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Dossier : T-1734-16

Référence : 2018 CF 736

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

ELI LILLY CANADA INC.

UBE INDUSTRIES, LTD. ET

DAIICHI SANKYO COMPANY, LIMITED

demanderesses

et

APOTEX INC. ET

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

JUGEMENT PUBLIC ET MOTIFS

I. Les actes de procédure  2

II. Les questions en litige  3

III. Les résultats  5

IV. Le contexte  5

A. Le brevet  5

V. Les témoins des faits des demanderesses  8

A. M. Atsuhiro Sugidachi  8

B. M. Taketoshi Ogawa  11

C. Mme Mary Mutchler  12

VI. Les témoins experts des demanderesses  13

A. M. Robert Falotico  13

VII. Les témoins des faits des défendeurs  14

A. Mme Lisa Ebdon  14

VIII. Les témoins experts des défendeurs  14

A. Dr Randall Zusman  14

B. M. Timothy Warner  15

IX. L’état de la technique  17

A. La personne moyennement versée dans l’art  17

B. Les connaissances générales courantes  17

C. L’art antérieur  23

1) La thèse des demanderesses  23

2) La thèse d’Apotex  25

X. L’interprétation des revendications  29

XI. La validité  31

A. Le fardeau  31

B. L’objet brevetable  32

C. L’évidence  41

1) La date de la revendication, la personne moyennement versée dans l’art, les connaissances générales courantes et l’état de la technique  44

2) L’idée originale des revendications 22 et 29  44

3) Les différences entre l’art antérieur et l’idée originale  46

4) La question de savoir si ces différences constituent des étapes évidentes  48

D. Le caractère suffisant  53

E. La portée des revendications plus vaste que l’invention réalisée ou divulguée  55

XII. Les dépens  56

I.  Les actes de procédure

[1]  Les demanderesses sont Eli Lilly Canada Inc. (Eli Lilly), Ube Industries Ltd. (Ube Industries) et Daiichi Sankyo Company, Ltd. (Daiichi). Eli Lilly, un fabricant de produits pharmaceutiques, distribue et vend notamment le produit EFFIENT® (chlorhydrate de prasugrel). Ube Industries et Daiichi sont les titulaires du brevet canadien no 2 432 644 (le brevet 644). Eli Lilly a inscrit le brevet 644 à l’égard d’EFFIENT® au registre des brevets tenu par le ministre de la Santé (le ministre) conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le RMB(AC)).

[2]  La défenderesse Apotex Inc. (Apotex) est un fabricant de produits pharmaceutiques génériques. Le 18 août 2016, Apotex a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle auprès du ministre afin d’obtenir un avis de conformité relativement au produit Apo-prasugrel, en citant EFFIENT® comme produit de référence canadien. Le 30 août 2016, Apotex a signifié un avis d’allégation portant que [traduction] « le brevet 644 [était] invalide et donc nullement contrefait par l’Apo-prasugrel ».

[3]  Les demanderesses ont répliqué à l’avis d’allégation en introduisant la demande en l’espèce le 14 octobre 2016, en vertu de l’article 6 du RMB(AC), par laquelle elles sollicitent une ordonnance déclarant que l’avis d’allégation et l’énoncé détaillé ne sont pas appropriés pour l’application du RMB(AC) ou, subsidiairement, une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex relativement à l’Apo-prasugrel avant l’expiration du brevet 644.

II.  Les questions en litige

[4]  L’avis d’allégation d’Apotex est libellé ainsi :

[traduction]

 

  1. Les revendications 1 à 58 du brevet 644 ne renferment pas de revendication à l’égard de l’ingrédient médicamenteux, de la formulation, de la forme posologique ou de l’utilisation de l’ingrédient médicamenteux approuvé dans l’avis de conformité;
  2. Apotex ne contrefera aucune des réclamations du brevet 644 en fabriquant, construisant, utilisant ou vendant l’Apo-prasugrel au Canada;
  3. Le brevet 644 est invalide parce que :
  • a) l’objet défini par chacune des revendications aurait été évident pour une personne versée dans l’art;

  • b) l’utilité n’a pas été démontrée avant la date de dépôt, et les inventeurs n’ont pas observé la règle de la prédiction valable;

  • c) les revendications ont une portée plus vaste que n’importe quelle invention réalisée ou divulguée;

  • d) la divulgation n’est pas exacte et exhaustive;

  • e) les revendications 11 (de même que ses revendications dépendantes 12 à 16), 18, 19, 23 (de même que ses revendications dépendantes 24 à 28), 41 (de même que ses revendications dépendantes 44 à 49) et 50 (de même que ses revendications dépendantes 53 à 58) sont ambiguës;

  • f) les revendications concernent un simple agrégat, et non une combinaison brevetable.

[5]  Dans leurs observations écrites et lors de l’audience, les parties ont réduit le litige à deux revendications (les revendications invoquées) :

  • la revendication 22, dépendante des revendications 20 et 18 (l’utilisation du prasugrel dans la préparation d’un médicament administré de manière simultanée avec l’aspirine, sous des formes posologiques différentes, pour prévenir ou traiter les maladies induites par un thrombus ou un embole;
  • la revendication 29 (le prasugrel utilisé en combinaison avec l’aspirine et administrés de manière simultanée ou séquentielle pour prévenir ou traiter les maladies induites par un thrombus ou un embole).

[6]  De plus, la portée des questions en litige a été restreinte aux contestations suivantes quant à la validité :

  1. les revendications du brevet 644 ne portent pas sur un objet brevetable;
  2. les revendications invoquées sont invalides pour cause d’évidence;
  3. le brevet 644 ne fait pas une divulgation exacte et exhaustive;
  4. la revendication 29 a une portée excessive.

III.  Les résultats

[7]  Les conclusions de la Cour sur ces quatre questions sont les suivantes :

  1. les revendications du brevet 644 portent sur un objet brevetable;
  2. les revendications invoquées sont invalides pour cause d’évidence;
  3. le brevet 644 fait une divulgation exacte et exhaustive;
  4. la revendication 29 n’a pas une portée excessive.

IV.  Le contexte

A.  Le brevet

[8]  Le brevet 644 s’intitule [traduction] « Composition pharmaceutique comportant de l’aspirineMC et du CS-747 », la date du dépôt international est le 20 décembre 2001, la date de publication est le 4 juillet 2002 et il a été délivré le 23 juillet 2013. La date de priorité du brevet japonais est le 25 décembre 2000, et l’inscription nationale au Canada a eu lieu le 19 juin 2003.

[9]  Le brevet 644 se rapporte à des compositions pharmaceutiques dont les ingrédients actifs sont la 2-acétoxy-5-(α-cyclopropylcarbonyl-2-fluorobenzyl)-4,5,6,7-tétrahydrothiéno[3,2-c]pyridine (prasugrel) ou son sel acceptable d’un point de vue pharmaceutique, et l’aspirine. Leur activité d’inhibition de l’agrégation plaquettaire et de la thrombogénèse permet d’utiliser ces compositions dans la prévention ou le traitement de maladies induites par un thrombus ou un embole.

[10]  Plus particulièrement, dans la section [traduction] « Domaine technique » du brevet 644, l’invention est décrite comme se rapportant à des compositions pharmaceutiques dont les ingrédients actifs sont le prasugrel et l’aspirine et qui sont utilisées pour la prévention ou le traitement de maladies induites par un thrombus ou un embole; à l’utilisation de compositions pharmaceutiques contenant du prasugrel et de l’aspirine pour la fabrication de compositions pharmaceutiques pour la prévention ou le traitement de maladies induites par un thrombus ou un embole, ainsi qu’aux méthodes de prévention ou de traitement de maladies induites par un thrombus ou un embole par l’administration d’une dose efficace de prasugrel et d’aspirine à des animaux à sang chaud (et particulièrement les humains).

[11]  À la page 1 du brevet 644, sous le titre [traduction] « Technique antérieure », il est expliqué que le prasugrel est un composé connu qui a été décrit dans une demande antérieure de brevet déposée au Japon, et qu’il présente une très bonne activité inhibitrice de l’agrégation plaquettaire. L’aspirine est aussi un composé bien connu pour son activité inhibitrice de l’agrégation plaquettaire. Toutefois, aucune composition pharmaceutique combinant les deux ingrédients n’est connue.

[12]  Aux pages 3b et suivantes du brevet 644, sous le titre [traduction] « Application industrielle », il est expliqué que la combinaison du prasugrel et de l’aspirine est plus efficace que chaque ingrédient utilisé séparément. De plus, il n’est pas nécessaire de maintenir la concentration plasmatique de ces deux ingrédients à un certain niveau ou à un niveau plus élevé pendant le même laps de temps pour qu’ils produisent leurs effets, de sorte qu’ils peuvent être administrés séparément et séquentiellement.

[13]  Les revendications invoquées, soit la revendication 22 (dépendante des revendications 20 et 18) et la revendication 29, sont libellées ainsi :

[traduction]

18. Utilisation [du prasugrel] ou de l’un de ses sels acceptables d’un point de vue pharmaceutique dans la préparation d’un médicament administré simultanément ou séquentiellement avec l’aspirine pour prévenir ou traiter les maladies induites par un thrombus ou un embole.

20. Utilisation selon la revendication 18 ou 19, dans laquelle le médicament est administré de manière simultanée.

22. Utilisation selon la revendication 20, dans laquelle il y a administration simultanée de ladite aspirine séparément [dudit prasugrel], ou de l’un de ses sels acceptables d’un point de vue pharmaceutique.

29. Un composé, soit [le prasugrel] ou l’un de ses sels acceptables d’un point de vue pharmaceutique, utilisé en combinaison avec l’aspirine pour la prévention ou le traitement de maladies induites par un thrombus ou un embole.

V.  Les témoins des faits des demanderesses

A.  M. Atsuhiro Sugidachi

[14]  M. Sugidachi est l’un des inventeurs nommés du brevet 644. Il occupe actuellement le poste de directeur principal et de scientifique en chef chez Daiichi. Il a obtenu un diplôme en sciences pharmaceutiques en 1987, sa maîtrise en 1989 et son doctorat dans le même domaine en 1996. En 1989, il est entré au service de Sankyo Company Ltd. (Sankyo), devenue Daiichi depuis, où il travaillait dans les laboratoires de recherche biologique au sein de l’équipe spécialisée dans le développement de médicaments contre la thrombose (l’équipe de recherche sur la thrombose).

[15]  Il a été demandé à M. Sugidachi de décrire les travaux de recherche menés chez Sankyo qui avaient abouti à l’objet du brevet 644, et plus précisément, ses travaux sur une combinaison quelconque du prasugrel et de l’aspirine, menés avant le 20 décembre 2001, date du dépôt du brevet 644.

[16]  Il a expliqué que son premier projet était axé sur la découverte d’un nouveau composé antagoniste des récepteurs plaquettaires de l’adénosine diphosphate (ADP) dont l’action inhibitrice de l’agrégation plaquettaire permettrait de développer un médicament destiné à un usage clinique. L’équipe de recherche sur la thrombose souhaitait découvrir un composé présentant un meilleur profil (action antiagrégante renforcée et effets secondaires moindres) que la ticlopidine, un médicament antiplaquettaire dont la vente était approuvée au Japon à l’époque. Sankyo avait collaboré avec Ube Industries à la synthèse de centaines de composés, dont le prasugrel.

[17]  M. Sugidachi a expliqué qu’au début des années 1990, le prasugrel avait été reconnu comme l’un des composés d’intérêt pour le développement d’un médicament antiplaquettaire. De multiples travaux de recherche sur le prasugrel ont été menés et publiés durant la deuxième partie des années 1990. On lui a découvert des propriétés antiplaquettaires et antithrombotiques plus puissantes que celles de la ticlopidine chez diverses espèces d’animaux de laboratoire, et les études toxicologiques générales ont révélé une activité minimale. Les essais cliniques ont ensuite indiqué une bonne tolérance chez l’humain.

[18]  Autour de 1996, M. Sugidachi a entrepris des recherches sur les effets du prasugrel combiné à l’aspirine. Quatre rapports internes de Sankyo concernant ces recherches sont joints à son affidavit.

[19]  Le premier rapport, |||||||||||||||||||||||||| (le Rapport 1 de Sankyo), présente les résultats d’une étude ex vivo sur les effets du prasugrel combiné à l’aspirine sur l’agrégation plaquettaire chez les rats. M. Sugidachi a contribué à la conception de l’étude et il a dirigé les expériences. Le rapport indique que la combinaison du prasugrel et de l’aspirine présente |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[20]  Le deuxième rapport, |||||||||||||||||||||| (le Rapport 2 de Sankyo), expose l’effet antithrombotique du prasugrel combiné à l’aspirine chez les rats, ainsi que l’effet du prasugrel combiné à l’aspirine sur le temps de saignement, chez les rats également. M. Sugidachi dirigeait les travaux menés en laboratoire, de concert avec un technicien, et il est l’auteur du rapport. L’étude sur les effets antithrombotiques a été faite sur un modèle de thrombose siégeant à l’anastomose artérioveineuse. Il est écrit dans le rapport que la combinaison du prasugrel et de l’aspirine permet de |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||. Le tableau 1 à la page 8 du brevet 644 reproduit une partie des données recueillies lors de l’étude.

[21]  M. Sugidachi a mentionné que d’autres rapports internes de Sankyo traitaient d’études sur la combinaison de l’aspirine et du prasugrel. L’un d’eux, |||||||||||||||||||||||| (le Rapport 3 de Sankyo), confirme |||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| chez des chiens de race beagle. Un autre rapport, |||||||||||||||||||||||||| (le Rapport 4 de Sankyo), compare les effets antiplaquettaires de l’aspirine combinée au prasugrel à ceux de l’aspirine combinée au clopidogrel chez les rats, et montre que |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[22]  Il affirme qu’avant ces études, les bénéfices de la combinaison de l’aspirine et du prasugrel étaient inconnus. Il redoutait notamment que cette combinaison provoque des saignements excessifs. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| À la lumière des données, il a conclu qu’il serait avantageux de combiner le prasugrel et l’aspirine pour le traitement ou la prévention de maladies induites par un thrombus ou un embole chez l’humain.

B.  M. Taketoshi Ogawa

[23]  M. Taketoshi est l’un des inventeurs nommés du brevet 644. Il occupe actuellement un poste de directeur principal chez Daiichi. Il détient une maîtrise en pharmacie et a obtenu un doctorat en sciences pharmaceutiques en 2001. Il est entré chez Daiichi (alors Sankyo) en 1993, comme membre de l’équipe de recherche sur la thrombose. À cette époque, il relevait directement de M. Sugidachi.

[24]  M. Ogawa a été invité à décrire les recherches qu’il avait menées sur une combinaison quelconque du prasugrel avec l’aspirine avant le 20 décembre 2001. Il a joint à son affidavit les mêmes rapports de Sankyo que ceux auxquels M. Sugidachi a fait référence.

[25]  Le Rapport 3 de Sankyo, dont il est l’auteur, décrit les recherches sur les effets du prasugrel, de l’aspirine et de leur combinaison sur l’agrégation plaquettaire chez les chiens. Il a conclu dans ce rapport que la combinaison du prasugrel et de l’aspirine présentait |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[26]  Dans le Rapport 4 de Sankyo, il est question d’une étude ex vivo à laquelle a pris part M. Ogawa et qui comparait l’effet antiplaquettaire de la combinaison aspirine-prasugrel chez les rats à celui de la combinaison aspirine-clopidogrel, 30 minutes après l’administration orale. L’auteur de ce rapport a conclu que la combinaison de l’aspirine et du prasugrel, |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[27]  Les deux autres rapports ont décrit aussi des études sur la combinaison de l’aspirine et du prasugrel qui avaient été menées avant le dépôt du brevet 644 (Rapports 1 et 2 de Sankyo).

[28]  Selon M. Ogawa, ces rapports révèlent l’utilité de la combinaison de l’aspirine et du prasugrel comme traitement antithrombotique chez les animaux et les humains.

C.  Mme Mary Mutchler

[29]  Mme Mutchler est auxiliaire juridique chez Belmore Neidrauer LLP. Elle a joint à son affidavit une copie certifiée conforme du brevet 644, de l’avis d’allégation d’Apotex et des documents y cités, des extraits de la présentation abrégée de drogue nouvelle d’Apotex, ainsi que les documents versés au dossier de la Cour et les ordonnances ayant trait à la présente instance.

VI.  Les témoins experts des demanderesses

A.  M. Robert Falotico

[30]  M. Falotico est actuellement consultant privé dans le secteur pharmaceutique et des appareils médicaux. En 1974, il a obtenu son baccalauréat en sciences biomédicales de l’Université Brown (Providence, Rhode Island) et, en 1980, il a terminé son doctorat en pharmacologie à l’École de médecine de l’Université du Minnesota.

[31]  En 2013, M. Falotico a pris sa retraite de Johnson & Johnson, après 34 années consacrées à la recherche et au développement dans le domaine pharmaceutique et des appareils médicaux. Il avait entamé sa carrière en 1980 chez Johnson & Johnson, dans la Division de la découverte de médicaments contre les maladies cardiovasculaires. De 1991 à 1995, il a été directeur adjoint de la Recherche sur la découverte de médicaments, chef de la Pharmacologie cardiovasculaire, et coresponsable de l’équipe de recherche sur la thrombose. Après 1995, parallèlement à ses fonctions au sein de l’équipe de recherche sur la thrombose, il s’est concentré sur la découverte de traitements des thromboses et des resténoses, qui font partie des complications majeures après la pose d’une endoprothèse (« stent »). Il dirigeait l’équipe qui a développé la première endoprothèse imprégnée de médicaments pour le traitement de la resténose.

[32]  M. Falotico est un grand expert du domaine de la pharmacologie cardiovasculaire et de la découverte de médicaments, notamment en ce qui concerne le développement de traitements des maladies cardiovasculaires. Il est l’auteur de quelque 45 publications à comité de lecture, de plus de 90 résumés d’articles, et il est l’inventeur ou le coinventeur de 27 brevets délivrés aux États‑Unis. Il a reçu d’innombrables prix et distinctions au cours de sa carrière chez Johnson & Johnson.

[33]  M. Falotico a soumis un rapport d’expert sur les questions directement liées à la validité et à la contrefaçon du brevet 644. Les présents motifs citent des extraits de ses observations qui sont pertinents à l’égard de l’analyse de la Cour.

VII.  Les témoins des faits des défendeurs

A.  Mme Lisa Ebdon

[34]  Mme Ebdon est auxiliaire juridique chez Goodmans LLP. Son affidavit est accompagné de certains documents énumérés à l’annexe B de l’avis d’allégation.

VIII.  Les témoins experts des défendeurs

A.  Dr Randall Zusman

[35]  Le Dr Zusman est professeur agrégé de médecine à l’École de médecine de l’Université Harvard et il exerce sa profession de médecin à l’Hôpital général du Massachusetts (l’HGM), situé à Boston. Il a obtenu son baccalauréat en chimie de l’Université du Michigan en 1969 et son doctorat en médecine de l’École de médecine de l’Université Yale en 1973.

[36]  Le Dr Zusman, un médecin-praticien comptant 44 années d’expérience, dont plus de 42 années en cardiologie, à titre de médecin et de chercheur clinicien. Il a occupé les postes administratifs importants de directeur de l’Unité de cardiologie de l’HGM et du Programme de réadaptation cardiologique rattaché à l’Hôpital de réadaptation Spaulding de Boston, au Massachusetts. Depuis 1982, il dirige le Secteur de l’hypertension de la Division de la cardiologie des services médicaux de l’HGM.

[37]  Le Dr Zusman est devenu professeur agrégé de médecine à l’École de médecine de l’Université Harvard en 1994. Il a rédigé ou corédigé 50 publications à comité de lecture qui ont été classées parmi les rapports originaux pertinents dans le domaine de la recherche en cardiologie, 83 rapports de recherche à comité de lecture classés comme communications sur les essais cliniques, 31 articles de revue sur la cardiologie et l’hypertension, et 14 chapitres de livre traitant de sujets liés à la cardiologie. À titre de clinicien-chercheur, il a participé à de multiples essais cliniques novateurs qui ont établi la norme en matière de principes de soins des patients présentant une pathologie cardiovasculaire, y compris à l’égard des traitements pharmacologiques antiplaquettaires. Son travail lui a valu de nombreuses récompenses tout au long de sa carrière.

[38]  Le Dr Zusman a soumis un rapport d’expert sur des questions directement liées à la validité et à la contrefaçon du brevet 644. Les présents motifs citent des extraits de ses observations qui sont pertinents à l’égard de l’analyse de la Cour.

B.  M. Timothy Warner

[39]  M. Warner enseigne dans le domaine de l’inflammation vasculaire et dirige l’Institut Blizard de l’Université Queen Mary de Londres, au Royaume-Uni. Il a terminé un baccalauréat en pharmacologie au Collège Chelsea (devenu ensuite le Collège King’s de Londres) en 1986, ainsi qu’un doctorat à l’Institut de recherche William Harvey de l’Université de Londres en 1989. Il a ensuite fait des études postdoctorales auprès d’un éminent pharmacologue-biochimiste à l’Université Northwestern et aux Laboratoires Abbott de Chicago.

[40]  En 1992, M. Warner est retourné à l’Institut de recherche William Harvey, il a obtenu une charge de cours en sciences fondamentales à la Fondation britannique du coeur en 1995, puis il est devenu professeur en inflammation vasculaire en 2000. Il a également été doyen adjoint chargé des recherches de troisième cycle à l’École de médecine et de dentisterie (de 2014 à 2017), puis directeur adjoint (Recherche et Innovation) pour l’Initiative des sciences de la vie à l’Université Queen Mary de Londres (de 2015 à 2017).

[41]  Il mène actuellement des recherches sur les liens croisés entre les médiateurs vasoactifs formés localement (médiateurs biochimiques induisant une dilatation ou une constriction des vaisseaux sanguins), les plaquettes et les traitements antithrombotiques, notamment l’aspirine et les antagonistes des récepteurs de l’ADP. Il a publié au-delà de 250 rapports de recherche, revues, articles et résumés, et il est l’éditeur en chef de la revue Platelets.

[42]  M. Warner a soumis un rapport d’expert sur les questions directement liées à la validité et à la contrefaçon du brevet 644. Les présents motifs citent des extraits de ses observations qui sont pertinents à l’égard de l’analyse de la Cour.

IX.  L’état de la technique

A.  La personne moyennement versée dans l’art

[43]  Les témoins experts des parties sont d’accord sur le fait qu’un pharmacologue menant des recherches précliniques sur les médicaments antithrombotiques et antiplaquettaires peut être considéré comme une personne moyennement versée dans l’art, mais ils ne s’entendent pas sur la question de savoir si un clinicien est aussi une personne moyennement versée dans l’art. Plus particulièrement, M. Falotico ne croit pas qu’un clinicien serait la personne idéale pour examiner le brevet 644, dans lequel il est question d’expériences et de données précliniques.

[44]  Pour ma part, j’estime, à l’instar de M. Warner et du Dr Zusman, qu’une personne moyennement versée dans l’art peut être un clinicien qui traite des patients souffrant de maladies induites par un thrombus ou un embole. Le brevet 644 porte avant tout sur l’utilisation du prasugrel et de l’aspirine dans la prévention et le traitement de maladies induites par un thrombus ou un embole. De plus, il est question dans le brevet 644 des rapports de doses du prasugrel et de l’aspirine, ainsi que des limites de dose supérieures et inférieures en fonction des symptômes du patient. Ces éléments du brevet 644 s’adressent à un clinicien qui a reçu une formation pour administrer les doses de médicaments appropriées au patient.

B.  Les connaissances générales courantes

[45]  Les connaissances générales courantes sont celles qui sont attendues d’une personne moyennement versée dans l’art à la date de la revendication (le 25 décembre 2000) pour ce qui est de l’analyse des questions d’évidence, ainsi qu’à la date de la publication du brevet (le 4 juillet 2002) pour ce qui est de l’interprétation de ses revendications.

[46]  La Cour définit en quoi devraient consister les connaissances générales courantes dans la décision Eli Lilly and Company c Apotex Inc, 2009 CF 991, au paragraphe 97, conf. par 2010 CAF 240 [Eli Lilly] (un emprunt à l’arrêt General Tire & Rubber Co c Firestone Tyre & Rubber Co, [1972] RPC 457, [1971] FSR 417 (C.A. du R.‑U.), aux pages 482 et 483) :

1) Les connaissances générales courantes se distinguent de ce que le droit des brevets considère comme des connaissances publiques. Les connaissances publiques sont théoriques et englobent chacun des mémoires descriptifs publiés, bien qu’il soit peu vraisemblable qu’il soit consulté, quelle que soit la langue dans laquelle il est rédigé. Par ailleurs, les connaissances générales courantes sont dérivées d’une conception rationnelle de ce qui serait en fait connu par une personne adéquatement versée dans l’art, qui existerait réellement et qui ferait bien son travail.

2) Les connaissances générales courantes englobent les mémoires descriptifs qui sont bien connus de ceux qui sont versés dans l’art. Dans certains secteurs d’activités, la preuve peut indiquer que tous les mémoires descriptifs de brevets font partie des connaissances pertinentes.

3) Les connaissances générales courantes n’incluent pas forcément des documents scientifiques, peu importe le tirage ou le lectorat d’un article en particulier. La divulgation dans un article scientifique devient une connaissance générale courante lorsqu’elle est connue de manière générale et acceptée d’emblée par la majorité de ceux qui pratiquent l’art en question.

4) Ne constitue pas une connaissance générale courante un élément qui a fait l’objet d’un écrit, mais qui n’a jamais, dans les faits, été utilisé dans un art en particulier.

[47]  Pour ce qui est de la démarche à suivre pour établir la teneur des connaissances générales courantes, au paragraphe 100 de la décision Eli Lilly, la Cour cite Simon Thorley et al., Terrell on the Law of Patents, 16e éd. (Londres, Sweet & Maxwell, 2006) :

[traduction]

La preuve des connaissances courantes est présentée par des témoins compétents pour parler de la question et qui, pour ajouter à leurs propres souvenirs, peuvent s’appuyer sur des travaux standards sur le sujet qui ont été publiés à l’époque et qu’ils connaissaient. Afin de répondre à la question de savoir si une chose appartient aux connaissances générales courantes, il faut d’abord et avant tout examiner les sources auprès desquelles le destinataire versé dans l’art aurait pu obtenir ces renseignements.

La publication d’autres documents tels que le mémoire descriptif du brevet à la date pertinente ou avant celle-ci peut, dans une certaine mesure, être une preuve prima facie tendant à montrer que les déclarations que contenaient les documents faisaient partie des connaissances courantes, mais cette preuve est loin d’être une preuve complète, car les déclarations peuvent avoir été discréditées ou oubliées ou simplement écartées. Il est cependant possible de présenter une preuve pour démontrer que ces déclarations sont en effet venues à faire partie des connaissances courantes.

[Renvois omis.]

[48]  Les experts des parties ont reconnu que plusieurs caractéristiques liées à la formation de caillots sanguins et à leur traitement faisaient partie des connaissances générales courantes à la date de la revendication :

[traduction]

  1. La coagulation du sang (formation de thrombus ou thrombogénèse) empêche les saignements excessifs quand un vaisseau est endommagé. Le thrombus est un caillot qui se forme dans une artère ou une veine, alors qu’une embolie est un caillot entraîné par la circulation sanguine. La formation d’un thrombus ou d’un embole peut provoquer des affections graves, voire mortelles, comme l’angine instable, un infarctus du myocarde, un accident vasculaire cérébral ou un accident ischémique transitoire.
  2. Les plaquettes sanguines se lient pour former le bouchon initial et sont de ce fait essentielles à la coagulation. Une fois le bouchon initial formé, les matières hématogènes (fibrine) s’agglutinent et scellent l’intérieur de la blessure. Ensuite, l’emprisonnement d’autres plaquettes et globules rouges dans le bouchon amorce le processus de guérison.
  3. À la date de la revendication, plusieurs voies physiologiques associées à ce processus étaient dans la mire des chercheurs en quête de cibles pour empêcher la formation de caillots sanguins :
  4. L’enzyme thrombine transforme le fibrinogène, une protéine, en fibrine;
  • a) La thrombine s’agglutine également aux plaquettes et active un récepteur à leur surface, la glycoprotéine IIb/IIIa (la GPIIb/IIIa);

  • b) Quand une artère est endommagée, les plaquettes ainsi que les globules rouges endommagés libèrent de l’adénosine-diphosphate (ADP), qui se fixe aux plaquettes et active les récepteurs de la GPIIb/IIIa;

  • c) La blessure d’une artère induit également la libération d’acide arachidonique des plaquettes. L’acide arachidonique est transformé en thromboxane A2 par les enzymes cyclo-oxygénase-1 (COX-1) et thromboxane synthétase. Le thromboxane A2 se lie aux plaquettes et active les récepteurs de la GPIIb/IIIa;

  • d) Une fois activés par la thrombine, l’ADP ou le thromboxane A2, les récepteurs de la GPIIb/IIIa adhèrent au fibrinogène et induisent une agrégation plaquettaire.

[49]  Ces voies physiologiques sont illustrées dans les diagrammes des pages 29 et 30 de l’affidavit de M. Falotico :

 

  • a) L’acide acétylsalicylique, communément appelé aspirine, était connu pour son action inhibitrice de la voie du thromboxane A2 par inhibition de l’enzyme COX-1. À la date de la revendication, l’aspirine était utilisée comme traitement antithrombotique habituel, mais elle présentait un risque de réactions allergiques et d’hémorragies digestives chez certains patients.

  • b) D’autres matières connues bloquaient de manière irréversible les récepteurs plaquettaires de l’ADP. Deux de ces matières, la ticlopidine et le clopidogrel, avaient été approuvées pour la vente à titre de monothérapies. La ticlopidine avait un long délai d’action accompagné de risques d’effets secondaires graves. Le clopidogrel, plus efficace, avait un délai d’action plus court et des effets secondaires moins lourds. La troisième matière, le prasugrel, a été présentée dans les écrits comme ayant un profil amélioré par rapport au clopidogrel, même si elle n’avait pas encore été approuvée pour la vente. La ticlopidine, le clopidogrel et le prasugrel, des matières parentes sur le plan structurel, forment le groupe des « thiénopyridines » en raison de leurs cycles thiophénique et tétrahydropyridinique fusionnés :

[50]  Je conviens que toutes les descriptions données aux points a) à e) ci-dessus constituaient des connaissances générales courantes à la date pertinente. Certaines divergences de vues ont été exprimées quant à l’interprétation des publications scientifiques à la date de la revendication concernant le lien entre ces trois thiénopyridines et les résultats de leur combinaison avec l’aspirine. Les principaux documents relatifs à l’antériorité invoqués par les parties sont décrits ci-après.

C.  L’art antérieur

1)  La thèse des demanderesses

[51]  Les demanderesses soutiennent que les articles suivants font la démonstration de l’absence d’« effet de classe » des thiénopyridines utilisées dans le traitement des maladies thrombotiques :

  • Asai et al., « CS-747, a New Platelet ADP Receptor Antagonist » (Annu Rep Sankyo Res Lab, 1999 : 51, p. 1 à 44) (« Asai et al. (1999) no 1 »);
  • Sugidachi et al., « The in vivo pharmacological profile of CS-747, a novel antiplatelet agent with platelet ADP receptor antagonist properties » (Br J Pharmacol, 2000 : 129, p. 1439 à 1446).

[52]  Les demanderesses soutiennent en outre que le rapport suivant montre qu’un traitement idéal des maladies thrombotiques devrait provoquer une liaison réversible, au contraire de la ticlopidine, du clopidogrel et du prasugrel :

  • Smallheer et al., « Chapter 10: Antiplatelet Therapies » (Annu Rep Med Chem, 2000 : 35, p. 103 à 122).

[53]  Toujours selon les demanderesses, l’article suivant décrit comment des essais cliniques ont révélé l’effet synergique de la combinaison clopidogrel-aspirine :

  • Herbert et al., « The Antiaggregating and Antithrombotic Activity of Clopidogrel Is Potentiated by Aspirin in Several Experimental Models in the Rabbit » (Thromb Haemost, 1998 : 80, p. 512 à 518).

[54]  Les demanderesses affirment également que les documents d’antériorité suivants établissent que la combinaison de la ticlopidine et de l’aspirine n’avait pas d’effet synergique antithrombotique :

  • brevet américain 5 989 578, daté du 23 novembre 1999 et intitulé « Associations of Active Principles Containing Clopidogrel and an Antithrombotic Agent »;
  • brevet canadien 1 066 193, daté du 13 novembre 1979 et intitulé « Composé thérapeutique inhibant l’agrégation des plaquettes sanguines »;
  • Farrell et al., « The Lack of Augmentation by Aspirin of Inhibition of Platelet Reactivity by Ticlopidine » (Am J Cardiol, 1999 : 83, p. 770 à 774);
  • Uchiyama et al., « Combination Therapy With Low-Dose Aspirin and Ticlopidine in Cerebral Ischemia » (Stroke, 1989 : 20, p. 1643 à 1647);
  • Rupprecht et al., « Comparison of Antiplatelet Effects of Aspirin, Ticlopidine, or Their Combination After Stent Implantation » (Circulation, 1998 : 97, p. 1046 à 1052).

2)  La thèse d’Apotex

[55]  Apotex estime que les articles suivants font la démonstration que les traitements combinés à base de ticlopidine et d’aspirine ou de clopidogrel et d’aspirine étaient devenus la norme dans la lutte contre les maladies induites par un thrombus ou un embole :

  • Jarvis et Simpson, « Clopidogrel: A Review of its Use in the Prevention of Atherothrombosis » (Drugs, 2000 : 60, p. 347 à 377);
  • Mishkel et al., « Clopidogrel as Adjunctive Antiplatelet Therapy During Coronary Stenting » (J Am Coll Cardiol, 1999 : 34, p. 1884 à 1890).

[56]  Apotex soutient en outre que les articles suivants montrent que les traitements combinés à base d’aspirine et de ticlopidine ou de clopidogrel permettaient de tirer parti des mécanismes d’action complémentaires des thiénopyridines et de l’aspirine :

  • Uchiyama et al. (1989), susmentionné;
  • Gorelick et al., « Therapeutic Benefit: Aspirin Revisited in Light of Introduction of Clopidogrel » (Stroke, 1999 : 30, p. 1716 à 1721).

[57]  Apotex est aussi d’avis que les articles suivants démontrent l’innocuité et l’efficacité de la combinaison d’une thiénopyridine avec l’aspirine dans la prévention et le traitement des maladies induites par un thrombus ou un embole, et son efficacité supérieure à leur utilisation en monothérapie :

  • Uchiyama et al. (1989), susmentionné;
  • Van Belle et al., « Two-pronged antiplatelet therapy with aspirin and ticlopidine without systematic anticoagulation: an alternative therapeutic strategy after bailout stent implantation » (Coron Artery Dis, 1995 : 6, p. 341 à 345);
  • Schömig et al., « A Randomized Comparison of Antiplatelet and Anticoagulant Therapy after the Placement of Coronary-Artery Stents » (N Engl J Med, 1996 : 334, p. 1084 à 1089);
  • Goods et al., « Comparison of Aspirin Alone Versus Aspirin Plus Ticlopidine After Coronary Artery Stenting », (Am J Cardiol, 1996 : 78, p. 1042 à 1044);
  • Lecompte et al., « Antiplatelet Effects of the Addition of Acetylsalicylic Acid 40 Mg Daily to Ticlopidine in Human Healthy Volunteers » (Clin Appl Thromb Hemost, 1997 : 3, p. 245 à 250);
  • Neumann et al., « Antiplatelet Effect of Ticlopidine After Coronary Stenting » (J Am Coll Cardiol, 1997 : 29, p. 1515 à 1519);
  • Leon et al., « A Clinical Trial Comparing Three Antithrombotic-Drug Regimes After Coronary Artery Stenting » (N Engl J Med, 1998 : 339, p. 1665 à 1671);
  • Urban et al., « Randomized Evaluation of Anticoagulation Versus Antiplatelet Therapy After Coronary Stent Implantation in High-Risk Patients » (Circulation, 1998 : 98, p. 2126 à 2132);
  • Moussa et al., « Effectiveness of Clopidogrel and Aspirin Versus Ticlopidine and Aspirin in Preventing Stent Thrombosis After Coronary Stent Implantation » (Circulation, 1999 : 99, p. 2364 à 2366);
  • Mishkel et al. (1999), susmentionné;
  • Muller et al., « A Randomized Comparison of Clopidogrel and Aspirin Versus Ticlopidine and Aspirin After the Placement of Coronary-Artery Stents » (Circulation, 2000 : 101, p. 590 à 593);
  • Moshfegh et al., « Anitplatelet Effects of Clopidogrel Compared With Aspirin After Myocardial Infarction: Enhanced Inhibitory Effects of Combination Therapy » (J Am Coll Cardiol, 2000 : 36, p. 699 à 705);
  • Betrand et al., « Double-Blind Study of the Safety of Clopidogrel With and Without a Loading Dose in Combination With Aspirin Compared With Ticlopidine in Combination With Aspirin After Coronary Stenting » (Circulation, 2000 : 102, p. 624 à 629);
  • Bossavy et al., « A Double-Blind Randomized Comparison of Combined Aspirin and Ticlopidine Therapy Versus Aspirin or Ticlopidine Alone on Experimental Arterial Thrombogenesis in Humans » (Blood, 1998 : 92, p. 1518 à 1525).

[58]  Apotex estime de plus que les documents d’antériorité suivants établissent que la combinaison d’une thiénopyridine et de l’aspirine produit un effet synergique antiplaquettaire et antithrombotique :

  • brevet canadien 1 066 193, susmentionné;
  • brevet américain 5 989 578, susmentionné;
  • Rupprecht et al. (1998), susmentionné;
  • Moshfegh et al. (1998), susmentionné;
  • Herbert et al. (1998), susmentionné;
  • Harker et al., « Clopidogrel Inhibition of Stent, Graft, and Vascular Thrombogenesis With Antithrombotic Enhancement by Aspirin in Nonhuman Primates » (Circulation, 1998 : 98, p. 2461 à 2469);
  • Quinn and Fitzgerald, « Ticlopidine and Clopidogrel » (Circulation, 1999 : 100, p. 1667 à 1672);
  • Cadroy et al., « Early Potent Antithrombotic Effect With Combined Aspirin and a Loading Dose of Clopidogrel on Experimental Arterial Thrombogenesis in Humans » (Circulation, 2000 : 101, p. 2823 à 2828).

[59]  Enfin, Apotex soutient que les documents d’antériorité suivants ont établi que le prasugrel constituait la thiénopyridine de troisième génération, qu’il offrait certains avantages par rapport au clopidogrel et à la ticlopidine, que l’on s’attendait à l’utilité du prasugrel pour prévenir les maladies thrombotiques, et qu’il présentait un rapport avantages/risques d’hémorragie comparable à celui du clopidogrel :

  • brevet canadien 2 077 695, déposé le 8 septembre 1992 et intitulé « Dérivés de l’hydropyridine présentant une activité antithrombotique »;
  • Asai et al., « Antithrombotic and Antiplatelet Effects of CS-747, a Novel P2T Antagonist » (J Thromb Haemost, 1999 (Supp) p. 829) (« Asai et al. (1999) no 2);
  • Asai et al. no 1, susmentionné;
  • Sugidachi et al. (2000), susmentionné;

X.  L’interprétation des revendications

[60]  La date pertinente pour l’interprétation des revendications du brevet 644 est sa date de publication, le 4 juillet 2002.

[61]  L’interprétation des revendications constitue une question de droit qu’il appartient à la Cour de trancher avant l’examen des questions de contrefaçon et de validité. La Cour suprême du Canada a établi les règles d’interprétation des revendications dans une trilogie d’arrêts : Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67 [Whirlpool], aux paragraphes 49 à 55; Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66, aux paragraphes 44 à 54, Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Sask) Ltd, [1981] 1 RCS 504, au paragraphe 27.

[62]  Ces arrêts énoncent que :

  • a) les revendications doivent être lues de façon éclairée et téléologique, avec un esprit désireux de comprendre du point de vue de la personne moyennement versée dans l’art à la date de la publication, et en tenant compte des connaissances générales courantes;

  • b) le respect du libellé des revendications permet de les interpréter de la manière dont l’inventeur est présumé l’avoir voulu et d’une façon favorable à l’atteinte de l’objectif de l’inventeur, ce qui favorise à la fois l’équité et la prévisibilité;

  • c) l’ensemble du mémoire descriptif devrait être pris en compte afin de s’assurer de la nature de l’invention, et l’interprétation des revendications ne doit pas être indulgente ni dure, mais elle devrait plutôt être raisonnable et équitable tant pour le titulaire du brevet que pour le public.

[63]  Bien que des experts puissent aider la Cour à interpréter des termes ou des éléments des revendications, cette aide n’est nécessaire que lorsque la Cour le juge utile – si la signification des termes est évidente d’après le mémoire descriptif du brevet, la Cour n’a pas besoin de l’avis d’experts.

[64]  Les parties s’entendent dans l’ensemble sur l’interprétation des revendications invoquées.

[65]  La revendication 22, dépendante des revendications 18 et 20, se décompose ainsi :

  • utilisation du prasugrel ou d’un sel pharmaceutiquement acceptable de celui-ci;
  • dans la préparation d’un médicament;
  • pour l’administration simultanée, mais séparée, de l’aspirine;
  • dans la prévention ou le traitement d’une maladie induite par un thrombus ou un embole.

[66]  La revendication 29 se décompose ainsi :

  • le prasugrel ou un sel pharmaceutiquement acceptable de celui-ci;
  • utilisé en combinaison avec l’aspirine;
  • dans la prévention ou le traitement d’une maladie induite par un thrombus ou un embole.

[67]  La revendication 29 ne précise pas si l’administration du prasugrel et de l’aspirine doit être simultanée ou séquentielle, laissant supposer que les deux possibilités existent. Les parties sont d’accord pour dire que le terme « séquentielle » signifie que l’un des deux ingrédients doit être administré avant ou après l’autre, mais leurs avis divergent sur la question de savoir si une personne moyennement versée dans l’art comprendrait quel est l’intervalle à respecter entre les doses des deux ingrédients. Une analyse détaillée de cette question suit; elle sera axée sur l’insuffisance et la portée plus large des revendications que celle de l’invention réalisée ou divulguée.

[68]  Les parties et leurs témoins experts divergent également d’avis sur la présence dans les revendications 22 et 29 de l’idée de l’effet synergique de la combinaison du prasugrel et de l’aspirine dans la prévention et le traitement de la thrombose. Ce sujet fait aussi l’objet d’une analyse détaillée ci-dessous dans le contexte de l’objet brevetable et de l’évidence.

XI.  La validité

A.  Le fardeau

[69]  La présomption de validité énoncée au paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4, est faible; une fois qu’Apotex a produit une preuve « vraisemblable » pour la réfuter, le fardeau ultime est transféré aux demanderesses, qui doivent alors établir selon la prépondérance des probabilités que toutes les allégations d’invalidité avancées sont injustifiées (Meda AB c Canada (Santé), 2016 CF 1362, au paragraphe 52).

[70]  Les parties conviennent que les demanderesses doivent faire la preuve, selon la prépondérance des probabilités, que l’allégation d’invalidité d’Apotex est injustifiée.

B.  L’objet brevetable

[71]  Les combinaisons de compositions de matières et leur utilisation sont brevetables si l’objet revendiqué est nouveau, utile et non évident (Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188 [Bridgeview], aux paragraphes 6 à 12 et 51).

[72]  Il est toutefois essentiel, pour établir la validité d’un brevet qui se rapporte à une combinaison, que celle-ci produise un résultat unitaire et que ce résultat soit différent de la somme des résultats de chacun des éléments (R c American Optical Co (1950), 13 CPR 87, aux pages 98 et 99 [C de l’É]).

[73]  Apotex allègue que les revendications du brevet 644 sont invalides, nulles et sans effet, puisqu’elles visent un [traduction] « simple agrégat, et non une combinaison brevetable », auquel ne s’applique pas la définition d’une invention selon l’article 2 de la Loi sur les brevets. La [traduction] « prétendue invention » concerne une combinaison additive du prasugrel et de l’aspirine, c’est-à-dire que l’utilisation du prasugrel et de l’aspirine ne donne pas un résultat qui est nouveau ou différent par rapport au résultat de l’utilisation séparée des deux matières.

[74]  Apotex affirme également que les revendications invoquées ne se limitent pas aux combinaisons de prasugrel et d’aspirine qui produisent un effet synergique. La divulgation du brevet 644 ne comporte aucune assertion concernant l’effet synergique de la combinaison du prasugrel et de l’aspirine. Tout au plus, des données du tableau 1 de la page 8 du brevet 644 pourraient étayer une découverte d’effet synergique. La preuve sur ce point est contradictoire, mais, au vu de l’ensemble de la preuve présentée, les demanderesses ne se sont pas acquittées du fardeau qui leur incombait à l’égard de cette question.

[75]  Les rapports de Sankyo, cités par MM. Sugidachi et Ogawa, révèlent ce qui suit :

  • Le Rapport de Sankyo 1 a décrit l’effet ex vivo du prasugrel combiné à l’aspirine sur l’agrégation plaquettaire chez les rats. Les auteurs ont constaté que la combinaison du prasugrel et de l’aspirine présentait ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
  • Le Rapport 2 de Sankyo a décrit l’effet de la combinaison du prasugrel et de l’aspirine chez les rats : 1) sur la formation de thrombus dans un modèle d’anastomose artérioveineuse; 2) sur la prolongation du temps de saignement. Les auteurs ont conclu que la combinaison du prasugrel et de l’aspirine entraînait |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| Certaines méthodes et données de l’étude ont été divulguées dans le brevet 644.
  • Le Rapport 3 de Sankyo a décrit les effets antiplaquettaires de la combinaison du prasugrel et de l’aspirine dans un modèle ex vivo de plaquettes canines. Les auteurs ont constaté que la combinaison du prasugrel et de l’aspirine produisait |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.
  • Le Rapport 4 de Sankyo a comparé l’effet combiné du prasugrel et de l’aspirine à celui du clopidogrel et de l’aspirine sur l’agrégation plaquettaire dans une étude ex vivo chez le rat. Les auteurs ont constaté que |||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[76]  Voici quelques-uns des énoncés du brevet 644 relativement à l’effet de l’utilisation combinée du prasugrel et de l’aspirine :

  • [traduction« présente une très bonne action inhibitrice de l’agrégation plaquettaire et de la thrombogénèse » (page 3b, dernier paragraphe);
  • « induit une activité plus marquée que celle de chacun des composés utilisés isolément » (page 4, deuxième paragraphe);
  • « l’effet thérapeutique du composé administré subséquemment devrait s’ajouter aux effets thérapeutiques du composé administré précédemment » (page 4, troisième paragraphe).

[77]  Un résumé des méthodes de recherche dont fait état le Rapport 2 de Sankyo figure aux pages 6 à 8 du brevet 644, sous le titre [traduction] « Exemple 1 ». Ce rapport décrit l’effet inhibiteur du prasugrel et de l’aspirine sur la formation de thrombus dans un modèle d’anastomose artérioveineuse chez le rat. Certaines données de cette étude sont présentées au tableau 1 de la page 8 du brevet 644, reproduit ci-dessous :

[78]  Selon M. Falotico, les résultats présentés au tableau 1 indiquent que :

  • les taux d’inhibition moyens (pourcentage d’inhibition de la formation de thrombus comparativement au groupe témoin) à des doses de 0,3 mg/kg et de 0,6 mg/kg de prasugrel utilisé isolément s’établissent respectivement à 17 % et 28,3 %;
  • le taux d’inhibition d’une dose de 10 mg/kg d’aspirine utilisée isolément s’établit à 12,3 %;
  • l’administration combinée d’une dose de 10 mg d’aspirine et de 0,3 mg/kg ou 0,6 mg/kg de prasugrel donne respectivement des taux d’inhibition de 41,8 % et 55,7 %. Ces données indiquent que l’effet n’est pas uniquement additif, car l’essai aurait donné un taux de 29,3 % (la somme de 12,3 % et de 17,0 %) pour la combinaison de 10 mg/kg d’aspirine et de 0,3 mg/kg de prasugrel, et de 40,6 % (la somme de 12,3 % et de 28,3 %) pour la combinaison de 10 mg/kg d’aspirine et de 0,6 mg/kg de prasugrel;
  • l’effet de l’aspirine et du prasugrel est fonction de la dose puisqu’il est plus marqué lorsque l’aspirine est combinée à une dose de 0,6 mg/kg qu’à une dose de 0,3 mg/kg de prasugrel (taux d’inhibition de la formation de thrombus supérieur de 15,1 % contre 12,5 %). Les deux combinaisons se sont avérées plus efficaces que les deux ingrédients utilisés isolément;
  • dans l’ensemble, les données révèlent que l’utilisation du prasugrel en combinaison avec l’aspirine offre une très bonne activité inhibitrice de l’agrégation plaquettaire, plus marquée que la somme des effets isolés de chacun des ingrédients (effet synergique).

[79]  M. Falotico s’est aussi dit d’avis que le brevet 644, si on le lit en entier, révélerait clairement à la personne moyennement versée dans l’art que l’invention se rapporte à l’utilisation combinée du prasugrel et de l’aspirine pour obtenir un effet antiplaquettaire et antithrombotique plus marqué que la somme des effets isolés de chacun des ingrédients. Il fonde cette opinion sur le fait que les données du tableau 1 sont divulguées dans le brevet 644.

[80]  M. Falotico ajoute que les données des rapports de Sankyo étayent et renforcent également la caractéristique inventive (un effet antiplaquettaire et antithrombotique qui est plus qu’additif) de la combinaison du prasugrel et de l’aspirine. Chacune des études ex vivo sur les agents antiplaquettaires menées par Sankyo aboutit à la même conclusion : la combinaison du prasugrel et de l’aspirine a un effet antiplaquettaire qui est plus qu’additif, tel que l’ont démontré les essais sur plusieurs espèces d’animaux à sang chaud.

[81]  M. Warner ne souscrit pas à l’interprétation que propose M. Falotico des données du brevet 644. Voici ses explications :

[traduction]

[...] pour déterminer si une combinaison de médicaments produit une synergie, il ne suffit pas de comparer l’activité de ladite combinaison à la somme des activités isolées de chacun des composés. Pour isoler l’effet de synergie, il faut établir l’efficacité de la combinaison et la comparer à celle d’une combinaison hypothétiquement additive. Il est important que chaque médicament présente un effet commun qui est fonction de la dose, qui sera mesuré lorsque les médicaments sont employés isolément et en combinaison. Essentiellement, il s’agit de comparer la courbe dose-effet du mélange avec celle de la courbe hypothétique de l’additivité d’un mélange présentant la même proportionnalité. De plus, la synergie ne dépend pas seulement des médicaments et de l’essai, mais aussi du dosage du mélange des deux matières constituant la combinaison. Il faut en outre procéder à une analyse statistique pour savoir si les données indiquent un effet statistiquement synergique. Il s’ensuit que les essais et les données présentés dans le brevet 644 ne suffisent pas à faire la démonstration qu’une combinaison de prasugrel et d’aspirine produit un effet antithrombotique synergique (ou une activité inhibitrice synergique de l’agrégation plaquettaire).

[82]  M. Warner n’est pas non plus d’accord avec M. Falotico quand il dit qu’une personne moyennement versée dans l’art comprendrait que l’invention se rapporte à l’utilisation combinée du prasugrel et de l’aspirine pour obtenir un effet antiplaquettaire et antithrombotique plus marqué que la somme des effets isolés de chaque ingrédient. Il a écrit ce qui suit :

[traduction]

Pour renchérir sur ce que j’ai exprimé précédemment quant à l’insuffisance des données du brevet 644 pour faire la démonstration d’un effet qui serait plus qu’additif, ou d’une synergie, je constate que le brevet ne contient aucun énoncé permettant de conclure que la combinaison du prasugrel et de l’aspirine produit un effet antiplaquettaire et antithrombotique plus marqué que la somme des effets isolés de chaque ingrédient. Nous lisons plutôt dans le brevet 644 que « l’utilisation en combinaison [du prasugrel] et de l’aspirine induit une activité plus marquée que celle de chacun des composés utilisés isolément » et que « l’effet thérapeutique du composé administré subséquemment devrait s’ajouter aux effets thérapeutiques du composant administré précédemment » (page 4), ce qui permet de conclure qu’il y aurait une activité additive. Par ailleurs, ni les revendications pertinentes du brevet 644 ni aucune autre de ses revendications ne mentionnent un effet qui serait plus qu’additif, ou qui serait synergique.

[83]  Le Dr Zusman estime, à l’instar de M. Warner, dire que la personne moyennement versée dans l’art comprendrait que le brevet 644 révèle que la combinaison du prasugrel et de l’aspirine a un effet additif. Il cite les mêmes extraits du brevet 644 que M. Warner pour corroborer sa conclusion comme quoi les inventeurs affirment que l’effet est additif. Les inventeurs n’affirment pas que leur invention se rapporte à un effet antiplaquettaire et antithrombotique plus marqué que la somme des effets isolés de chacun des ingrédients.

[84]  Le Dr Zusman est d’accord avec M. Warner pour dire que ni les inventeurs ni la personne moyennement versée dans l’art ne déduiraient des données du tableau 1 que la combinaison du prasugrel et de l’aspirine a un effet synergique. Selon lui, l’effet synergique est beaucoup plus qu’un [traduction] « effet qui est plus qu’additif », contrairement à ce qu’avance M. Falotico. La personne moyennement versée dans l’art saurait que, pour évaluer l’effet synergique de médicaments, il faut utiliser des méthodes quantitatives, y compris une démonstration rigoureuse de l’efficacité plus marquée d’une combinaison par rapport à celle qui est attendue de l’utilisation isolée de chaque médicament. En décembre 2000, la personne moyennement versée dans l’art avait à sa disposition diverses méthodes statistiques pour évaluer l’effet synergique d’une combinaison de médicaments. Les inventeurs n’ont pas inclus d’analyse statistique quantitative de l’effet synergique dans le brevet 644, et ils n’y ont pas mentionné non plus si une telle analyse avait été réalisée. M. Falotico n’a pas utilisé les données du tableau 1 pour réaliser une analyse statistique, mais il avait auparavant procédé à ce type d’analyse et l’avait présentée dans un article sur l’utilisation du clopidogrel avec l’aspirine.

[85]  Bien qu’il y ait une ambiguïté entre les revendications 22 et 29 quant à savoir si l’une ou l’autre fait référence à l’effet synergique de la combinaison du prasugrel et de l’aspirine, je conviens avec les demanderesses que le brevet 644 dans son ensemble, si on en fait une lecture téléologique avec un esprit désireux de comprendre, divulgue un objet brevetable. L’activité inhibitrice nouvelle, utile et synergique que procurait la combinaison du prasugrel et de l’aspirine vis-à-vis de l’agrégation plaquettaire en faisait un traitement nouveau et utile contre les maladies induites par un thrombus ou un embole, exempt de risques d’hémorragie ou d’autres effets secondaires inacceptables.

[86]  Je ne souscris pas à l’affirmation d’Apotex selon laquelle cette conclusion m’impose de considérer la divulgation du brevet 644 [traduction] « comme incluant » les effets synergiques pour conférer à l’invention son caractère nouveau et utile. J’avais exprimé la même réserve dans la décision Bristol-Myers Squibb Canada c Apotex Inc, 2017 CF 296, au paragraphe 191.

[87]  Bien que l’on ait abondamment parlé des modèles statistiques comme moyens de distinguer des effets synergiques et additifs, le fait que la combinaison du prasugrel et de l’aspirine procure un traitement nouveau et utile n’est pas contesté. Les quatre rapports de Sankyo font la démonstration que ||||||||||||||||||||||||, et les auteurs de deux des études vont jusqu’à affirmer que les résultats sont assurément ||||||||||||||||||||. M. Warner et le Dr Zusman ont exprimé des réserves relativement à l’absence dans les rapports d’analyses statistiques confirmant l’effet synergique, mais il ne s’agit pas d’un point déterminant, et ils n’ont jamais dit que les résultats n’étaient pas nouveaux ou utiles.

[88]  En effet, en contre-interrogatoire, M. Warner a admis que, à première vue, et si l’on ne tenait pas compte des statistiques et de la variabilité, les données du tableau 1 du brevet 644 indiquaient que la combinaison du prasugrel et de l’aspirine donnait un taux d’inhibition numériquement plus marqué que si le prasugrel et l’aspirine étaient utilisés isolément. M. Warner avait déjà auparavant affirmé que certaines études composant l’art antérieur avaient révélé une synergie, mais qu’aucune analyse statistique n’avait été réalisée dans ces études, y compris celle mentionnée dans un article dont il est coauteur.

[89]  Au cours de son contre‑interrogatoire, le Dr Zusman a lui aussi fait une admission semblable, selon laquelle les données du tableau 1 révélaient un effet synergique si l’on tenait compte uniquement des moyennes, mais non de la dispersion des données.

[90]  Le brevet 644, si on le lit de manière téléologique avec un esprit désireux de comprendre, révèle que l’utilisation du prasugrel combiné à l’aspirine produit un effet sur l’agrégation plaquettaire qui est nouveau, utile et plus marqué que la somme des effets isolés de chacun des deux ingrédients.

[91]  Je conclus que le brevet 644 divulgue un objet brevetable.

C.  L’évidence

[92]  La date pertinente pour apprécier l’évidence est la date de priorité de la revendication, soit le 25 décembre 2000.

[93]  L’article 28.3 de la Loi sur les brevets dispose que l’objet d’une revendication ne doit pas être évident à la date de la revendication. Au paragraphe 67 de l’arrêt Apotex Inc c Sanofi‑Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61 [Sanofi], la Cour suprême du Canada expose un critère en quatre volets pour l’analyse de l’évidence :

[traduction]

1) a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

[94]  Au quatrième volet du critère, la question de l’« essai allant de soi » peut surgir, à savoir, allait-il plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention. La seule possibilité d’obtenir quelque chose ne suffit pas (Sanofi, aux paragraphes 64, 66 et 67). Si l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, il faut prendre en compte les éléments suivants (Sanofi, au paragraphe 69) :

  • Était‑il plus ou moins évident que l’essai serait fructueux? Existait‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?
  • Quels efforts – leur nature et leur ampleur – étaient requis pour réaliser l’invention? Les essais étaient‑ils courants ou l’expérimentation était‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne pouvaient être qualifiés de courants?
  • L’art antérieur fournissait‑il un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tendait le brevet?

[95]  En l’espèce, le critère de l’« essai allant de soi » s’applique.

[96]  Le critère de l’évidence n’est pas facile à remplir. La Cour doit garder à l’esprit que la sagesse rétrospective peut, à leur insu, entacher de partialité les témoins experts (Bridgeview, au paragraphe 50).

[97]  Il y a eu un certain débat entre les parties quant à savoir si, dans ses jugements récents (Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited’s c SNF Inc, 2017 CAF 225 [Ciba], aux paragraphes 72 à 77, et Société Bristol-Myers Squibb Canada c Teva Canada Limitée, 2017 CAF 76, aux paragraphes 62 à 68), la Cour d’appel fédérale a limité la portée du critère de l’évidence et la manière d’aborder l’idée originale établis par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Sanofi et Teva Canada Ltée c Pfizer Canada inc, 2012 CSC 60 [Teva].

[98]  Je ne puis conclure que ces arrêts limitent la manière dont il faut déterminer l’évidence si l’on en fait une lecture téléologique, tel que l’enseigne la Cour suprême du Canada dans les arrêts Sanofi et Teva. À l’inverse, lorsque la Cour s’en remet à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets ainsi qu’aux arrêts Sanofi et Teva pour déterminer si une invention revendiquée était évidente, elle doit se concentrer sur les revendications pertinentes mêmes, à moins qu’elles ne comportent une ambiguïté, la seule condition justifiant de se reporter à la divulgation pour aider à comprendre si l’invention revendiquée est évidente ou non, compte tenu de l’art antérieur.

[99]  Les demanderesses font aussi valoir que l’art antérieur, invoqué par Apotex dans son avis d’allégation et soumis à ses experts, a été traité avec une sagesse rétrospective et que les experts ne savaient pas comment il avait été constitué. De plus, les experts ont mené leurs propres recherches, mais n’ont pas divulgué les résultats de celles‑ci ni les réalisations antérieures pertinentes autres que celles dont il est fait état dans l’avis d’allégation.

[100]  Je suis d’accord avec Apotex que ces critiques ne sont ni fondées ni pertinentes, et je souscris aux observations formulées par le juge Zinn dans la décision Allergan Inc c Apotex Inc, 2016 CF 344, aux paragraphes 20 et 21 :

[20]  Allergan soutient que les 49 références citées dans l’avis d’allégation d’Apotex ne sont pas représentatives des connaissances générales courantes étant donné qu’elles ont été recueillies par Apotex en connaissance de cause et dans le but d’invalider le brevet 632. De plus, Allergan fait valoir que les deux experts d’Apotex n’ont effectué aucune recherche indépendante sur l’antériorité.

[21]  Je suis d’accord avec Apotex que ces objections ne sont pas fondées. Les experts d’Apotex ont donné des raisons expliquant pourquoi ces références auraient été facilement trouvées au cours d’une recherche sur l’antériorité ou ont indiqué qu’elles seraient déjà connues par la personne versée dans l’art. Mme Sheardown soutient que [traduction] « bon nombre des documents sont des références bien connues dans le domaine de la formulation pharmaceutique, en particulier des formulations ophtalmiques », qu’elle connaissait bon nombre des articles et des textes et que les autres auraient été facilement trouvés par un formulateur effectuant une recherche minutieuse en 1998. Plus important encore, Allergan n’a fourni aucune preuve qu’il existe d’autres références pertinentes constituant l’antériorité qui ne figurent pas dans l’avis d’allégation, ni de preuve que celles y figurant ne constituent pas des connaissances générales courantes.

[101]  En ce qui concerne le fond de l’analyse relative à l’évidence, je dois établir si une interprétation juste de l’objet des revendications 22 et 29, remises en cause en l’espèce, révélerait qu’il est évident, au regard de l’art antérieur et des connaissances générales courantes de la personne moyennement versée dans l’art à la date de la revendication. Autrement dit, la personne moyennement versée dans l’art parviendrait-elle directement et facilement à la solution, à savoir que l’administration simultanée (revendication 22) ou simultanée ou séquentielle (revendication 29) de la combinaison du prasugrel et de l’aspirine aurait un effet plus marqué et non évident sur la prévention ou le traitement des maladies induites par un thrombus ou un embole.

1)  La date de la revendication, la personne moyennement versée dans l’art, les connaissances générales courantes et l’état de la technique

[102]  Tous ces points ont été analysés précédemment aux paragraphes 43 à 59.

2)  L’idée originale des revendications 22 et 29

[103]  La position des demanderesses sur l’idée originale est que la combinaison du prasugrel et de l’aspirine est utile pour la prévention ou le traitement des maladies thrombotiques, et qu’elle produit un effet antiplaquettaire et antithrombotique plus marqué que la somme des effets isolés de chacun des ingrédients. En somme, les combinaisons revendiquées produisent une « synergie » ou une activité inhibitrice qui est plus qu’additive. Cette conclusion se dégage d’emblée du tableau 1 du brevet 644, qui montre que l’utilisation combinée du prasugrel et de l’aspirine a un effet synergique sur le taux d’inhibition et le poids des thrombus chez les animaux à sang chaud.

[104]  Quant à elle, Apotex estime que l’idée originale est l’utilité de la combinaison du prasugrel et de l’aspirine pour prévenir et traiter les maladies thrombotiques (selon cette thèse, la synergie ne fait pas partie intégrante de l’idée originale). Apotex réfute la vision de l’idée originale proposée par les demanderesses pour un certain nombre de raisons :

  • 1) Le témoignage de M. Falotico donne à penser qu’il n’adhère pas à la directive de la Cour suprême du Canada, qui nous enseigne qu’il existe un nombre limité de circonstances justifiant le recours à la divulgation pour établir l’idée originale.

  • 2) Durant son contre-interrogatoire, M. Falotico a admis que les revendications étaient claires et intelligibles pour la personne versée dans l’art.

  • 3) La thèse des demanderesses restreint de manière inacceptable les revendications : elles ne s’appliquent pas seulement aux compositions produisant une synergie, mais à toutes les combinaisons du prasugrel et de l’aspirine.

  • 4) L’« idée originale » décrite par les demanderesses découle d’une conclusion fondée sur des données, dans des circonstances où les inventeurs n’ont pas tiré une telle conclusion, le brevet 644 décrivant plutôt un effet additif.

  • 5) La thèse des demanderesses, selon laquelle l’idée originale englobe un effet synergique dans le contexte d’un brevet qui ne contient aucune assertion du genre, doit être examinée à la lumière de l’observation des avocats des demanderesses quant au fait que le terme « synergie » ne serait pas clair, le sens pouvant varier d’une personne à l’autre.

  • 6) La preuve d’expert produite par Apotex établit que les données présentées dans le brevet 644 sont insuffisantes pour parvenir à une conclusion d’effet synergique.

[105]  Malgré l’ambiguïté quant à savoir si les revendications invoquées révèlent l’effet synergique de la combinaison du prasugrel et de l’aspirine, comme l’ont démontré les témoins experts appelés en renfort pour éclairer notre compréhension des revendications 22 et 29, je conclus que le brevet 644 et les revendications invoquées, si on en fait une lecture téléologique, font la démonstration que la combinaison du prasugrel et de l’aspirine produit un effet antithrombotique plus marqué que la somme des effets isolés de chacun des ingrédients. La personne moyennement versée dans l’art aurait compris cette idée originale au regard des connaissances générales courantes et de l’ensemble du brevet. Le tableau 1 du brevet 644 montre que l’utilisation combinée du prasugrel et de l’aspirine produit un effet synergique sur le taux d’inhibition chez un animal à sang chaud. Bien que les affidavits des témoins experts d’Apotex se limitent à l’effet additif révélé par les données du tableau 1, ils ont néanmoins admis qu’à première vue, abstraction faite de toute analyse statistique ou de la variabilité, il s’en dégageait que le taux d’inhibition de la combinaison était numériquement supérieur à celui du prasugrel ou de l’aspirine lorsqu’ils étaient utilisés isolément.

3)  Les différences entre l’art antérieur et l’idée originale

[106]  Les demanderesses soutiennent que les différences entre l’art antérieur et l’idée originale des revendications invoquées sont les suivantes :

  • a) Aucun document d’art antérieur ne proposait l’utilisation du prasugrel et de l’aspirine; il existait une lacune dans les connaissances entre l’état de la technique et l’idée originale des revendications invoquées.

  • b) L’effet combiné du prasugrel ajouté à l’aspirine était inconnu et n’aurait pas pu être prévu; il existait un certain nombre d’autres voies et mécanismes d’action.

  • c) Il n’y avait aucune raison de combiner le prasugrel et l’aspirine; les avantages potentiels étaient inconnus et le risque d’hémorragies était assez préoccupant.

  • d) L’invention a exigé beaucoup de temps, d’efforts et de ressources, et le travail sous‑jacent n’était pas courant.

[107]  Selon Apotex, la seule différence était la suivante : la ticlopidine et le clopidogrel avaient déjà été combinés à l’aspirine pour traiter et prévenir les maladies induites par un thrombus ou un embole, mais la combinaison de la thiénopyridine de troisième génération, le prasugrel, et de l’aspirine n’avait jamais été divulguée. De plus, à peine deux semaines ont suffi pour confirmer le potentiel de la combinaison du prasugrel et de l’aspirine, et il s’agissait d’essais courants.

[108]  Comme l’ont reconnu les parties et c’est aussi ma conclusion, il ressort des éléments de preuve que la ticlopidine et le clopidogrel, les thiénopyridines de première et deuxième générations, avaient déjà été combinées à l’aspirine dans la prévention ou le traitement des maladies induites par un thrombus ou un embole, mais que l’utilisation combinée de la thiénopyridine de troisième génération, le prasugrel, et de l’aspirine n’avait jamais été divulguée.

[109]  Cependant, tel qu’il sera expliqué en détail plus loin, il était connu que l’inhibition de deux voies d’activation plaquettaire au moyen d’une thiénopyridine et de l’aspirine améliorait les résultats thérapeutiques. La substitution d’un type de thiénopyridine à un autre dans la combinaison avec l’aspirine avait aussi donné de bons résultats.

4)  La question de savoir si ces différences constituent des étapes évidentes

[110]  Les demanderesses font valoir que l’utilisation du prasugrel et de l’aspirine n’était envisagée nulle part dans l’art antérieur, et que les structures chimiques ainsi que les voies métaboliques de la ticlopidine, du clopidogrel et du prasugrel sont différentes.

[111]  Les demanderesses affirment en outre que l’effet de la combinaison du prasugrel et de l’aspirine était imprévisible à la date de la revendication, que la synergie n’était pas un [traduction] « effet de classe » des thiénopyridines, et qu’il n’allait pas de soi que la combinaison du prasugrel et de l’aspirine serait utile dans la prévention ou le traitement des maladies thrombotiques, ni qu’un effet synergique serait observé :

  • aucune synergie systématique n’a été observée pour la combinaison ticlopidine et aspirine, et le profil d’innocuité du clopidogrel combiné à l’aspirine n’avait pas été confirmé à la date de la revendication;
  • le mécanisme de synergie du clopidogrel combiné à l’aspirine était (et est toujours) inconnu. Il ne découlait pas d’emblée des observations précédentes concernant la combinaison avec le clopidogrel que la combinaison prasugrel-aspirine aurait un effet synergique;
  • l’efficacité et les effets secondaires d’un inhibiteur de l’ADP combiné à l’aspirine devaient être établis de manière expérimentale. Il n’était ni très clair ni très évident que de telles expériences seraient fructueuses, ni même qu’elles permettraient d’observer un effet synergique.

[112]  Enfin, la thèse des demanderesses est que, malgré la motivation générale des chercheurs du domaine à trouver de nouveaux traitements antiplaquettaires, les efforts étaient concentrés sur les agents présentant des propriétés d’agrégation plaquettaire réversibles, et non sur les thiénopyridines ou sur de nouveaux traitements combinés. Il n’existait aucune motivation à remplacer le clopidogrel par le prasugrel dans une combinaison thérapeutique renfermant de l’aspirine. Qui plus est, le temps et les efforts requis pour en arriver à l’invention revendiquée étaient assez importants, et les connaissances spécialisées ainsi que les compétences nécessaires pour mener des expériences sur un modèle d’anastomose artérioveineuse faisaient en sorte qu’il ne s’agissait pas de travaux courants.

[113]  Apotex répond que, selon la preuve produite par ses experts, la personne moyennement versée dans l’art n’avait pas besoin de faire preuve d’ingéniosité inventive pour en arriver à combiner le prasugrel et l’aspirine :

  • l’inhibition de deux voies d’activation plaquettaire au moyen d’une thiénopyridine et de l’aspirine constituait une cible thérapeutique évidente;
  • la substitution d’une thiénopyridine à une autre dans une combinaison avec l’aspirine avait déjà donné de bons résultats (substitution du clopidogrel à la ticlopidine comme traitement standard);
  • l’essai du prasugrel comme substitut dans cette combinaison allait de soi : la combinaison prasugrel-aspirine faisait partie d’un petit nombre de cibles thérapeutiques; il allait de soi que la combinaison serait utile dans le traitement et la prévention de maladies induites par un thrombus ou un embole; il s’agissait d’essais rapides et courants; la personne moyennement versée dans l’art était motivée à mettre au point la combinaison en raison des bénéfices thérapeutiques escomptés.

[114]  En ce qui concerne la prétention des demanderesses au sujet de l’idée originale, Apotex soutient que la seule différence entre celle-ci et l’état de la technique ainsi que les connaissances générales courantes a trait à la non-confirmation de l’effet synergique de la combinaison du prasugrel et de l’aspirine :

  • selon les experts d’Apotex, la synergie aurait été évidente pour la personne versée dans l’art et, quoi qu’il en soit, un essai allait de soi;
  • M. Falotico fonde son opinion sur une incompréhension du droit canadien et/ou sur des énoncés erronés relativement à l’art antérieur;
  • tous les essais étaient courants et se fondaient sur des publications antérieures portant sur l’utilisation de la ticlopidine ou du clopidogrel en combinaison avec l’aspirine, et la preuve produite par les inventeurs et M. Falotico n’étaie pas les assertions des demanderesses relativement à la durée et à la complexité des travaux ayant débouché sur l’invention revendiquée.

[115]  Je ne vois pour ma part aucune différence importante qui n’aurait pas été évidente, au regard de ce qui était connu dans l’art antérieur et de ce qui fait l’objet des revendications 22 et 29. Un essai allait de soi, et la personne moyennement versée dans l’art se serait raisonnablement attendue à ce que l’administration simultanée ou séquentielle du prasugrel, la thiénopyridine de troisième génération, combiné à l’aspirine produise un mécanisme d’action complémentaire bénéfique.

[116]  L’art antérieur fournissait un motif évident de trouver une solution au problème qui sous‑tend le brevet 644. Comme il a déjà été mentionné, il était connu que l’inhibition de deux voies connues d’activation plaquettaire au moyen d’une thiénopyridine combinée à l’aspirine bonifiait le traitement, notamment en raison des effets synergiques. Bien qu’il y ait eu des incohérences dans l’art antérieur quant aux effets synergiques de la combinaison de la ticlopidine avec l’aspirine, les deux parties ont reconnu que l’utilisation du clopidogrel avec l’aspirine donnait ce résultat.

[117]  De plus, la substitution d’un type de thiénopyridine à un autre dans la combinaison avec l’aspirine avait donné de bons résultats. La combinaison du clopidogrel avec l’aspirine s’était avérée tout aussi efficace, sinon plus efficace, que celle de la ticlopidine et de l’aspirine, un traitement antiplaquettaire standard pour la prévention des complications thrombotiques après la pose d’une endoprothèse vasculaire (Mishkel et al., 1999; Jarvis et Simpson, 2000). De fait, la combinaison clopidogrel-aspirine était abondamment utilisée pour prévenir l’athérothrombose après la pose d’une endoprothèse vasculaire (Jarvis et Simpson, 2000).

[118]  Il allait de soi que la conduite d’essais pour confirmer les bénéfices d’une combinaison prasugrel-aspirine constituait l’étape suivante ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. Si M. Falotico a soutenu que les expériences exigeaient beaucoup de connaissances spécialisées, de compétence et de dextérité, il a tout de même admis que le modèle d’anastomose artérioveineuse décrit dans le brevet 644 découlait d’un modèle bien connu et validé dans les écrits, et notamment dans une étude sur les effets antithrombotiques du clopidogrel et de l’aspirine (Herbert et al., 1998). Certes, il s’agissait d’essais nécessitant des connaissances spécialisées, mais la personne moyennement versée dans l’art aurait su comment les réaliser et analyser les résultats.

[119]  Enfin, malgré l’impossibilité de prédire avec certitude les effets exacts de l’utilisation combinée du prasugrel et de l’aspirine en raison de la méconnaissance des voies métaboliques des thiénopyridines et des mécanismes potentiels de synergie, la personne moyennement versée dans l’art aurait raisonnablement pu s’attendre à obtenir l’effet thérapeutique de synergie décrit dans l’art antérieur relativement à la combinaison du clopidogrel (et potentiellement de la ticlopidine) et de l’aspirine.

[120]  Comme l’a déclaré le juge Hughes dans la décision Shire Biochem Inc c Canada (Santé), 2008 CF 538, au paragraphe 80, « l’existence d’un certain nombre de voies possibles pour résoudre un problème ne signifie pas que la voie adoptée n’était pas évidente ». Le juge Barnes a souscrit à cet énoncé dans la décision Janssen Inc c Teva Canada Limited, 2015 CF 184 [Janssen], au paragraphe 113. Il fait également sienne l’idée selon laquelle [traduction] « il arrive qu’une voie de recherche soit à essayer à l’évidence même si l’on ne peut dire avec certitude qu’elle mènera à la réussite, ou à une réussite suffisante pour qu’il vaille la peine de s’y engager du point de vue commercial » (Janssen, au paragraphe 113, citant Brugger c Medic-Aid Ltd, [1996] RPC 635, à la page 661).

[121]  Étant donné que l’art antérieur fournissait un motif évident de chercher une solution au problème sous-tendant le brevet 644, que les essais ont été faits relativement rapidement, avec des modèles bien connus, et l’attente raisonnable que la combinaison du prasugrel et de l’aspirine donne des résultats analogues à ceux des combinaisons de celle-ci avec le clopidogrel ou la ticlopidine, il allait plus ou moins de soi de procéder à des essais sur la combinaison du prasugrel avec l’aspirine.

[122]  Je conclus que les revendications 22 et 29 étaient évidentes et qu’elles sont donc invalides.

D.  Le caractère suffisant

[123]  L’alinéa 27(3)a) de la Loi sur les brevets dispose qu’un mémoire descriptif doit « décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur ». La date pertinente pour déterminer si cette exigence a été remplie est la date du dépôt, soit le 20 décembre 2001.

[124]  Le critère du caractère suffisant de la divulgation consiste à déterminer si le mémoire descriptif :

  • a) répond à la question « En quoi consiste l’invention? »;

  • b) répond à la question « Comment fonctionne-t-elle? »;

  • c) permet à une personne versée dans l’art de construire l’invention à partir des seules instructions contenues dans la divulgation.

(Teva, aux paragraphes 69 à 71)

[125]  De même, la personne versée dans l’art doit pouvoir se fonder sur les connaissances générales courantes pour comprendre le mémoire descriptif et appliquer le brevet judicieusement (Whirlpool, au paragraphe 53).

[126]  Apotex allègue que le mémoire descriptif du brevet 644 est insuffisant, parce qu’il ne fournit pas à la personne moyennement versée dans l’art l’information nécessaire concernant l’administration séquentielle du prasugrel et de l’aspirine. Plus particulièrement, le brevet 644 énonce explicitement que [traduction]   (brevet 644, aux pages 4 et 5).

[127]  Autrement dit, Apotex estime que le brevet 644 ne divulgue pas comment administrer le prasugrel et l’aspirine de manière séquentielle, car il n’y est question nulle part de l’intervalle approprié entre l’administration de chacun des ingrédients. Il en découle que la personne moyennement versée dans l’art devrait mener des expériences pour connaître l’intervalle approprié. Si une personne moyennement versée dans l’art doit entreprendre un projet de recherche mineur pour réaliser l’invention, alors il faut en déduire que la divulgation d’un brevet est insuffisante (Teva, aux paragraphes 74 et 75).

[128]  Toutefois, les experts comprenaient comment mettre l’invention en pratique à partir du seul brevet 644 et de leurs connaissances générales courantes. M. Falotico a expliqué que le brevet 644 mentionnait que l’aspirine et le prasugrel se liaient de manière irréversible aux plaquettes, et qu’il n’était donc pas requis de maintenir les concentrations plasmatiques des deux ingrédients à un certain niveau durant la même période pour qu’ils produisent leurs effets. Par conséquent, l’administration simultanée des deux ingrédients n’était pas nécessaire. La personne moyennement versée dans l’art aurait compris que si l’aspirine et le prasugrel étaient tous deux administrés pendant la durée de vie d’une plaquette, ils pouvaient exercer leur effet. On savait que la durée de vie d’une plaquette était de 6 à 10 jours.

[129]  Le Dr Zusman a admis durant son contre-interrogatoire que, si le prasugrel et l’aspirine étaient administrés durant la vie de la plaquette (de 6 à 10 jours), ils pouvaient tous deux exercer leur effet. M. Warner a aussi reconnu en contre-interrogatoire qu’il comprenait les limites temporelles de l’administration séquentielle dans le contexte du brevet 644.

[130]  Je conclus que la divulgation était suffisante pour permettre à une personne moyennement versée dans l’art de mettre en pratique l’invention, selon l’objet des revendications 22 et 29, à partir du seul brevet 644 et des connaissances générales courantes qui étaient à sa disposition à la date pertinente.

E.  La portée des revendications plus vaste que l’invention réalisée ou divulguée

[131]  Conformément au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets, les revendications du brevet doivent définir distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif. Une revendication a une portée excessive si elle revendique plus que ce qui a été inventé ou divulgué (Pfizer Canada Inc c Canada (Santé), 2007 CAF 209, au paragraphe 115).

[132]  Pour la même raison que celle qui fonde son allégation d’insuffisance, Apotex allègue que la revendication 29 a une portée excessive, parce qu’elle établit que le prasugrel et l’aspirine peuvent être administrés de manière séquentielle, alors que les inventeurs n’ont pas défini ou décrit l’intervalle maximal entre chaque administration.

[133]  Pour les motifs mêmes qui m’ont amené à juger suffisante la divulgation du brevet, je conclus que la revendication 29 n’a pas une portée excessive.

XII.  Les dépens

[134]  Les dépens seront adjugés à la défenderesse Apotex et ils seront taxés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne IV du tarif B;

[135]  Les frais pour des avocats internes, des employés des parties, des auxiliaires juridiques, des étudiants et du personnel de soutien ne sont pas recouvrables.

[136]  Seuls les frais des experts ayant souscrit des affidavits ou des rapports produits dans le cadre de l’instance sont recouvrables (les experts admissibles). Le taux horaire des experts admissibles ne devra pas excéder celui des avocats principaux. Les honoraires versés aux experts admissibles pour les heures n’ayant pas été consacrées à la préparation de leur affidavit ou rapport, ou pour préparer leur propre contre-interrogatoire, seront recouvrables seulement s’il est établi qu’il était raisonnable et nécessaire de fournir une assistance technique aux avocats.

[137]  Les honoraires d’avocat seront taxés sur la base suivante :

  • a) un avocat principal et un avocat adjoint à l’audience;

  • b) un avocat principal et un avocat adjoint menant les contre-interrogatoires;

  • c) un avocat principal défendant les témoins lors des contre‑interrogatoires;

[138]  Les frais de déplacement et d’hébergement seront taxés sur la base des tarifs de classe économique, exception faite des déplacements à l’étranger, et des chambres standards pour une personne dans les hôtels classe affaires. Les tarifs aériens de classe affaires seront recouvrables pour les voyages à l’étranger.

[139]  Les frais de photocopie seront taxés à raison de 0,25 $ la page et ils ne seront recouvrables que pour un nombre de copies raisonnable et nécessaire.

[140]  Les frais sont recouvrables relativement à tous les autres débours raisonnablement engagés (p. ex. transcriptions, services de traduction, recherches informatisées).


JUGEMENT dans le dossier T-1734-16

LA COUR STATUE que :

  • 1. La demande est rejetée;

  • 2. Les dépens seront adjugés à la défenderesse Apotex et ils seront taxés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne IV du tarif B;

  • 3. Les frais pour des avocats internes, des employés des parties, des auxiliaires juridiques, des étudiants et du personnel de soutien ne sont pas recouvrables;

  • 4. Seuls les frais des experts ayant souscrit des affidavits ou des rapports produits dans le cadre de l’instance sont recouvrables (les experts admissibles). Le taux horaire des experts admissibles ne devra pas excéder celui des avocats principaux. Les honoraires versés aux experts admissibles pour les heures n’ayant pas été consacrées à la préparation de leur affidavit ou rapport, ou pour préparer leur propre contre-interrogatoire, seront recouvrables seulement s’il est établi qu’il était raisonnable et nécessaire de fournir une assistance technique aux avocats;

  • 5. Les honoraires d’avocat seront taxés sur la base suivante :

  • a) un avocat principal et un avocat adjoint à l’audience;

  • b) un avocat principal et un avocat adjoint menant les contre-interrogatoires;

  • c) un avocat principal défendant les témoins lors des contre‑interrogatoires;

  • 6. Les frais de déplacement et d’hébergement seront taxés sur la base des tarifs de classe économique, exception faite des déplacements à l’étranger, et des chambres standards pour une personne dans les hôtels classe affaires. Les tarifs aériens de classe affaires seront recouvrables pour les voyages à l’étranger;

  • 7. Les frais de photocopie seront taxés à raison de 0,25 $ la page et ils ne seront recouvrables que pour un nombre de copies raisonnable et nécessaire;

  • 8. Les frais sont recouvrables relativement à tous les autres débours raisonnablement engagés (p. ex. transcriptions, services de traduction, recherches informatisées).

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1734-16

 

INTITULÉ :

ELI LILLY CANADA INC., UBE INDUSTRIES, LTD. ET DAIICHI SANKYO COMPANY, LIMITED c APOTEX INC. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

DU 11 AU 14 juin 2018

 

JUGEMENT PUBLIC

ET MOTIFS :

 

LE JUGE MANSON

 

DATE DU JUGEMENT PUBLIC

ET DES MOTIFS :

 

 

Le 13 juillet 2018

 

COMPARUTIONS :

Jason Markwell

Marian Wolanski

Tracey Doyle

Pour les demanderesses

Jenene Roberts

Andrew Brodkin

Pour la défenderesse,

APOTEX INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BELMORE NEIDRAUER LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse,

APOTEX INC.

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur,

MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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