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Date : 20180831


Dossier : IMM-4869-17

Référence : 2018 CF 880

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 août 2018

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

DA ZHOU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur est citoyen de la Chine. Il a demandé un contrôle judiciaire conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) d’une décision d’un agent (l’agent) de la Section de l’immigration d’ordonner une mesure d’exclusion envers lui pour fausse déclaration conformément à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.  Énoncé des faits

[2]  Le demandeur a obtenu un visa d’étudiant le 28 mai 2009 et est arrivé au Canada le 2 janvier 2010. Il a étudié l’anglais à l’Université de l’Alberta de janvier 2010 à août 2013. Il a renouvelé son permis d’études deux fois, soit le 5 septembre 2012 et le 19 avril 2013. Après qu’il eut terminé ses cours d’anglais à l’Université de l’Alberta, un ami lui a recommandé de demander l’aide d’un consultant en immigration (le consultant) pour renouveler son permis d’études et soumettre des demandes d’admission à d’autres établissements d’enseignement. Le demandeur a sollicité l’aide du consultant pour être transféré dans un autre établissement d’enseignement afin d’étudier le génie.

[3]  Le demandeur a accepté la suggestion du consultant de soumettre des demandes d’admission exclusivement en Ontario en raison de la qualité élevée des établissements d’enseignement dans cette province. En décembre 2013, il a versé au consultant la somme de 2 050 $ pour couvrir ses honoraires et les frais associés aux demandes d’admission. Du 21 novembre 2013 au 21 février 2014, le demandeur croyait qu’il pourrait renouveler son permis d’études après avoir reçu une offre d’un établissement d’enseignement. Par conséquent, il a demandé au consultant de soumettre uniquement des demandes d’admission et de ne pas demander de permis d’études.

[4]  Après avoir appris que le Northern Alberta Institute of Technology (NAIT) offrait un programme de génie ayant une bonne réputation, le demandeur a avisé le consultant, en janvier 2014, qu’il ne souhaitait plus étudier en Ontario, qu’il n’avait plus besoin de ses services et qu’il désirait être remboursé. Cependant, le consultant a informé le demandeur qu’il avait déjà reçu une offre pour étudier dans un établissement en Ontario et, faisant fi des directives du demandeur, avait utilisé l’offre pour renouveler le permis d’études du demandeur. Le demandeur n’a pas demandé au consultant quelle était l’école qui avait accepté sa demande puisqu’il ne souhaitait plus étudier en Ontario.

[5]  Le consultant a informé le demandeur qu’il devait payer un montant supplémentaire de 805 $ pour le permis d’études. Lorsque le demandeur a refusé, le consultant lui a affirmé qu’il pourrait utiliser le permis d’études pour étudier au NAIT. Le permis a été accordé le 21 février 2014 et le consultant a envoyé le permis au demandeur le 27 février 2014. Le demandeur a versé au consultant la somme supplémentaire de 805 $.

[6]  Le demandeur a soumis une demande d’admission au NAIT en juin 2014, mais le programme était complet. Le demandeur a soumis une nouvelle demande au NAIT en octobre 2014 et a été admis au programme. Il a commencé à étudier au NAIT en septembre 2015. Toutefois, le 29 mai 2015, Citoyenneté et Immigration Canada a fait parvenir au demandeur une lettre indiquant qu’il avait omis de se présenter à une audience sur l’interdiction de territoire à Toronto, le 20 août 2014. Le demandeur affirme qu’il n’a pas été avisé d’une audience sur l’interdiction de territoire et qu’il n’était pas au courant des problèmes concernant son permis d’études jusqu’à ce qu’il reçoive la lettre. L’audience sur l’interdiction de territoire concernait une lettre d’acceptation frauduleuse du Centennial College soumise par le demandeur dans sa demande de permis d’études.

[7]  L’audience sur l’interdiction de territoire du demandeur s’est tenue le 6 septembre 2017. À l’issue de cette audience, le ministre a déclaré que le demandeur était interdit de territoire pour fausse déclaration en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[8]  L’agent a conclu que le demandeur était au courant, à la fin de janvier ou au début de février 2014, au moins deux semaines avant l’approbation de la demande, que le consultant avait soumis la demande de permis d’études non autorisée.

[9]  L’agent soutient que le demandeur était tenu d’informer les agents d’immigration que le consultant avait soumis la demande de permis d’études sans l’en aviser et que, par conséquent, le demandeur a omis d’agir avec diligence dans le cadre de la demande. L’agent s’est fondé sur la décision Goudarzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 425 [Goudarzi] relativement à la proposition qu’un demandeur doit s’acquitter d’une obligation de franchise continue, même lorsqu’il est représenté par un avocat, en s’assurant notamment de l’intégralité et de l’exactitude des demandes soumises.

[10]   L’agent a déterminé que le demandeur était responsable de la fausse déclaration importante faite lorsque le consultant a soumis une lettre d’acceptation frauduleuse dans le cadre de la demande de permis d’études. Par conséquent, l’agent a conclu que le demandeur était un ressortissant étranger inadmissible en raison de fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR pour avoir directement ou indirectement fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi.

III.  Dispositions législatives

[11]  L’alinéa 40(1)a) de la LIPR fait état des circonstances dans lesquelles un résident permanent ou un ressortissant étranger peut être déclaré inadmissible pour fausse représentation :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

IV.  Questions en litige

[12]  La présente affaire soulève les questions suivantes :

  • 1) Quelle est la norme de contrôle applicable?

  • 2) Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en interprétant que l’alinéa 40(1)a) inclut les situations où le demandeur n’a été mis au courant d’une demande qu’après sa soumission et que la fausse représentation s’était déjà produite?

  • 3) Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en concluant que l’alinéa 40(1)a) s’applique aux faits en l’espèce en négligeant de procéder à une analyse significative de l’exception de la conviction honnête et raisonnable?

V.  Discussion

A.   Quelle est la norme de contrôle applicable?

[13]  Dans ses observations écrites, le demandeur fait valoir que la norme de contrôle concernant la deuxième question est celle de la décision correcte puisqu’elle porte sur une question d’interprétation législative, essentiellement, à savoir si l’agent a interprété et appliqué correctement l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Durant la plaidoirie, les avocats du demandeur ont reconnu que la deuxième question était susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Le demandeur affirme que la troisième question est une question de fait et de droit susceptible de révision selon la norme du caractère raisonnable

[14]  En ce qui concerne la deuxième question, le défendeur soutient que l’interprétation du Tribunal de sa loi constitutive est, en fait, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Le défendeur affirme que la Cour et la Cour suprême du Canada ont affirmé que la déférence est habituellement de mise lorsqu’un tribunal interprète sa loi constitutive, même pour les questions de droit, sauf dans les affaires où la norme demeure la norme de la décision correcte.

[15]  Le défendeur est d’accord avec le demandeur que la troisième question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[16]  La Cour convient avec les avocats que la norme de la décision raisonnable s’applique aux deux questions. Le caractère raisonnable tient principalement à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

B.  Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en interprétant que l’alinéa 40(1)a) inclut les situations où le demandeur n’a été mis au courant d’une demande qu’après sa soumission et que la fausse représentation s’était déjà produite?

[17]  Le demandeur soutient que l’agent a interprété l’alinéa 40(1)a) de la LIPR de manière très générale lorsqu’il a examiné la conclusion de fait selon laquelle le consultant a soumis la demande, y compris le document frauduleux, sans en aviser le demandeur. Le demandeur ajoute que même s’il avait agi de manière plus proactive, comme l’agent soutient qu’il aurait dû faire, et qu’il avait communiqué avec les autorités d’immigration pour les aviser que le consultant avait soumis une demande à son insu, il aurait quand même fait une fausse déclaration puisque la fausse déclaration est déterminée au moment où la demande est soumise.

[18]  Le défendeur fait valoir que la concession du demandeur, selon laquelle une fausse déclaration a été faite, n’est pas suffisante, en soi, pour déclencher l’application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR puisque la disposition englobe également les fausses déclarations non volontaires. En outre, le défendeur soutient que le demandeur est visé par l’alinéa 40(1)a) puisque la fausse déclaration était importante pour l’évaluation de la demande de permis d’études et aurait pu influencer le processus.

[19]  L’arrêt pertinent est Kazzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 153, au paragraphe 38. Dans cette affaire, le juge Gascon a dressé une liste des facteurs qui doivent être pris en compte pour déterminer si les critères énoncés à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR ont été satisfaits. Ces critères sont indiqués ci-dessous :

(4) le demandeur porte le fardeau et l’obligation continue de franchise et de donner des renseignements complets, exacts et véridiques pour entrer au Canada;

(10) l’évaluation de la question de savoir si une fausse déclaration aurait pu mener à une erreur dans l’application de la LIPR est réalisée au moment où est faite la représentation erronée.

[20]  La Cour estime que le point clé est que le demandeur a une « obligation continue » de franchise. Le demandeur soutient que même s’il corrigeait une fausse déclaration après que celle-ci ait été portée à son attention, un agent d’immigration pourrait quand même le déclarer inadmissible puisque la demande a déjà été soumise. Ce raisonnement est spéculatif. Un agent d’immigration est tenu d’examiner une demande à première vue et d’analyser les comportements du demandeur qui pourraient aider dans le cadre de la demande, dont l’obligation continue de franchise.

[21]  Le dossier montre que le demandeur était au courant qu’une demande avait été soumise en son nom au moins deux (2) semaines avant l’acceptation proprement dite de sa demande. Il n’a rien fait pour examiner la demande, et encore moins pour corriger les problèmes qu’il aurait pu y déceler.

[22]  La Cour conclut que le demandeur s’est fié au consultant à son détriment. Bien qu’il n’y avait pas d’engagement officiel du demandeur auprès du consultant, il a néanmoins permis au consultant de continuer à le présenter et lui a même versé une somme supplémentaire une fois que la demande, qu’il n’avait pas autorisée, a été traitée en sa faveur.

[23]  Puisque l’agent a pris en considération tous les articles applicables de la LIPR et de la jurisprudence et qu’il a appliqué ces principes aux faits, la Cour conclut que l’agent n’a commis aucune erreur susceptible de révision. Cet aspect de la décision est raisonnable.

C.   Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en concluant que l’alinéa 40(1)a) de la LIPR s’applique aux faits en l’espèce en négligeant de procéder à une analyse significative de l’exception de la conviction honnête et raisonnable?

[24]  Le demandeur soutient que puisqu’il ne savait pas que la demande avait été soumise, la proposition énoncée dans ces affaires, à savoir que le demandeur a une obligation de franchise et de donner des renseignements complets, exacts et véridiques pour entrer au Canada, ne s’applique pas aux faits en l’espèce. Le demandeur soutient que les circonstances exceptionnelles d’une défense à l’encontre d’une conclusion de fausse déclaration s’appliquent en l’espèce puisqu’il croyait sincèrement et raisonnablement qu’il ne faisait pas de fausse déclaration ou de dissimulation, ne sachant pas que le Consultant avait soumis une demande au départ.

[25]  Le demandeur cite l’affaire Goudarzi, où la juge Tremblay-Lamer a indiqué que bien qu’il y ait une règle générale salon laquelle un demandeur est coupable de fausse déclaration même lorsque cela se produit sans qu’il en ait connaissance, une conclusion de fausse déclaration ne sera pas rendue conformément à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR dans des « circonstances véritablement exceptionnelles dans lesquelles le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une présentation erronée sur un fait important » (Goudarzi, au paragraphe 33).

[26]  Le défendeur soutient que l’agent avait le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour déduire des faits que la fausse déclaration du demandeur n’a pas été faite de bonne foi et de manière raisonnable et que les exceptions limitées à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR ne s’appliquent pas.

[27]  La Cour est convaincue par l’argument du défendeur. Le demandeur a été mis au courant de la demande au moins deux semaines avant que la demande soit approuvée et une fois qu’il a été avisé de l’existence de cette demande, on ne peut dire qu’il croyait honnêtement ou raisonnablement qu’il ne faisait aucune déclaration fausse. Il a été mis au courant de la demande et n’a pas demandé de copie. Le demandeur n’a pas fait preuve de diligence raisonnable, à son propre détriment. Le cas du demandeur ne correspond pas à ces exceptions limitées.

[28]  Il y a également une jurisprudence qui établit que le fait qu’un demandeur ait été floué par un consultant en immigration frauduleux ne constitue pas un moyen de défense contre une enquête portant sur l’interdiction de territoire. Comme la juge Lamer-Tremblay l’a formulé dans l’arrêt Tofangchi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 427 :

[51]  La Cour reconnaît que le problème des consultants en immigration frauduleux est sérieux. Cependant, ce problème ne constitue pas un moyen de défense contre l’application de l’alinéa 40(1)a). En outre, sous réserve de l’exception étroite dont il a été question plus tôt, la Cour a systématiquement conclu qu’un demandeur peut être interdit de territoire au sens de l’alinéa 40(1)a) pour de fausses déclarations faites à son insu par une autre personne. L’article 40 ne peut donc clairement pas comporter une obligation quelconque de connaissance ou d’intention subjective : cela serait contraire à l’interprétation large qu’imposent le libellé et l’objet de cette disposition.

[29]  Le demandeur avait une obligation continue de franchise dont il ne s’est pas acquitté. Il a été mis au fait de circonstances susceptible d’influencer sa demande, mais n’a rien fait à ce sujet. Pour préserver l’intégrité du système d’immigration tel qu’il est décrit dans la LIPR, il devait s’acquitter de cette obligation. Il ne l’a pas fait, à son propre détriment.

[30]  La Cour conclut que la SAR n’a pas commis d’erreurs qui pourraient faire l’objet d’une révision judiciaire. La décision se situe dans une gamme de résultats possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[31]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4869-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Paul Favel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4869-17

INTITULÉ :

DA ZHOU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 mai 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

Le 31 août 2018

COMPARUTIONS :

Britt Gunn

Pour le demandeur

Alex Kam

Pour le DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Britt Gunn

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le DÉFENDEUR

 

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