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Date : 20180810


Dossier : IMM-638-18

Référence : 2018 CF 824

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 août 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

HAFIZOOL ALI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Dans la présente demande, M. Ali sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration (agent) de rejeter sa demande de résidence permanente à partir du Canada fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Pour les motifs suivants, ce contrôle judiciaire est accordé, car l’agent a appliqué le mauvais critère à l’évaluation de la demande de M. Ali.

I.  Énoncé des faits

[2]  M. Ali vit au Canada depuis 1999, année de son arrivée en tant que visiteur de Trinidad. Son visa de visiteur a expiré en novembre 2000. Il a par la suite présenté une demande d’asile qui a été déclarée abandonnée en 2003.

[3]  En 2006, il ne s’est pas présenté à une entrevue avant renvoi et un mandat a été délivré pour son arrestation. En novembre 2016, M. Ali a été arrêté, et a été ultérieurement mis en liberté sous caution. En décembre 2016, il a présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Ses observations sont axées sur son degré d’établissement au Canada et le traitement continu dont il a besoin depuis qu’il a subi des blessures dans un accident de voiture.

[4]  Sa demande pour considérations d’ordre humanitaire a été rejetée.

II.  Décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire faisant l’objet du contrôle

[5]  Dans la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire du 11 décembre 2017, l’agent fait valoir que M. Ali sollicite une dispense à l’égard du critère d’admissibilité habituel au statut de résident permanent au Canada pour considérations d’ordre humanitaire. L’agent soutient que son établissement au Canada et les blessures subies dans un accident de voiture constituent le fondement de sa demande pour considérations d’ordre humanitaire. Il fait remarquer qu’après l’accident de voiture, M. Ali vivait avec sa sœur. Il souligne également les préoccupations de M. Ali selon lesquelles la compagnie d’assurance ne paiera pas le traitement s’il retourne à Trinidad. L’agent fait valoir les liens que M. Ali avait créés dans sa collectivité et les lettres de soutien qu’il avait reçues.

[6]  L’agent n’a accepté aucun de ces arguments tant que preuve de son établissement. Il a d’abord conclu que le fait que M. Ali ne s’est pas présenté pour son renvoi en 2006 n’a pas joué en sa faveur et n’a pas démontré son établissement au Canada. Concernant les lettres de soutien, l’agent a conclu que le critère visant à accorder une dispense pour considérations d’ordre humanitaire ne consiste pas à déterminer s’il [traduction] « apporte une contribution, est un atout et mérite ou est digne de demeurer au Canada, mais plutôt s’il fera face à des difficultés en étant obligé de quitter le Canada pour faire sa demande de résidence permanente à l’étranger, comme le prévoit la loi. »

[7]  Par ailleurs, l’agent n’a pas accordé beaucoup d’importance à la durée du séjour de M. Ali au Canada. L’agent a conclu que les personnes qui vivent au Canada ont accès à des avantages sociaux, comme l’enseignement, qui permettent aux gens comme M. Ali de s’intégrer.

[8]  L’agent a fait valoir que la preuve ne permettait pas de conclure que M. Ali était resté au Canada en raison de circonstances indépendantes de sa volonté. Il a souligné qu’il possède quelques compétences transférables et que, en conséquence, la plus grande partie des éléments de preuve laissent entrevoir qu’il pourrait réussir son retour dans son pays, même s’il devait connaître certaines difficultés de réintégration.

[9]  L’agent a pris en compte la fracture à la jambe qu’il a subie dans l’accident de voiture, mais a fait remarquer que les rapports de l’hôpital indiquent qu’il nécessitait un suivi. Aucun élément de preuve de suivi n’a toutefois été présenté. L’agent a donc tiré une conclusion défavorable. L’agent a également souligné que le système de santé de Trinidad est subventionné par l’État et qu’il n’existait aucun élément de preuve voulant que le traitement nécessaire ne soit pas accessible à Trinidad.

[10]  Enfin, l’agent a pris en compte les six frères ou sœurs de M. Ali qui sont installés au Canada. L’agent a conclu que la relation avec les frères ou sœurs n’était pas suffisamment puissante pour occasionner des difficultés à l’une ou l’autre des parties faute de soutien. L’agent a également souligné que M. Ali a de la famille à Trinidad, et a conclu qu’il pourrait entretenir les liens avec sa famille du Canada par le biais de l’Internet.

[11]  L’agent a rejeté la demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire.

III.  Question en litige

[12]  Bien que le demandeur soulève un certain nombre de questions en litige à l’égard de la décision de l’agent, la question qui est déterminante en l’espèce consiste à déterminer si l’agent a appliqué le bon critère aux fins de la dispense pour considérations d’ordre humanitaire.

IV.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[13]  La norme de contrôle applicable à la sélection d’un critère aux fins de la dispense pour considérations d’ordre humanitaire est celle de la décision correcte (Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72, au paragraphe 27 [Marshall]; Gomez Valenzuela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 603, au paragraphe 19).

B.  Application du bon critère

[14]  Le demandeur allègue que l’agent a commis une erreur en utilisant le critère des difficultés et en analysant tous les aspects de la demande pour considérations d’ordre humanitaire de M. Ali d’après les difficultés.

[15]  Sur ce point, dans Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], aux paragraphes 25 et 33, la Cour a soutenu que les décideurs ne devraient pas s’engager à une analyse des difficultés, mais qu’ils devraient plutôt accorder de l’importance à « toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes dans un cas donné. » Les difficultés ne constituent pas le seuil pour une dispense.

[16]  En l’espèce, bien que l’agent ait soutenu avoir effectué une analyse globale de tous les facteurs pertinents, il affirme également ce qui suit :

Je tiens compte des lettres de soutien écrites au nom du demandeur, et que celui-ci est considéré comme un individu fiable, travaillant, coopératif, bon et honnête qui contribuerait à la collectivité canadienne et y serait un bon atout. Toutefois, le critère applicable à une demande pour considérations d’ordre humanitaire ne consiste pas à déterminer si le demandeur apporte une contribution, est un atout et mérite ou est digne de demeurer au Canada, mais plutôt s’il fera face à des difficultés en étant obligé de quitter le Canada pour faire sa demande de résidence permanente à l’étranger, comme le prévoit la loi.

[17]  Selon les propres paroles de l’agent, la difficulté est le critère qu’il applique. Dans Marshall, la Cour a précisé que l’arrêt Kanthasamy a changé les critères juridiques utilisés dans l’évaluation des facteurs pour considérations d’ordre humanitaire. Les difficultés ne sont pas « déterminantes, [...] elles ne représentent pas le seul facteur » à considérer dans l’analyse des considérations d’ordre humanitaire (Cieslak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 579, au paragraphe 17).

[18]  Bien que le défendeur convienne que le langage utilisé par l’agent dans le paragraphe cité ci-dessus est [traduction] « maladroit », il soutient que l’agent a néanmoins appliqué le bon critère. Toutefois, un examen de l’analyse de l’agent ne soutient pas pareille allégation. Par exemple, en examinant la preuve médicale, l’agent semble accepter l’élément de preuve voulant que M. Ali a besoin d’un traitement médical, toutefois, il discrédite le diagnostic parce que M. Ali n’a pas démontré qu’il suivait un traitement. Ce type d’analyse est explicitement rejeté dans l’arrêt Kanthasamy.

[19]  De plus, l’agent a poursuivi en discréditant la preuve médicale parce que le demandeur avait la possibilité de recevoir le traitement à Trinidad. Dans Marshall, au paragraphe 39, la Cour a rejeté ce type d’analyse, la qualifiant d’« analyse axée sur les difficultés ».

[20]  Le défendeur soutient que l’agent avait examiné le critère dans le contexte d’Irimie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16640 [Irimie]. Dans cette affaire, la Cour a affirmé que le critère de dispense pour considérations d’ordre humanitaire ne consiste pas à déterminer si une personne serait un bon élément pour le Canada. Cependant, la décision dans Irimie est antérieure à celle de Kanthasamy, et prévoit une analyse du critère des difficultés précédent. Dans la mesure où l’agent s’est fondé sur ce critère, il a commis une erreur en agissant ainsi.

[21]  En l’espèce, l’agent n’a pas appliqué le bon critère de dispense pour considérations d’ordre humanitaire et, en conséquence, a filtré un certain nombre d’autres facteurs favorables de M. Ali en se concentrant sur les difficultés. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM-638-18

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen;

  2. Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée.

« Ann Marie McDonald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-638-18

INTITULÉ :

HAFIZOOL ALI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 juillet 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 10 AOÛT 2018

COMPARUTIONS :

Alishah Nofal

Pour le demandeur

Suzanne M. Bruce

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wazana Law

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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