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Date : 20180731


Dossier : T-14-18

Référence : 2018 CF 798

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

KENNETH THORPE TANNER

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un juge de la citoyenneté (le juge de la citoyenneté ou le juge), rendue le 29 novembre 2017 (la décision), rejetant la demande de citoyenneté canadienne, aux termes du paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté, LRC (1985) c C-29 (la Loi).

[2]  Comme il est expliqué de manière plus détaillée ci-dessous, la présente demande est accueillie, puisque je conclus que le juge de la citoyenneté, dans sa conclusion selon laquelle le demandeur avait été effectivement présent au Canada pendant moins de jours que l’exigence minimale de 1 095 jours, a comptabilisé en double les absences de l’automne 2014, rendant ainsi la décision déraisonnable.

II.  Contexte

[3]  Le demandeur, Kenneth Thorpe Tanner, est un citoyen des États-Unis, qui travaille au Canada depuis le 22 mai 2006 comme gestionnaire de projet, au sein de l’entreprise appelée Flatiron Constructors Canada Ltd. Le 2 mai 2015, il a présenté une demande de citoyenneté canadienne, faisant en sorte que la période de quatre ans pertinente à sa demande était comprise entre le 2 mai 2011 et le 2 mai 2015 (la période pertinente). Au début de la période pertinente, M. Tanner vivait et travaillait à Fort McMurray, en Alberta. Toutefois, à l’automne 2013, il a été muté à Richmond, en Colombie-Britannique. Il a donc décidé, avec les membres de sa famille, de déménager à Lynden, dans l’État de Washington, aux États-Unis. À la suite de ce déménagement, M. Tanner avait l’habitude de faire la navette entre Lynden et Richmond chaque jour de la semaine et de passer les fins de semaine à Lynden.

[4]  Pour pouvoir obtenir la citoyenneté canadienne, M. Tanner devait avoir résidé au Canada pendant au moins 1 095 jours au cours de la période pertinente, en application de l’alinéa 5(1)c) de la Loi. Lors de l’examen du respect de l’exigence en matière de résidence, le juge de la citoyenneté a adopté le critère strict de la présence effective, tiré de l’arrêt Re Pourghasemi, [1993] ACF no 232 (TD) [Pourghasemi], selon lequel M. Tanner devait avoir été effectivement présent au Canada pendant 1 095 jours au cours de la période pertinente.

[5]  M. Tanner a calculé qu’il avait passé 1 184 jours au Canada au cours de la période pertinente, ce qui signifie 276 jours d’absence. Toutefois, dans la décision, le juge de la citoyenneté affirme que M. Tanner a indiqué 351 jours d’absence au cours de la période pertinente dans sa demande originale et dans le questionnaire sur la résidence.

[6]  En plus de ces 351 jours d’absence, le juge de la citoyenneté a relevé les absences suivantes, totalisant au moins 14 jours :

  1. Deux jours d’absence relevés au moyen du timbre imprimé dans le passeport de M. Tanner le 25 janvier 2013 à l’aéroport international de Calgary, lesquels, selon M. Tanner, étaient liés à son retour d’un voyage à Scottsdale, en Arizona, qu’il a oublié par erreur;

  2. Huit jours d’absence découlant des fins de semaine passées à Lynden en septembre 2014;

  3. Au moins quatre autres jours d’absence, d’après la conclusion du juge de la citoyenneté selon laquelle M. Tanner avait passé certaines fins de semaine à Lynden, au cours des mois d’octobre, de novembre et de décembre 2014.

[7]  Pour arriver à ces chiffres, le juge de la citoyenneté s’est fondé sur un document intitulé Rapport sur les antécédents de voyage, produit par l’Agence des services frontaliers du Canada, c’est-à-dire le rapport du Système intégré d’exécution des douanes (le rapport du SIED). Dans son affidavit, M. Tanner affirme, en appui à la présente demande de contrôle judiciaire, que, bien qu’il l’ait consulté brièvement lors de l’audition de sa demande de citoyenneté, ce document ne lui a pas été communiqué avant cette date et qu’il n’a pas eu l’occasion d’y répondre pleinement, avec l’aide d’un avocat.

[8]  En se fondant sur le nombre total d’absences énumérées ci-dessus, le juge de la citoyenneté a conclu que M. Tanner avait été effectivement présent au Canada pendant moins de 1 095 jours, au cours de la période pertinente. Ayant adopté l’approche analytique utilisée dans l’arrêt Pourghasemi, le juge de la citoyenneté a conclu que M. Tanner n’avait pas été effectivement présent au Canada pendant une période suffisante, au cours de la période pertinente, pour devenir un citoyen canadien. Par conséquent, sa demande de citoyenneté a été refusée. Il s’agit de la décision que M. Tanner conteste maintenant dans la présente demande de contrôle judiciaire.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[9]  Le demandeur soumet les questions suivantes à la Cour :

  1. Le juge de la citoyenneté a-t-il enfreint les principes d’équité procédurale et de justice naturelle envers le demandeur?

  2. Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur ne répondait pas aux conditions sur la résidence établie, aux termes du paragraphe 5(1) de la Loi?

[10]  Il n’est pas controversé entre les parties, et je suis d’accord que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte, et que la norme de contrôle applicable aux conclusions d’un juge de la citoyenneté relatives aux conditions de résidence prescrites par la Loi est celle de la décision raisonnable (voir l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 55 et 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Wang, 2009 CF 1290, au paragraphe 19).

IV.  Discussion

A.  Le juge de la citoyenneté a-t-il enfreint les principes d’équité procédurale et de justice naturelle envers le demandeur?

[11]  M. Tanner prétend que le juge de la citoyenneté a enfreint l’obligation d’équité procédurale à son endroit, en se fondant sur le rapport du SIED sans lui en avoir remis une copie, ainsi qu’à son avocat, pour leur permettre de répondre aux questions et aux conclusions que le juge avait l’intention de tirer à la lecture de ce document.

[12]  Je conclus que cet argument est non fondé. Il y a manquement à l’équité procédurale lorsqu’un agent d’immigration se fonde sur des éléments de preuve extrinsèques sans permettre à un demandeur d’y répondre. Par élément de preuve extrinsèque, on entend tout élément de preuve dont le demandeur ignore l’existence parce qu’il provient d’une source extérieure. Toutefois, notre Cour a conclu que les rapports du SIED, dont on tient couramment compte dans les analyses en matière de citoyenneté et que les demandeurs peuvent demander de leur propre chef, ne constituent pas des éléments de preuve extrinsèques, aux fins de l’analyse de l’équité procédurale (voir la décision Cheburashkina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 847, aux paragraphes 29 à 31). Plus précisément, quant aux faits de la présente espèce, où M. Tanner a reconnu que, lors de l’audition, le juge de la citoyenneté a mentionné le rapport du SIED comme étant un document où sont consignés ses entrées au Canada en octobre, en novembre et en décembre 2014, je conclus qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

B.  Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur ne répondait pas aux conditions sur la résidence établie, aux termes du paragraphe 5(1) de la Loi?

[13]  Avant d’examiner les arguments de M. Tanner pour appuyer sa thèse selon laquelle la décision est déraisonnable, j’examinerai l’argument principal de l’intimé, le ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté (le ministre), pour appuyer la thèse selon laquelle la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[14]  La demande de citoyenneté de M. Tanner présente une situation factuelle singulière. Comme il a été mentionné ci-dessus, la période pertinente s’étend du 2 mai 2011 au 2 mai 2015. Au début de la période pertinente et pendant environ trois ans avant cette période, M. Tanner et sa famille vivaient à Fort McMurray, en Alberta. Toutefois, à l’automne 2013, sa famille et lui ont déménagé à une adresse à Bellingham dans l’État de Washington, aux États-Unis, et ce, du 24 août 2013 au 20 septembre 2013 et, depuis, ils vivent à leur adresse actuelle à Lynden, dans l’État de Washington. Après avoir déménagé, M. Tanner a fait la navette pour se rendre à son travail, au Canada.

[15]  Le ministre affirme que M. Tanner n’a plus de résidence établie au Canada depuis son déménagement aux États-Unis à l’automne 2013 et que, par conséquent, tous les jours de présence effective au Canada après ce déménagement ne peuvent plus compter à l’égard de sa demande de citoyenneté. Pour étayer cette thèse, le ministre se fonde sur la jurisprudence (voir, par exemple, la décision Al Tayeb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 333, aux paragraphes 8 à 13) enseignant que les demandeurs de citoyenneté doivent satisfaire à l’analyse en deux étapes : a) la résidence au Canada du demandeur a-t-elle été établie? et b) le demandeur a-t-il maintenu sa résidence au Canada? Si la résidence a été établie à la première étape de l’analyse, la deuxième étape de l’analyse peut être réalisée, aux termes du droit applicable à l’époque de la demande de M. Tanner, en employant la méthode quantitative (compter le nombre de jours de présence effective au Canada, comme l’a fait le juge en l’espèce) ou la méthode qualitative (qui, généralement parlant, concerne l’examen du lien entre le demandeur et le Canada). Toutefois, si la première étape de l’analyse n’est pas satisfaite, parce que la résidence au Canada n’a pas été établie, l’analyse s’arrête là. Il n’est pas nécessaire d’examiner la deuxième étape.

[16]  Compte tenu du déménagement de M. Tanner aux États-Unis à l’automne 2013, le ministre prétend qu’il n’y a que 28 mois à l’égard desquels le demandeur est admissible à la prise en compte des jours de présence effective au Canada et, comme il n’est pas possible de cumuler 1 095 jours de présence effective en 28 mois, il ne peut obtenir la citoyenneté. Le ministre établit une comparaison avec la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Roberts, 2009 CF 927 [Roberts], où, au cours de la période pertinente, un citoyen des États-Unis était sans adresse fixe au Canada, sauf pendant une période de trois mois, alors qu’il vivait dans une résidence de l’Université de Toronto. Pour annuler la décision du juge de la citoyenneté, qui avait accueilli la demande de citoyenneté, le juge Near a conclu, aux paragraphes 14 à 17, que le juge n’avait tiré aucune conclusion précise quant à l’établissement de la résidence par le demandeur et que, même en adoptant l’interprétation la plus large possible de la décision du juge et de la preuve dont il était saisi, il était manifeste que le défendeur n’avait pas établi sa résidence au Canada.

[17]  La principale difficulté que pose l’argument du ministre réside dans le fait qu’il n’est pas fondé sur les motifs pour lesquels le juge de la citoyenneté en est arrivé à la décision, en l’espèce, de rejeter la demande de M. Tanner. Le juge reconnaît la séquence des événements pertinents, puisque la décision comporte une énumération des différentes adresses où M. Tanner a habité pendant et avant la période pertinente. Toutefois, la décision ne porte pas sur l’aspect maintenant soulevé par le ministre, c’est-à-dire la thèse selon laquelle M. Tanner n’a pas démontré l’établissement d’une résidence au Canada, ou bien il n’avait plus de résidence établie au Canada à partir de l’automne 2013. Au contraire, la décision porte uniquement sur l’application par le juge du critère établi dans l’arrêt Pourghasemi et sur la conclusion subséquente selon laquelle le nombre de jours où M. Tanner a été absent du Canada au cours de la période pertinente était tel que ce dernier ne satisfait pas à l’exigence de 1 095 jours de présence.

[18]  Il est de jurisprudence constante que lors du contrôle judiciaire d’une décision administrative, une cour doit examiner le caractère raisonnable de la décision, en tenant compte des motifs du décideur. Une partie cherchant à obtenir la confirmation d’une décision ne peut pas étayer son caractère raisonnable en proposant une autre analyse, laquelle n’est pas fondée sur les motifs du décideur, bien qu’elle appuie la même issue (voir, par exemple, M.A.O. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1406, au paragraphe 67). Lorsque cette question a été soulevée à l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, l’avocat du ministre a affirmé que la Cour devrait statuer sur la thèse du ministre et rejeter la demande, puisque le refus de la demande de citoyenneté de M. Tanner est la seule issue fondée en droit, peu importe le raisonnement employé par le juge de la citoyenneté pour rendre la décision.

[19]  La Cour d’appel fédérale a expliqué le principe sur lequel le ministre se fonde dans l’arrêt Robbins c Canada (Procureur général), 2017 CAF 24, au paragraphe 17 [Robbins] :

[17]  Dans l’exercice de notre pouvoir discrétionnaire d’accorder réparation, il est important d’examiner si l’annulation de la décision de la division d’appel aurait une quelconque portée pratique : Mines Alerte, précité; voir également, par exemple, Comité de la bande indienne d’Adams Lake c. Bande indienne d’Adams Lake, 2011 CAF 37, 419 N.R. 385. Dans les cas où le décideur administratif ne pourrait raisonnablement rendre une décision différente, il ne serait d’aucun effet pratique de lui renvoyer l’affaire, de sorte que la cour de révision ne devrait pas accorder une mesure de réparation : Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, 341 D.L.R. (4th) 710, aux paragraphes 44 à 46. Par contre, s’il est concevable que le décideur administratif puisse rendre une décision à la fois différente et raisonnable, il convient d’annuler sa décision et de lui renvoyer l’affaire en sa qualité de juge des faits et du fond : Lemus c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 114, 372 D.L.R. (4th) 567, au paragraphe 38. Il faut faire preuve de prudence à cet égard et résoudre tout doute en faveur du renvoi de l’affaire : Immeubles Port Louis ltée c. Lafontaine (Village), 1991 CanLII 82 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 326, à la page 361. On ne doit pas oublier que c’est le décideur administratif, et non la cour de révision, qui est le juge des faits et du fond : Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, 479 N.R. 189, au paragraphe 23; Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, 428 N.R. 297, aux paragraphes 16 à 19.

[20]  À mon avis, les circonstances en l’espèce ne permettent pas d’invoquer le principe décrit dans l’arrêt Robbins. Si la décision est déraisonnable selon les motifs du juge de la citoyenneté, je ne peux conclure que le renvoi de la demande de M. Tanner à des fins d’examen n’aurait aucune portée pratique, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible que la demande de M. Tanner soit accueillie. Pour arriver à cette conclusion, je note, d’abord, que les circonstances entourant la situation de M. Tanner sont différentes de celle du demandeur dans la décision Roberts, en ce sens qu’il semble que le demandeur en l’espèce a résidé au Canada, de manière habituelle, au cours des 28 premiers mois de la période pertinente. Je note également qu’il est possible, si la décision est annulée et renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour réexamen, que ce juge choisisse d’appliquer l’un des critères qualitatifs lors de l’examen de la demande de M. Tanner, plutôt que le critère énoncé dans l’arrêt Pourghasemi fondé sur le calcul strict des jours de présence effective. Comme le ministre le reconnaît dans ses observations écrites, lorsqu’un demandeur souhaitant obtenir la citoyenneté a vécu hors du Canada pendant la période pertinente à sa demande de citoyenneté, la demande est plus susceptible d’être accueillie selon l’un des critères qualitatifs.

[21]  Par conséquent, je ne suis pas disposé à trancher la présente demande de contrôle judiciaire en fonction d’une analyse non fondée sur les motifs du juge de la citoyenneté, et je refuse de formuler des commentaires sur le fond de l’argument principal du ministre. Il vaut mieux reporter l’examen de cet argument à un autre moment, si la Cour est appelée à se pencher sur une décision rendue par un juge de la citoyenneté qui comporte une analyse de cette nature.

[22]  Par conséquent, j’examinerai maintenant les observations de M. Tanner pour appuyer sa thèse selon laquelle la décision est déraisonnable. Ses principaux arguments veulent que le juge de la citoyenneté ait employé, pour commencer le calcul de ses jours d’absence, un nombre de jours non étayé, différent de celui qu’il avait déclaré dans sa demande et son questionnaire sur la résidence, et que le juge ait ensuite fait augmenter ce nombre en comptabilisant en double certains jours d’absence à l’automne 2014.

[23]  Premièrement, M. Tanner note que le juge de la citoyenneté affirme qu’il a déclaré, dans sa demande originale et son questionnaire sur la résidence, 351 jours d’absence du Canada au cours de la période pertinente. M. Tanner conteste le nombre de 351 jours comme point de départ de l’analyse du juge, quand, comme il le souligne, il a déclaré 276 jours d’absence dans sa demande, et non 351 jours.

[24]  Une explication concernant l’origine de ce nombre de 351 jours est fournie dans un affidavit déposé dans la présente demande de contrôle judiciaire par l’agent de citoyenneté (l’agent) qui a examiné la demande de M. Tanner, avant qu’elle ne soit présentée au juge. La déposition de l’agent veut que le nombre ait été généré par une calculatrice employée par le Système mondial de gestion des cas (SMGC) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), en fonction des renseignements fournis par M. Tanner. L’agent a ensuite inscrit ce nombre dans un document intitulé Compte rendu de décision d’une demande de citoyenneté (CRDDC), lequel a été soumis au juge de la citoyenneté pour l’aider à analyser la demande. Le nombre de 351 jours figure dans le CRDDC, dans une case portant la mention « Total absences » (absences totales). La déclaration pertinente dans la décision du juge est la suivante : [traduction] « [...] le demandeur déclare avoir fait 91 voyages hors du Canada au cours de la période pertinente, pour un total de 351 jours d’absence ». J’en déduis que le juge a conservé le nombre de 351 jours que l’agent lui avait communiqué, après qu’il a été généré par le SMGC, en fonction des absences indiquées par M. Tanner.

[25]  La différence entre le nombre de 351 jours et celui de 276 jours, calculé par M. Tanner, semble découler de la méthode utilisée pour calculer le nombre de jours correspondant à chaque absence. Le ministre explique qu’avant les modifications apportées à la Loi, lesquelles sont entrées en vigueur le 11 juin 2015, la pratique d’IRCC consistait à compter soit le jour du départ du Canada, soit le jour du retour au Canada de la personne, afin de calculer le nombre de jours attribuables à une absence donnée. Toutefois, après le 11 juin 2015, la méthode de calcul a changé de sorte qu’IRCC ne compte ni le jour du départ ni le jour du retour comme un jour d’absence du Canada. M. Tanner a employé la nouvelle méthode de calcul, ce qui a entraîné moins de jours d’absence et plus de jours de présence effective. Toutefois, le ministre fait valoir que, comme M. Tanner a présenté sa demande de citoyenneté avant la modification de la Loi, l’ancienne méthode de calcul doit prévaloir, et il en découle plus de jours d’absence et moins de jours de présence effective au Canada.

[26]  M. Tanner prétend qu’il était raisonnable qu’il emploie la nouvelle méthode de calcul et qu’il était déraisonnable que le juge de la citoyenneté retienne le nombre de 351 jours, plus précisément, sans que la décision indique d’où provenait ce nombre. Cependant, ma décision dans la présente demande de contrôle judiciaire ne porte pas sur la méthode de calcul appropriée ou raisonnable compte tenu des circonstances en l’espèce, puisque ma décision ne concerne pas l’application par le juge du nombre de 351 jours. Comme il est indiqué dans la décision, même avec 351 jours d’absence au cours de la période pertinente, M. Tanner comptait encore 1 109 jours de présence au Canada. Ainsi, le rejet de sa demande ne découlait pas de l’application du nombre de 351 jours, mais de la conclusion du juge selon laquelle il avait été absent du Canada pendant plus de 14 jours supplémentaires.

[27]  L’argument déterminant dans la présente demande de contrôle judiciaire concerne ces 14 jours supplémentaires, découlant du traitement par le juge des absences de M. Tanner à l’automne 2014. Compte tenu de la déposition de l’agent, expliquant la production du nombre de 351 jours par la calculatrice du SMGC, et des documents concernant le calcul du SMGC, dans le dossier certifié du tribunal, la méthode selon laquelle le nombre a été produit est disponible, comme l’a indiqué l’avocat du ministre. Il est donc possible de repérer les absences précises ayant donné lieu au calcul de 351 jours. Ces renseignements confirment le bien-fondé de l’observation de M. Tanner selon laquelle le juge a conclu que le demandeur comptait moins de 1 095 jours de présence effective au Canada, durant la période pertinente, parce qu’il a comptabilisé en double les absences des mois de septembre à décembre 2014.

[28]  Pour arriver à cette conclusion, le juge a tenu compte de deux jours d’absence en février 2013, que M. Tanner reconnaît avoir oublié par erreur. Le reste des jours d’absence additionnels déterminés par le juge concernent les fins de semaine passées aux États-Unis de septembre à décembre 2014. Toutefois, M. Tanner souligne, à juste titre, que les fins de semaine de cette période avaient déjà été comptées comme des absences dans sa demande de citoyenneté.

[29]  De même, si l’on examine le document contenu dans le dossier certifié du tribunal, lequel le ministre a indiqué comme illustrant le calcul du SMGC, une fois de plus, les fins de semaine (ou, dans certains cas, des périodes plus longues que les fins de semaine, mais comprenant ces dernières) étaient déjà comprises dans les absences prises en compte dans le calcul. Il existe une exception à cette conclusion : la demande de citoyenneté de M. Tanner indique une absence de sept jours, du 21 au 29 décembre 2014, laquelle n’est pas comprise dans le calcul du SMGC. Sauf pour cette absence, M. Tanner a raison de prétendre que le calcul du SMGC, lequel a produit le nombre de 351 jours comme expliqué par le ministre, comprend les absences de fins de semaine de septembre à décembre 2014. Le juge de la citoyenneté a donc commis une erreur en ajoutant de nouveau ces absences de fins de semaine dans le calcul du nombre total de jours d’absence au cours de la période pertinente. Même avec l’ajout de l’absence du 21 au 29 décembre 2014, en la comptant comme une absence de 8 jours plutôt que de 7 jours pour tenir compte de la thèse du ministre selon laquelle M. Tanner soustrayait un jour à chacune de ses absences en utilisant la méthode de calcul ayant cours avec les modifications apportées à la Loi en juin 2015, et en ajoutant 2 jours d’absence en février 2013, il reste moins de 10 jours d’absence à ajouter au nombre de 351 jours. Ce calcul donne tout de même 1 099 jours de présence effective au Canada, chiffre qui dépasse le seuil obligatoire de 1 095 jours.

[30]  En conséquence, je conclus que le juge a commis une erreur dans son analyse, laquelle a mené à la conclusion que M. Tanner avait été présent au Canada pendant moins de 1 095 jours, au cours de la période pertinente. La décision est déraisonnable et doit être annulée, ainsi la demande de M. Tanner doit être renvoyée à un autre juge de la citoyenneté aux fins d’une nouvelle détermination.

V.  Questions à certifier

[31]  Chacune des parties a proposé une question à certifier aux fins d’un appel.

[32]  Le demandeur a proposé la question suivante :

Avant le 11 juin 2015, le calcul du nombre de jours visant une demande de citoyenneté canadienne, aux termes du paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté, comprenait-il toute partie d’une journée où le demandeur était effectivement présent au Canada?

[33]  Le défendeur a proposé la question différente suivante :

Un résident permanent ayant présenté une demande de citoyenneté est-il autorisé à continuer de compter les jours de présence effective au Canada, conformément au critère de la présence effective énoncé dans l’arrêt Pourghasemi, pour établir la « résidence », en application de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, lorsqu’au cours de la période pertinente au calcul de la résidence, le demandeur a cessé d’avoir une résidence établie au Canada?

[34]  Chacune des parties s’oppose à la certification de la question proposée par l’autre partie.

[35]  Ni l’une ni l’autre des questions proposées ne sont appropriées à des fins de certification. Aux fins d’un appel devant la Cour d’appel fédérale, une question peut être certifiée comme une question d’importance générale si elle a) transcende les intérêts des parties au litige et b) permet de régler un appel. La question doit avoir été soulevée et examinée à l’occasion de la décision de la Cour fédérale, laquelle procède à la certification (voir les arrêts Torre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 48, au paragraphe 3, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89, au paragraphe 11 et 12). Les questions proposées ci-dessus par les parties en l’espèce ne sont pas abordées dans ma décision. Les questions litigieuses soulevées par ces questions ne permettent pas de régler la présente demande de contrôle judiciaire et elles ne permettraient donc pas de régler un appel. Par conséquent, il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-14-18

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour une nouvelle détermination. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-14-18

INTITULÉ :

KENNETH THORPE TANNER c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION ET DE LA CITOYENNETÉ

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 juin 2018

Jugement et motifs :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 31 JUILLET 2018

COMPARUTIONS :

Brian Portas

Pour le demandeur

Marjan Double

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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