mari et à ses enfants. L’agente a noté que les enfants ont temporairement été placés sous la garde de la Société d’aide à l’enfance et que des visites préautorisées surveillées ont eu lieu durant l’incarcération de la demanderesse, et que ces visites ont semblé être bénéfiques, compte tenu des interactions favorables et des effets positifs sur les enfants. Mme Motiuk a indiqué que la demanderesse avait décidé que ses enfants resteraient avec leur père si elle était renvoyée, car les enfants étaient heureux et bien adaptés à la présence de son mari dans leur domicile. L’agente a noté que, s’il y avait renvoi, la famille de la demanderesse souffrirait sur le plan émotionnel de la séparation qui en résulterait et que la demanderesse serait sans doute malheureuse, seule et déprimée.

[33]  L’agente a toutefois insisté sur le peu d’éléments de preuve présentés sur les enfants et leurs liens avec la demanderesse. Aucune évaluation psychologique des enfants n’a été présentée, ni aucune évaluation de leur vie quotidienne. L’agente a reconnu qu’il avait été établi que la demanderesse présentait un faible risque de récidive. Cependant, le casier judiciaire de la demanderesse et le fait que ses enfants étaient les victimes de ses infractions, ainsi que l’absence d’autres éléments de preuve, n’appuient pas la conclusion selon laquelle il était dans l’intérêt supérieur des enfants qu’ils soient réunis avec leur mère.

[34]  La demanderesse soutient que l’agente n’a pas évalué adéquatement les éléments de preuve sur l’intérêt supérieur des enfants. Cependant, peu d’éléments de preuve objectifs ont été présentés sur les effets que le renvoi de la mère au Nigéria aurait sur les enfants. La demanderesse a été absente durant une période considérable et elle-même a mentionné combien les enfants s’étaient bien adaptés en son absence. De plus, en ce qui a trait plus précisément à l’opinion de la Société d’aide à l’enfance, la Cour estime que la SAE n’a pas fait d’évaluation d’une situation où la demanderesse aurait des rencontres non surveillées avec ses enfants. La Cour conclut donc qu’aucun élément de preuve n’appuie sans réserve la réintégration de la demanderesse avec ses enfants, comme le fait valoir cette dernière.

[35]  La Cour conclut que l’agente s’est montrée suffisamment « réceptive, attentive et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse, et qu’il était dans leur intérêt supérieur de rester au Canada avec leur père. Cette question ne soulève aucune erreur susceptible de révision, notamment quant à l’allégation voulant que l’agente n’ait pas examiné la preuve versée au dossier. Le rôle de la Cour n’est pas de réexaminer la preuve, en particulier lorsque la principale question en litige concerne l’insuffisance de la preuve. Le fait est que la demanderesse n’a pas semblé accorder beaucoup d’importance à cette question, invoquant plutôt l’argument selon lequel l’agente a commis une erreur susceptible de révision en omettant de bien évaluer les éléments de preuve du DFedoroff sur les effets de son renvoi ainsi qu’en vue de l’atténuation de son interdiction de territoire.

VI.  Conclusion

[36]  L’agente a reconnu que le retour de la demanderesse au Nigéria lui causera à elle et à sa famille des difficultés et des troubles émotionnels. La Cour conclut néanmoins qu’il n’était pas déraisonnable pour l’agente de rejeter la demande de la demanderesse parce que [traduction] « les éléments de preuve présentés n’étaient pas suffisants pour justifier des considérations exceptionnelles ».

[37]  Pour reprendre les paroles des juges majoritaires dans l’arrêt Kanthasamy, au paragraphe 15, citant Janet Scott, première présidente du Comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des communes, il ne s’agit pas d’un cas où « l’expulsion affecterait plus certaines personnes que d’autres [. . . ], à cause de certaines circonstances » [non souligné dans l’original], une décision que la Cour interprète comme signifiant que la mesure de réparation demandée ne devrait être accordée que dans circonstances généralement jugées exceptionnelles.

[38]  De l’avis de la Cour, les paragraphes 23 et 33 de l’arrêt Kanthasamy laissent également sous-entendre la nature exceptionnelle de l’application de l’article 25 de la LIPR. À l’article 23, la Cour suprême précise que « [le par. 25(1)] n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle ». Elle fixe également, au paragraphe 33 de sa décision, un niveau d’application exceptionnelle, en sanctionnant implicitement la notion de « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées », conformément aux lignes directrices. Bien que la Cour suprême ait émis une importante mise en garde, en précisant que cette terminologie devait être considérée comme des éléments instructifs, mais non décisifs, et qu’elle ne devait pas être appliquée d’une manière à limiter le pouvoir discrétionnaire de l’agente, ni être utilisée comme un seuil élevé restreignant la faculté de l’agente d’examiner et de soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes, les « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » demeurent le principe directeur pour l’évaluation des demandes pour motifs d’ordre humanitaire. Cela est particulièrement pertinent dans l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants. Ces orientations n’avaient toutefois pas pour but de miner la nature généralement exceptionnelle de l’article 25 de la LIPR.

[39]  Notre Cour conclut que la décision de l’agente satisfait aux exigences relatives à la justification de la décision, ainsi qu’à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[40]  Par conséquent, la demande est rejetée, et aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.


JUGEMENT dans le dossier IMM-398-18

LA COUR rejette la demande, et aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Peter Annis »

Juge

 
COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-398-18

 

INTITULÉ :

L.E. c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 août 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

Le 19 septembre 2018

COMPARUTIONS :

Ayesha Kumararatne

POUR LA DEMANDERESSE

 

Charles Maher

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ayesha Kumararatne

Avocate

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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