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Date : 20180707


Dossier : IMM-2873-18

Référence : 2018 CF 707

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Grammond

ENTRE :

MARIUS CALIN

NICOLETA CALIN

ANTONIA CALIN

CASIA CALIN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une requête présentée par les demandeurs en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de leur renvoi du Canada, prévu pour le 9 juillet 2018. La requête a été instruite hier par téléconférence. Voici les motifs pour lesquels j’accueille la requête.

I.  Faits et décision sous-jacente

[2]  Les demandeurs sont des citoyens de la Roumanie, d’origine rome. M. Marius Calin et Mme Nicoleta Calin forment un couple et ils ont deux filles, Antonia Calin et Casia Calin, respectivement âgées de 6 et 4 ans.

[3]  Les demandeurs possèdent des passeports roumains ordinaires, non biométriques. Conformément à la procédure qui était alors en vigueur, ils ont présenté, et obtenu, une demande d’autorisation de voyage électronique (AVE) pour venir au Canada. Le 5 juin 2018, à environ 7 h, heure de Bucarest, ils ont pris un vol à destination de Montréal, après une escale aux Pays-Bas.

[4]  Le 5 juin 2018, à 5 h 30, heure avancée de l’Est, le Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (résidents temporaires – Roumanie), DORS/2018-109 [le nouveau Règlement], est entré en vigueur. Ce nouveau Règlement prévoit que les citoyens roumains qui n’ont pas de passeport biométrique doivent obtenir un visa de résident temporaire, plutôt qu’une AVE, et il annule les AVE délivrées après le 1er décembre 2017. Le même jour, à une heure non précisée, le gouvernement du Canada a publié un communiqué annonçant l’entrée en vigueur du nouveau Règlement. Ce communiqué énonçait les précisions suivantes :

Les AVE délivrées aux Roumains qui ont présenté leur demande au moyen d’un passeport non électronique le 1er décembre 2017 ou après cette date ne sont plus valides, et ces voyageurs ne pourront plus utiliser leur AVE pour se rendre au Canada par voie aérienne. Le gouvernement du Canada envoie des courriels à ces voyageurs pour les informer des changements et de ce qu’ils ont besoin de détenir pour venir au Canada.

[5]  Un document d’information joint au communiqué, et accessible sur Internet, indiquait également ce qui suit :

Vous vous rendez au Canada en avion le 5 juin?

Le gouvernement du Canada travaille en étroite collaboration avec les transporteurs aériens pour faciliter vos déplacements si vous répondez à toutes les exigences pour entrer au Canada et que vous êtes déjà en transit vers le Canada. Toutefois, il se peut que nous ne soyons pas en mesure de faciliter les déplacements de tous les voyageurs, et il pourrait y avoir des retards dans certains cas.

Si vous avez reçu un courriel du gouvernement du Canada vous informant que votre AVE n’est plus valide, nous ne pourrons pas faciliter votre voyage et vous devrez présenter une demande de visa pour voyager au Canada.

 (Dossier de requête, pages 77 et 78)

[6]  Les demandeurs affirment n’avoir jamais reçu d’avis les informant que leur AVE n’était plus valide avant de monter à bord de l’avion à destination du Canada.

[7]  À leur arrivée à l’aéroport international Pierre-Elliot-Trudeau de Montréal, vers 17 h, les demandeurs ont été interrogés par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) qui parlait le roumain. L’agent leur a dit que leur AVE n’était plus valide et qu’ils ne pouvaient pas entrer au Canada sans visa. Un délégué du ministre, qui était également présent, a délivré un rapport d’interdiction de territoire et une mesure d’exclusion. Le prétendu fondement de cette mesure était que les demandeurs étaient interdits de territoire au Canada pour manquement à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC, 2001, c 27 (la Loi), ce qui contrevenait à l’article 41 de la Loi. En application de l’alinéa 20(1)b) de la Loi, un ressortissant étranger qui souhaite devenir un résident temporaire doit détenir le visa requis par règlement. Or, comme le nouveau Règlement était entré en vigueur un peu plus tôt, le jour même, les demandeurs ne détenaient pas le visa requis par règlement.

[8]  La séquence exacte des événements survenus cet après-midi-là est contestée, mais à un certain moment les demandeurs ont indiqué qu’ils souhaitaient demander l’asile au Canada. L’agent de l’ASFC a toutefois jugé qu’ils ne pouvaient pas présenter une telle demande, car ils étaient déjà visés par une mesure d’exclusion (voir le paragraphe 99(3) de la Loi). Une note entrée dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC), le 6 juin, précise que la mesure d’exclusion a été prononcée à 17 h 10, le 5 juin, quelques minutes à peine après l’atterrissage. Dans une « déclaration », l’agent Dubé-Caron mentionne toutefois ce qui suit : « Avant même la présentation du rapport 44, CALIN MARIUS a déclaré qu’ils ne quitteraient pas et qu’ils voulaient l’asile politique », ce qui remet en question l’allégation voulant que les demandeurs n’aient demandé l’asile qu’après la délivrance de la mesure d’exclusion. Ces déclarations ont fort probablement être rédigées quelque temps après les faits. Les rapports d’interdiction de territoire eux-mêmes ne précisent pas l’heure à laquelle ils ont été rédigés. Lors de l’audition de la présente requête, l’avocat des défendeurs a laissé entendre que la mesure d’exclusion avait d’abord été délivrée oralement. Le juge saisi du fond de la demande sous-jacente pourra décider si cette manière de procéder peut réellement priver quelqu’un du droit de demander l’asile.

[9]  Les agents, qui voulaient immédiatement mettre à exécution la mesure d’exclusion, ont tenté, mais sans succès, d’obtenir des cartes d’embarquement pour un vol qui partait le même jour, à 18 h 45.

[10]  M. Calin a été placé en détention sur-le-champ. Le 15 juin 2018, la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a maintenu sa mise en détention.

[11]  Mme Calin a été placée en détention le 10 juin 2018, et ses enfants l’« accompagnaient ». Le 21 juin 2018, la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a maintenu la détention de Mme Calin, car elle a jugé qu’il y avait un risque qu’elle ne se présente pas pour son renvoi.

[12]  Le 30 juin 2018, mon collègue le juge Peter Annis a ordonné la mise en liberté de Mme Calin. Le juge Annis a aussi indiqué qu’une demande distincte d’autorisation et de contrôle judiciaire devait être présentée pour contester les décisions relatives à l’examen des motifs de détention (dossier no IMM-3002-18).

[13]  La présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée le 20 juin 2018. Dans cette demande, les demandeurs contestent les rapports d’interdiction de territoire établis à leur endroit en application de l’article 44 de la Loi, ainsi que les mesures d’exclusion prises en application de l’article 228 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

[14]  Le 19 juin 2018, les demandeurs ont déposé une demande de sursis administratif à l’exécution de leur renvoi. Cette demande a été rejetée le 3 juillet 2018.

[15]  Les demandeurs ont ensuite présenté une requête à la Cour en vue d’obtenir un sursis à leur renvoi.

II.  Discussion

[16]  La Loi n’exige pas une autorisation judiciaire pour renvoyer un ressortissant étranger du Canada. À cet égard, le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi constitue une mesure de redressement exceptionnelle, car il entrave le processus administratif normal.

[17]  Le fondement législatif du sursis est énoncé à l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7, qui prévoit que la Cour peut prendre des mesures provisoires avant de rendre sa décision définitive concernant une demande de contrôle judiciaire. En accordant une telle mesure de redressement, nous appliquons le même critère que dans le cas d’injonctions interlocutoires. La Cour suprême du Canada a récemment reformulé ce critère comme suit :

À la première étape, le juge de première instance doit procéder à un examen préliminaire du bien-fondé de l’affaire pour décider si le demandeur a fait la preuve de l’existence d’une « question sérieuse à juger », c’est-à-dire que la demande n’est ni futile ni vexatoire. À la deuxième étape, le demandeur doit convaincre la cour qu’il subira un préjudice irréparable si la demande d’injonction est rejetée. Enfin, à la troisième étape, il faut apprécier la prépondérance des inconvénients, afin d’établir quelle partie subirait le plus grand préjudice en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond, selon que la demande d’injonction est accueillie ou rejetée.

(R c Société Radio-Canada, 2018 CSC 5, au paragraphe 12, renvois omis)

[18]  Ce critère en trois volets est bien connu. Il a notamment été énoncé dans des décisions antérieures de la Cour suprême du Canada (Manitoba (P.G.) c Metropolitan Stores Ltd, [1987] 1 RCS 110; RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 [RJR]). Il a aussi été appliqué dans le contexte de l’immigration dans l’arrêt Toth c Canada (Citoyenneté et Immigration), 1988, CanLII 1420 (CAF). Bien sûr, l’application de ce critère est largement tributaire du contexte et des faits.

A.  Question sérieuse à juger

[19]  Dans l’arrêt RJR, la Cour suprême du Canada a déclaré que l’existence d’une « question sérieuse à juger » est un critère dont les exigences minimales sont relativement peu élevées (RJR, à la page 337). Dans le contexte du droit administratif, ce critère doit être évalué tout en gardant à l’esprit que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[20]  Les demandeurs font valoir que les rapports d’interdiction de territoire et les mesures d’exclusion sont nuls et sans effet pour les deux motifs suivants : 1) le nouveau Règlement ne devrait pas s’appliquer à eux, car ils étaient déjà à bord de l’avion à destination du Canada au moment de son entrée en vigueur et qu’il leur était donc impossible de s’y conformer; 2) la demande d’asile a été présentée avant que soient délivrées les mesures d’exclusion et elle aurait dû être traitée.

[21]  Dans le contexte d’une requête visant à surseoir au renvoi, la pratique habituelle consiste à s’abstenir de formuler des commentaires détaillés sur le bien-fondé de la demande sous-jacente, afin de ne pas entraver la liberté du juge qui aura à statuer sur cette question. En l’espèce, ce juge aura aussi à trancher les questions factuelles en litige. Pour ces motifs, je dirai seulement que je suis convaincu que les demandeurs ont soulevé des questions sérieuses à juger.

B.  Préjudice irréparable

[22]  Le deuxième volet du critère de l’arrêt RJR porte sur le préjudice irréparable.

[23]  Les demandeurs invoquent deux préjudices : 1) la menace à leur vie et à leur sécurité s’ils sont renvoyés en Roumanie et 2) le fait que leur renvoi rendrait leur demande sous-jacente purement théorique.

[24]  Le contexte dans lequel ces préjudices doivent être évalués en l’espèce est inhabituel. Les requêtes visant à surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi sont généralement présentées après que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger, et qu’une décision défavorable a été rendue à l’issue de l’examen des risques avant renvoi (ERAR). Dans bien des cas, le préjudice irréparable allégué à l’appui d’une requête en sursis est, en totalité ou en grande partie, le même préjudice allégué à l’appui d’une demande d’asile ou d’une demande d’ERAR, et les décideurs précédents ont déjà conclu que ce préjudice n’existait pas.

[25]  Voilà pourquoi une requête visant à surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi ne constitue pas une tribune appropriée pour débattre à nouveau de préjudices qui ont déjà été adéquatement évalués par de précédents décideurs (voir, par exemple, Goshen c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 1380, au paragraphe 6; Lebrun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 663, au paragraphe 15). Dans la même veine, la Cour d’appel fédérale a souvent rappelé que le caractère théorique potentiel de la demande sous-jacente ne constitue pas, en soi, un préjudice irréparable (El Ouardi c Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 42, au paragraphe 8; Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81, au paragraphe 50, [2010] 2 RCF 311; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Shpati, 2011 CAF 286, aux paragraphes 35 à 39, [2012] 2 RCF 133; Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, aux paragraphes 56 et 57). Dans ces affaires, toutefois, les demandeurs avaient pu obtenir une décision au sujet de leur demande d’asile, de leur demande d’ERAR, ou des deux.

[26]  La situation est très différente dans un cas où, comme en l’espèce, l’ASFC cherche à renvoyer une personne dont le risque de préjudice n’a jamais été évalué. Il ne s’agit pas de remettre en cause une question qui a déjà été tranchée. Qui plus est, les demandeurs n’ont pas eu la possibilité de présenter une demande d’asile ou d’ERAR, ni d’énoncer les motifs pour lesquels ils craignent de retourner dans leur pays d’origine.

[27]  J’ajouterais que le renvoi des demandeurs peut, selon les circonstances, porter atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne que leur garantit l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [Charte]. Compte tenu de l’urgence de la présente requête, je ne peux procéder à une analyse détaillée des implications de l’article 7 dans le contexte de l’immigration (voir, par exemple, Singh c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 RCS 177; Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3). Pourtant, le fait est que personne n’a encore évalué les conséquences du renvoi des demandeurs vers la Roumanie. Comme je suis le seul décideur qui se penchera sur cette question avant la date de renvoi proposée et qu’une requête en sursis ne permet pas vraiment aux parties de me présenter un dossier complet, la prudence est de mise.

[28]  Les demandeurs sont des Roms de la Roumanie. Le rapport du département d’État des États-Unis pour 2017 sur les droits de la personne en Roumanie précise ce qui suit :

[traduction]

La discrimination à l’égard des Roms demeure un grave problème. Des groupes de Roms ont indiqué qu’ils étaient couramment victimes de harcèlement et de brutalité de la part de la police, y compris d’agressions. Des médias et observateurs nationaux et internationaux ont fait état de la discrimination de la société envers les Roms. Selon des organisations non gouvernementales (ONG), les Roms se voient refuser l’accès à de nombreux lieux publics, ou refuser d’être servis. De plus, les Roms ont peu accès aux services gouvernementaux; leurs possibilités d’emploi sont rares, ils sont privés de soins de santé adéquats et le taux d’abandon scolaire chez les enfants est élevé. L’absence de pièces d’identité empêche également de nombreux Roms de participer aux élections, de toucher des prestations sociales, d’avoir accès à l’assurance maladie, d’obtenir des titres de propriété et de participer au marché du travail. Les Roms ont un taux de chômage plus élevé, et une espérance de vie plus courte, que les non-Roms. Les stéréotypes négatifs et le langage discriminatoire au sujet des Roms sont répandus.

Malgré une ordonnance du ministre de l’Éducation interdisant la ségrégation des élèves roms, la ségrégation fondée sur l’ethnie demeure présente. En mars, une maison, une annexe, des dépendances et un entrepôt agricole appartenant à des Roms et situés dans la ville de Gheorgheni ont été incendiés et détruits, en riposte à un présumé vol qui avait eu lieu plus tôt la même semaine. Les médias ont mentionné que la police locale avait remarqué, avant l’incendie criminel, la présence de truands se dirigeant vers le quartier de la ville où vivaient les Roms, ainsi que de plusieurs groupes criant des slogans anti-Roms. Selon des militants roms, les agresseurs avaient utilisé les médias sociaux pour organiser leurs attaques. Après les incidents, le maire de Gheorgheni a fait des déclarations anti-Roms et blâmé les Roms pour avoir été les instigateurs des attaques contre leurs maisons. En décembre, l’enquête était toujours en cours devant le bureau du procureur de la poursuite rattaché au tribunal de Hargita. Les expulsions de force de Roms demeurent aussi un problème. En février, des autorités locales ont expulsé, sans préavis, plusieurs familles romes d’un immeuble de Bucarest.

[29]  Dans son document intitulé Observations finales concernant le cinquième rapport périodique de la Roumanie (Doc. ONU CCPR/C/ROU/CO/5, 11 décembre 2017), le Comité des droits de l’homme des Nations Unies mentionne ce qui suit :

11.  Le Comité constate à nouveau avec préoccupation que la population rom [sic] continue d’être victime de discrimination, notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’emploi et du logement. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles les enfants roms continueraient de subir une ségrégation de facto dans les écoles, le niveau scolaire serait en baisse, les Roms feraient l’objet d’expulsions forcées sans préavis suffisant et sans possibilité de recours et ne recevraient pas l’aide des services publics pour bénéficier de solutions de relogement adaptées, et se heurteraient à une discrimination dans le secteur de la santé, ce qui a des effets préjudiciables sur leur état de santé et leur espérance de vie. Le Comité est en outre préoccupé par l’insuffisance des progrès réalisés dans la mise en œuvre de la stratégie gouvernementale d’intégration des citoyens roumains appartenant à la minorité rom [sic] et par le manque de données ventilées relatives à la population rom [sic] (art. 2, 6, 17, 26 et 27).

[…]

13.  Le Comité est préoccupé par les allégations faisant état d’incidents racistes envers la population rom [sic] et de violences policières assimilables à des mauvais traitements, en particulier contre les Roms (art. 7 et 20).

[30]  D’après ces extraits, il semble que la situation des Roms en Roumanie se compare à celle des Roms de Hongrie, qui a été examinée dans un certain nombre de décisions de notre Cour (voir, par exemple, Canada (Citoyenneté et Immigration) c Racz, 2015 CF 218; Farkas c Canada (Public Safety and Emergency Preparedness), 2018 FC 658).

[31]  L’avocat des défendeurs soutient qu’aucun élément de preuve ne permet d’établir de lien entre la situation personnelle des demandeurs en l’espèce et les conditions précitées. Je ne peux donner effet à cet argument. Alors qu’il était détenu, M. Calin a produit un bref affidavit, manifestement pour expliquer la séquence des événements survenus le 5 juin. Bien que l’objet de cet affidavit ne soit pas de décrire les motifs de sa demande d’asile, M. Calin y mentionne brièvement qu’il a beaucoup souffert en Roumanie, étant particulièrement victime de racisme et de discrimination, et qu’il a été privé des services sociaux de base. Dans le contexte exceptionnel de la présente requête en sursis du renvoi, cela suffit pour établir le lien nécessaire.

[32]  Par conséquent, je conclus que les demandeurs ont démontré qu’ils subiront vraisemblablement un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé.

C.  Prépondérance des inconvénients

[33]  À cette dernière étape du critère de l’arrêt RJR, le préjudice pour le demandeur doit être examiné en regard du préjudice pour le défendeur à qui l’on empêche d’appliquer la loi. Dans certaines affaires, il a été dit que, « [l]orsque la Cour est convaincue que l’existence d’une question sérieuse et d’un préjudice irréparable a été établie, la prépondérance des inconvénients militera en faveur du demandeur » (Mauricette c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 420, au paragraphe 48). La prépondérance des inconvénients n’est toutefois pas un critère purement théorique. Le comportement du demandeur, par exemple si le demandeur a un lourd casier judiciaire ou a cherché par le passé à échapper aux autorités de l’immigration, peut accroître l’intérêt pour l’État d’exécuter le renvoi.

[34]  Cependant, aucun de ces facteurs n’est présent en l’espèce. Les demandeurs ont toujours cherché à observer les lois canadiennes, dans la mesure où ils pouvaient raisonnablement les comprendre et y avoir accès.

[35]  L’intérêt public peut aussi être pris en compte dans l’évaluation de la prépondérance des inconvénients (RJR, à la page 344). Il est bien sûr dans l’intérêt public de renvoyer rapidement les personnes qui n’ont pas le droit d’être présentes au Canada. Cet intérêt suppose toutefois que le droit de ces personnes de rester au Canada a été examiné dans le cadre d’une procédure équitable. La primauté du droit n’exige rien de moins. En l’espèce, la conduite des agents de l’ASFC visait apparemment à priver les demandeurs du droit de présenter une demande d’asile, un droit fondamental de la personne reconnu par l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et mis en application par la Loi. Plus précisément, l’alinéa 3(2)c) de la Loi précise que l’un des objectifs de la Loi est « de faire bénéficier ceux qui fuient la persécution d’une procédure équitable reflétant les idéaux humanitaires du Canada ». Cependant, le dossier qui m’a été présenté n’indique pas que les demandeurs ont bénéficié d’« une procédure  équitable ». Il s’agit d’un autre facteur qui penche en faveur du sursis.Je conclus que la prépondérance des inconvénients joue en faveur des demandeurs.

[36]  En conclusion, comme les trois critères de l’arrêt RJR sont satisfaits, je délivrerai une ordonnance visant à surseoir à l’exécution du renvoi des demandeurs du Canada.


JUGEMENT dans IMM-2873-18

LA COUR ACCUEILLE la requête en sursis à l’exécution du renvoi des demandeurs.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-2873-18

 

INTITULÉ :

MARIUS CALIN, NICOLETA CALIN, ANTONIA CALIN et CASIA CALIN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

Requête instruite par vidéoconférence le 6 juillet 2018, à Ottawa (Ontario)

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

Le 7 juillet 2018

OBSERVATIONS ORALES ET ÉCRITES :

Ashley Walling

Pour les demandeurs

 

Michel Pépin

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ferdoussi Hassa Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

 

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