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Date : 20180815


Dossier : IMM-306-18

Référence : 2018 CF 835

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 août 2018

En présence demonsieur le juge Fothergill

ENTRE :

FRANCES ENORE UGBAJA

EBICHI MOSES UGBAJA

ELAINE CHIAMAKA UGBAJA

CHRISTOPHER UCHECHUKWU UGBAJA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Mme Frances Enore Ugbaja et M. Ebichi Moses Ugbaja sont mari et femme. Ils ont deux enfants mineurs appelés Elaine et Christopher. Cette famille sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SPR avait alors conclu que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention, ni celle de personnes à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27.

[2]  Devant notre Cour, l’avocat des demandeurs reconnaît qu’Elaine Ugbaja, étant née aux États-Unis, a la citoyenneté américaine et n’a donc pas qualité de personne à protéger.

[3]  La question déterminante pour la SPR était la crédibilité. Pour les motifs qui suivent, je conclus que les conclusions défavorables de la SPR sur la crédibilité étaient bien étayées par la preuve. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II.  Énoncé des faits

[4]  Les demandeurs sont des citoyens du Nigéria. Ils disent avoir quitté le Nigéria et craindre un retour éventuel en raison de menaces de mort proférées par le clan familial de M. Ugbaja lorsque ce dernier a refusé d’imposer à sa fille une mutilation génitale. De plus, Mme Ugbaja dit avoir été accusée de sorcellerie.

[5]  Les demandeurs se sont d’abord rendus aux États-Unis avant d’arriver au Canada, pays où ils ont demandé l’asile.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[6]  La SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs. Il a été conclu qu’Elaine ne pouvait avoir qualité de réfugiée en raison de sa nationalité américaine. Les autres demandes ont été rejetées parce qu’il manquait des éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour démontrer que le clan familial Ugbaja avait exigé qu’Elaine subisse une mutilation génitale féminine. La SPR n’a pas reconnu non plus la menace de mort qui planerait sur les demandeurs en cas de retour au Nigéria.

[7]  Plusieurs conclusions factuelles sous-tendent la décision défavorable de la SPR sur la crédibilité des demandeurs :

  • a) Dans le formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA), la famille a décrit sa crainte d’être persécutée en termes génériques et flous. Les membres de la famille de M. Ugbaja auraient été les agents de la persécution, mais aucun nom ni aucun lien familial (père, mère, sœur, frère, etc.) n’a été fourni. On n’a pas clairement indiqué qui avait fait un appel téléphonique menaçant, qui avait commis une attaque physique, qui avait endommagé le véhicule de la famille ou encore qui avait consulté un oracle.

  • b) Le compte-rendu verbal de M. Ugbaja concernant la persécution est tout aussi vague. Il ne mentionne des personnes précises que lorsque la question lui est posée expressément et il n’explique pas adéquatement pourquoi les 400 membres de son clan sont tous contre lui ni de quelle façon ils feraient du tort à sa famille partout au Nigéria.

  • c) M. Ugbaja ne pouvait fournir le nom du clan de Mme Ugbaja, même si la famille allègue avoir demandé l’aide de ce clan pour mettre fin à la persécution.

  • d) M. Ugbaja a dit avoir quitté son emploi en raison des menaces de mort faites à son égard, mais, à l’annexe A du formulaire, il a indiqué qu’il occupait toujours cet emploi. Il a affirmé qu’il s’agissait là d’une erreur, mais n’a pas fourni d’éléments de preuve documentaires pour étayer cette affirmation.

  • e) Les demandeurs n’ont jamais signalé aux services consulaires américains du Nigéria les menaces de mutilation génitale féminine qui planaient sur Elaine, une citoyenne des États­Unis.

  • f) Ils n’ont pas fait de demande d’asile aux États-Unis, même s’ils s’y sont rendus à plusieurs occasions après le commencement de la persécution présumée. Mme Ugbaja s’est rendue aux États-Unis sans être accompagnée de son mari ou de ses enfants en juillet 2017. Selon la SPR, ce fait démontre le manque de peur subjective qui est au cœur même de leurs demandes d’asile.

  • g) Pour terminer, le rapport psychologique du Dr Devin, selon lequel l’incohérence du témoignage des demandeurs serait due au trouble de stress post-traumatique, ne mentionne pas que M. Ugbaja avait reçu un diagnostic de cancer du poumon de stade 4. Cette omission permet de conclure que le rapport n’était pas une évaluation minutieuse et détaillée. Les lettres d’appui ont elles aussi été jugées vagues.

IV.  Questions en litige

[8]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. La décision défavorable de la SPR en matière de crédibilité était-elle raisonnable?

  2. La décision de la SPR était-elle équitable sur le plan de la procédure?

V.  Analyse

[9]  Les conclusions que la SPR a tirées sur la crédibilité d’un demandeur d’asile sont des décisions factuelles qui se situent au cœur de la compétence de la SPR et elles sont susceptibles de révision par notre Cour selon la norme de la décision raisonnable (Omar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 20, paragraphe 11; Eze c Canada (Citoyenneté et Immigration), paragraphe 12 [Eze]). Ces conclusions commandent un niveau élevé de retenue (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 46 [Khosa]. La Cour n’intervient que si la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[10]  Les questions de procédure sont susceptibles de révision par notre Cour selon la norme de la décision correcte (arrêt Khosa, paragraphe 43).

A.  La décision défavorable de la SPR en matière de crédibilité était-elle raisonnable?

[11]  Les demandeurs soutiennent que la SPR s’est livrée à un examen microscopique de la preuve. Ils relèvent que M. Ugbaja, dans son témoignage oral, a nommé quatre personnes précises dont il a peur et a dit que c’est à l’égard de son oncle qu’il avait le plus de crainte. Il n’a jamais soutenu que les 400 membres de son clan familial avaient tous proféré des menaces contre sa famille. Il a seulement déclaré que tous les membres auraient été conscients du refus de sa famille à faire subir une mutilation génitale féminine à sa fille.

[12]  Je ne peux conclure à l’argument des demandeurs. La SPR est en droit de s’attendre à un haut niveau de précision en ce qui concerne les agents de la persécution. Le fait que M. Ugbaja a fourni quatre noms dans son témoignage oral ne fait pas dérailler la conclusion globale de la SPR selon laquelle le flou du témoignage était inacceptable, surtout eu égard aux nombreuses occasions données aux demandeurs en vue d’apporter des précisions ou des corrections au récit écrit. La SPR s’est exprimée comme suit :

[traduction]

[42] […] Si le tribunal accepte l’explication selon laquelle les noms ont été fournis au moment pertinent, il n’est pas crédible que la tante ne fasse pas du tout partie du récit – ni son nom ni son lien n’y figure –, car c’est elle qui aurait informé Mme Ugbaja de l’horrible nécessité de faire subir une mutilation génitale féminine à sa fille par conformité aux us et coutumes de la tribu de son mari. Il n’est pas crédible non plus que le membre du clan le plus ancien, « Irabor », celui qui a ordonné l’assassinat de la famille, n’ait pas été mentionné. Enfin, il n’est pas crédible que les personnes qui ont battu M. et Mme Ugbaja n’aient pas été mentionnées et il en va de même de l’identité de la ou des personnes qui ont fait l’appel téléphonique notable dont il est question.

[13]  Dans la décision Eze, une affaire qui s’apparente à l’espèce, la juge Cecily Strickland fait la remarque suivante :

[21] À mon avis, alors que l’essentiel des allégations des demandeurs concernant le risque de mutilations génitales pour les filles si la famille était renvoyée au Nigéria a été recueilli lors de l’entrevue au point d’entrée, l’omission de mentionner l’oncle et d’autres membres de la famille en tant qu’agents de persécution ne constitue pas une omission anodine ni un simple détail qui pouvait ensuite être invoqué pour étoffer la demande.

[14]  Il est raisonnable de s’appuyer sur l’existence d’omissions dans le formulaire et le témoignage oral pour évaluer la crédibilité des demandeurs (Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 440, paragraphe 12).

[15]  Les déplacements fréquents de la famille aux États-Unis fournissent un autre fondement légitime pour rejeter les allégations de persécution au Nigéria. Mme Ugbaja s’y est rendue en juillet 2017 pour aider à la naissance de l’enfant de sa sœur, alors que des menaces planaient continuellement sur sa famille depuis au moins l’année 2012. Selon l’explication qu’elle a fournie, les menaces reçues jusqu’alors n’étaient pas des menaces de mort. La SPR a rejeté cette explication en termes clairs et non équivoques :

[traduction]

Selon l’ensemble du compte-rendu, les circonstances des demandeurs au moment du voyage de Mme Ugbaja aux États-Unis étaient graves; mentionnons les menaces de mutilation génitale, d’enlèvement, de rituels de sang et de sorcellerie, l’endommagement de biens, les attaques physiques, la capacité de localiser l’endroit où se trouvent les enfants et le déménagement de la famille à une nouvelle résidence ainsi que les menaces proférées au gardien des enfants, le frère de Mme Ugbaja. Dans un tel contexte, il n’est pas crédible que Mme Ugbaja puisse s’intéresser à offrir des soins à sa sœur aux États-Unis en laissant ses propres enfants au soin de son mari, qui, bien qu’il aime ses enfants, fait partie d’un clan qui les harcèle. Selon l’ensemble du récit écrit, ses enfants et son mari ne vivaient pas dans une cachette, en toute sécurité, au moment où elle les a quittés, mais plutôt dans leur propre maison (jusqu’à l’arrivée de la nouvelle menace présumée, qui les a forcés à se réinstaller dans la maison de l’ami de son mari, Sunny Ebegbare). Selon la prépondérance des probabilités, le voyage aux États-Unis démontre qu’aucun des incidents allégués n’a eu lieu, ce qui mine la crédibilité de l’allégation principale concernant une éventuelle mutilation génitale.

[16]  À aucun moment les demandeurs n’ont demandé l’asile aux États-Unis. Ils étaient tous en sol américain en août 2017, mais ils n’ont pas demandé l’asile en raison des coûts trop élevés. La SPR a noté que les demandeurs n’ont fourni aucun élément de preuve pour corroborer ce fait. Si la fréquence et la durée des visites de Mme Ugbaja font l’objet de contestations, celle-ci a admis s’y être rendue en décembre 2008, en décembre 2010, en novembre 2015 et en juillet 2017. La SPR a conclu que M. Ugbaja s’était rendu aux États-Unis en février 2011, en février 2014, en juillet 2014, en novembre 2015, en avril 2016, en novembre 2016 et en août 2017.

[17]  Les demandeurs ont peut-être des arguments valables en ce qui concerne la futilité de signaler les menaces aux agents consulaires américains au Nigéria et la manière dont la SPR a rejeté le rapport psychologique, mais ces questions n’ont que peu d’importance sur la décision faisant l’objet du contrôle. Quoi qu’il en soit, le rapport d’un psychologue n’est pas une panacée qui permet de corriger les lacunes dans le témoignage d’un demandeur (Khatun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 159, au paragraphe 94).

[18]  Je conclus donc que la décision prise par la SPR sur la crédibilité était à la fois bien étayée et raisonnable. Il n’est pas du ressort de notre Cour de réévaluer les éléments de la preuve (arrêt Khosa, paragraphe 61). En outre, la Cour doit examiner cette décision de la SPR dans son ensemble et éviter d’en analyser les sections de façon isolée (Guarin Caicedo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1092, paragraphe 30).

B.  La décision de la SPR était-elle équitable sur le plan de la procédure?

[19]  Les demandeurs affirment que la SPR n’a pas longuement questionné M. Ugbaja sur la façon dont les 400 membres du clan familial ont appris le refus de celui-ci à soumettre sa fille à une mutilation génitale et que, par conséquent, celle-ci ne pouvait rejeter son témoignage en le jugeant vague. Ils se plaignent également du fait que la SPR n’a pas posé suffisamment de questions au sujet des documents justificatifs. Les demandeurs soutiennent que ces éléments équivalent à un manquement à l’équité procédurale.

[20]  Je ne suis pas de cet avis. Il n’incombe pas à la SPR de faire avancer le dossier des demandeurs par un interrogatoire minutieux. C’est aux demandeurs qu’il incombe de présenter suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour étayer leurs demandes. De plus, l’examen des transcriptions vient confirmer le fait que la SPR a offert aux demandeurs de nombreuses occasions pour donner des précisions sur leurs déclarations générales, par exemple, [traduction] « Comment pouvez-vous savoir que les 400 sont tous contre vous? […] Je ne vois toujours pas de quelle façon les 400 membres sont tous contre vous. »

[21]  Il m’est donc impossible de conclure à un manquement d’équité procédurale en l’espèce.

VI.  Conclusion

[22]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a demandé la certification d’une question aux fins d’appel.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-306-18

 

INTITULÉ :

FRANCES ENORE UGBAJA

EBICHI MOSES UGBAJA

ELAINE CHIAMAKA UGBAJA

CHRISTOPHER UCHECHUKWU UGBAJA c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 juillet 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 AOÛT 2018

 

COMPARUTIONS :

Dorab Colah

 

Pour les demandeurs

 

Maria Green

 

Pour le DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

Pour les demandeurs

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le DÉFENDEUR

 

 

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