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Date : 20180824


Dossier : T-591-17

Référence : 2018 CF 853

Ottawa (Ontario), le 24 août 2018

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

SWATCH AG

(SWATCH SA) (SWATCH LTD.)

demanderesse

et

HUDSON WATCH, INC.

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Swatch AG (Swatch SA) (Swatch Ltd.) [ci-après « Swatch AG ou la demanderesse »] porte en appel devant cette Cour une décision du registraire des marques de commerce [Décision] en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce (L.R.C. (1985), ch. T-13) [la Loi]. Deux paragraphes sont particulièrement pertinents à cet appel :

Appel

Appeal

56 (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l’expiration des deux mois.

56 (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

[…]

[…]

Preuve additionnelle

Additional evidence

(5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

[2]  Cet appel est relatif à la décision du registraire des marques de commerce qui a fait droit à une opposition de la part de la défenderesse à l’enregistrement par Swatch AG de la marque « iSWATCH ». La défenderesse prétend que la marque à être enregistrée crée de la confusion avec la sienne, « i watch », qui est elle-même enregistrée en lien avec des montres-bracelets pour hommes et femmes.

I.  Les parties

[3]  Swatch AG est une compagnie suisse qui se présente comme un leader mondial sur le marché de l’horlogerie. Elle dessine, manufacture, vend et distribue des montres et autres instruments d’horlogerie, de même que des objets de joaillerie. Son siège d’affaires est situé en Suisse. Quant à la défenderesse, elle est maintenant connue sous le nom de Hudson Watch, Inc. et est le successeur en titre de Westwook Holdings Inc., connue avant fusion comme 673367 Ontario Ltd. C’est ainsi que l’intitulé de la décision du registraire des marques de commerce présentait l’opposante comme étant 673367 Ontario Ltd. Ce changement n’a aucune incidence sur le litige devant la Cour. Le siège d’affaires d’Hudson Watch Ltd. [Hudson] est situé à Toronto, en Ontario.

II.  Les enregistrements

[4]  Swatch AG a demandé à ce que la marque de commerce iSWATCH soit enregistrée, sous la forme figurative telle que reproduite ci-dessous, le 3 juillet 2013 :

[5]  L’état déclaratif des produits et services était présenté de la façon suivante dans l’original :

Goods : (1) Horological and chronometric instruments, namely watches, chronographs and alarm clocks. (2) Precious metals and their alloys and goods made of these materials or plated therewith, namely figurines, trophies, jewelry namely rings, earrings, cufflinks, bracelets, charms, brooches, chains, necklaces, pins tie, tie, jewelry boxes and cases, precious stones, semi-precious stones (gemstones); constitutive parts and fittings for watches, chronographs and alarm clockss (sic).

Services : Retail store services in the field of horological instrument and jewelry, on-line retail store services in the field of horological instruments and jewelry. Repair and maintenance of horological instruments and jewelry.

Je reproduis la version française telle qu’apparaissant au jugement du registraire dans la traduction certifiée, mais non révisée :

[Traduction]

Produits : (1) Instruments d’horlogerie et instruments chronométriques, nommément montres, chronographes et réveils. (2) Métaux précieux et leurs alliages ainsi que produits faits ou plaqués de ces matériaux, nommément figurines, trophées, bijoux, nommément bagues, boucles d’oreilles, boutons de manchette, bracelets, breloques, broches, chaînes, colliers, pinces à cravate, attache, coffrets et écrins à bijoux, pierres précieuses, pierres semi-précieuses (gemmes); pièces et accessoires pour montres, chronographe et réveils.

Services : Services de magasin de vente au détail dans les domaines des instruments d’horlogerie et des bijoux, services de magasin de vente au détail en ligne dans les domaines des instruments d’horlogerie et des bijoux. Réparation et entretien d’instruments d’horlogerie et de bijoux.

[6]  La demande d’enregistrement annoncée le 28 mai 2014 dans le Journal des marques de commerce l’est pour la marque de commerce dont l’utilisation remonterait au 24 octobre 2012 en lien avec les « Produits (1) » de l’état déclaratif, mais uniquement sur l’emploi projeté quant aux « Produits (2) » et aux « Services ».

[7]  La marque i watch est enregistrée sous le nºLMC731,727 et est en lien avec des « men’s, ladies’ and children’s wrist watches » ([Traduction] tirée de la version française de la décision du registraire : « montres-bracelets pour hommes, femmes et enfants, horloges et montres à attacher »). Il semble que l’enregistrement nºLMC731,727 ait été modifié pour restreindre l’état déclaratif des produits aux « montres-bracelets pour hommes et femmes ».

III.  L’état des procédures devant le registraire

[8]  De nombreux motifs d’opposition étaient présentés au registraire. Ils ont tous été rejetés, sauf un, celui qui fait l’objet de l’appel devant notre Cour. Le rejet procédait de l’absence de preuve présentée à leur égard. Il n’est pas utile d’y revenir puisqu’ils ne se retrouvent pas devant cette Cour.

[9]  Reste donc la confusion qui pourrait exister entre la marque déposée, celle d’Hudson, et celle proposée par Swatch AG. S’il y a confusion, la nouvelle marque ne peut être enregistrée. C’est l’alinéa 12(1) d) qui établit la règle :

Marque de commerce enregistrable

When trade-mark registrable

12 (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

12 (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

(d) confusing with a registered trade-mark;

La Loi précise quand une marque crée de la confusion. Ce sont les paragraphes 6(1), (2) et (5) qui apportent une certaine lumière :

Quand une marque ou un nom crée de la confusion

When mark or name confusing

6 (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

6 (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

Idem

Idem

(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the goods or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the goods or services are of the same general class.

[…]

[…]

Éléments d’appréciation

What to be considered

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

(c) the nature of the goods, services or business;

d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

IV.  La décision du registraire

[10]  Ayant établi d’entrée de jeu que ce sont les dispositions ci-devant reproduites qui devaient être appliquées, le registraire précise que le test est celui de la première impression et du souvenir imparfait, tenant en cela compte des circonstances qui ne sont pas limitées aux cinq répertoriées au paragraphe 6(5). Trouvant appui sur Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc.,2011 CSC 27, [2011] 2 RCS 387 [Masterpiece], le registraire reconnaît que le degré de ressemblance entre les marques de commerce est le facteur qui pourra avoir le plus d’importance.

[11]  Il m’apparaît nécessaire de réviser chacune des circonstances prises en compte par le registraire à cause de la conclusion à laquelle elle en est ultimement arrivée. En effet, outre les produits désignés comme « figurines », « trophées » et « attaches » à l’état déclaratif des produits, le registraire conclut « que la prépondérance des probabilités est également partagée entre la conclusion qu’il n’existe pas de probabilité raisonnable de confusion et la conclusion qu’il existe une probabilité raisonnable de confusion » (para 62 de la Décision). Dit autrement, comme le prétend d’ailleurs Swatch AG, en fonction de la preuve et des arguments entendus, il n’aurait pas fallu un coup de vent violent pour faire pencher d’un côté ou de l’autre puisque nous nous retrouvons en équilibre sur la clôture. Ce qui départage les parties aux yeux du registraire est le fardeau de la preuve qui veut que c’était à Swatch AG de démontrer, sur balance des probabilités, qu’il n’existe pas de probabilité raisonnable de confusion. Ainsi, à l’exception des « figurines », « trophées » et « attaches » où il ne saurait y avoir de confusion, Swatch AG n’avait pas réussi dans son entreprise à pouvoir faire enregistrer sa marque de commerce.

[12]  Mais il y a plus. Le registraire ajoute des précisions sur ce qui aurait pu faire tourner le vent en faveur de Swatch AG. Je reproduis le paragraphe 65 en entier :

[65]  J’aimerais ajouter que, si la Requérante avait fourni une preuve que j’aurais considérée comme suffisante pour me permettre de tirer un conclusion significative en ce qui concerne le caractère distinctif acquis de la Marque ou la propriété qu’a la Requérante d’une famille de marques de commerce SWATCH, ceci aurait pu être suffisant pour faire pencher la prépondérance des probabilités en faveur de la Requérante.

Comme on pouvait s’y attendre un peu, Swatch AG cherche à se prévaloir du paragraphe 56(5) de la Loi pour présenter cette preuve additionnelle en appel devant notre Cour. Là est le nœud de l’affaire.

[13]  Revenons donc aux éléments d’appréciation du paragraphe 6(5). À cause de l’importance possible que peut prendre l’alinéa 6(5)e), celui relatif au degré de ressemblance entre les marques, le registraire en fait un examen plutôt serré. Le registraire conclut que le degré de ressemblance favorise Hudson dans la présentation de la marque et même dans le ton. Alors que Swatch AG n’insistait que sur les mots différents (« swatch » et « watch »), le registraire estime plutôt que la première impression, en considérant les marques dans leur ensemble, le consommateur ordinaire plutôt pressé réagirait à la marque en pensant à des montres. Il n’y a pas lieu, pour ainsi dire, de vraiment différencier « swatch » et « watch » qui se ressemblent. Pour le registraire, les lettres stylisées de « iSWATCH » font en sorte que la marque est perçue comme deux mots, ce qui ajoute au degré de ressemblance à la marque déjà enregistrée.

[14]  Le deuxième élément d’appréciation étudié est celui de l’alinéa 6(5)a), soit le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues. On se souviendra que c’est au sujet de cet élément que le registraire a suggéré qu’une preuve suffisante à cet égard aurait pu mener à une « conclusion significative » menant à faire pencher la balance en faveur de Swatch AG.

[15]  Quant à ce critère, le registraire en arrive à un match nul au final, malgré un léger avantage en faveur de Swatch AG, mais pas déterminant quant à l’issue finale (para 43 de la Décision). La marque d’Hudson a un faible caractère distinctif, mais celle de Swatch AG, quoique plus forte, n’est pas des plus fortes. Pour en arriver à ce résultat, le registraire retient qu’il existe un caractère distinctif inhérent à la marque proposée pour enregistrement parce que la marque est composée du « i » mais est suivie du nom du produit. Or, ce nom de produit est inventé, ce qui ajouterait au caractère distinctif inherent. S’ajoutent à cela les caractères graphiques. Mais, le registraire escompte aussi ces caractéristiques rendant le caractère distinctif moins significatif. Ainsi, la marque de Swatch AG connote aussi les produits et services visés. De plus, le registraire n’aura pas été impressionné par les lettres stylisées. Le registraire note aussi qu’une marque prend de la force en faisant l’objet de promotion ou par son emploi. Cependant, aucune preuve de promotion ou d’emploi n’aura été présentée. De fait, Hudson n’a pas davantage fait de preuve à cet égard. Donc, malgré un léger avantage à Swatch AG, cela n’a pas d’effet déterminant sur le litige.

[16]  Le troisième élément d’appréciation est la période durant laquelle les marques ont été en usage. Ici, le registraire ne fait que constater l’absence de preuve de l’emploi réel des deux marques. Ainsi, cet élément ne favorise ni l’un, ni l’autre.

[17]  Enfin, le registraire examine ensemble le genre de produits et services et la nature du commerce. C’est l’état déclaratif des produits et services qui est utilisé. Le registraire conclut au recoupement des produits et services à l’exception, comme noté plus haut, des « figurines », « trophées » et « attache ». Quant à la nature du commerce, le registraire se déclare incapable, en l’absence de restriction dans l’état déclaratif de produits de Swatch AG quant aux voies de commercialisation, de considérer que la vente des produits se ferait par l’intermédiaire de moyens particuliers comme, par exemple, ses propres magasins. En fin de compte, à cet égard, les deux parties n’ont produit aucune preuve sur la nature du commerce lié à leur produit; de plus, ni la demande de Swatch AG ni l’enregistrement de Hudson ne limite les voies de commercialisation de leurs produits respectifs. Il en résulte que l’élément relatif au genre de produits, à cause du recoupement, favorise Hudson. Le registraire croit aussi à la possibilité de recoupement des voies de commercialisation. On peut cependant douter du poids d’une possibilité de recoupement qui, nous dit le registraire, ne peut être fondée sur une preuve par ailleurs inexistante. Au final, le registraire déclare un match nul sur la base du dossier devant lui.

V.  La position des parties en appel

[18]  Swatch AG porte donc en appel la décision du registraire de lui refuser l’enregistrement relativement à tous les services et produits présentés au paragraphe 66 de la Décision :

(1) Instruments d’horlogerie et instruments chronométriques, nommément montres, chronographes et réveils. (2) Métaux précieux et leurs alliages ainsi que produits faits ou plaqués de ces matériaux, nommément […] bijoux, nommément bagues, boucles d’oreilles, boutons de manchette, bracelets, breloques, broches chaînes, colliers, pinces à cravate, […] coffrets et écrins à bijoux, pierres précieuses, pierres semi-précieuses (gemmes); pièces et accessoires pour montres, chronographes et réveils.

C’est de ce seul refus en raison de la confusion avec la marque déposée de Hudson dont appel est interjeté. La demande d’enregistrement relative aux figurines, trophées et attaches (remplacés dans l’énumération par « […] ») n’a pas fait l’objet d’une opposition valide et Hudson n’a pas porté en appel cet aspect de la décision favorable à Swatch AG.

[19]  Swatch AG soutient que, indépendamment de la nouvelle preuve qui est soumise, la décision du registraire serait de toute manière déraisonnable. D’une manière ou d’une autre, l’opposition basée sur l’alinéa 38(2)b) de la Loi aurait dû être rejetée dit la demanderesse. Par ailleurs, Swatch AG n’a pas insisté sur cette partie de son argumentaire. Sa présentation a plutôt porté sur la nouvelle preuve qui, selon Swatch AG, fait en sorte que d’une position d’équilibre telle que constatée par le registraire, la Cour devrait conclure en faveur de Swatch AG, d’autant qu’Hudson n’a offert aucune preuve de son côté. Dit autrement, cette nouvelle preuve permettrait de conclure que la balance des probabilités favorise la prépondérance raisonnable qu’il n’existe aucune confusion. L’opposition à l’enregistrement aurait dû être rejetée.

[20]  En fin de compte, Swatch AG n’aura consacré que quelques paragraphes de son mémoire des faits et du droit, et peu de temps à l’audience, sur la raisonnabilité de la décision du registraire indépendamment de la nouvelle preuve. Ayant enregistré une marque faible, Hudson devra tolérer une certaine confusion sans pouvoir sanctionner la demanderesse. iSWATCH est donc une marque qui est suffisamment distincte d’une marque faible. La demanderesse plaide qu’une mauvaise application du droit pouvant rendre une décision déraisonnable (Alberta (Éducation) c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CSC 37; [2012] 2 RCS 345, au para 37), Swatch AG se plaint que le registraire a retenu que le consommateur aurait comme première impression de penser aux montres sur la base qu’on retrouve dans les deux marques les lettres WATCH. Alors que la marque iSWATCH n’est pas composée du nom du produit, celle de Hudson l’est : « i watch » for watches (« i watch pour des montres »). Cela suffirait pour conclure que la décision est déraisonnable parce que, semble-t-il, le prétendu équilibre constaté par le registraire est rompu.

[21]  Il me semble plus heureux de disposer de l’argument dès maintenant. Swatch AG n’a pas démontré en quoi cette courte utilisation du mot « watch » rendait la décision déraisonnable. En fait, la demanderesse traite ce qu’elle considère comme une erreur de droit comme si elle devait être contrôlée sur la base de la décision correcte. Ce n’est certes pas l’état du droit (voir récemment Barreau du Québec c Québec (Procureure générale), 2017 CSC 56, [2017] 2 RCS 488 qui réaffirme la présomption de la norme de la raisonnabilité, sauf pour les quatre catégories établies dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], para 51 à 61; voir également, entre autres, McLean c Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 RCS 895). Le problème est qu’aucune explication n’est donnée pour refuser la déférence due à la décision du registraire. Il ne suffit d’être en désaccord avec la décision. Or, si l’on argumente un défaut de raisonnabilité, encore faut-il démontrer une absence de justification, de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel, et démontrer que la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, para 47). Aucune telle démonstration n’a été faite. J’ajoute que le registraire aurait bien pu se réclamer de ce passage tiré de Masterpiece :

[84] Toutefois, examiner la marque de commerce dans son ensemble ne veut pas dire qu’il faut faire abstraction d’une composante dominante de celle-ci qui aurait une incidence sur l’impression générale du consommateur moyen : voir les motifs de la juge Arden dans esure Insurance Ltd. c. Direct Line Insurance plc, 2008 EWCA Civ 842, [2008] R.P.C. 34, par. 45. Il en est ainsi parce que même si le consommateur regarde la marque dans son ensemble, il se peut qu’un certain aspect de celle-ci soit particulièrement frappant et qu’il en constitue l’élément le plus distinctif. Il en sera ainsi parce que cet aspect est la partie la plus distinctive de l’ensemble de la marque de commerce. En l’espèce, contrairement à l’expert, j’estime que la composante la plus distinctive et dominante de chacune des marques en cause est le mot « Masterpiece », car il en traduit le contenu et l’aspect le plus frappant. Le mot « Living » est fade par comparaison.

Une absence d’articulation de l’argument lui est de toute manière fatale. À mon sens, il faut davantage porter attention à la nouvelle preuve offerte par la demanderesse pour en constater l’effet sur la question de la confusion alléguée par le défendeur.

[22]  Le point de départ de la demanderesse est la décision du registraire qui considère qu’il y avait autant de probabilités de confusion que l’inverse : nous avons un système en équilibre. La mention au paragraphe 65 de la décision (reproduit au paragraphe 12 des présents motifs) qu’une preuve supplémentaire concernant le caractère distinctif acquis de la marque ou encore la propriété d’une famille de marques de commerce SWATCH aurait pu suffire pour donner gain de cause à la demanderesse aura été le déclic. Swatch AG tente de combler ce fossé. Dit simplement, Swatch AG reçoit le message du registraire et présente sa nouvelle preuve pour répondre.

[23]  Trois affidavits sont présentés :

  • Laurent Potylo : il est présenté comme étant le Head of Trademarks and Designs ([Traduction] « Directeur des marques et des dessins ») au sein du contentieux du The Swatch Group Ltd.;

  • Thelma Thibodeau : elle se dit enquêteur dans le domaine des marques de commerce;

  • Joan E. Brehl Steele : elle est la vice-présidente de l’organisation Alliance for Audited Media. Cette organisation vérifie la circulation des journaux, magazines et autres publications au Canada et aux États-Unis.

[24]  C’est M. Potylo qui a présenté le plus de preuve. Il témoigne que Swatch AG vend des produits au Canada depuis 1984 sous la marque Swatch. Ces ventes, qui incluent montres, horloges et instruments de chronométrie, ont lieu dans différents magasins de commerce au détail et points de vente dédiés aux produits de Swatch AG (au nombre de 9). On apprend que des ventes de l’ordre d’entre 4 et 7 millions de dollars annuellement ont été réalisées au Canada entre 2008 et 2016. Des sommes non-négligeables, en croissance depuis 2008, sont consacrées à la promotion du produit. Swatch se vante aussi d’une présence considérable sur l’internet et les médias sociaux. En un mot, la marque SWATCH est d’une très grande importance pour la demanderesse. En revanche, les ventes de montres sous la marque de commerce iSWATCH qui ont débuté en 2012 sont modestes. On lit que les ventes ont été :

M. Potylo cherche à établir que la marque iSWATCH est déjà utilisée au Canada tout comme la marque SWATCH depuis 1984; l’obtention de l’enregistrement aidera à protéger une marque déjà en usage.

[25]  Mme Thibodeau, une avocate à la retraite, témoigne relativement à une publication, le magazine Elle Québec. Elle est en mesure d’attester que depuis 1990, la demanderesse a régulièrement fait la promotion de ses produits dans ce magazine.

[26]  Quant à Mme Brehl Steel, elle présente les chiffres sur la circulation du magazine Elle Québec. Il appert que la circulation mensuelle serait généralement de l’ordre de 75 000 à 85 000 copies vendues.

[27]  Cette preuve n’a pas été contestée et les affiants n’ont pas été contre-interrogés.

[28]  Enfin, la demanderesse rappelle que trois marques, toutes relatives à SWATCH (et non iSWATCH) ont déjà été enregistrées au Canada et qu’elles ont été produites devant le registraire. Ce qui suit est la reproduction de l’annexe A de la Décision du registraire :

[29]  À partir de cette preuve, la demanderesse argue qu’elle est suffisante pour se décharger de son fardeau de démontrer la probabilité raisonnable est qu’il n’y a pas confusion entre les deux marques. Elle accepte la conclusion du registraire selon laquelle il y a une situation d’équilibre et cherche à démontrer le caractère distinctif de sa marque « Swatch » grâce à la preuve de son utilisation et de la connaissance de la marque au Canada et ailleurs. Ce faisant, la demanderesse met en contrejour la marque d’Hudson qu’elle dit être faible de façon inhérente puisqu’il s’agit du produit lui-même, la montre, auquel on a ajouté un « i » (« i watch »). Alors que Swatch a acquis un caractère distinctif reconnu au Canada, Hudson n’a pas acquis ce caractère distinctif. Cette différence suffirait donc à faire en sorte que Swatch prévale.

[30]  Hudson a choisi de ne pas être représenté par avocat (règle 120 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106) obtenant une ordonnance de cette Cour le 19 décembre 2017 qui permet la représentation de la personne morale par son président. De son côté, Hudson aura plaidé le sens commun. Il y a proximité considérable entre les marques, tant visuellement qu’au son. Malgré la bonne qualité des représentations faites au nom d’Hudson, il faut bien convenir qu’Hudson n’a offert aucune preuve relative à la qualité de sa marque. Dans son factum, on a tenté de se fonder sur de la preuve tirée de procédures en vertu de l’article 45 de la Loi (Ridout & Maybee LLP v 673367 Ontario Ltd., 2016 TMOB 1). Or, une tentative semblable avait été faite devant le registraire et avait été refusée (para 42 de la Décision). Il n’y avait, devant le registraire, aucune preuve de l’emploi de la marque d’Hudson qui soit autre que celle d’un emploi indéfini en lien avec le produit. Il n’y en a pas davantage devant notre Cour.

[31]  Je ne peux pas donner plus de poids aux affirmations faites au factum quant aux ventes réalisées par Hudson puisqu’elles n’ont pas été mises en preuve devant la Cour. Dans notre système judiciaire dit contradictoire (« adversarial system »), c’est aux parties de présenter leur cause, ce qui inclut la preuve nécessaire au soutien de leurs prétentions (R c Bradshaw, 2017 CSC 35, [2017] 1 RCS 865, au para 19). Le juge doit avoir un rôle effacé quant à la présentation de la preuve. Il peut bien sûr aider une partie non représentée par avocat (Pintea c Johns, 2017 CSC 23; [2017] 1 RCS 470, au para 4). Mais, les règles ne peuvent pas pour autant être assouplies sans porter préjudice à la partie adverse (Barton v Wright Hassal LLP, [2018] UKSC 12, au para 18). Il en résulte qu’il n’y a, devant la Cour, aucune preuve quant à la qualité de la marque d’Hudson outre son caractère distinct inhérent. Dit autrement, le dossier devant le registraire n’a pas été augmenté ou amélioré par Hudson : la preuve provenant de la procédure sur l’article 45 de la Loi n’était pas devant le registraire et elle ne l’est pas non plus devant la Cour. Quant aux déclarations sur la dispersion du produit que l’on retrouve au factum, elles ne sont pas mises en preuve et elles ne peuvent donc recevoir aucun poids. De toute façon leur poids relatif aurait été minime.

VI.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[32]  La première question qui se pose est évidemment de déterminer l’utilisation qui peut être faite de la nouvelle preuve.

[33]  La Cour d’appel fédérale s’est prononcée sur la norme de contrôle à appliquer dans les cas où une preuve nouvelle pouvant influencer les conclusions de fait du registraire a été présentée. Dans United Grain Growers Ltd. c Michener, 2001 FCA 66, la Cour d’appel fédérale déclarait que la norme de contrôle est l’exactitude, ce que l’on nomme de nos jours la norme de la décision correcte :

[8]  Dans Labatt c. Molson, [2000] 3 C.F. 145, la Cour a conclu que les décisions du registraire, de fait, de droit ou résultant de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Lorsqu'une preuve additionnelle pouvant influer sur les conclusions de fait ou l'exercice du pouvoir discrétionnaire du registraire est déposée devant la Section de première instance, le juge de première instance doit tirer ses propres conclusions quant à l'exactitude de la décision du registraire.

[…]

[10]  Plus encore, le juge de la Section de première instance a passé sous silence la preuve supplémentaire déposée devant lui. La preuve plus précise de l'emploi prolongé dans chacune des éditions du magazine COUNTRY GUIDE depuis janvier 1974, aussi bien que la preuve montrant que COUNTRY LIVING est présenté dans le matériel publicitaire, comme étant une section du magazine constituent, à notre avis, des éléments de preuve qui auraient pu influer sur les conclusions du registraire en l'espèce. En conséquence, la norme de contrôle est l'exactitude.

[Je souligne]

[34]  La jurisprudence de la Cour d’appel fédérale ne s’est pas dédite depuis (voir Hughes on Trade Marks, LexisNexis, Butterworths, feuilles mobiles §44 et Fox on Trade-Marks and Unfair Competition, Carswell, 4e édition, feuilles mobiles, #6.8(j) ct (j.1)). Ainsi, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. La Cour doit en venir à sa propre conclusion sur la base du dossier amélioré par la nouvelle preuve. C’est l’opinion exprimée par la Cour d’appel fédérale dans Shell Canada Limitée c P.T. Sari Incofood Corporation, 2008 CAF 279 :

[22]  En ce qui a trait à la première question, la norme de preuve, le juge de la Cour fédérale devait décider si la preuve nouvelle qui lui avait été soumise aurait eu un effet concret sur les conclusions de fait de la registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (arrêt John Labatt Ltée, précité). Dans l’affirmative, le juge de la Cour fédérale devait réévaluer la décision de la registraire à la lumière de l’ensemble de la preuve et tirer sa propre conclusion (Accessoires d'autos Nordiques Inc. c. Société Canadian Tire Limitée, 2007 CAF 367, 62 C.P.R. (4th) 436 (au paragraphe 30)):

Comme la Cour l’a jugé dans l’arrêt Maison Cousin (1980) Inc. c. Cousins Submarines Inc., 2006 CAF 409, [2006] A.C.F. no1968, lorsque de nouveaux éléments de preuve sont déposés et qu’ils sont importants pour la décision finale, la Cour fédérale n’est pas limitée à trouver une erreur dans la décision faisant l’objet de la révision. La Cour peut tirer ses propres conclusions en fonction du dossier devant elle, qui comprend les éléments de preuve présentés au registraire de même que les nouveaux éléments de preuve. Dans ce contexte, la Cour est évidemment appelée à prendre la décision correcte, mais elle ne révise pas la décision du registraire selon la norme de la décision correcte.

[Je souligne]

[35]  À l’audience, un certain temps a été consacré à la question de la norme de contrôle. Si j’ai bien compris l’invitation faite par l’avocat de Swatch AG, la Cour devait partir de la Décision du registraire et voir que la probabilité de confusion est égale à la probabilité de non-confusion, et de n’y ajouter que la preuve additionnelle. Cela, disait-il, mènerait à être vainqueur en appel. À mon avis, ce n’est pas l’approche qui a été retenue par la Cour d’appel fédérale. Cette Cour est liée par les décisions du tribunal supérieur. Sans être un procès de novo au sens strict du terme (Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [2000] 3 CF 145, aux para 46-47), il n’en reste pas moins que, sur la base du dossier devant le registraire  tel qu’amélioré par la preuve additionnelle, le juge d’appel sous l’article 56 doit en venir à sa propre conclusion. De fait, la situation deviendrait presqu’un cercle vicieux si l’invitation de la demanderesse était retenue. C’est une invitation que la Cour se doit de décliner.

B.  L’effet de la nouvelle preuve

[36]  La preuve présentée pouvait-elle influencer les conclusions du registraire? À mon avis, la réponse est oui. Le registraire avait identifié des lacunes qui, si comblées, auraient pu « faire pencher la prépondérance des probabilités en faveur de la Requérante » (para 65 de la Décision). Ces lacunes étaient relatives au caractère distinctif acquis de la marque et la propriété d’une famille de marques de commerce Swatch. Je partage l’avis de mon collègue le juge Manson selon lequel des éléments de preuve qui visent à combler des lacunes identifiées par le registraire constituent un fait important dont on doit tenir compte. Dans Mcdowell c The Body Shop International PLC, 2017 CF 581, on lit :

[18]  Ces nouveaux éléments de preuve sont importants pour l’appel, notamment parce qu’ils comblent les lacunes en matière de preuve invoquées par la COMC : la demanderesse n’a pas établi l’emploi des marques en question aux dates pertinentes et n’a pas démontré que les marques HONEY s’étaient taillé [sic] une réputation au Canada. Cette conclusion est conforme à une décision rendue par la juge Anne Mactavish dans un appel d’opposition de marque de commerce impliquant la demanderesse, les marques HONEY, et essentiellement les mêmes éléments de preuve que ceux dans l’affidavit McDowell (Mcdowell v. Laverana GmbH & Co. KG, 2017 FC 327 [McDowell]).

Le juge LeBlanc, de notre Cour, faisait un commentaire similaire dans Kabushiki Kaisha Mitsukan Group Honsha c Sakura-Nakaya Alimentos Ltda., 2016 CF 20.

[37]  La preuve des ventes, la présence sur le marché des produits d’horlogerie, les très nombreux magasins qui vendent des produits Swatch, les points de vente dédiés à ces produits et la publicité à une échelle significative faite par la demanderesse tendent à démontrer la notoriété de la marque acquise depuis le début de ses opérations au Canada en 1984. S’ajoute à cela la famille de marques Swatch qui était déjà en preuve devant le registraire. Il s’agit là du type de preuve qui aurait influé sur la décision du registraire. Elle aurait pu avoir cet effet indépendamment de la lacune identifiée par le registraire. Cette conclusion est renforcée du fait que le registraire l’avait identifiée nommément. Mais cette nouvelle preuve est substantielle et significative, et certainement pas une preuve qui en substance était devant le registraire (Vivat Holdings Ltd. c Levi Strauss & Co., 2005 CF 707 [Vivat Holdings], para 27). En effet, le registraire invitait pour ainsi dire une telle preuve. L’exercice doit être un qualitatif et non quantitatif, et ce critère est rencontré.

[38]  Dans l’examen que la Cour doit mener, elle doit reconnaître deux difficultés rencontrées par Hudson. D’abord, sa marque est intrinsèquement faible ce qui fait en sorte que la protection qu’elle peut recevoir de la Loi est étroite. Ensuite, Hudson n’a offert aucune preuve au soutien d’un caractère distinctif acquis pour sa marque « i watch ».

C.  Analyse de l’ensemble du dossier

[39]  Le caractère distinctif de la marque est l’un des facteurs d’appréciation au paragraphe 6(5) de la Loi. Il « est essentiel et constitue une exigence fondamentale », selon les mots tirés de Western Clock Co. v Oris Watch Co. Ltd., [1931] SCR 397 et cités par la Cour suprême du Mattel, Inc. c 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 RCS 772, [Mattel] au para 75. Ce caractère peut être inhérent ou acquis aux termes mêmes de l’alinéa 6(5)a) de la Loi. En notre espèce, Hudson utilise la marque « i watch » en lien avec la vente de montres. Le caractère distinctif est faible. Dans Pink Panther Beauty Corp.c United Artists Corp. (C.A.), [1998] 3 CF 534, Pink Panther Beauty Corp. voulait enregistrer la marque « Pink Panther » en lien avec les produits de beauté alors que United Artists avait enregistré la marque « The Pink Panther » en lien avec les films bien connus. La Cour s’est penchée sur la notion de « distinctive » ([Traduction] « caractère distinctif »):

[21]  Une marque de commerce est une marque employée par une personne pour distinguer ses marchandises ou ses services de ceux des autres. Par conséquent, la marque ne peut être considérée isolément, mais seulement en liaison avec ces marchandises ou ces services. C'est ce qui ressort du libellé du paragraphe 6(2). La question que pose ce paragraphe ne concerne pas la confusion des marques, mais la confusion des biens ou des services provenant d'une source avec des biens ou des services provenant d'une autre source. C'est pourquoi il n'est pas accordé de protection très étendue aux marques qui se fondent sur des origines géographiques ou sur des mots généralement descriptifs (par exemple, les marques fictives Café du Pacifique ou Soda supérieur). Même si des marques projetées peuvent ressembler à ces marques, il est peu vraisemblable que le public présume que deux produits qui se décrivent comme étant "du Pacifique" ou "supérieur" proviennent nécessairement de la même source. Comme la confusion est peu probable, la protection n'est pas nécessaire.

[Je souligne]

Qui utilise une marque qui ne fait que décrire la marchandise ne bénéficiera pas d’une vaste protection puisque sa marque n’est pas solide ou bien établie :

[23]  Le premier élément énuméré au paragraphe 6(5) est la solidité ou le caractère bien établi de la marque. Cet élément se divise en deux: le caractère distinctif inhérent de la marque et le caractère distinctif qu'elle a acquis. Une marque possède un caractère distinctif inhérent lorsque rien en elle n'aiguille le consommateur vers une multitude de sources. La marque qui peut faire allusion à de nombreuses choses ou qui, comme je l'ai fait remarquer précédemment, se limite à décrire les marchandises ou leur origine géographique, jouira d'une protection moindre. Inversement, si la marque est un nom unique ou inventé, de sorte qu'elle ne peut faire référence qu'à une seule chose, la portée de sa protection sera plus grande.

[24]  Une marque qui ne possède pas de caractère distinctif inhérent peut tout de même acquérir un caractère distinctif par un emploi continu sur le marché. Pour établir ce caractère distinctif acquis, il faut démontrer que les consommateurs savent que cette marque vient d'une source en particulier. Dans la décision Cartier, Inc. c. Cartier Optical Ltd./Lunettes Cartier Ltée, le juge Dubé a conclu que le nom Cartier possédait peu de caractère distinctif inhérent, puisqu'il n'était qu'un nom de famille, mais qu'il avait néanmoins acquis un caractère distinctif considérable grâce à la publicité. De la même manière, dans la décision Coca-Cola Ltd. c. Fisher Trading Co., le juge a conclu que le mot «Cola» en scriptes était devenu si célèbre qu'il avait acquis un sens secondaire très spécial distinct de la boisson et qui méritait donc d'être protégé.

[Je souligne]

[40]  Ici, la marque « i watch » ne peut qu’être faible. Fox on Trade-Marks and Unfair Competition suggère que des marques utilisant des mots inventés comme Kodak, Exxon ou XEROX (#8-2(b)) ont un caractère distinctif inhérent qui leur vaut une vaste protection. Des marques comme Apple, Beauty ou Masterpiece sont faibles à cause de leur usage commun. Dans notre cas, la marque d’Hudson en est une où le caractère distinctif inhérent n’est pas présent, puisqu’elle n’est essentiellement que le nom du produit, la montre, qui est utilisé comme marque de commerce.

[41]  La marque Swatch pourrait avoir un caractère distinctif inhérent plus fort parce qu’inventée ou, à tout le moins, parce qu’il réfère à un mot dont le sens n’est pas le produit lui-même. Le registraire avait conclu que le mot « Swatch », en anglais, voudrait dire « échantillon, en particulier d’étoffe, de tissu ou de couleurs de peinture », selon le Canadian Oxford Dictionary, lors de son analyse du degré de ressemblance. Revenant sur la question dans son analyse du caractère distinctif, le registraire conclut que les deux marques sont très proches quant au caractère distinctif inhérent. Quant à moi, j’aurais plutôt été tenté de pencher en faveur du caractère distinctif inhérent de la marque Swatch parce qu’il s’agit d’un mot inventé ou, à tout le moins, dont le lien avec des produits d’horlogerie comme tels, outre un certain jeu de mots, est atténué. Il ne s’agit pas d’un mot générique en anglais comme le mot « watch » qui n’est que le produit mis en vente. J’y aurais vu une différence plus notable entre les deux marques. La différence est encore plus notable dans le marché francophone. Mais, il n’est pas nécessaire d’ainsi conclure parce que, à mon avis, le caractère distinctif est acquis par la promotion  du produit et son emploi au Canada, tel que démontré amplement par la preuve additionnelle de la demanderesse, mais aussi par le graphisme qui, grâce à la promotion et à une certaine pénétration du marché, a atteint un niveau de notoriété que n’a certes pas « i watch ». Si SWATCH est si bien associée à l’horlogerie et aux montres, c’est en grand partie grâce à la promotion et la pénétration du marché commencée en 1984 et persistante depuis les années 90, non pas grâce au mot inventé ou voulant dire en anglais « échantillon de tissu ». À l’inverse, Hudson n’a produit aucune preuve qui aurait peut-être pu faire contrepoids.

[42]  Lorsqu’une marque est faible, comme pour « i watch », peu de différences suffisent pour les distinguer. Dans General Motors v Bellows, [1949] RCS 678, on peut lire à la page 691 :

Mr. Fox submitted this basic consideration: that where a party has reached inside the common trade vocabulary for a word mark and seeks to prevent competitors from doing the same thing, the range of protection to be given him should be more limited than in the case of an invented or unique or non-descriptive word; and he has strong judicial support for that proposition: Office Cleaning Services Ld. v. Westminster Window & General Cleaners Ld., , at 135; British Vacuum Co. Ltd. v. New Vacuum Company Co. Ltd.,. In Office Cleaning Services, supra, Lord Simonds used this language:

It comes in the end, I think, to no more than this, that where a trader adopts words in common use for his trade name, some risk of confusion is inevitable. But that risk must be run unless the first user is allowed unfairly to monopolize the words. The Court will accept comparatively small differences as sufficient to avert confusion. A greater degree of discrimination may fairly be expected from the public where a trade name consists wholly or in part of words descriptive of the articles to be sold or the services to be rendered.

[Traduction]

M. Fox a soutenu que, lorsquune partie sapproprie un mot courant du vocabulaire du commerce pour en faire une marque nominale et cherche à empêcher ses concurrents den faire autant, le degré de protection auquel elle a droit doit être moindre que celui dont elle bénéficie dans le cas dun mot inventé, unique ou non descriptif : Office Cleaning Services Ld. c Westminster Window & General Cleaners Ltd., à la page 135; British Vacuum Co. Ltd. c New Vacuum Company Co. Ltd.. Dans Office Cleaning Services, précitée, lord Simonds sest exprimé ainsi :

En fin de compte, je crois quil sagit tout simplement de ceci : quand un commerçant décide que son nom commercial contiendra des mots courants, il y aura, inévitablement, une certaine confusion. Mais le risque est acceptable sauf si le premier utilisateur est autorisé injustement à sapproprier pour lui seul ces termes. Le tribunal acceptera des différences peu importantes comme étant suffisantes pour éviter toute confusion. Il faut raisonnablement sattendre à une plus grande discrimination de la part du public lorsquun nom commercial est formé en tout ou en partie de termes qui décrivent les articles vendus ou les services offerts.

[Je souligne]

En l’espèce, Hudson chercherait à s’accaparer le mot « watch » et s’arroger le droit de l’utiliser comme sa marque de commerce, sans même par ailleurs démontrer le caractère distinctif inhérent ou acquis de sa marque. De fait, l’enregistrement de sa marque ne revendiquait son emploi que depuis septembre 2007.

[43]  Il n’est pas approprié de permettre qu’un enregistrement de marque de commerce monopolise un mot d’utilisation courante et fréquente. Le commentaire de mon collègue le juge LeBlanc dans Assurant, Inc. c Assurancia, Inc., 2018 CF 121 me semble particulièrement pertinent :

[74]  Pour ajouter à mes conclusions selon lesquelles il n’existe aucun risque de confusion entre les marques ASSURANT et ASSURANCIA, et que la défenderesse a droit à l’enregistrement de sa Marque, laquelle est à la fois enregistrable et distinctive, j’estime que d’accepter l’opposition de la demanderesse créerait un dangereux précédent. ASSURANT est le participe présent du verbe assurer (to insure) en français. Qui plus est, la partie commune aux deux marques de commerce fait également partie du mot « assurance » en français (insurance en anglais). Si l’opposition est acceptée, une marque de commerce qui commencerait avec « assurance » serait-elle opposable également? Mais, même si je devais conclure qu’il y avait un risque de confusion entre les marques de commerce en cause, je persiste à dire que [traduction] « c’est un risque qu’il faut courir, à moins que [la demanderesse] ne soit injustement autorisée à monopoliser ces mots » (John Labatt, au paragraphe 6, citant Office Cleaning Services, Ltd. c Westminster Window and General Cleaners, Ltd.).

[44]  C’est ainsi que de petites différences suffiront. La Cour d’appel fédérale le déclarait dans Kellogg Salada Canada Inc. c Canada (Registraire des marques de commerce), [1992] 3 CF 442 (C.A.) en disant que « (l)orsque des marques n’ont que peu ou pas de caractère distinctif inhérent , comme cela est mentionné dans l’ouvrage de Fox, précité aux pages 152 et 153, [Traduction] « de petites différences permettent de les distinguer » » (p 456). Le juge Denault, de notre Cour, articulait dans Man and His Home Ltd. v Mansoor Electronics Ltd., 87 CPR (3d) 218 que la notion que la faiblesse d’une marque implique une acceptation d’une mesure de confusion. On peut lire :

[14]  It is well established that trade-marks containing words which are suggestive of the wares or services offered by the owner are considered to be weak marks and consequently, are afforded a minimal level of protection. In such cases, even a small difference between the marks will be sufficient to diminish the likelihood of confusion. Furthermore, where a person adopts a word in common use and seeks to prevent competitors from doing the same, the trade-marks will have less inherent distinctiveness and the range of protection granted by the Court will be limited. Finally, where a party chooses to use a suggestive non-distinctive name, regardless of any acquired distinctiveness, it must accept a certain amount of confusion without sanction.

[Traduction]

[14]  Il est de jurisprudence constante que les marques de commerce qui contiennent des mots qui évoquent les marchandises ou les services qu’offre leur propriétaire sont considérées comme des marques faibles qui n’ont droit, par conséquent, qu’à une faible protection. En pareil cas, même une légère différence entre les marques suffit pour réduire les risques de confusion. En outre, lorsqu’une personne adopte un mot d’usage courant et cherche à empêcher ses concurrents de faire de même, les marques de commerce ont un caractère distinctif inhérent moindre et le degré de protection accordé par le tribunal est limité. Finalement, lorsqu’une partie choisit d’employer un nom évocateur non distinctif indépendamment de tout caractère distinctif acquis, elle doit accepter une certaine confusion sans sanction.

[45]  Nous nous retrouvons donc avec une marque, « i watch », sans caractère distinctif inhérent, et une marque, « iSWATCH », qui a un certain caractère distinctif inhérent et un caractère distinctif acquis d’importance.

[46]  Les deux marques sont-elles suffisamment distinctives pour éviter la confusion malgré une certaine ressemblance entre les marques « i watch » et « iSWATCH » ? À mon avis, elles le sont. Le registraire a conclu, après examen des éléments d’appréciation, qu’elle ne pouvait départager s’il y avait probabilité de confusion ou non malgré un certain avantage donné à Hudson au sujet d’une ressemblance. J’ai déjà indiqué que j’aurais été tenté de différer d’opinion au sujet du caractère distinctif inhérent. Mais, puisque j’en suis venu à la conclusion que le caractère distinctif acquis favorise complètement la demanderesse, toute chose étant par ailleurs égale par rapport à l’évaluation des autres éléments d’appréciation fait par le registraire, la demanderesse devrait prévaloir. Mais encore faut-il que les autres éléments d’appréciation ne favorisent pas Hudson.

[47]  J’ai présenté plus haut les considérations mises de l’avant par le registraire pour conclure à l’équilibre entre la probabilité de confusion et la probabilité qu’il n’y a pas confusion. La demanderesse se trouve satisfaite de cette analyse et le défendeur ne s’en est pas plaint non plus. Outre que ce que j’ai déjà noté quant à l’élément d’appréciation relatif au caractère distinctif des marques (alinéa 6(5)a)), mon propre examen ne me mènerait pas à une différence marquée par rapport aux conclusions du registraire au sujet des autres critères d’appréciation. Je favoriserais Swatch de façon marginale; de toute façon, ces facteurs sont moins significatifs. Ainsi, le nom commercial Swatch est utilisé depuis plus de trente ans et la marque elle-même (iSWATCH) depuis 2012. En plus, la demanderesse a maintenant mis en preuve la nature du commerce lié à sa marque en soulignant les points de vente dédiés à sa marque et la promotion des produits SWATCH. On ne peut nier que certains des produits pour lesquels la demanderesse voulait enregistrer sa marque recoupent ceux du défendeur. Mais la commercialisation, en l’absence de preuve du défendeur ne peut être vue, que comme représentant une différence sensible, à l’avantage de la demanderesse. Enfin, comme le registraire, je ne vois pas une ressemblance parfaite entre les marques de telle façon que cette ressemblance l’emporterait sur tout. J’en viens plutôt à la conclusion que le caractère distinctif inhérent et acquis doit recevoir un grand poids.

[48]  Le critère à appliquer a été présenté de façon générale à la manière du juge Binnie dans Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23; [2006] 1 RCS 824 [Veuve Clicquot] :

Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue du nom Cliquot sur la devanture des boutiques des intimées ou sur une de leurs factures, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce VEUVE CLICQUOT et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques. Pour reprendre les termes utilisés par le juge Pigeon dans Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp., [1969] R.C.S. 192, p. 202 :

[TRADUCTION] Nul doute que si une personne examinait les deux marques attentivement, elle les distinguerait facilement. Ce n’est toutefois pas sur cette constatation qu’il faut se fonder pour déterminer s’il existe une probabilité de confusion.

. . . les marques ne paraîtront pas côte à côte et [la Cour doit] essayer d’empêcher qu’une personne qui voit la nouvelle marque puisse croire qu’il s’agit de la même marque que celle qu’elle a vue auparavant, ou même qu’il s’agit d’une nouvelle marque ou d’une marque liée appartenant au propriétaire de l’ancienne marque.

(Citant Halsbury’s Laws of England, 3e éd., vol. 38, par. 989, p. 590.)

Cette première impression du consommateur plutôt pressé qui voit « iSWATCH », sans considérer séparément chaque partie de la marque, ne sera probablement pas confuse avec un produit portant la marque « i watch », d’autant que cette dernière n’a pas droit à une protection étendue. L’impression dominante vient de SWATCH, marque déjà bien connue au Canada. Comme le disait le juge Manson, cette fois dans Venngo Inc. c Concierge Connection Inc. (Perkopolis, Morgan C. Marlowe and Richard Thomas Joynt), 2015 CF 1338 :

[124]  La Cour doit cependant se garder d’accorder une protection générale à une marque de commerce qui emploie des termes descriptifs ou fortement suggestifs comme fondement d’une affirmation du caractère distinctif et d’une confusion alléguée entre cette marque et d’autres marques de commerce ou noms commerciaux (Molson, précitée, aux paragraphes 5 et 6; Ultravite Laboratories Ltd. v. Whitehall Laboratories Ltd., [1965] SCR 734 à la p. 738).

[125]  Comme le soutiennent les défendeurs, la confusion réelle est une circonstance de l’espèce qui doit être considérée dans l’analyse de la confusion, mais n’est pas un atout qui devrait surpasser tous les autres facteurs à prendre en considération pour déterminer la probabilité de la confusion aux termes des alinéas 6(5)a) à 6(5)e) de la Loi. La Cour doit considérer tous les facteurs pertinents et ensuite « faire appel à leur bon sens et ne pas se laisser influencer par leurs ‘‘connaissances ou [leur] tempérament particuliers’’ pour décider s’il y aurait probabilité de confusion chez le consommateur ordinaire » (Masterpiece, au paragraphe 92).

[49]  Il n’est pas inutile de noter que les cinq éléments d’appréciation de la Loi ne sont pas exhaustifs. Ainsi, une preuve de confusion réelle est possible. Swatch vend des montres au Canada depuis 1984 et elle vend même des montres sous la marque « iSWATCH » depuis quelques années. Aucune telle preuve de confusion n’a été offerte. Dans Mattel, le juge Binnie écrivait :

[55]  La preuve d’une confusion réelle serait une « circonstance de l’espèce » pertinente, mais elle n’est pas nécessaire (Christian Dior, par. 19), même s’il est démontré que les marques de commerce ont été exploitées dans la même région pendant dix ans : Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1987] A.C.F. no 1123 (QL) (C.A.). Comme nous le verrons plus loin, une conclusion défavorable peut toutefois être tirée de l’absence d’une telle preuve dans le cas où elle pourrait facilement être obtenue si l’allégation de probabilité de confusion était justifiée.

[50]  Dans Veuve Clicquot, une décision rendue le même jour que Mattel, le juge Binnie expliquait en quoi consiste la confusion dont traite la Loi :

[18]  Comme je l’ai expliqué dans le pourvoi connexe Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, 2006 CSC 22, rendu simultanément, l’objet des marques de commerce est de symboliser la source et la qualité des marchandises et des services, de distinguer les marchandises ou les services du commerçant de ceux d’un autre commerçant et d’éviter ainsi la « confusion » sur le marché. Le terme confusion revêt cependant un sens particulier. Le législateur précise au par. 6(1) qu’il y a confusion

si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial [de l’appelante] cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial [des intimées], de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

[19]  Le paragraphe 6(2) nous apprend qu’une telle confusion survient

lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

[Soulignements dans l’original]

À mon avis, la probabilité raisonnable de confusion en utilisant la marque « iSWATCH » n’est pas présente, pas plus qu’elle ne l’était face à la marque SWATCH utilisée au Canada depuis 1984. L’une est dans la continuité de la seconde. La marque « SWATCH » est bien connue au Canada. Étant donné la notoriété de la marque, l’addition de la particule « i » n’en altèrera pas véritablement le caractère distinctif acquis, ou inhérent. Comme indiqué plus haut, Hudson ne peut s’arroger le droit de prétendre à confusion dès que les lettres W, A, T, C, H se retrouvent dans une marque pour un produit qui est la montre.

D.  Autres litiges

[51]  La défenderesse a soulevé en appel l’existence d’un litige en Grande-Bretagne entre Swatch AG et Apple. Quoi qu’intriguant à première vue, la mention par la défenderesse d’un avis d’opposition de Swatch AG à un enregistrement par Apple ne peut rien générer relativement au litige canadien dont la Cour doit disposer. Il y a deux raisons pour cette conclusion.

[52]  D’abord, Hudson n’a présenté aucun argument à cet égard. On ne fait qu’alléguer des positions contradictoires qu’aurait adoptées Swatch AG au Canada et en Grande-Bretagne. La défenderesse n’articule pas en quoi cette contradiction, qui n’est d’ailleurs qu’alléguée, dans les positions adoptées par la demanderesse pourrait avoir une incidence en l’espèce. Comme indiqué plus haut, dans notre système contradictoire, c’est aux parties de faire leurs arguments pour qu’ils soient tranchés par la Cour. En notre espèce, la demanderesse ne saurait répondre à un argument qui n’a pas été fait.

[53]  D’autre part, le droit canadien se plaide (il est admis d’office) devant les tribunaux, mais le droit étranger se prouve (Castel & Walker on Canadian Conflict of Laws, LexisNexis, 6ed, Butterworths, feuilles mobiles, ch. 7 et en particulier §7.3). Cette preuve n’a pas été faite. La question devant la Cour doit donc être examinée en fonction du droit canadien. La décision dans Vivat Holdings va exactement dans le même sens :

[65]  On peut trancher sommairement la question des demandes et des enregistrements à l'étranger. L'absence de preuve quant au droit étranger n'est pas contestée. Ni M. Richards ni M. Gerety n'ont déclaré être au courant de ces questions. Dans Re Haw Par Brothers International Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1979), 48 C.P.R. (2d) 65 (C.F. 1re inst.), le juge Marceau a établi qu'il y a peu à tirer du fait que les marques de commerce en question coexistent dans d'autres juridictions, puisque la décision du registraire doit se fonder sur les normes canadiennes et eu égard à la situation au Canada. De même, dans Sun-Maid Growers of California c. Williams & Humbert Ltd (1981), 54 C.P.R. (2d) 41 (C.F. 1re inst.), le juge en chef adjoint Thurlow a émis l'opinion que les enregistrements dans d'autres juridictions ne sont pas pertinents étant donné qu'ils se fondent entièrement sur le droit et la procédure étrangère. Je suis plutôt d'accord avec Levi en ce que la preuve de la simple coexistence des marques dans les registres étrangers n'est pas pertinente et que la preuve d'une opposition étrangère sur la base de documents dont la preuve n'a pas été faite en droit étranger n'a aucune valeur probante. De plus, Vivat n'a pas obtenu gain de cause à l'égard de toutes ses demandes.

[Je souligne]

Il eut fallu bien plus qu’une référence générale à un litige dans une autre juridiction en vertu d’une législation étrangère pour que l’argument ait une valeur à être considérée par la Cour.

[54]  Il en résulte que l’appel doit être accueilli.


JUGEMENT au dossier T-591-17

LA COUR STATUE que :

  1. L’appel est accueilli;

  2. La partie de la décision du registraire du 15 février 2017 refusant la demande d’enregistrement nº1,633,651 relative aux produits et services suivants est rejetée :

Goods : (1) Horological and chronometric instruments, namely watches, chronographs and alarm clocks. (2) Precious metals and their alloys and goods made of these materials or plated therewith, namely […] jewelry namely rings, earrings, cufflinks, bracelets, charms, brooches, chains, necklaces, pins tie, […] jewelry boxes and cases, precious stones, semi-precious stones (gemstones); constitutive parts and fittings for watches, chronographs and alarm clocks.

Services: Retail store services in the field of horological instrument and jewelry, on-line retail store services in the field of horological instruments and jewelry. Repair and maintenance of horological instruments and jewelry.

[Traduction]

Produits : (1) Instruments d’horlogerie et instruments chronométriques, nommément montres, chronographes et réveils. (2) Métaux précieux et leurs alliages ainsi que produits faits ou plaqués de ces matériaux, nommément […] bijoux, nommément bagues, boucles d’oreilles, boutons de manchette, bracelets, breloques, broches, chaînes, colliers, pinces à cravate, […] coffrets et écrins à bijoux, pierres précieuses, pierres semi-précieuses (gemmes); pièces et accessoires pour montres, chronographe et réveils.

Services : Services de magasin de vente au détail dans les domaines des instruments d’horlogerie et des bijoux, services de magasin de vente au détail en ligne dans les domaines des instruments d’horlogerie et des bijoux. Réparation et entretien d’instruments d’horlogerie et de bijoux.

  1. Étant donné que l’opposition relativement aux produits « figurines », « trophées » et « attaches » avait déjà été maintenue sans que cette détermination ne soit portée en appel, l’opposition de la défenderesse relativement à la demande d’enregistrement nº1,633,651 est rejetée en entier;

  2. La demande d’enregistrement nº1,633,651 est accordée en faveur de la demanderesse et la cour ordonne au registraire des marques de commerce de procéder audit enregistrement;

  3. Les dépens sont accordés à la demanderesse. Ils sont limités à 5000$, y inclus les débours et les taxes.

 « Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-591-17

 

INTITULÉ :

SWATCH AG, (SWATCH SA) (SWATCH LTD.) c HUDSON WATCH, INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 avril 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 août 2018

 

COMPARUTIONS :

Barry Gamache

 

Pour lA DEMANDERESSE

 

David Weiss

 

Pour le défendeur (REPRÉSENTE SA PROPRE COMPAGNIE)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robic, S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

Pour LA DEMANDERESSE

 

 

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