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Date : 20160527


Dossier : T-737-08

Référence : 2016 CF 590

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 27 mai 2016

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

AIRBUS HELICOPTERS

demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

et

BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA LIMITÉE

défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une requête écrite déposée par la défenderesse, Bell Helicopter Textron Canada Limitée (Bell), dans laquelle Bell sollicite des directives auprès de la Cour afin de pouvoir présenter et se fonder sur les rapports d’experts de ses quatre témoins experts proposés à l’étape de quantification des dommages-intérêts du procès, qui commencera dans deux jours, soit le 30 mai 2016. Subsidiairement, Bell cherche à obtenir une ordonnance l’autorisant à présenter et à se fonder sur les rapports d’expert et les témoignages de MM. Stephane Dupuis et Ronald T. Wojnar, étant entendu que MM. Michel O’Reilly et Steven Schwartz figurent parmi ses cinq témoins experts « de plein droit ».

[2]  Les rapports des quatre experts proposés (MM. O’Reilly, Schwartz, Dupuis et Wojnar (experts en préjudice de Bell)) ont été signifiés à la demanderesse, Airbus Helicopters, S.A.S. (Airbus). Airbus, qui prévoit présenter et se fonder sur un expert, M. Bradley Heys, lors de la reprise du procès s’oppose à la requête sollicitant des directives ou une ordonnance présentée par Bell aux motifs que le nombre total d’experts invoqués par Bell au cours des phases de responsabilité et de dommages-intérêts de l’instance sera supérieur au maximum établi de cinq témoins, comme le prévoit l’article 7 de la Loi sur la preuve, LRC 1985, c C-5 (LPC) et que l’autorisation de présenter les témoignages de MM. Dupuis et Wojnar ne devrait pas être accordée par la Cour.

[3]  J’ai examiné les éléments de preuve et les arguments présentés par les parties dans leurs dossiers de requête, y compris la réponse de Bell, ainsi que les dispositions et les principes pertinents, à la lumière de la question liée à la quantification présentée à la Cour. La présente requête est rejetée. Compte tenu des contraintes de temps et de l’urgence de la situation, les présents motifs sont publiés en anglais, et le juge soussigné se réserve le droit de corriger les fautes de transcription, les erreurs ou les omissions.

Contexte factuel

[4]  La présente requête a été introduite dans le contexte d’une action en contrefaçon de brevet au cours de laquelle les étapes d’examen de la responsabilité et d’évaluation des dommages-intérêts ont été scindées. L’action a été intentée le 9 mai 2008 par Airbus (alors appelée Eurocopter), alléguant la contrefaçon par Bell du brevet canadien no 2 207 787 (le brevet 787).

[5]  Le 2 octobre 2009, le protonotaire Morneau a accueilli sur consentement une ordonnance pour scinder la procédure (ordonnance de disjonction). L’ordonnance a été rendue conformément au paragraphe 107(1) de la Règle des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles). Plus particulièrement, il est énoncé aux paragraphes 2 et 3 : [traduction]

2.  Conformément au paragraphe 107(1) des Règles des Cours fédérales, la présente affaire peut être instruite sans que les parties soient tenues de présenter des éléments de preuve au procès ou de tenir des interrogatoires préalables ou produire des documents à l’égard de toute question de fait lorsque cet élément de preuve se rapporte uniquement à ce qui suit :

a)  le calcul des bénéfices réalisés par les défenderesses par suite de leur contrefaçon du brevet canadien no 2,207,787 (le brevet 787);

b)  le calcul des dommages subis par la demanderesse par suite de la contrefaçon du brevet 787;

c)  le calcul du montant des dommages-intérêts punitifs subis par la demanderesse par suite de la contrefaçon du brevet 787.

3.  Une audience en application des articles 107 ou 153 des Règles des Cours fédérales aura lieu à la suite de la décision définitive de toutes les autres questions en litige dans la présente instance, s’il apparaît alors que ces questions doivent être tranchées, y compris la communication préalable et les interrogatoires préalables nécessaires.

[6]  L’audience de l’étape d’examen de la responsabilité s’est tenue devant la Cour fédérale en janvier et février 2011. À cette étape, Bell a fait témoigner trois témoins experts, mais a également appelé un quatrième expert, M. Earl Dowell. M. Dowell a déposé trois rapports d’expert, mais n’a pas été appelé à témoigner (affidavit de Joanie Lapalme, aux paragraphes 5 à 7).

[7]  Dans un jugement daté du 30 janvier 2012 (2012 CF 113), la Cour a conclu que la revendication 15 du brevet 787 était valide et exécutoire et que la défenderesse, Bell, a contrefait la revendication 15 en utilisant ce qui est appelé le « train Legacy ». En plus d’accorder une injonction interlocutoire en faveur de la demanderesse et d’ordonner la destruction de tous les trains d’atterrissage contrefaits (à l’exception d’un train Legacy que Bell peut stocker ou faire stocker en vue d’une utilisation potentielle dans des poursuites correspondantes dans d’autres territoires de compétence), Eurocopter (maintenant Airbus) s’est vue accorder des dommages-intérêts punitifs et compensatoires, dont le montant doit être estimé lors de la reprise du procès, prévue pour le 30 mai 2016.

[8]  Dans sa décision rendue le 30 janvier 2012, la Cour a décidé de ne pas autoriser la demanderesse à choisir entre des dommages-intérêts ou une restitution des bénéfices (voir les paragraphes 406 à 416), tout en concluant qu’« Eurocopter a droit à des dommages-intérêts généraux, lesquels peuvent inclure la perte des profits subie au chapitre des ventes, soit la perte des redevances », en référence au jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Monsanto Canada Inc c Schmeiser, [2004] 1 CSC 902, au paragraphe 100 [arrêt Schmeiser], et en précisant que « [l]a présente adjudication inclut tous les dommages‑intérêts compensatoires auxquels Eurocopter a droit, dans la mesure où ces derniers résultent de la contrefaçon de la revendication 15 du brevet 787 » (au paragraphe 416).

[9]  En ce qui concerne le droit de la demanderesse à demander des dommages-intérêts, aux paragraphes 407 et 408 de cet arrêt, la Cour a indiqué ce qui suit :

[407]  L’objet d’une adjudication de dommages-intérêts est de remettre le demandeur dans la position dans laquelle il se serait trouvé si la contrefaçon n’avait jamais eu lieu. Chaque contrefaçon est un préjudice distinct et, de ce fait, chaque objet fabriqué est une contrefaçon (en l’espèce, il s’agit de chaque train Legacy), mais [traduction] « il est toutefois nécessaire de conserver un certain sens de la mesure » (Vaver, précité, à la page 632). Le fait que Bell ignorait censément que ses actes constituaient une contrefaçon importe peu pour ce qui est de sa responsabilité; les dommages-intérêts pour contrefaçon suivent en général les dommages-intérêts pour responsabilité délictuelle (Vaver, précité, aux pages 631 et 632). Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Schmeiser, précité, au paragraphe 37 : « [e]n pratique, l’inventeur est normalement privé des fruits de son invention et de la pleine jouissance de son monopole lorsqu’une autre personne exploite l’invention en question à des fins commerciales, sans savoir préalablement obtenu une licence ou une autorisation en ce sens », ce qui était manifestement le cas en l’espèce.

[408]  Quoi qu’il en soit, Bell soutient néanmoins qu’il n’existe aucun droit automatique à des dommages-intérêts à la suite d’une conclusion de contrefaçon. Il est plaidé en l’espèce que Bell n’a vendu aucun hélicoptère équipé du train Legacy et que ses clients ne se soucient guère de l’aspect du train d’atterrissage. Selon Bell, tout dommage hypothétique qu’Eurocopter a subi par suite de la contrefaçon serait de minimis et trop éloigné pour faire l’objet d’une réclamation. À ce stade, il n’est pas nécessaire que la Cour détermine le montant de ces dommages compte tenu de l’ordonnance de disjonction. Cependant, la position de Bell selon laquelle les dommages d’Eurocopter sont minimes fait ressortir le besoin de traiter aujourd’hui de la question de savoir s’il convient d’accorder des dommages-intérêts punitifs comme le demande Eurocopter, laquelle fait valoir que l’adjudication de dommages-intérêts ordinaires sera insuffisante pour atteindre en l’espèce les objectifs de punition, de dissuasion et de dénonciation. Cette question sera analysée plus loin dans les présents motifs.

[Non souligné dans l’original.]

[10]  La Cour a également rejeté l’argument de Bell selon lequel il serait prématuré ou contraire à l’ordonnance de disjonction d’accorder des dommages-intérêts compensatoires à ce stade (au paragraphe 418). Aux paragraphes 443 à 454 de cette décision, la Cour a souligné ce qui suit :

[443] La Cour rejette également l’argument de Bell selon lequel il serait prématuré à ce stade-ci de décider d’accorder des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires.

[444] Les avocats de Bell se fondent sur la déclaration suivante de la juge Sharlow, écrivant au nom de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Apotex Inc c Merck & Co, 2003 CAF 291, au paragraphe 34 (Apotex) :

Le but des dommages-intérêts punitifs est de punir, de dissuader le fautif et autrui et de dénoncer une conduite fautive. Les dommages punitifs sont accordés seulement lorsque les dommages-intérêts compensatoires et d’autres recours civils ne permettent pas de réaliser ces objectifs, et leur quantum ne doit pas dépasser la somme nécessaire pour réaliser cet objectif : Whiten, précité; Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130. Il est évident que jusqu’à ce que tous les recours civils ordinaires soient établis définitivement (ce qui, en l’espèce, inclurait une décision sur la question de savoir si le recours consiste en l’attribution de dommages-intérêts ou en une restitution des bénéfices, et le quantum), il est impossible de décider quels dommages-intérêts punitifs sont nécessaires pour réaliser les objectifs de punition, de dissuasion et de dénonciation.

[445] Les avocats d’Eurocopter soulignent que dans l’arrêt Apotex, précité, il n’y a pas eu de procès, juste un jugement sommaire, et que toute la question des réparations appropriées, et non seulement celles du montant, a été disjointe, ainsi qu’il est indiqué aux paragraphes 23 et 24 de cet arrêt. Il est donc nécessaire d’évaluer les commentaires généraux que fait la Cour d’appel fédérale au paragraphe 34 dans le contexte qui leur est propre. Les avocats laissent entendre que la présente espèce est très différente d’un point de vue factuel, car, au procès, des éléments de preuve ont été fournis et des arguments invoqués au sujet de la caractérisation de la conduite de Bell.

[446] La Cour est d’accord avec les avocats d’Eurocopter. Pour pouvoir situer dans son juste contexte ce que la Cour d’appel fédérale a déclaré au paragraphe 34 de l’arrêt Apotex, précité, il faut garder à l’esprit que cette affaire était « inusitée parce que le bien-fondé de la réclamation en contrefaçon a été traité au moyen de requêtes en jugement sommaire présentées par les deux parties » et que cela a « entraîné une séparation de fait entre la phase relative à la responsabilité et celle relative à la réparation ». [Non souligné dans l’original.] (Apotex, précité, au paragraphe 23).

[447] Le principal problème que pose l’arrêt Apotex, précité, est que le juge des requêtes aurait dû d’abord permettre à « Apotex d’interroger au préalable Merck sur des questions de réparation, de manière à ce qu’elle puisse présenter des observations convenables sur la question de savoir s’il [convenait] d’accorder à Merck d’exercer ce choix », avant de conclure, comme l’a manifestement fait le juge des requêtes, que « les faits se rapportant au droit [n’ont] pas changé » (Apotex, précité au paragraphe 33). La Cour d’appel fédérale a par ailleurs signalé qu’il y avait « une certaine ambiguïté au jugement du juge des requêtes sur la question de savoir si l’arbitre avait le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts punitifs, ou simplement celui de les quantifier » (Apotex, précité, au paragraphe 35).

[448] Il n’est donc pas surprenant que la Cour d’appel fédérale soit arrivée à la conclusion que « le juge des requêtes a commis une erreur en décidant, avant d’établir les autres recours, qu’Apotex était passible de dommages-intérêts punitifs » (Apotex, précité, au paragraphe 35). L’avocat de Bell se fonde également sur l’arrêt Laboratoires Servier, où les commentaires faits dans Apotex, précité, au paragraphe 34, sont cités par la juge Snider, mais, dans cette affaire, les deux parties avaient convenu « qu’il serait prématuré pour [elles] de [se] prononcer sur cette question avant le renvoi sur la question des dommages-intérêts (Laboratoires Servier, précité, au paragraphe 514).

[449] L’ordonnance de disjonction rendue sur consentement le 2 octobre 2009 indique très clairement que l’arbitre n’est pas habilité à accorder des dommages-intérêts (ou les profits), y compris des dommages-intérêts punitifs; il peut simplement calculer le montant de ces dommages-intérêts (ou de ses profits). Par ailleurs, seul le montant des dommages-intérêts, des profits et des dommages-intérêts punitifs a été disjoint, et non le droit à ces réparations. Par conséquent, le juge de première instance est la seule personne qui peut décider s’il convient d’accorder des dommages-intérêts punitifs à Eurocopter.

[450] Si la Cour devait souscrire à l’argument de Bell selon lequel il est prématuré de décider si Eurocopter a droit à des dommages-intérêts punitifs, cela veut dire qu’il faudrait d’abord que l’arbitre calcule le montant des dommages-intérêts ordinaires. Étant donné que les deux parties, selon toute vraisemblance, déposeront des appels et des contre-appels à la suite du présent jugement, le calcul des dommages-intérêts ordinaires, par l’arbitre, devra attendre l’épuisement de tous ces appels et contre-appels.

[451] Sous réserve d’un appel quelconque à l’égard de la décision de l’arbitre au sujet du montant des dommages-intérêts ordinaires, il faudra peut-être plusieurs années avant que la question du droit à des dommages-intérêts punitifs revienne entre les mains du juge de première instance. En présumant que ce dernier soit toujours en fonction, il lui incombera de passer en revue de nombreuses années plus tard la totalité des éléments de preuve déposés au procès (plus de 20 jours passés à entendre des témoins, et quelque 540 pièces) afin de décider si le comportement de Bell justifie l’octroi de dommages-intérêts punitifs. Le procès ayant eu lieu plusieurs années plus tôt, il sera peut-être nécessaire d’autoriser les parties à présenter de nouveaux éléments de preuve et, peut-être même d’ordonner la tenue d’un nouveau procès si le juge de première instance n’est plus en fonction.

[452] Si le juge de première instance rend un jugement final accordant des dommages-intérêts punitifs, Bell voudra peut-être ensuite déposer un appel au sujet du droit d’Eurocopter à des dommages-intérêts punitifs. Là encore, une audition de l’arbitre sur le calcul de ces dommages‑intérêts punitifs devra attendre que l’on ait épuisé la totalité des procédures d’appel ainsi qu’une confirmation de la décision du juge de première instance d’accorder de tels dommages-intérêts. Ce serait à ce moment, et uniquement à ce moment-là, si l’on souscrivait à l’argument de Bell, que l’arbitre calculerait le montant des dommages-intérêts punitifs par suite de la contrefaçon par Bell du brevet 787.

[453] Il existe un principe directeur clé, consacré à l’article 3 des Règles des Cours fédérales, DSOR/98-106, selon lequel l’application et l’interprétation de n’importe quelle règle de conduite procédurale ne doivent pas aller à l’encontre de la solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. En conséquence, la Cour souscrit à l’observation des avocats d’Eurocopter, à savoir qu’il n’y aurait aucun sens en pratique de différer le jugement sur la question des dommages-intérêts punitifs, et qu’il est contraire aux intérêts des parties et à l’administration de la justice de ne pas trancher à ce stade-ci le droit d’Eurocopter à des dommages-intérêts punitifs.

[454] Il y a eu un examen complet avant le procès et amplement de preuves au cours de ce dernier sur la conduite respective des parties. Bell a notamment soutenu qu’Eurocopter n’avait droit à aucune réparation en equity à cause de sa conduite. La Cour a déjà analysé cette question plus tôt. Elle a refusé d’autoriser Eurocopter à faire un choix entre des dommages-intérêts ou les profits, même si elle n’a relevé aucune faute de la part de cette dernière. Il ne reste que l’évaluation de ces dommages-intérêts, et c’est ce qui fait que la présente affaire est bien différente d’Apotex, précité.

[Non souligné dans l’original.]

[11]  Cela dit, concernant le droit de la demanderesse à des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires, la Cour a présenté un certain nombre d’observations et de conclusions fondées sur les éléments de preuve et les principes juridiques applicables. Sans affirmer que ces conclusions sont limitées aux extraits suivants, il convient de se rapporter aux paragraphes 417 et aux suivants :

[417] Eurocopter sollicite également des dommages-intérêts punitifs; cependant, si la Cour les accorde, il faudra que leur montant soit évalué plus tard par voie de renvoi compte tenu des modalités de l’ordonnance de disjonction. Eurocopter soutient que Bell a contrefait sciemment et de façon malveillante le brevet 787 en fabriquant et en utilisant le train Legacy, lequel a aussi été montré au public en vue d’inciter à passer des commandes d’achat du Bell 429. La conduite outrageante de Bell a causé des dommages irrémédiables qu’une adjudication de dommages‑intérêts ou une restitution des profits ne sauraient tout simplement pas corriger, et qui sont aggravés par le fait que Bell a induit en erreur et continue d’induire en erreur le public en lui faisant croire que le Bell 429 est le premier hélicoptère à utiliser un train d’atterrissage à patins de type « traîneau ».

[…]

[420] Des dommages-intérêts punitifs sont accordés lorsque la conduite d’une partie a été malveillante, opprimante et abusive, choque le sens de la dignité du tribunal ou représente un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable (Whiten c Pilot Insurance Co, [2002] 1 RCS 595, au paragraphe 36 (Whiten)). Qui plus est, comme l’a mis en garde la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hill c Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 RCS 1130, au paragraphe 196 (Hill) : « [i]l importe de souligner que les dommages‑intérêts punitifs ne devraient être accordés que dans les situations où les dommages-intérêts généraux et majorés réunis ne permettent pas d’atteindre l’objectif qui consiste à punir et à dissuader ».

[421] Des dommages-intérêts punitifs et exemplaires ont été accordés dans des affaires de violation de marque de commerce et de droit d’auteur, où par exemple, la conduite des défendeurs a été « outrageante » ou « fort répréhensible », où alors les gestes du défendeur constituaient une indifférence complète à l’égard des droits du demandeur ou des injonctions accordées par le tribunal (Microsoft Corporation c 9038-3746 Québec Inc, 2006 CF 1509, aux paragraphes 91, 92, 98 et 110 à 112; Louis Vuitton Malletier SA c Yang, 2007 CF 1179, aux paragraphes 45 à 53; Louis Vuitton Malletier SA c 486353 BC Ltd, 2008 BCSC 799, au paragraphe 86; et Microsoft Corporation c PC Village Co Ltd, 2009 CF 401, aux paragraphes 41 à 44; ainsi que Robinson c Films Cinar inc, 2009 QCCS 3793, aux paragraphes 1036 à 1072 (CSQ), montant des dommages-intérêts punitifs réduit en appel, 2011 QCCA 1361, aux paragraphes 229 à 260).

[422] Dans les affaires de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires, y compris une affaire de contrefaçon de brevet, la norme de preuve est la norme de preuve civile – selon la prépondérance des probabilités – et non la norme de preuve criminelle – hors de tout doute raisonnable ((Imperial Oil, précité, au paragraphe 32). « [I]l ne serait être question d’actus reus et de mens rea au civil » (Imperial Oil, précité, au paragraphe 38), mais le caractère délibéré de la contrefaçon, de pair avec la conduite générale du défendeur, y compris le fait que la contrefaçon était « préméditée et délibérée » sont des facteurs pertinents qu’il faut prendre en considération (Whiten, précité, au paragraphe 113).

[423] La présumée connaissance, ou absence de connaissance, de l’existence du monopole que la loi confère à Eurocopter par le brevet 787 (et, aux États-Unis et en Europe, par les brevets américain et français) lié au « train d’atterrissage Moustache » (notamment utilisé sur l’EC120 pendant de nombreuses années), peut être prouvée par une admission faite par une partie dans une instance, une ancienne déclaration extrajudiciaire, la déposition d’un témoin, les documents produits au procès, les mesures prises par une partie ou ses employés ou ses représentants, ainsi que tout autre moyen.

[424] Si l’on commence par l’article 2 de la Loi, « brevet » signifie « [l]ettres patentes couvrant une invention », et tous les brevets, toutes les demandes de brevet et tous les documents connexes qui sont déposés sont accessibles au public au Bureau des brevets. Cela étant, un « brevet » est inclus dans la définition d’un « règlement » qui figure à l’article 2 de la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I-21. Cela dit, une fois que le brevet est délivré, le paragraphe 43(2) de la Loi crée une présomption de validité, car ce brevet « est, sauf preuve contraire, valide et acquis au breveté ou à ses représentants légaux pour [sa] période […] ». En l’espèce, le brevet 787 a été délivré le 31 décembre 2002 à Eurocopter à la suite d’une demande déposée le 5 juillet 1997, revendiquant la priorité sur le fondement de la demande de brevet français no 96 07158 déposée en France le 10 juin 1996.

[425] Après avoir examiné la totalité des éléments de preuve, la Cour conclut que l’affirmation de Bell, à savoir qu’elle n’était nullement au courant de l’existence du brevet 787 avant le mois de mai 2008, n’est tout simplement pas plausible et elle est contraire à la preuve. MM. Lambert, Kohler et Gardner ont tous déclaré n’avoir aucune connaissance personnelle du brevet 787, mais la question est de savoir si la société, elle, avait cette connaissance, et la réponse est oui. L’ignorance de la loi n’est pas une excuse valable, et il n’existe aucune preuve étayant la croyance sincère que Bell était la première à mettre au point un train d’atterrissage de type « traîneau » possédant les caractéristiques de la revendication 15 du brevet 787.

[426] Parfois appelé dans la documentation [traduction] « train original », le train Legacy a été mis au point par Bell entre 2004 et 2007, c’est-à-dire au cours de la période de validité du brevet 787, qui expirera le 5 juin 2007 (sic). Comme Bell n’avait jamais conçu un hélicoptère équipé d’un rotor articulé et d’un train d’atterrissage de type « traîneau », son équipe a étudié la performance d’un EC120 équipé du train d’atterrissage Moustache. Bell a loué et utilisé un hélicoptère EC120 entre les mois de mars et de juin 2003 environ, période au cours de laquelle elle a effectué des essais sur l’hélicoptère EC120, y compris un essai par secousses manuelles. De plus, des employés de Bell ont suivi, à Dorval (Québec), une formation sur un hélicoptère EC120 en mars 2003. Il s’est avéré que le train Legacy que Bell a utilisé et dont il a fait la publicité dans de multiples documents n’était rien de plus qu’une copie servile du train d’atterrissage Moustache breveté.

[427] Bell et sa société mère, Textron, sont des entités morales d’expérience, qui emploient des milliers d’ingénieurs et du personnel hautement qualifié. Les deux disposent d’un service juridique et de propriété intellectuelle. Des logiciels perfectionnés permettent d’effectuer des recherches et de trouver des demandes et des brevets concernant le secteur des hélicoptères aux quatre coins du monde. En fait, à l’époque de la contrefaçon, il existait un manuel de politiques et des lignes directrices au sujet des questions de propriété intellectuelle, y compris des mesures permettant d’éviter de violer les droits de propriété intellectuelle valides que détenaient d’autres entités (voir les pièces RC‑397 et RC‑398). Les spécialistes en ressources techniques (SRT) sont chargés de maintenir des capacités techniques de pointe dans leur discipline, de se tenir au courant des brevets et d’autres éléments de propriété intellectuelle concurrents à l’extérieur de l’entreprise, ainsi que d’informer les dirigeants des équipes de produits intégrés (EPI) de toute préoccupation concernant une éventuelle contrefaçon ou violation qui pourrait survenir lors de la mise au point d’un nouveau produit ou d’un nouveau procédé.

[428] Les aspects principaux des témoignages de MM. Kohler et Lambert suscitent un certain nombre de doutes quant à leur crédibilité. M. Kohler, pour sa part, n’a pas participé en personne au programme du Bell 429 et la Cour a conclu que son témoignage était loin d’être franc. Par exemple, il a d’abord déclaré que Bell n’avait reçu aucune commande concernant le Bell 429 équipé du train Legacy; cependant, en contre-interrogatoire, et confronté à la preuve documentaire, il lui a fallu admettre qu’à l’époque plus de 200 commandes avaient été reçues pour le Bell 429 (ou le Bell 427i, un modèle abandonné) et que Bell avait reçu des acomptes d’un montant total de 6 000 000 $ (voir, notamment, les pièces RC‑43, RC‑233, RC‑244 et RC‑245).

[429] M. Lambert a travaillé comme ingénieur en chef chargé du Bell 429 entre 2004 et la date où cet appareil a été homologué en 2009 Il a notamment déclaré qu’au cours du temps qu’il a passé chez Bell, il savait qu’un EC120 avait été loué à Bail pour évaluer certaines caractéristiques du rotor et du train d’atterrissage. M. Lambert a également déclaré que des [traduction] « analyses comparatives » avec des produits concurrents dans le secteur aéronautique sont monnaie courante, y compris chez Bombardier, où il travaille aujourd’hui. Comme il a été mentionné plus tôt, en 2003, c’était M. Malcolm Foster qui était chargé du programme MAPL, et M. Lambert a reconnu que c’est M. Foster qui avait été le premier à lancer le concept d’un train d’atterrissage de type « traîneau ».

[430] Cela dit, la preuve documentaire (voir, notamment les pièces RC‑372 et RC‑478) et les déclarations faites par M. Gardner lors de l’interrogatoire principal (voir la pièce P-22) ainsi que son témoignage général au procès, contredisent le commentaire gratuit de Bell selon lequel les essais et les études auxquels l’EC120 a été soumis étaient strictement destinés à des fins [traduction] « comparatives ». Bell n’a pas seulement comparé la performance d’un hélicoptère Bell existant équipé d’un train classique et la performance d’un hélicoptère d’Eurocopter équipé d’un train de type « traîneau »; Bell a fait un pas de plus, et a décidé d’importer et de copier la technologie brevetée unique et nouvelle qu’Eurocopter avait mise au point.

[431] Il n’y a eu aucune erreur de fait. Chez Bell et Textron, on savait que le train de type « traîneau » ressemblait étroitement au train d’atterrissage Moustache de l’EC120. M. Gardner a même déclaré que le train Legacy présente toutes les caractéristiques du train d’atterrissage Moustache (à l’exception de la courbure inférieure). Cependant, M. Lambert ne s’en est pas soucié, car c’était le travail de M. Foster de faire les recherches nécessaires. En fait, selon une preuve fournie au cours de l’examen préalable, lorsque des doutes ont été soulevés au sujet de la similitude entre le train Legacy et le train d’atterrissage de l’EC120, M. Foster a dit aux ingénieurs de Bell de [traduction] « poursuivre le travail ». Ce faisant, Bell a agi de façon téméraire (en fait, les gestes qu’elle a posés sont contraires à ses propres manuels de politique) et sa conduite représentait un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable.

[432] Lorsqu’elle a conçu son train de type « traîneau », Bell était – ou aurait dû être – au courant de l’existence du brevet 787. Il est invraisemblable qu’entre 2003 et mai 2008, Bell n’était pas au courant des droits de propriété intellectuelle d’Eurocopter. Là encore, il incombait à M. Foster de veiller à ce que le dessin choisi ne contrefasse pas le brevet 787; il n’a pas été appelé comme témoin. M. Minderhoud, qui avait participé de près aux calculs relatifs au train Legacy et qui en avait publiquement loué la performance, aurait dû le savoir lui aussi; lui non plus n’a pas témoigné au procès. Bell avait un Service de propriété intellectuelle qui était expressément chargé de vérifier les contrefaçons possibles; aucun employé de ce service n’a témoigné au procès, tandis que Bell s’est opposé (sic), pour des questions de privilège, à des demandes d’avis, ou a par ailleurs été évasive sur le sujet. Il est donc loisible à la Cour de tirer une inférence défavorable de ces diverses omissions.

[433] Selon la prépondérance des probabilités, la Cour conclut qu’il existe une preuve évidente de mauvaise foi et de conduite inacceptable de la part de Bell. Il n’est pas question ici d’une situation dans laquelle la contrefaçon est minime, banale ou isolée, ou d’une situation dans laquelle la partie défenderesse est peu informée ou ignorante. Nous avons affaire ici à une question d’aveuglement volontaire ou de détournement délibéré et planifié de l’invention revendiquée. Eurocopter a prouvé que la contrefaçon du brevet 787, par la fabrication et l’utilisation du train Legacy, n’était pas innocente ou accidentelle.

[434] La preuve établit de manière concluante que Bell avait des plans concernant la fabrication du train Legacy et l’intégration de ce dernier à son modèle Bell 429, aussitôt qu’elle pourrait le faire homologuer. Bell a fait une promotion active des ventes du Bell 429 équipé du train Legacy. Bell n’a fait preuve d’aucun remord (sic) et n’a offert aucune excuse pour son comportement. Niant l’existence d’une contrefaçon, Bell a adopté une position vindicative durant toute l’instance, plaidant qu’elle pouvait se prévaloir de l’exception de nature réglementaire ou expérimentale et qu’elle ne faisait qu’appliquer des réalisations antérieures.

[435] Pour exercer son pouvoir discrétionnaire et accorder des dommages-intérêts punitifs, la Cour tient également compte du fait que la mise au point d’un hélicoptère est une entreprise hautement complexe et coûteuse, et que seuls quelques acteurs au sein de l’industrie possèdent une technologie suffisante et emploient le personnel hautement qualifié qui est nécessaire pour concevoir, mettre au point, mettre à l’essai et fabriquer un train d’atterrissage qui présentera toutes les caractéristiques et tous les avantages requis qu’un tel dispositif doit posséder avant de pouvoir être intégré à un hélicoptère.

[436] Il est nécessaire d’imposer des dommages-intérêts punitifs dans la présente affaire non seulement pour sanctionner Bell, mais aussi pour dissuader d’autres entités de se comporter d’une manière semblable. Le fait que Bell n’a utilisé ou fait fabriquer que vingt-et-un trains Legacy est sans pertinence en l’espèce et ne tient pas compte de la réalité de la durée, de la gravité et de la planification de la contrefaçon. La conduite générale de Bell est hautement répréhensible et constitue une indifférence complète à l’égard des droits d’Eurocopter, qui a été contrainte d’engager la présente action. Bell savait fort bien quels étaient le temps, les recherches, les essais et les fonds qu’avait nécessités la mise au point du train d’atterrissage Moustache.

[437] Dans son article daté d’avril-mai 2008 (RC‑224), M. Minderhoud écrit, à la page 9 :

[traduction]
Les apparences sont trompeuses : le train d’atterrissage de type « traîneau » est un dessin visuellement simple, mais sa mise au point est fort complexe et difficile à cause du grand nombre d’exigences contradictoires. D’énormes améliorations dans les outils d’analyse prévisionnelle et le traitement des données ont contribué à l’évolution qui s’est faite entre le train d’atterrissage à skis fixes du modèle 47 de Bell (premier vol en 1943) et le nouveau train d’atterrissage de type « traîneau » du modèle 429 (premier vol en 2007); voir la fig. 11.

[438] La figure 11 qui apparaît dans l’article de M. Minderhoud montre une photographie du modèle 47 de Bell (équipé d’un train d’atterrissage classique) posé au sol et une photographie du Bell 429 (équipé du train Legacy) en vol. Le train Legacy illustré sur la photographie est présenté comme un produit presque fini et une percée technologique d’envergure par rapport au type classique de train d’atterrissage (encore qu’il reste peut-être encore quelques essais à effectuer). Tant dans le sommaire que dans l’article, il est fait référence au fait que ce train de type « traîneau » [traduction] « a été conçu pour la première fois » par Bell. Cela fait passer un message très clair au public et aux acheteurs potentiels.

[439] Les avocats de Bell suggèrent à la Cour de faire preuve d’indulgence. Les personnes qui ont lu l’article de M. Minderhoud sauraient que l’EC120 était déjà équipé d’un train d’atterrissage de type « traîneau » semblable. Si la déclaration qui précède suscite une certaine ambiguïté, tout doute devrait favoriser Bell. Après avoir lu cette déclaration dans le contexte de l’article tout entier de M. Minderhoud, la Cour conclut qu’il est sous-entendu que Bell est la « première », et on peut se demander si les mots soigneusement choisis donnent à penser que Bell est la première à avoir conçu un train d’atterrissage de type « traîneau ». Sans cela, il n’y aurait pas lieu de célébrer dans l’article le fait que le modèle Bell 429 soit le premier hélicoptère conçu par Bell à utiliser une technologie déjà connue dans le domaine. Il s’avère que le but principal de l’article était d’attirer l’attention sur la technologie de Bell et de stimuler les ventes du Bell 429; nulle part dans l’article ou dans une note de bas de page est-il indiqué que le train d’atterrissage de type « traîneau » est en usage depuis un certain temps dans l’industrie.

[440] Il n’est pas demandé ici d’entendre une action en responsabilité délictuelle pour des allégations de fausses déclarations. La question est de savoir s’il convient d’accorder des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires à Eurocopter à la suite de la conclusion de la Cour selon laquelle l’acte de contrefaçon était planifié et délibéré, et que cet acte a persisté pendant une longue période (2004 à 2008), et ce, même si seulement vingt-et-un trains d’atterrissage ont été fabriqués pour Bell ou utilisés par cette dernière. Dans ce contexte, les observations que Bell a faites publiquement au sujet de la mise au point du train Legacy contrefait sont pertinentes pour ce qui est de déterminer si sa conduite est véritablement outrageante ou non. En fait, la Cour conclut que les observations que contient l’article de M. Minderhoud sont logiquement liées à la contrefaçon, par Bell, du brevet 787 et ajoutent à l’indignation que suscite sa conduite inacceptable.

[441] Non seulement Bell a-t-elle tiré profit de son inconduite – la mise au point du train Production aurait été impossible sans la mise au point du train Legacy – mais il ressort de la preuve que Bell a dissimulé au public et aux acheteurs potentiels du Bell 429 qu’elle avait importé d’un concurrent le train d’atterrissage de type « traîneau » et copié le train d’atterrissage Moustache de l’EC120 d’Eurocopter, tout en laissant entendre que le train Legacy était en quelque sorte une « première » chez Bell et en vantant publiquement dans l’article de M. Minderhoud les avantages singuliers du train Legacy, c’est-à-dire l’amélioration du comportement dynamique (résonance au sol) et un poids inférieur, des avantages qui avaient tous été déjà révélés publiquement dans le brevet 787.

[442] Il a aussi été fait référence lors du procès au vidéo promotionnel dans lequel Bell montre les caractéristiques du Bell 429 (RC‑86 et RC‑225). Dans ces vidéos, on mentionne très brièvement que le train d’atterrissage de type « traîneau » est l’une des technologies clés du programme MAPL. Cependant, d’après Bell, les passages où l’on discute dans ces vidéos du train d’atterrissage de type « traîneau » ne donnent pas à penser que Bell est le premier fabricant d’hélicoptères à adopter un train d’atterrissage de type « traîneau ». Quoi qu’il en soit, la Cour conclut qu’après l’introduction de l’action en mai 2008, Bell et ses distributeurs ont continué de faire la promotion du Bell 429 équipé du train Legacy (voir, notamment, les pièces RC‑226 à RC‑229), ce qui constitue une conduite répréhensible qui aggrave les dommages causés par la contrefaçon du brevet 787.

[…]

[455] Il est possible que la présente affaire soit exceptionnelle et nettement différente d’autres affaires de contrefaçon de brevet. Dans ces affaires, l’étendue de la contrefaçon est généralement inconnue. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Par ailleurs, il est incontesté que Bell a fabriqué ou utilisé vingt-et-un trains Legacy. Ili (sic) semble également qu’aucun modèle Bell 429 équipé d’un train Legacy n’a été vendu, même si des commandes anticipées ont été passées et que Bell a reçu des acomptes avant l’introduction de l’action en contrefaçon et l’homologation du Bell 429 équipé du train Production. Compte tenu des éléments de preuve qui figurent actuellement dans le dossier, il y a des chances que, en tout état de cause, une adjudication de dommages-intérêts ordinaires – qui, comme Bell l’a fait valoir, sera minime si Eurocopter n’est pas en mesure de prouver la perte de ventes ainsi qu’un lien de causalité par suite de la contrefaçon – ne sera tout simplement pas suffisante pour atteindre l’objectif de la punition et de la dissuasion.

[456] En bout de ligne, la Cour conclut qu’Eurocopter a droit à des dommages-intérêts punitifs par suite de la contrefaçon par Bell du brevet 787 et de sa conduite délibérée et scandaleuse dans le cas présent. Cependant, le montant des dommages qu’Eurocopter a subis (sic) par suite de cette contrefaçon est une question qu’il faudra trancher plus tard, eu égard à l’ordonnance de disjonction.

[Non souligné dans l’original.]

[12]  En ce qui concerne la détermination du montant des dommages-intérêts, aux paragraphes 457 et 459 de cet arrêt, la Cour a affirmé ce qui suit :

[457] Les deux parties demandent que le montant des dommages-intérêts soit adjugé soit par un arbitre soit par le juge de première instance, si ce dernier opte pour le faire et est disponible pour tenir une audience (après achèvement de l’examen préalable, s’il le faut).

[458] Contrairement à un arbitre, le juge soussigné connaît déjà bien la preuve volumineuse que les parties ont déposée. Cela présente l’avantage d’éviter de reproduire inutilement la preuve et d’imposer aux parties un fardeau financier additionnel. Par ailleurs, le juge soussigné se trouve dans une situation privilégiée pour déterminer le montant des dommages-intérêts compensatoires et punitifs, car il est également pertinent, dans le cadre d’un tel exercice, de mettre en balance les facteurs aggravants et atténuants.

[459] Par conséquent, la Cour déclarera qu’Eurocopter a droit à la totalité des dommages‑intérêts, y compris les dommages-intérêts punitifs, qui résultent de la contrefaçon, par Bell, de la revendication 15 du brevet 787; le montant de ces dommages-intérêts sera fixé par le juge de première instance ou un arbitre (si le juge de première instance n’est pas par ailleurs disponible) dans le cadre d’une audience ultérieure et après épuisement de tous les appels, conformément aux modalités de l’ordonnance de disjonction, et sous réserve de tout autre directive ou ordonnance de la Cour.

[13]  Bell a interjeté appel du jugement rendu le 30 janvier 2012 auprès de la Cour d’appel fédérale (2013 CAF 219), qui a confirmé la décision de la Cour fédérale le 24 septembre 2013. Plus particulièrement, la Cour fédérale a conclu qu’il n’y avait aucun motif pour infirmer les conclusions de la Cour et la décision consécutive quant au droit de la demanderesse à demander des dommages-intérêts, notamment des dommages-intérêts punitifs (aux paragraphes 163 à 193). Ce faisant, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’argument de Bell selon lequel la Cour avait commis une erreur de droit en accordant des dommages-intérêts punitifs avant d’évaluer la somme des dommages-intérêts généraux (aux paragraphes 168 à 179). La Cour d’appel fédérale a également rejeté l’argument de Bell selon lequel des dommages-intérêts punitifs ne devraient pas être autorisés en droit pour la contrefaçon intentionnelle d’un brevet (aux paragraphes 180 à 184) et selon lequel la Cour a commis des erreurs manifestes et dominantes dans son évaluation des éléments de preuve et a par ailleurs commis une erreur de droit en accordant ces dommages-intérêts (aux paragraphes 185 à 193).

[14]  Le 21 novembre 2014, environ un an après l’épuisement des droits d’appel de Bell, Airbus a présenté une Demande d’audition et énoncé des questions en litige, afin de procéder à la quantification de son action en dommages-intérêts compensatoires et punitifs contre Bell.

[15]  Le 25 février 2015, à la suite d’observations présentées par les parties, l’administrateur judiciaire a ordonné que le procès portant sur les dommages-intérêts, conformément à l’article 107, se déroule devant la Cour le lundi 30 mai 2016 à 9 h 30 pour une durée de dix (10) jours.

[16]  Le 18 août 2015, à la suite d’observations présentées par les parties pour modifier l’ordonnance concernant le calendrier rendue le 28 janvier 2015, la Cour a ordonné aux parties de se conformer à un calendrier révisé prévoyant notamment que l’interrogatoire préalable serait terminé au plus tard le 20 novembre 2015 et les réponses aux engagements seraient présentées au plus tard le 11 décembre 2015, alors qu’Airbus et Bell présenteraient leurs rapports d’experts respectifs le 12 février 2016 et le 8 avril 2016. Toutefois, il semble que les parties aient eu des difficultés à se conformer au calendrier révisé.

[17]  Le 4 mars 2016, Airbus a présenté le rapport d’expert de M. Heys.

[18]  Le 29 avril 2016, Bell a présenté les rapports de quatre experts en préjudice.

[19]  Le 6 mai 2016, les parties ont échangé respectivement leurs listes de témoins et leurs résumés des dépositions. Le 6 mai 2016, Airbus a avisé Bell qu’elle s’opposait au nombre de témoins experts présentés par Bell au motif que Bell avait dépassé le nombre de témoins experts autorisé par procédure aux termes de l’article 7 de la LPC. Les avocats d’Airbus ont également indiqué que les rapports de MM. Wojnar et O’Reilly ne comportaient aucune opinion d’expert opinion et étaient « tout au plus une récitation de faits ».

[20]  Le 9 mai 2016, une conférence de gestion de l’instance s’est déroulée par voie de conférence téléphonique devant le juge soussigné. Il a été demandé aux parties de signifier et de déposer les requêtes préliminaires par écrit au plus tard le mercredi 11 mai 2016, les dossiers de réponse au plus tard le 16 mai 2016 et les réponses au plus tard le 18 mai 2016.

Questions en litige

[21]  Deux questions distinctes sont soulevées dans la présente requête :

  1. Bell doit-elle obtenir une autorisation pour présenter plus de cinq témoins experts?

  2. Le cas échéant, cette autorisation doit-elle être accordée?

Dispositions pertinentes

[22]  L’article 7 de la Loi sur la preuve au Canada est libellé ainsi :

Lorsque, dans un procès ou autre procédure pénale ou civile, le poursuivant ou la défense, ou toute autre partie, se propose d’interroger comme témoins des experts professionnels ou autres autorisés par la loi ou la pratique à rendre des témoignages d’opinion, il ne peut être appelé plus de cinq de ces témoins de chaque côté sans la permission du tribunal, du juge ou de la personne qui préside.

 

Where, in any trial or other proceeding, criminal or civil, it is intended by the prosecution or the defence, or by any party, to examine as witnesses professional or other experts entitled according to the law or practice to give opinion evidence, not more than five of such witnesses may be called on either side without the leave of the court or judge or person presiding.

[23]  L’article 52.4 prévoit ce qui suit :

52.4 (1) La partie qui compte produire plus de cinq témoins experts dans une instance en demande l’autorisation à la Cour conformément à l’article 7 de la Loi sur la preuve au Canada.

 

52.4 (1) A party intending to call more than five expert witnesses in a proceeding shall seek leave of the Court in accordance with section 7 of the Canada Evidence Act.

(2) Dans sa décision la Cour tient compte de tout facteur pertinent, notamment :

(2) In deciding whether to grant leave, the Court shall consider all relevant matters, including

 

a) la nature du litige, son importance pour le public et la nécessité de clarifier le droit;

(a) the nature of the litigation, its public significance and any need to clarify the law;

 

b) le nombre, la complexité ou la nature technique des questions en litige;

 

(b) the number, complexity or technical nature of the issues in dispute; and

c) les coûts probables afférents à la production de témoins experts par rapport à la somme en litige.

 

(c) the likely expense involved in calling the expert witnesses in relation to the amount in dispute in the proceeding.

[24]  Les articles 106 et 107 portent sur l’instruction distincte des causes d’action :

106 Lorsque l’audition de deux ou plusieurs causes d’action ou parties dans une même instance compliquerait indûment ou retarderait le déroulement de celle-ci ou porterait préjudice à une partie, la Cour peut ordonner :

 

106 Where the hearing of two or more claims or parties in a single proceeding would cause undue complication or delay or would prejudice a party, the Court may order that

 

a) que les causes d’action contre une ou plusieurs parties soient poursuivies en tant qu’instances distinctes;

 

(a) claims against one or more parties be pursued separately;

 

b) qu’une ou plusieurs causes d’action soient poursuivies en tant qu’instances distinctes;

 

(b) one or more claims be pursued separately;

 

c) qu’une indemnité soit versée à la partie qui doit assister à toute étape de l’instance dans laquelle elle n’a aucun intérêt, ou que la partie soit dispensée d’y assister;

 

(c) a party be compensated for, or relieved from, attending any part of the proceeding in which the party does not have an interest; or

 

d) qu’il soit sursis à l’instance engagée contre une partie à la condition que celle-ci soit liée par les conclusions tirées contre une autre partie.

 

(d) the proceeding against a party be stayed on condition that the party is bound by any findings against another party.

 

107 (1) La Cour peut, à tout moment, ordonner l’instruction d’une question soulevée ou ordonner que les questions en litige dans une instance soient jugées séparément.

 

107 (1) The Court may, at any time, order the trial of an issue or that issues in a proceeding be determined separately.

 

[…]

[…]

 

Sommaires des témoins experts proposés

[25]  Les témoins experts proposés n’ont pas encore témoigné et leurs rapports n’ont pas été présentés officiellement par les parties. À ce stade, ils ne font pas partie des éléments de preuve. Cela dit, les parties ont accepté que le juge de première instance (le juge soussigné) prenne connaissance de leur contenu avant la date du procès portant sur l’évaluation des dommages-intérêts (compensatoires et punitifs). Le présent sommaire ne prétend pas être une analyse approfondie du raisonnement et des opinions qui figurent dans le rapport de M. Heys présenté par Airbus et dans les rapports des experts en préjudice de Bell, mais vise simplement à fournir au lecteur des présents motifs un aperçu des éléments de preuve proposés à la lumière du pouvoir discrétionnaire exercé par la Cour pour autoriser Bell à dépasser le nombre de cinq témoins énoncé dans l’article 7 de la LPC, le cas échéant.

[26]  M. Heys est présenté par Airbus comme un expert dans le domaine de l’évaluation des entreprises, des titres et de la propriété intellectuelle, de l’investigation financière, de la finance et de l’économie. Pour aider la Cour à fixer le montant des dommages-intérêts compensatoires dus à Airbus, M. Heys décrit notamment, dans son rapport, un cadre permettant de calculer la fourchette des taux de redevance raisonnables applicables à une licence qui aurait octroyé à Bell un droit légitime d’utiliser l’invention d’Airbus (le train d’atterrissage Moustache).

[27]  M. O’Reilly est un expert des caractéristiques de l’industrie des hélicoptères et de la réparation, de la révision, de l’évaluation, de l’achat, de la vente et de la location d’hélicoptères commerciaux neufs et usagés. Son expertise concerne le fait que, d’après ses expériences, les clients optent pour un modèle d’hélicoptère par rapport à un autre et ne choisissent pas un train d’atterrissage précis au cours du processus. Il fournit également un aperçu de l’industrie des hélicoptères civils à la lumière de ses observations et de ses contacts avec les clients et décrit ce qu’il croit être des modèles concurrents de l’hélicoptère Bell 429, ainsi que la perspective historique de certaines caractéristiques de conception des hélicoptères.

[28]  M. Schwartz est expert en matière de questions économiques, principalement en ce qui a trait aux litiges en matière d’évaluation de la propriété intellectuelle. Son rapport porte notamment sur la détermination des redevances raisonnables découlant d’une négociation hypothétique en l’espèce.

[29]  M. Dupuis est économiste et expert en matière d’enjeux économiques liés à l’établissement des prix de transfert et à l’évaluation de la propriété intellectuelle. Son rapport porte sur les différentes évaluations des prix des produits et composants liés aux trains d’atterrissage d’hélicoptère et sur la détermination d’un montant de dommages-intérêts équitable. Il porte également sur le montant de redevance raisonnable qui découlerait d’une négociation hypothétique entre Bell et Airbus pour octroyer à Bell une licence l’autorisant à exploiter la technologie du brevet 787. Les compétences et l’expertise de M. Dupuis diffèrent de celles de M. Schwartz, ce qui permet prétendument à la Cour de tirer avantage d’autres points de vue relativement au calcul d’une redevance raisonnable.

[30]  M. Wojnar est un ancien directeur adjoint à la Federal Aviation Administration et un expert du processus de certification des aéronefs aux États-Unis et au Canada. Dans son rapport, il fournit une expertise sur les renseignements, les analyses et les essais requis pour qu’un hélicoptère soit approuvé pour le vol et la vente aux utilisateurs finaux. Son rapport porte également sur les opinions exprimées par M. Heys dans son rapport d’expert, concernant les efforts déployés par Bell pour obtenir la certification de l’hélicoptère Bell 429. Selon Bell, ce rapport aidera vraisemblablement la Cour dans son examen des allégations d’Airbus concernant les avantages économiques prétendument tirés par Bell de la contrefaçon du brevet 787.

Bell doit-elle obtenir une autorisation pour présenter plus de cinq témoins experts?

[31]  Airbus soutient que Bell a, en fait, déjà cité quatre des cinq experts « de plein droit » aux termes de l’article 7 de la LPC et qu’elle n’est autorisée à présenter qu’un seul autre expert lors de la reprise du procès. Par conséquent, Bell doit obtenir une autorisation pour présenter les témoignages de trois autres experts. À l’origine, Airbus croyait que Bell avait appelé trois des cinq experts autorisés, puisque trois experts ont été appelés à témoigner au cours de la phase consacrée à la responsabilité. Toutefois, dans les faits, Bell avait présenté quatre rapports d’experts sur Airbus, même si le quatrième, M. Dowell, n’a pas été appelé à témoigner. On a rappelé à Airbus que selon la jurisprudence de la Cour, aucune distinction ne doit être établie entre le nombre de témoins experts qui peuvent être appelés à témoigner et le nombre de rapports d’experts qui peuvent être présentés avant l’instruction (décision Apotex c Sanofi-Aventis, 2010 CF 1282, au paragraphe 31 (Sanofi-Aventis)). En l’espèce, Airbus a été informée que M. Dowell ne témoignerait pas durant le procès même, après avoir fait un examen du rapport et préparé sa comparution au procès. Airbus soutient que la Cour devrait appliquer la décision Sanofi-Aventis en l’espèce puisque la présente instance soulève la même question juridique. Par conséquent, si Bell obtient l’autorisation de déposer des rapports supplémentaires, elle ne devrait être autorisée à présenter qu’un seul rapport supplémentaire, ce qui donnerait lieu à un total de six experts pour le présent litige.

[32]  Bell conteste l’interprétation juridique faite par Airbus de l’article 7 de la LPC. Bell est d’avis qu’elle peut présenter, sans demander l’autorisation de la Cour, les quatre experts en préjudice proposés lors de la reprise du procès, qu’elle désigne comme l’[traduction] « instance liée aux dommages-intérêts ». Elle établit une distinction entre l’instance liée aux dommages-intérêts et la phrase précédente, qui portait sur la contrefaçon et la validité du brevet, désignée par Bell comme l’[traduction] « instance d’établissement de la responsabilité ». Essentiellement, Bell soutient que l’article 7 de la LPC autorise cinq témoins experts par « procès » ou « procédure » et qu’en présentant les témoignages des quatre témoins experts de l’instance d’évaluation des dommages-intérêts, Bell n’a pas dépassé ce nombre, puisque ces experts sont appelés lors d’un « procès » ou d’une « procédure » autre que l’instance d’établissement de la responsabilité. Cette thèse est conforme aux pratiques antérieures des avocats de Bell à la Cour fédérale.

[33]  En effet, Bell affirme qu’à l’examen de la jurisprudence interprétant l’objet et la portée de l’interdiction de présenter plus de cinq experts sans autorisation, prévue à l’article 7 de la LPC, on constate que ce règlement a pour but de prévenir les recours abusifs et des délais découlant de l’obligation pour le juge des faits de tenir compte d’un nombre considérable d’éléments de preuve pour un même ensemble de questions. Bell soutient que ce raisonnement ne reflète pas les circonstances dans lesquelles les témoignages d’experts sont maintenant présentés. Ces quatre rapports d’experts sont plutôt présentés en réponse aux opinions de l’expert d’Airbus, M. Heys, qui, selon Bell, sont fondées dans certains cas sur des hypothèses incorrectes ou trompeuses et qui [traduction] « semblent être contraires aux conclusions de faits tirées par le juge Martineau dans son jugement relatif à la responsabilité ou ne sont pas appuyées par celles-ci ». En outre, Bell soutient qu’elle ne dispose d’aucune preuve selon laquelle qu’Airbus a communiqué à Bell son interprétation étroite du nombre de témoins experts permis au cours de l’instance d’évaluation des dommages-intérêts, alors que l’objection d’Airbus a été communiquée trois semaines avant le procès, une semaine avant la présentation par Bell de ses rapports d’experts et seulement après l’introduction d’une [traduction] « nouvelle mesure », l’interrogatoire préalable du représentant de Bell, M. Robert Gardner.

[34]  Plus particulièrement, en ce qui concerne la portée de l’article 7 de la LPC, Bell affirme que les termes « procès » et « procédure » ont une signification distincte dans le contexte de la LPC, la signification du terme « procédure » étant plus large que celle du terme « procès ». Bell fait valoir que même si l’instance d’évaluation des dommages-intérêts est entendue par le même juge ayant pris part à l’instance d’établissement de la responsabilité, les deux procédures diffèrent. Par exemple, les parties ont convenu d’un nouveau calendrier judiciaire, déposé de nouveaux actes de procédure portant sur un nouvel ensemble de questions, signifié de nouveaux documents, préparé et signifié de nouveaux interrogatoires préalables et convenu de déterminer les parties des transcriptions de l’instance d’établissement de la responsabilité qui sera citée et adoptée dans l’instance d’évaluation des dommages-intérêts. Bell souligne que l’affidavit de Denise Pope fournit une liste d’exemples récents d’instances scindées dans lesquelles plus de cinq experts ont été invoqués par une partie sans obtenir l’autorisation préalable de la Cour et sans objection.

[35]  Bell fait également remarquer que, selon le libellé des paragraphes 106 et 107(1), grâce auquel des causes d’action peuvent être poursuivies en tant qu’« instances » distinctes, la pratique acceptée par la Cour fédérale veut que lorsqu’une action de contrefaçon de brevet est scindée en une étape de responsabilité et une étape de quantification des dommages-intérêts, ces phases soient considérées comme des procédures distinctes dans la mesure où elles concernent l’application de règles de procédure (voir, p. ex., la décision J.J. Mackay Canada Ltd. c Stationnement de Montréal, Société en commandite, 2005 CF 985, au paragraphe 29; Gauthier c Produits de sport I-Tech Inc., 2003 CFPI 468, au paragraphe 9). Selon Bell, il est donc clair qu’une instance scindée aux fins de quantification des dommages-intérêts constitue une [traduction] « instance » ou une [traduction] « action en justice » distincte telle que l’entendent les tribunaux. Par conséquent, en prévoyant invoquer quatre témoins experts au cours de l’instance d’évaluation des dommages-intérêts, Bell n’a pas dépassé le nombre de témoins autorisés en application de l’article 7 de la LPC.

[36]  En outre, Bell soutient que l’interdiction d’invoquer plus de cinq témoins ne vise pas les instances scindées. De crainte d’une prolifération des rapports d’expert de [traduction] « valeur douteuse », la limite concernant le nombre de témoins experts vise à simplifier le déroulement d’une instance distincte en restreignant le recours à plus de cinq témoins pour un même ensemble de questions. Bell soutient que l’ensemble des courants jurisprudentiels se rapportant à l’interprétation et à la portée de l’article 7 de la LPC dans les affaires de propriété intellectuelle résulte de décisions rendues dans un type d’instance distincte et précise portant sur des questions de contrefaçon de brevet et de validité, où l’[traduction] « affaire dans son ensemble » est limitée exclusivement à ces questions, plutôt que dans une instance de quantification des dommages-intérêts scindée où les questions techniques concernant les brevets ne sont plus visées.

[37]  À l’inverse, Airbus s’oppose vigoureusement au raisonnement précédent, qui est incompatible avec la portée et l’objet de l’article 7 de la LPC et avec l’objet général des articles 52.4, 106 et 107 des Règles. Airbus soutient que selon l’interprétation de Bell, elle aurait le droit de présenter jusqu’à dix rapports d’experts malgré le fait que l’article 7 de la LPC interdise d’invoquer plus de cinq rapports d’experts au cours d’une procédure. L’argument principal de Bell selon lequel une instance scindée constitue en fait deux instances distinctes est incorrect en droit puisqu’une instance scindée demeure une instance unique; la scission d’une instance n’est pas permise en application de l’article 107; de même, avec son argument principal, Bell cherche à faire renaître une interprétation de l’article 7 de la LPC qui a été maintes fois rejetée par la Cour. Airbus fait valoir que selon les Règles, une action est définie comme une instance unique (article 2 : « action Instance visée à la règle 169 »). Dans ce contexte, la disjonction consiste à reporter certaines questions dans le contexte d’une instance unique, plutôt que créer deux instances distinctes. En outre, comme la Cour d’appel fédérale a conclu dans l’arrêt Realsearch Inc. c Valon Kone Brunette Ltd., 2004 CAF 5, au paragraphe 10 (arrêt Realsearch), l’article 107 vise les questions, et non les instances : « [l]a règle prévoit la disjonction d’une ou de plusieurs questions aux fins de l’instruction ». La situation est comparable dans les cours provinciales. La Cour de justice de l’Ontario a conclu à maintes reprises [traduction] « [qu’une] instance scindée demeure une instance unique » (décision Children’s Aid Society of Algoma v A(B), [2001] OJ 2745 (OCJ), au paragraphe 21 (décision Children’s Aid Society of Algoma)).

[38]  Airbus souligne également que l’ordonnance type de disjonction désigne l’[traduction] « étape de l’examen de la responsabilité » d’une instance unique et que la disjonction selon l’ordonnance type sous-entend la séparation des [traduction] « questions relatives à la responsabilité » des [traduction] « questions relatives à l’évaluation du montant à accorder », alors que les avocats de Bell ont inventé les expressions [traduction] « instance d’établissement de la responsabilité » et [traduction] « instance d’évaluation des dommages-intérêts ». En l’espèce, l’ordonnance de disjonction ne fait que reporter l’interrogatoire préalable et les décisions concernant les questions de dommages-intérêts; elle n’a pas pour effet de scinder l’instance ou d’ordonner une instance distincte pour établir les dommages-intérêts. En effet, dans ses arguments concernant l’interprétation législative, Bell confond une disjonction des questions conformément à l’article 107 avec une scission des instances au sens de l’article 106. Au sens de l’article 107, la Cour ne peut scinder une instance en deux parties (ou plus); cela doit plutôt se faire par l’intermédiaire d’une ordonnance de séparation conformément à l’article106. La distinction établie entre les articles 106 et 107 est plus évidente dans la version française, où il est fait état à l’article 107 d’instruction distincte des questions en litige dans « une instance », alors qu’à l’article 106, on parle de questions ou de causes d’action poursuivies « en tant qu’instances distinctes ». Par conséquent, aux termes l’article 107 aucune nouvelle instance n’est créée et la disjonction en l’espèce a été délivrée en application du paragraphe 107(1).

[39]  Airbus soutient également qu’une interprétation [traduction] « par question » de l’article 7 de la LPC (c’est-à-dire [traduction] « cinq experts par question ») a été rejetée à maintes reprises par la Cour fédérale et par les cours provinciales supérieures (décision Altana Pharma Inc. c Novopharm Limited, 2007 CF 1095, au paragraphe 55 (décision Novopharm); décision Eli Lilly and Company c Apotex Inc., 2007 CF 1041, aux paragraphes 11, 12 et 27; arrêt Bank of America Canada c Mutual Trust Company, [1998] OJ 1525; arrêt Sam c British Columbia, 2016 BCSC 86, au paragraphe 30). Selon Airbus, Bell tente en fait de réintroduire l’interprétation du nombre de témoins [traduction] « par question » de l’article 7 de la LPC, ce qui est contraire au poids du pouvoir judiciaire. Airbus réfute également l’argument de Bell selon lequel la pratique alléguée chez ses avocats, qui consiste à appeler plus de cinq experts dans des instances scindées, lui permet de contourner l’obligation légale d’obtenir une autorisation. Les pratiques de Bell ne sont pas pertinentes, puisque la question en l’espèce concerne l’interprétation et l’application de la LPC, soit une question d’interprétation législative qui doit être tranchée par la Cour. À cet égard, Airbus souligne que les décisions citées par Bell sont fondées sur des ordonnances de consentement et que rien n’indique que l’article 7 de la LPC ou l’article 52.4 des Règles ont été soulevés par les autres parties ou la Cour dans ces affaires.

[40]  Finalement, Airbus fait valoir que l’argument de Bell concernant la [traduction] « nouvelle mesure » est invalide. Bell soutient qu’après l’examen de son représentant, M. Gardner, relativement à deux documents divulgués tardivement, a pris une [traduction] « nouvelle mesure » dans la procédure, dispensant Bell de son obligation de se conformer à l’article 7 de la LPC. Néanmoins, l’obligation légale d’obtenir une autorisation pour présenter plus de cinq experts confère un pouvoir discrétionnaire à la Cour, et Airbus ne peut rien faire pour priver la Cour de son pouvoir discrétionnaire d’accorder ou de refuser une autorisation. En outre, d’un point de vue pratique, aucune [traduction] « nouvelle mesure » n’a été prise dans le contexte de la procédure. L’examen de M. Gardner a été rendu nécessaire par la divulgation tardive de Bell et ne devrait pas avoir d’effet sur le nombre d’experts que Bell est autorisée à appeler.

[41]  Dans sa réponse aux observations écrites d’Airbus, Bell soutient qu’Airbus interprète mal ce qu’elle appelle l’[traduction] « argument principal » de Bell et ajoute que la jurisprudence citée par Airbus en anglais, avec l’approbation de la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 6 de ses observations, définit la disjonction comme « l’instruction séparée de questions distinctes » (arrêt Realsearch, au paragraphe 11). Bell souligne également qu’elle ne cherche pas à [traduction] « faire renaître » une interprétation rejetée de l’article 7 de la LPC en adoptant une approche [traduction] « par question ». L’interdiction d’une approche [traduction] « par question » est fondée sur des motifs pratiques et vise à éviter la multiplicité d’experts relativement à une même question dans une instance unique, ce qui aurait pour effet d’accabler le juge des faits. En l’espèce, compte tenu de l’instance d’évaluation des dommages-intérêts, la Cour doit se faire aider par des experts ayant des compétences distinctes de ceux ayant témoigné lors de l’instance d’établissement de la responsabilité. En outre, Bell soutient qu’Airbus n’a pas démontré que la Cour fédérale ou une cour provinciale a adopté son interprétation de l’article 7 de la LPC. Par exemple, l’affaire Children’s Aid Society of Algoma citée par Airbus représente une décision unique par une cour provinciale portant sur une question distincte dans un contexte différent et n’appuie pas la proposition générale formulée par Airbus. L’instance d’évaluation des dommages-intérêts scindée donne plutôt lieu à une [traduction] « instruction séparée par procès », en phase avec la compréhension de la Cour dans la décision Visx Inc. c Nidek Co., [1998] ACF no 811, au paragraphe 4.

[42]  En outre, Bell fait valoir qu’on ne devrait pas lui reprocher de ne pas avoir fait part plus tôt de sa [traduction] « compréhension » de l’article 7 de la LPC, puisqu’il était déraisonnable de s’attendre à ce que Bell anticipe la nécessité de produire des éléments de preuve d’experts auprès d’un nombre précis de témoins sur des questions qui demeuraient opaques avant la présentation du rapport de M. Heys. Bell s’oppose également au fait qu’Airbus élargit maintenant la portée de son objection, passant de deux à trois experts. Dans une lettre datée du 6 mai 2016, Airbus affirmait que Bell s’est appuyée sur le témoignage de trois témoins experts et qu’elle s’était opposée à ce que Bell présente plus de cinq témoins, une position qui a été réitérée lors de la conférence de gestion de l’instance, le 9 mai 2016. Bell s’est appuyée sur l’objection initiale d’Airbus et sur la directive de la Cour lors de la conférence de gestion de l’instance pour déterminer les rapports pour lesquels une autorisation est nécessaire et formuler ses observations en conséquence. Par conséquent, l’autorisation demandée par Bell vise uniquement les rapports et les témoignages de MM. Wojnar et Dupuis, étant entendu que MM. O’Reilly et Schwartz figuraient parmi les cinq experts autorisés. Airbus ne devrait pas être autorisée à changer sa position de manière préjudiciable.

[43]  Enfin, Bell soutient qu’Airbus n’a pas cité les précédents pertinents relativement à la prétention selon laquelle Bell avait déjà appelé quatre de ses experts « de plein droit ». La décision dans Sanofi-Aventis ne permet pas d’appuyer la thèse selon laquelle Bell a déjà [traduction] « appelé » quatre de ses cinq experts, puisque la décision n’a pas été prise dans le contexte d’une instance scindée. Dans cette affaire, la question soulevée portait plutôt sur l’équité procédurale, à savoir si une partie était autorisée à appeler plus de cinq experts dans une seule instance, avant de décider, lors du procès de la même affaire, d’appeler un nombre moindre de témoins, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Airbus n’a pas établi non plus que les circonstances militent en défaveur de l’obtention d’une autorisation par Bell. L’affirmation selon laquelle Airbus subit un préjudice irrémédiable est spéculative et non justifiée. Airbus a reçu les rapports des experts en préjudice de Bell plus d’un mois avant le procès, ce qui donnait amplement le temps d’examiner le témoignage principal et de se préparer en vue d’un contre-interrogatoire au cours du procès. Au cours de la conférence de gestion des instances, Airbus et Bell se sont efforcées de respecter le temps qui leur était alloué durant le procès. En outre, Airbus a attendu sept jours avant de s’opposer aux rapports des experts en préjudice de Bell. De plus, Bell nie catégoriquement l’allégation selon laquelle elle a tenté d’obtenir un avantage technique en déposant [traduction] « unilatéralement » ses rapports au dossier de la Cour. Enfin, Bell soutient qu’elle s’est conformée à toutes les obligations continues en matière de divulgation.

[44]  Je souscris essentiellement au raisonnement et à l’interprétation proposés par Airbus, qui est non seulement la bonne, mais est également plus compatible avec l’objectif et l’objet des dispositions contestées. Je suis également d’accord avec Airbus pour dire que, selon la jurisprudence, Bell a déjà appelé quatre de ses cinq témoins experts « de plein droit », puisqu’elle a appelé quatre experts au cours de l’étape de l’examen de la responsabilité, même si le quatrième expert, M. Dowell, n’a jamais été réellement appelé à témoigner. Voici ce que la Cour soutient à cet égard dans la décision Sanofi-Aventis :

[31] Enfin, et par souci de clarté, la Cour est d’avis qu’aucune distinction ne devrait être établie entre le nombre de témoins experts pouvant être produits au procès et le nombre de rapports d’expert pouvant être signifiés avant le procès. Une situation inéquitable serait créée si une partie autorisée à faire signifier plus de cinq (5) rapports d’expert décidait en fin de compte de produire moins de témoins experts au procès. La partie adverse devrait préparer et présenter une contre‑preuve à l’égard de chacun des rapports d’expert signifiés en tenant pour acquis que tous les experts pourraient être appelés à témoigner. De telles tactiques ne devraient pas être encouragées par la Cour.

[45]  Bell soutient que ce raisonnement ne devrait pas être appliqué en l’espèce, puisqu’il n’a pas été appliqué dans le contexte d’une instance scindée. La question tranchée dans cette affaire était plutôt liée à l’équité procédurale. Quoi qu’il en soit, je crois que des considérations d’équité semblables s’appliquent en l’espèce, puisque Airbus a dû consacrer du temps et des ressources à chaque rapport d’expert présenté et a appris au moment du procès seulement que M. Dowell ne serait pas appelé à témoigner. Ces préoccupations ne sont pas atténuées par le simple fait que la présente instance est scindée. Par conséquent, Airbus a raison d’affirmer que Bell a déjà appelé quatre de ses cinq experts « de plein droit ».

[46]  Par souci de clarté, je suis également d’accord avec Airbus sur le fait que Bell doit demander une autorisation pour présenter plus de cinq témoins experts. La Cour ne s’est pas encore prononcée officiellement sur la question de la limite des cinq experts « de plein droit » dans le contexte d’une instance scindée qui comporte une étape d’examen de la responsabilité et une étape d’évaluation des dommages-intérêts. Bell souligne qu’au cours de ses pratiques antérieures dans des poursuites semblables devant la Cour fédérale, la Cour a systématiquement permis plus à plus de cinq témoins experts de présenter des éléments de preuve lors d’une instance d’évaluation des dommages-intérêts scindée, sans avoir à demander d’autorisation. Toutefois, le simple fait d’invoquer des décisions lors desquelles des experts ont été appelés à témoigner sans autorisation n’est pas suffisant pour « déroger » à la disposition législative explicite; la Cour aurait plutôt dû rendre une décision sur cette question, ce qu’elle n’a pas encore fait.

[47]  En outre, il semble très clair que l’instance scindée en l’espèce constitue un « procès » ou une « procédure » unique aux fins de l’article 52.4 des Règles et de l’article 7 de la LPC. Tel que l’a fait valoir Airbus, la construction des articles 106 et 107 donne ouverture à cette interprétation. L’article 106 porte précisément sur la séparation des instances, contrairement à l’article 107, aux termes duquel la disjonction est permise. Si l’article 107 était également interprété comme menant à une scission, il serait redondant. Comme le fait remarquer Airbus, la distinction entre ces articles est plus évidente dans la version française, puisque l’article 107 parle d’instruction distincte des questions en litige dans « une instance », alors qu’à l’article 106, on parle de questions ou de causes d’action poursuivies « en tant qu’instances distinctes ». La disjonction en l’espèce a été ordonnée en application du paragraphe 107(1) et, par conséquent, n’a pas donné lieu à une « procédure » ou à un « procès » distinct aux fins de l’article 7 de la LPC ou de l’article 52.4 des Règles.

[48]  Comme je retiens le fait que l’ordonnance de disjonction n’a pas eu pour effet de créer un procès ou une procédure distincte, il semble également clair que les restrictions prévues par la loi s’appliquent au nombre total d’experts qu’une partie peut appeler à témoigner dans une action, plutôt qu’à la capacité d’appeler des experts relativement à une question particulière. La décision de la Cour fédérale dans la décision Novopharm est claire à ce sujet :

[44]  Même si les problèmes que suscite l’interprétation de l’article 7 se sont posés tout récemment à la Cour dans le contexte des procédures relatives à un avis de conformité ou d’autres affaires intéressant la propriété intellectuelle, l’application de cette disposition repose sur une base nettement plus large. Les problèmes inhérents au processus des avis de conformité ne peuvent pas régir l’interprétation de cet article, même s’ils font ressortir l’effet néfaste sur lequel il est axé. Il y a d’autres affaires de nature civile et pénale qui peuvent comporter des questions et des sous-questions aussi complexes et diversifiées auxquelles une preuve d’opinion semble convenir.

[…]

[55]  Étant donné que l’article 7 a pour objet, en partie du moins, d’éviter les abus, les difficultés, les frais et les retards imputables à l’utilisation excessive de la preuve d’expert, il convient davantage à cet objet de considérer que la restriction s’applique à l’affaire tout entière, plutôt qu’à la moindre question qui est susceptible de se poser. En fait, une interprétation favorable à la règle du nombre de témoins « par question » crée l’effet néfaste même que la disposition vise à remédier.

[Non souligné dans l’original.]

[49]  À la lumière de cet énoncé explicite, il est difficile de comprendre l’allégation de Bell selon laquelle Airbus n’a pas démontré que la Cour fédérale a adopté son interprétation de l’article 7 de la LPC. Le fait que les instances ont été scindées en deux étapes ne change pas la préoccupation sous-jacente à l’origine de l’article 7 de la LPC; les préoccupations sur le plan de l’efficacité et des coûts qui motivent la disjonction sont mieux servies en rejetant l’interprétation du nombre de témoins [traduction] « par question » de l’article 7 de la LPC et en appliquant la limite de cinq experts à l’affaire dans son ensemble.

Le cas échéant, cette autorisation doit-elle être accordée?

[50]  Subsidiairement, si la Cour n’est pas convaincue que Bell puisse appeler jusqu’à cinq témoins experts lors de l’instance d’évaluation des dommages-intérêts, Bell demande l’autorisation de présenter les rapports d’expert et les témoignages de MM. Wojnar et Dupuis pendant le procès, étant entendu que les rapports de MM. O’Reilly et Schwartz comptent parmi les cinq experts prescrits par l’interprétation la plus restrictive de l’article 7 de la LPC. À la lumière du témoignage de M. Heys qui, selon Bell, va souvent à l’encontre des conclusions de la Cour au cours de l’instance d’établissement de la responsabilité, du nombre et de la complexité des questions, ainsi que de l’importance pour le public de cette poursuite et du coût nominal associé à la présentation des éléments de preuve par rapport aux montants sans précédent réclamés par Airbus, l’autorisation d’admettre le témoignage de deux autres experts est justifiée.

[51]  Je ne répéterai pas les arguments invoqués par Bell et Airbus, que j’ai déjà résumé ci-dessus dans mon analyse de la portée de l’article 7 de la LPC, et qui ont été de nouveau invoqués par les parties dans le contexte de l’octroi ou du refus de l’autorisation. Cela inclut également les observations en réponse de Bell.

[52]  L’article 52.4 des Règles codifie l’application des paramètres de l’article 7 de la LPC, fournissant ainsi à la Cour des directives sur les facteurs qui justifient l’autorisation de présenter plus de cinq témoins experts. Comme il est expliqué dans la décision Altana Pharma Inc c Novopharm, 2007 CF 637, au paragraphe 37, la partie requérante doit démontrer qu’il est nécessaire d’augmenter le nombre d’experts pour trancher les questions, que la preuve n’est pas inutilement dupliquée et que les contraintes supplémentaires de temps et de ressources de la Cour et des parties sont justifiées. Bell maintient que dans l’instance d’évaluation des dommages-intérêts, il lui faut fournir des éléments de preuve concernant la détermination d’un montant équitable de dommages-intérêts compensatoires et punitifs découlant de la contrefaçon par Bell de 21 trains Legacy. Bell soutient que la preuve d’expert qu’elle cherche à présenter se rapporte à certaines hypothèses incorrectes d’Airbus qui auront des effets sur le calcul, ne sont pas dupliquées et n’imposeront pas de contrainte de temps et de ressources supplémentaires à la Cour et aux parties.

[53]  Plus particulièrement, Bell soutient que le nombre et la complexité des questions en litige justifient une autorisation. M. Dupuis aborde les différentes approches permettant de déterminer les redevances et leur application en l’espèce. Il détermine que le coût et l’approche fondée sur le marché s’appliquent et établit le calcul d’une redevance raisonnable selon ces deux approches. Son rapport n’est pas un double du rapport de M. Schwartz et Bell soutient que la Cour tirera avantage d’un autre point de vue dans le calcul d’une redevance raisonnable. M. Wojnar fournira une opinion d’expert neutre sur le processus de certification de l’hélicoptère Bell 429 pour permettre à la Cour d’évaluer l’allégation d’Airbus concernant des avantages économiques et répondra également aux hypothèses incorrectes de M. Heys concernant les avantages économiques supposément tirés par Bell au cours du processus de certification de l’hélicoptère 429.

[54]  Bell souligne également qu’Airbus s’oppose aux rapports de MM. Wojnar et O’Reilly au motif qu’ils ne comportent pas d’opinions d’expert véritables. Bell soutient que si l’autorisation de présenter le rapport de M. Wojnarest est refusée et que M. Wojnar témoigne plutôt à titre de témoin des faits, Airbus ne peut ensuite s’opposer à ce qu’un témoignage d’opinion soit livré pendant le procès lors des discussions sur le contenu du rapport.

[55]  En outre, Bell soutient que la nature du litige, son importance pour le public et la nécessité de clarifier le droit justifient également une autorisation. La décision au cours de l’instance d’établissement de la responsabilité demeure la principale déclaration sur la loi portant sur les dommages-intérêts punitifs pour la contrefaçon de brevets et le jugement rendu lors de l’instance d’évaluation des dommages-intérêts aura vraisemblablement une valeur de précédent comparable, ce qui clarifiera la loi à cet égard. Selon le principe d’équité, Bell devrait aussi être autorisée à appeler d’autres témoins, puisqu’elle a déjà subi une stigmatisation importante après avoir été reconnue passible de dommages-intérêts punitifs.

[56]  Finalement, Bell affirme que la somme litigieuse excède grandement les dépenses découlant de l’appel de deux témoins experts supplémentaires.

[57]  D’autre part, Airbus soutient que l’autorisation devrait être refusée à Bell selon les facteurs énoncés à l’article 52.4 des Règles, ainsi que dans les circonstances de l’espèce. Le critère approprié concernant l’autorisation d’appeler plus de cinq experts est celui de la nécessité (décision Sanofi-Aventis, au paragraphe 26; décision Eli Lilly & Co c Apotex, 2007 CF 1041, au paragraphe 30). Est-ce que la partie qui demande l’autorisation a besoin des experts supplémentaires pour présenter ses arguments? En outre, la jurisprudence de la Cour a établi un seuil plus élevé pour répondre à cette exigence (décision Sanofi-Aventis, au paragraphe 20). Tenant compte des facteurs énoncés à l’article 52.4 des Règles, Airbus fait valoir que Bell n’a pas satisfait à ce critère élevé.

[58]  Bien qu’Airbus reconnaisse qu’il s’agit d’une affaire importante et hautement médiatisée, elle soutient qu’il n’existe aucun lien logique ou de causalité entre la nature du procès et son importance pour le public et la preuve d’expert que Bell désire présenter. Par exemple, bien que la décision rendue relativement à la responsabilité en 2012 ait sensibilisé le public au type de comportement passible de dommages-intérêts punitifs pour contrefaçon de brevet, la décision concernant les dommages-intérêts ne quantifie que la portée de la responsabilité. La preuve d’expert proposée ne concerne pas non plus des questions d’importance pour le public. Airbus fait remarquer que la preuve présentée par M. Wojnar porte sur une étroite question de faits n’ayant aucun intérêt pour le public ou qui revête une signification juridique plus large, alors que le rapport de M. Dupuis est une analyse des redevances raisonnables standard du type qui est régulièrement soumis dans le contexte d’un litige en matière de brevet et qu’il reproduit largement l’analyse qui figure dans le rapport de M. Schwartz. En outre, contrairement à l’allégation de Bell selon laquelle le jugement rendu aux termes de l’étape d’évaluation des dommages-intérêts permettra de [traduction] « clarifier la loi » relativement aux dommages-intérêts punitifs pour contrefaçon de brevet, cette observation interprète mal la nature des dommages-intérêts punitifs et leur quantification. La même règle s’applique à toutes les demandes de dommages-intérêts, sans égard à la cause d’action sous-jacente. Depuis l’arrêt Whiten c Pilot Insurance Co, 2002 CSC 18, les règles spéciales pour ce qui est des dommages-intérêts punitifs dans le cas de contrefaçon de brevet sont exclues. En outre, la quantification des dommages-intérêts est essentiellement une question de fait. Par conséquent, la quantification en l’espèce n’aura pas pour effet de [traduction] « clarifier la loi ».

[59]  Plus particulièrement, en ce qui concerne le nombre, la complexité ou la nature technique des questions, Airbus soutient qu’il n’y a en fait que deux questions en litige à l’étape d’évaluation des dommages-intérêts dans la présence instance : la détermination d’une redevance raisonnable et la quantification des dommages-intérêts punitifs. Airbus souligne qu’elle a pu examiner ces questions avec l’aide d’un seul témoin expert et que ces questions ne sont ni complexes ni techniques de nature. Airbus mentionne que Bell elle-même affirme qu’il n’y a plus de [traduction] « questions techniques concernant les brevets » en cause. En outre, Airbus souligne que deux des rapports d’expert en préjudice de Bell portent sur des questions de faits et non des questions techniques et, par conséquent, ne constituent pas un sujet approprié pour une opinion d’expert. Par exemple, bien que le rapport de M. Wojnar examine les [traduction] « hypothèses incorrectes de M. Heys » sur la façon dont Bell a obtenu la certification de l’hélicoptère 429, le bien-fondé de ces hypothèses est une question de faits et non une question pour laquelle il faut solliciter l’opinion d’un expert. Airbus soutient également que les enjeux monétaires importants dans cette poursuite ne peuvent être assimilés à une complexité élevée. En ce qui concerne les dépenses découlant de l’appel de témoins experts supplémentaires, Airbus soutient que la considération au sens de l’alinéa 52.4(1)c) des Règles ne consiste pas à déterminer si la somme en jeu excède les coûts des experts supplémentaires, mais à déterminer plutôt la proportionnalité entre les deux parties et par rapport à la Cour. En l’espèce, les experts supplémentaires de Bell imposent des coûts considérables à la Cour et à Airbus. Les avocats d’Airbus doivent examiner ces rapports en détail, préparer leurs témoins des faits en vue de la réfutation des rapports supplémentaires et préparer les contre-interrogatoires. En outre, la Cour a des centaines de pages de témoignages supplémentaires à examiner avant le procès ainsi que des heures de témoignages d’expert supplémentaires à prendre en considération au cours du procès, et la rédaction prend plus de temps lorsque les témoignages doivent être intégrés aux motifs de la Cour. De plus, les deux rapports qui font l’objet d’objections concernant la compétence d’expert des auteurs devront être soumis à un voir dire avant le procès pour être admis.

[60]  Airbus soutient également que la décision unilatérale de Bell d’admettre les rapports d’expert au dossier de la Cour était une tentative inappropriée de présenter un fait accompli à Airbus et à la Cour et que, par conséquent, ces facteurs devraient peser contre l’autorisation et non en sa faveur. Enfin, Airbus souligne l’existence d’autres questions pertinentes qui devraient être prises en compte par la Cour, notamment l’expérience dans des procès comparables, qui démontre que le nombre de cinq experts est suffisant. Airbus est convaincue qu’elle peut plaider sa cause avec l’aide d’un seul témoin expert pour la question des dommages-intérêts, malgré le fait que c’est à elle qu’incombe le fardeau de la preuve, et non à Bell. Bell ne devrait pas avoir besoin de quatre fois plus d’experts alors qu’elle ne porte pas le fardeau de la preuve. Airbus souligne également que Bell a attendu jusqu’au dernier moment pour communiquer son intention d’appeler plus de cinq experts au cours de l’instance, privant ainsi Airbus de toute occasion de répondre. Airbus invoque l’affaire Sanofi-Aventis, dans laquelle la Cour a conclu qu’un des facteurs « importants » l’ayant mené à refuser l’autorisation de présenter des experts supplémentaires était qu’Apotex a signifié son intention de présenter plus de cinq rapports de manière « inopportune », même si cela s’est produit six mois avant le procès. En l’espèce, l’avis a été signifié seulement un mois avant le procès.

[61]  Pour finir, Airbus énonce les facteurs supplémentaires suivants en faveur du refus d’autorisation : [traduction]

  Si Bell est autorisée à introduire ce qui est effectivement une preuve de faits de MM. Wojnar et O’Reilly sous la forme de rapports d’expert, Bell obtiendra un avantage tactique lors du procès, puisqu’elle sera en mesure de réduire le temps consacré au procès en présentant des parties de sa preuve principale au moyen de rapports écrits plutôt que de témoignages oraux, contrairement à ce que prévoit l’article 282(1) des Règles.

  Compte tenu de la durée du procès (10 jours), permettre à Bell de soumettre quatre rapports d’experts pourrait entraîner des délais et des dépassements du temps estimé.

  Bell demande l’autorisation de présenter la preuve de huit experts. La Cour a déjà conclu auparavant que neuf experts constituaient une « quantité importante et onéreuse d’éléments de preuve » qui taxe indûment les ressources judiciaires et des parties (décision Novopharm, au paragraphe 59).

  Bell demeure libre d’appeler MM. Wojnar et O’Reilly comme des témoins de faits.

  Bell aura toujours la possibilité de demander ultérieurement l’autorisation de citer des experts supplémentaires si la Cour estime qu’elle a besoin de directives supplémentaires d’experts.

[62]  J’ai examiné les observations respectives de Bell et d’Airbus (y compris la réponse de Bell) à la lumière de l’article 52.4(2) des Règles, qui prévoit que pour déterminer si l’autorisation doit être accordée à une partie pour appeler plus de cinq témoins experts, la Cour doit tenir compte de tout facteur pertinent, notamment : a) la nature du litige, son importance pour le public et la nécessité de clarifier le droit; b) le nombre, la complexité ou la nature technique des questions en litige; et c) les coûts probables afférents à la production de témoins experts par rapport à la somme en litige. J’ai conclu que les facteurs supplémentaires relevés par Airbus sont également pertinents et j’ai gardé à l’esprit que dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, particulièrement à la veille du procès à venir, la Cour doit interpréter et appliquer les Règles « de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » (article 3). Cela comprend naturellement le procès à venir, qui sera exclusivement axé sur le montant de dommages-intérêts compensatoires et punitifs.

[63]  Pour être justes et équitables envers les parties, les résultats obtenus par l’ordonnance d’autorisation doivent être proportionnels, établir un équilibre et servir les intérêts de la justice en assurant le déroulement rapide du procès à un coût rentable, en tenant compte du nombre, de la complexité ou de la nature des questions en litige. Par conséquent, j’ai décidé d’autoriser Bell à présenter les rapports et les témoignages de deux experts, MM. O’Reilly et Schwartz (un expert de plus que la limite de cinq experts), et de ne pas accorder l’autorisation de laisser MM. Dupuis et Wojnar témoigner dans la présente instance, à titre d’experts supplémentaires sur la question des dommages-intérêts (à moins que Bell décide de remplacer M. O’Reilly ou M. Schwartz par l’un ou l’autre).

[64]  Plus particulièrement, j’ai gardé à l’esprit que le critère utilisé pour autoriser la présentation de témoins experts supplémentaires est considéré comme élevé par la Cour. Comme l’a déclaré le juge Boivin dans la décision Sanofi-Adventis :

[20]  Compte tenu de la jurisprudence de la Cour concernant l’article 7 de la Loi sur la preuve au Canada, l’article 52.4 des Règles peut être considéré comme une codification des paramètres d’application de l’article 7 de la Loi sur la preuve au Canada. De plus, si l’on tient compte de la préoccupation relative à la prolifération des experts, exprimée par la Cour suprême du Canada dans R. c. D.D., 2000 CSC 43, [2000] 2 R.C.S. 275, et par notre Cour, l’article 52.4 des Règles doit être considéré comme une disposition visant à empêcher l’augmentation injustifiée du nombre de témoins experts. Le fardeau imposé à la partie qui veut produire plus de cinq (5) témoins experts est par conséquent considérable puisque les facteurs énoncés à l’article 52.4 des Règles constituent un critère préliminaire exigeant. En d’autres termes, l’autorisation prévue à l’article 52.4 des Règles ne doit pas être accordée à la légère.

[Non souligné dans l’original.]

[65]  Je suis également conscient du fait que la Cour suprême du Canada a également conclu, dans l’arrêt R c Mohan, [1994] 2 RCS 9 (arrêt Mohan) que la preuve d’expert est nécessaire pour permettre au juge des faits d’apprécier les questions en litige étant donné leur nature technique, pour donner à la cour des renseignements scientifiques qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et la connaissance d’un juge ou d’un jury, et lorsque l’objet de l’analyse est tel qu’il est peu probable que des personnes ordinaires puissent former un jugement juste à cet égard sans l’assistance de personnes possédant des connaissances spéciales (voir l’arrêt R c K(A), 1999 CanLII 3793 (ON CA), au paragraphe 91). En l’espèce, Bell n’a simplement pas démontré, à la satisfaction de la Cour, qu’elle a satisfait à ce critère élevé pour justifier une autorisation, et au risque de me répéter, je souscris essentiellement aux arguments et aux raisonnements présentés par Airbus.

[66]  Pour rendre les choses plus claires pour le lecteur des présents motifs, bien que la présente espèce demeure importante pour les lois sur les brevets au Canada, c’est l’étape d’évaluation des dommages-intérêts qui a sensibilisé le public relativement aux dommages-intérêts punitifs dans les cas de contrefaçon de brevet (voir les extraits précités dans la décision rendue le 30 janvier 2012 et les références au jugement rendu par la Cour d’appel fédérale le 24 septembre 2013). En revanche, à cette étape de l’instance, la décision concernant la quantification des dommages-intérêts est principalement une question de faits et se limitera à établira la portée de cette responsabilité, au lieu d’aider à « clarifier » la loi à cet égard. Le nombre, la complexité et la nature technique des questions en l’espèce ne justifient pas non plus d’accorder à Bell l’autorisation d’appeler deux témoins experts supplémentaires pour la question des dommages-intérêts (MM. Dupuis et Wojnar), dépassant ainsi le nombre d’experts supplémentaire permis par la Cour (M. O’Reilly ou M. Schwartz). En fait, seules deux questions doivent être tranchées : la détermination d’une redevance raisonnable aux fins de dommages-intérêts compensatoires et la quantification des dommages-intérêts punitifs – la deuxième question relève principalement de la propre expertise et de la propre compétence de la Cour, compte tenu de la preuve de contrefaçon intentionnelle qui a déjà été retenue par la Cour et des circonstances particulières en l’espèce, qui peuvent avoir des effets sur la quantification des dommages-intérêts. Tenant compte des principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mohan, pour être considérée comme « nécessaire » dans ce contexte, l’opinion d’expert sur ces questions doit dépasser l’expérience et la connaissance de la Cour – par exemple, sur les questions d’économie ou la comptabilité, particulièrement dans le secteur aéronautique. À cet égard, plusieurs questions susceptibles d’avoir un effet direct sur la quantification des dommages-intérêts ont déjà été tranchées au cours de l’étape de l’examen de la responsabilité. Par exemple, les éléments de preuve portant sur la question du processus de certification, qui sont abordés dans le rapport de M. Wojnar, ont déjà été entendus au cours de l’étape d’examen de la responsabilité du procès.

[67]  En outre, comme le souligne Airbus, deux des quatre rapports d’expert proposés présentés par Bell portent sur des questions de faits non techniques. Par exemple, le rapport de M. Wojnar aborder les [traduction] « hypothèses incorrectes de M. Heys » sur la façon dont Bell a obtenu la certification de l’hélicoptère 429. Toutefois, le bien-fondé de ces hypothèses est une question de faits et non une question pour laquelle il faut solliciter l’opinion d’un expert. Je suis également d’accord avec Airbus pour dire que l’examen des dépenses probables découlant de la présentation d’un témoin expert relativement à la somme litigieuse dans l’instance nécessite une considération plus large de la proportionnalité entre les parties et la Cour. De même, les valeurs monétaires élevées demandées ne doivent pas être assimilées à la complexité des points en litige. À cette fin, le temps et les ressources consacrés par la Cour pour traiter avec les témoins experts supplémentaires doivent être pris considération, ainsi que le temps et les ressources consacrés par Airbus. Il faut également prendre note qu’à cette étape du procès, Airbus n’a appelé qu’un seul témoin comparativement à quatre pour Bell, malgré le fait que le fardeau de la preuve repose sur Airbus. Finalement, on s’inquiète réellement du fait que malgré l’assurance donnée par les avocats de Bell, accorder l’autorisation à Bell pour présenter d’autres témoins experts risquerait d’entraîner un dépassement du temps alloué au procès.

[68]  En conclusion, Bell a déjà appelé en l’espèce quatre de ses cinq témoins experts « de plein droit », ce qui laisse un expert « de plein droit ». Je remarque que sur le plan de la somme des dommages, Airbus n’a appelé qu’un seul expert, M, Heys, alors que Bell prévoit présenter quatre experts en préjudice pour réfuter le rapport de M. Heys lors de la reprise du procès. Après avoir pris en considération tous les facteurs pertinents, je ne crois pas que les observations de Bell relativement à la présentation de témoins experts sont suffisamment convaincantes pour satisfaire au critère très élevé de la Cour pour accorder une autorisation conformément à l’article 52.4 des Règles. Quoi qu’il en soit, compte tenu du fait qu’Airbus n’a pas soulevé la question portant sur le fait que Bell a appelé quatre de ses témoins experts (plutôt que trois) au cours de l’étape de l’examen de la responsabilité, en toute honnêteté, Bell devrait être autorisée à présenter les rapports et les témoignages des experts MM. O’Reilly et Schwartz (un expert de plus que la limite de cinq experts), à moins qu’elle décide de remplacer l’un ou l’autre de ces témoins par M. Dupuis ou M. Wojnar, tant que Bell informe Airbus et la Cour suffisamment à l’avance de tels changements. Toutes les objections des parties concernant les compétences des experts et le contenu inadmissible de certaines parties de leurs apports, ainsi que toutes les autres objections qui n’ont pas été tranchées par l’ordonnance suivante peuvent être présentées par les avocats lors du procès.

[69]  Compte tenu de l’issue, Airbus aura droit aux dépens.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la requête déposée par écrit par Bell pour obtenir une instruction indiquant qu’elle est autorisée à présenter et à se fonder sur les rapports et les témoignages de MM. O’Reilly, Schwartz, Dupuis et Wojnar lors du procès à venir sur le montant des dommages, ou subsidiairement, une ordonnance l’autorisant à présenter et à se fonder sur les rapports d’expert de MM. Dupuis et Wojnar, ainsi que leurs témoignages, entendu que MM. O’Reilly et Schwartz figurent parmi les cinq témoins experts « de plein droit », est refusée. Comme Bell a déjà appelé dans l’instance quatre des cinq experts « de plein droit » autorisés en application de l’article 7 de la Loi sur la preuve au Canada, Bell est autorisée à demander à MM. O’Reilly et Schwartz de présenter leurs rapports et de se faire entendre à titre de témoins lors de la reprise du procès(un expert de plus que la limite de cinq experts), à moins que Bell décide de remplacer l’un d’eux par M. Dupuis ou M. Wojnar, tant que Bell informe Airbus et la Cour suffisamment à l’avance de tels changements. Toutes les objections des parties concernant les compétences des experts et le contenu inadmissible de certaines parties de leurs apports, ainsi que toutes les autres objections qui n’ont pas été tranchées par la présente ordonnance peuvent être présentées par les avocats lors du procès. Airbus aura droit aux dépens de la présente requête.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-737-08

 

INTITULÉ :

AIRBUS HELICOPTERS c BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA LIMITÉE

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À MONTRÉAL (QUÉBEC)

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 mai 2016

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Marek Nitoslawski

Julie Desrosiers

Joanie Lapalme

Michael Shortt

 

POUR LA DEMANDERESSE/

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

Judith Robinson

Joanne Chriqui

Nikita Stepin

Sofia Lopez-Bancalari

 

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE/

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

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