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Date : 20180810


Dossier : IMM-369-18

Référence : 2018 CF 823

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 août 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

SILVIA SALAJOVA

JAN SALAJ

JAN SALAJ

MAREK SALAJ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les membres de la famille des demandeurs sont des citoyens de la Slovaquie. Ils demandent le contrôle d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) refusant leur demande d’asile parce qu’ils n’ont pu établir leur identité rome. Pour les motifs ci-dessous, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée puisque la décision de la SPR est raisonnable et que les demandeurs ne se sont simplement pas acquittés du fardeau qui leur incombait d’établir leur identité.

I.  Énoncé des faits

[2]  Silvia Salajova, son mari Jan Salaj et leurs deux enfants déposent une demande d’asile pour deux motifs principaux. Premièrement, ils déclarent être les cibles d’un politicien anti-Roms bien connu en Slovaquie. Ce politicien semble entretenir une vendetta personnelle contre les demandeurs en raison de leur origine rome et des liens qui les relient par mariage.

[3]  Ils évoquent également des incidents de violence. Mme Salajova raconte qu’elle s’est effondrée à un arrêt d’autobus pendant sa grossesse et que personne n’est venu l’aider. Lors d’un autre incident, elle a été attaquée par un chien et le propriétaire lui a dit qu’elle méritait de se faire attaquer en raison de son origine rome.

[4]  C’est lorsque M. Salaj et son fils ont été attaqués par des néonazis en décembre 2011 que les demandeurs se sont envolés vers le Canada. M. Salaj a eu besoin de traitements médicaux et n’a pas pu travailler pendant trois semaines.

[5]  Les demandeurs avaient présenté leur demande d’asile aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

II.  Décision de la SPR

[6]  Dans sa décision du 21 décembre 2017, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi leur identité rome et qu’ils ne pouvaient donc pas avoir gain de cause aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

[7]  Concernant l’établissement de leur identité rome, M. Salaj a confirmé qu’il n’existait aucun document provenant du gouvernement slovaque qui pourrait confirmer leur identité rome. M. Salaj a également confirmé qu’ils ne vivaient pas dans une ville majoritairement habitée par des Roms en Slovaquie et qu’ils ne vivaient pas dans un district de Roms. Les enfants ne fréquentaient pas d’écoles spécialement destinées aux enfants roms. La SPR a également noté que M. Salaj et Mme Salajova ne parlent pas de langue rome.

[8]  La SPR a noté le manque de preuve documentaire confirmant l’identité rome des demandeurs. La SPR a noté qu’il existe un certain nombre d’organismes non gouvernementaux (ONG) s’occupant de l’enjeu des Roms en Slovaquie qui auraient pu aider les demandeurs à obtenir des pièces d’identité acceptables. En outre, la SPR a noté que des organismes gouvernementaux auraient également pu venir en aide aux demandeurs.

[9]  Compte tenu du manque de preuve, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi leur identité rome et leur demande a été rejetée.

III.  Questions en litige

[10]  Bien que les demandeurs soulèvent un certain nombre de questions dans leur demande, la seule véritable question consiste à déterminer si la SPR a commis une erreur dans son analyse portant sur l’identité.

IV.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[11]  Je suis d’accord avec les parties pour dire que la norme de contrôle pour les conclusions de la SPR en matière d’identité est celle de la décision raisonnable (Nikolova c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 382, au paragraphe 8).

[12]  Par ailleurs, il faut faire preuve de retenue à l’égard de la SPR relativement aux conclusions en matière d’identité puisque ces conclusions se situent au cœur de l’expertise de la SPR (Diarra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 123, au paragraphe 22).

B.  La SPR a-t-elle commis une erreur dans son analyse de l’identité?

[13]  Les demandeurs font valoir que leur identité a été suffisamment établie étant donné qu’ils sont poursuivis par un politicien anti-Roms, comme le confirment des lettres provenant d’un membre de la famille. Selon les demandeurs, ces lettres auraient dû constituer une preuve suffisante pour établir leur identité rome devant la SPR.

[14]  L’article 106 de la LIPR est libellé ainsi :

106 La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

106 The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

[15]  L’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés est libellé ainsi :

11 Le demandeur d’asile transmet des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents.

11 The claimant must provide acceptable documents establishing their identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they did not provide the documents and what steps they took to obtain them.

[16]  Comme l’illustrent les dispositions ci-dessus, la première étape des demandeurs consistait à établir leur identité rome devant la SPR. L’identité d’un demandeur est une question de fait « qui relève entièrement de la compétence de la Commission » et qui, dans une mesure raisonnable, s’avère déterminante en ce qui concerne l’issue de la demande (Balde c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 438 au paragraphe 26 [Hadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 590, au paragraphe 14).

[17]  Dans le contexte de demandes fondées sur l’identité rome, comme en l’espèce, l’établissement de l’identité est « au cœur » de la demande d’asile. Dans l’arrêt Skoric c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 617, au paragraphe 9 [Skoric], la Cour a fait remarquer que la question de l’identité rome était déterminante et qu’« étant donné qu’il n’a pas convaincu la Commission qu’il était effectivement d’origine rome, il était raisonnablement loisible à la Commission de rejeter les demandes ».

[18]  Dans l’arrêt Skoric, la Cour a fait remarquer que le demandeur ne parlait pas la langue des Roms, qu’il n’avait pas vécu dans un secteur où vivaient beaucoup de Roms et n’avait présenté qu’une certaine preuve à propos des congés roms. L’omission générale du répondant de présenter une preuve établissant son identité a été déterminante.

[19]  En l’espèce, la SPR est parvenue aux mêmes conclusions, notant que les demandeurs adultes ne parlaient pas la langue des Roms, que la famille ne vivait pas dans un secteur où vivent des Roms et que les enfants ne fréquentaient pas d’école rome. Comme dans l’arrêt Skoric, il était loisible à la SPR de conclure, en fonction de la preuve, que les demandeurs n’ont pas établi leur identité rome.

[20]  Bien que les demandeurs n’aient pas établi l’identité rome qu’ils revendiquent, la SPR a tenu compte de la preuve documentaire qui aurait pu être présentée par les demandeurs. Dans ce contexte, la SPR a noté que des ONG et des sources gouvernementales de pièces d’identité en Slovaquie auraient pu fournir aux demandeurs la preuve documentaire exigée aux termes de l’article 106 de la LIPR. Sur ce point, la SPR a noté l’absence de tels documents et d’une quelconque explication relativement à l’absence de ces documents.

[21]  Par ailleurs, les lettres d’un membre de la famille indiquant que les demandeurs sont poursuivis par un politicien n’ont pas été présentées à la SPR en guise de pièces d’identité et n’ont pas été considérées comme telles par la SPR.

[22]  La question de l’identité a été déterminante en ce qui concerne l’issue de la demande. Si l’identité des demandeurs n’a pas été établie, la SPR n’est pas tenue d’analyser le bien-fondé de la demande (Balde, au paragraphe 28).

[23]  La SPR a examiné la question de l’identité dans son ensemble. La SPR n’a pas analysé le bien-fondé de la demande puisque la question de l’identité était déterminante. Ce faisant, la SPR n’a pas commis d’erreur. Par conséquent, la décision de la SPR est raisonnable et la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-369-18

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-369-18

INTITULÉ :

SILVIA SALAJOVA, JAN SALAJ, JAN SALAJ ET MAREK SALAJ c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION ET DE LA CITOYENNETÉ

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 juillet 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 10 août 2018

COMPARUTIONS :

Aurina Chatterji

Pour les demandeurs

Jarvis Stephen

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Berger Professional Law Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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