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Date : 20180705


Dossiers : T-1-17

T-2-17

IMM-2611-17

IMM-2612-17

Référence : 2018 CF 692

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2018

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

FOREFRONT PLACEMENT LTD.

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une requête déposée par la demanderesse, Forefront Placement Ltd. (Forefront), aux termes de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles). Il s’agit d’un appel de l’ordonnance d’un protonotaire datée du 19 décembre 2017, par laquelle il rejetait les requêtes déposées par Forefront dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17 afin d’obtenir une ordonnance permettant à M. Timothy Leahy de comparaître comme avocat inscrit au dossier dans ces deux affaires, et radiait les demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire sous-jacentes de Forefront dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17, de même que deux autres demandes de contrôle judiciaire apparentées, T-1-17 et T-2-17, sans autorisation de les modifier.

Contexte procédural

[2]  Pour trancher le présent appel, il faut d’abord exposer les parties les plus pertinentes d’un historique de procédure considérable.

Demandes T-1-17 et T-2-17

[3]  Forefront a d’abord déposé une demande de contrôle judiciaire, portant le numéro de dossier T-1-17, au moyen d’un avis de demande déposé le 3 janvier 2016. Cette demande, déposée au titre de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21, visait la décision rendue le 13 décembre 2016 par le ministre de l’Emploi et du Développement social (le ministre) de [traduction] « retenir des droits exigibles de 1 000 $ pour une évaluation de l’impact sur le marché du travail (EIMT) ». On demandait dans l’avis de demande, entre autres choses, une déclaration portant que les droits pour l’EIMT, payables en application du paragraphe 315.2(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), violaient le paragraphe 19(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F-11 (Loi sur la gestion des finances publiques).

[4]  Le même jour, Forefront a également déposé une deuxième demande de contrôle judiciaire, portant le numéro de dossier T-2-17. La décision qui y était contestée était présentée comme la décision du 13 décembre 2016 du ministre de [traduction] « ne pas cesser d’enfreindre la Loi constitutionnelle de 1867 et la Charte en ce qui a trait aux travailleurs étrangers temporaires, résidant au Canada, et à leurs employeurs canadiens (potentiels) ». Forefront affirmait déposer sa demande en vertu des Lois constitutionnelles de 1867 et 1982, et sollicitait différentes déclarations, y compris une portant que la réglementation du travail pour les étrangers résidant au Canada soit déclarée inconstitutionnelle et que la règle limitant l’embauche de travailleurs étrangers temporaires à 10 % des effectifs d’un employeur violait l’article 15 de la Charte.

[5]  Les deux avis de demande dans les dossiers T-1-17 et T-2-17 étaient accompagnés d’une lettre dans laquelle M. Leahy demandait à être autorisé à représenter Forefront au motif qu’il en était l’administrateur, et qu’il était qualifié pour comparaître à la Cour fédérale à titre d’avocat, aux termes d’une autorisation de la Cour d’appel de l’Ontario.

Requête de Forefront en application de l’article 120 des Règles dans le dossier T-1-17, directive émise dans le dossier T-2-17

[6]  Plus tard au cours du même mois, le 24 janvier 2017, Forefront a déposé une requête dans le dossier T-1-17, pour demander une ordonnance confirmant, entre autres choses, que M. Leahy était autorisé à comparaître devant notre Cour et devant la Cour d’appel fédérale à titre d’avocat inscrit au dossier ou, subsidiairement, l’autorisant à représenter Forefront au motif qu’il en était l’unique administrateur et actionnaire, comme le prévoit l’article 120 des Règles.

[7]  De plus, le 24 janvier 2017, le défendeur a déposé une lettre dans le dossier T-2-17 pour demander une directive confirmant que M. Leahy n’était pas autorisé à représenter Forefront dans cette demande. Le défendeur a joint une copie de la décision Law Society of Upper Canada v Leahy, 2015 ONLSTH 53 (CanLII) (Leahy), dans laquelle le Barreau du Haut-Canada (maintenant le Barreau de l’Ontario) a déterminé que M. Leahy était ingérable et a révoqué son permis d’exercer le droit en Ontario, en date du 10 décembre 2014. Le défendeur a également souligné que le juge Gleeson de la Cour fédérale avait cité Leahy dans le dossier T-2256-16, une affaire dans laquelle M. Leahy avait tenté de comparaître à titre d’avocat pour un demandeur individuel. Dans une ordonnance datée du 16 janvier 2017, le juge Gleeson avait ordonné que le dossier T-2256-16 soit suspendu jusqu’à ce que la demanderesse ait informé la Cour de son intention d’agir en son nom ou de nommer un avocat conformément à l’article 119 des Règles.

[8]  À la suite de la lettre du défendeur, le protonotaire Aalto a délivré une directive datée du 26 janvier 2017 dans le dossier T-2-17, ordonnant à Forefront de nommer un avocat dans les 30 jours ou de déposer une requête pour obtenir l’autorisation d’être représentée par un conseiller qui n’est pas avocat. Forefront n’a fait ni l’un ni l’autre.

[9]  La requête de Forefront en application de l’article 120 des Règles dans le dossier T-1-17 a été entendue par le juge Southcott le 7 février 2017. Dans son ordonnance et ses motifs datés du 14 février 2017, dans le dossier Forefront Placement Ltd v The Minister of Employment and Social Development, 2017 FC 183, le juge Southcott a rejeté la requête de Forefront.

[10]  Devant le juge Southcott, Forefront a affirmé que le greffier de la Cour d’appel de l’Ontario et de la Cour de justice de l’Ontario avait remis un certificat à M. Leahy en 1991 (le certificat de 1991), certifiant qu’il avait été dûment assermenté et inscrit à titre de procureur de ces Cours, et que rien ne prouvait que ce pouvoir avait été révoqué ou annulé, et que l’article 11 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 (Loi sur les Cours fédérales), qui énonce que les procureurs sont autorisés à exercer dans les cours fédérales, n’exige pas qu’ils soient membres d’un barreau provincial. Le juge Southcott a estimé que l’article 11 de la Loi sur les Cours fédérales définissait les catégories de personnes autorisées à exercer dans les cours fédérales selon leur statut dans une province, où un barreau provincial est chargé de réglementer la pratique. Quant au certificat de 1991, il précède de beaucoup la décision du Barreau révoquant le permis de M. Leahy.

[11]  En ce qui concerne l’argument subsidiaire de Forefront, présenté en application de l’article 120 des Règles, le juge Southcott a estimé que Forefront n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve de son incapacité financière à retenir les services d’un avocat, et n’avait donc pas établi les circonstances particulières exigées.

[12]  Le 21 février 2017, Forefront a déposé un avis d’appel à la Cour d’appel fédérale (A‑58‑17), demandant l’annulation de l’ordonnance du juge Southcott.

[13]  Le 7 avril 2017, le juge Dawson a ordonné au greffe de la Cour d’appel fédérale d’informer Forefront qu’elle devait soit être représentée par un procureur, soit déposer une requête par écrit en application de l’article 120 des Règles. Par conséquent, le 12 avril 2017, Forefront a déposé une requête par écrit dans le dossier A-58-17, sollicitant, entre autres choses, une ordonnance autorisant M. Leahy à la représenter aux termes de l’article 120 des Règles. Dans une ordonnance intérimaire, datée du 9 mai 2017, la juge Gauthier a accueilli en partie la requête de Forefront, lui accordant la permission d’être représentée en appel par M. Leahy. L’ordonnance de la juge Gauthier indiquait ce qui suit :

[traduction]

VU qu’il s’agit là de circonstances particulières que de permettre à M. Leahy de représenter Forefront dans le présent appel. Plus précisément, l’ordonnance faisant l’objet du présent appel est une ordonnance rejetant la requête de Forefront en vue d’être représentée par M. Leahy dans un contrôle judiciaire à la Cour fédérale;

VU que la question dont je suis saisie est assez distincte de celle que doit trancher la Cour fédérale et que mon ordonnance ne devrait en aucun cas être interprétée de manière à avoir des répercussions sur le fond du présent appel.

Requêtes en radiation du défendeur dans les dossiers T-1-17 et T-2-17

[14]  Entre-temps, le 23 mai 2017, alors que l’appel dans le dossier A-58-17 était encore en instance, le défendeur a déposé deux requêtes identiques par écrit en application de l’article 369 des Règles, sollicitant une ordonnance radiant les demandes T-1-17 et T-2-17 au motif que Forefront n’avait pas qualité pour présenter les demandes ou, subsidiairement, que les demandes auraient dû être déposées comme des demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[15]  M. Leahy a déposé les documents en réponse de Forefront le 29 mai 2017, affirmant dans les deux dossiers que les requêtes en radiation du défendeur étaient vexatoires et constituaient un abus de procédure, et qu’elles devaient être rejetées au motif que les doctrines du manque de diligence et de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée interdisaient au défendeur de contester la position de Forefront ou, subsidiairement, que Forefront avait qualité pour agir en raison d’un intérêt direct ou public et qu’il n’existait aucun fondement juridique justifiant que les demandes de Forefront soient instruites en application de la LIPR.

[16]  Le défendeur a déposé ses réponses le 1er juin 2017, dans lesquelles il affirmait, en partie, que les documents en réponse de Forefront devraient être radiés, puisqu’ils avaient été préparés et déposés par M. Leahy qui ne pouvait agir comme avocat.

[17]  Le 2 juin 2017, Forefront a tenté de déposer des requêtes dans les dossiers T-1-17 et T-2-17 pour solliciter une ordonnance obligeant le défendeur à produire certains documents. Le défendeur a déposé des lettres datées du 5 juin 2017 dans les dossiers T-1-17 et T-2-17, pour demander une directive afin que les requêtes de Forefront ne soient pas acceptées pour dépôt, compte tenu de la directive du protonotaire Aalto du 6 janvier 2017 dans le dossier T-2-17, et de l’ordonnance du juge Southcott du 14 février 2017 dans le dossier T-1-17. Le jour suivant, la protonotaire Milczynski a ordonné oralement, dans les dossiers T-1-17 et T-2-17, que les documents de requête ne soient pas acceptés pour dépôt puisque M. Leahy n’était pas autorisé à représenter Forefront dans les instances.

Demandes IMM-2611-17 et IMM-2612-17

[18]  Le 12 juin 2017, Forefront a tenté de déposer deux demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire, portant les numéros de dossier IMM-2611-17 et IMM-2612-17, en application du paragraphe 72(1) de la LIPR, et sollicitant la même mesure de réparation que dans les dossiers T-1-17 et T-2-17, respectivement. En même temps que ces demandes, Forefront a déposé une lettre demandant que les documents soient déposés et informant la Cour de son intention de déposer des requêtes en application de l’article 120 des Règles. Dans une directive orale délivrée ce même jour, la protonotaire Milczynski a demandé que les documents soient acceptés pour dépôt.

[19]  Le 14 juin 2017, Forefront a déposé des requêtes identiques en application de l’article 120 des Règles dans chacun des dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17, sollicitant, entre autres choses, une ordonnance confirmant que M. Leahy était autorisé à comparaître à titre d’avocat à la Cour fédérale, ou une ordonnance l’autorisant à défaut à représenter Forefront. Forefront affirmait que M. Leahy était autorisé à comparaître comme avocat à la Cour fédérale en vertu du certificat de 1991 et de l’article 11 de la Loi sur les Cours fédérales, ou au titre de l’article 120 des Règles et de l’ordonnance de la juge Gauthier du 9 mai 2017 dans le dossier A-58-17. Les requêtes en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17 devaient être présentées le 20 juin 2017, mais ont par la suite été ajournées et entendues le 4 juillet 2017 par le protonotaire Aalto.

[20]  Après l’audience, le protonotaire Aalto a ordonné, le 5 juillet 2017, que les requêtes de Forefront présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17, et les requêtes en radiation du défendeur dans les dossiers T-1-17 et T-2-17, soient suspendues en attendant le résultat de l’appel dans le dossier A-58-17, et qu’une conférence de gestion d’instance ait lieu par la suite pour décider des prochaines étapes pour les quatre requêtes.

Rejet par la Cour d’appel fédérale de l’appel de Forefront

[21]  L’appel interjeté par Forefront à l’encontre de l’ordonnance du juge Southcott, laquelle rejetait la requête de Forefront déposée en application de l’article 120 des Règles dans le dossier T-1-17, a été entendu par la Cour d’appel fédérale le 21 septembre 2017, et le jugement a été prononcé à l’audience (Forefront Placement Ltd c Canada (Emploi et Développement social), 2017 CAF 196 (Forefront 2017). Dans sa décision, la Cour d’appel fédérale a souligné que conformément à l’ordonnance interlocutoire de la juge Gauthier, M. Leahy avait été autorisé à représenter Forefront au moment de l’audition de l’appel (Forefront 2017, au paragraphe 1).

[22]  La Cour d’appel s’est ensuite demandée si la demande T-1-17 était correctement qualifiée, selon l’article 72 de la LIPR, et s’il s’agissait d’une « mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi », soulignant que « la présente loi » à l’article 72 comprend un règlement. La Cour d’appel a constaté que dans le dossier T-1-17, Forefront cherchait à s’opposer au paiement des frais de 1 000 $ visés par l’article 315.2 du Règlement, ou à réduire la somme à payer, affirmant que cette disposition était incompatible avec le paragraphe 19(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques. La Cour d’appel a conclu que la demande T-1-17 était une affaire ou une question soulevée aux termes de la LIPR.

[23]  La Cour d’appel a rejeté l’argument avancé par Forefront selon lequel la question dont était saisie la Cour relevait de la Loi sur la gestion des finances publiques et non du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. La Cour d’appel a plutôt maintenu que la Loi sur la gestion des finances publiques n’était qu’un moyen invoqué par Forefront dans une affaire ou une question qui, sur le fond, portait sur le fait d’éviter ou de réduire l’obligation de payer les frais visés à l’article 315.2 du Règlement.

[24]  Ainsi, l’appel de Forefront était empêché par l’alinéa 72(2)e) de la LIPR, qui interdit les appels contre des ordonnances interlocutoires; la Cour d’appel n’avait donc pas compétence pour entendre l’appel. Par conséquent, l’appel de Forefront a été rejeté avec dépens.

Requête de Forefront en vue de modifier l’avis de demande dans le dossier T-1-17

[25]  Le 25 septembre 2017, quelques jours après le rejet de son appel par la Cour d’appel, Forefront a demandé à déposer un avis de requête dans le dossier T-1-17 pour obtenir l’autorisation de modifier son avis de demande en réponse au jugement de la Cour d’appel. Ce même jour, Forefront a également écrit au greffe de la Cour fédérale, l’informant qu’elle souhaitait que sa requête pour obtenir l’autorisation de modifier sa demande dans le dossier T-1-17 soit entendue avec les [traduction] « autres requêtes », et affirmant que M. Leahy pourrait agir à titre d’avocat pour Forefront dans [traduction] « toute instance à la Cour fédérale », en vertu de l’ordonnance interlocutoire de la juge Gauthier. Forefront demandait également que les requêtes en instance dans les dossiers T-1-17, T-2-17, IMM-2611-17 et IMM-2612-17 soient mises au rôle en vue d’une audience.

[26]  Le 26 septembre 2017, le défendeur a déposé une lettre pour demander une directive ordonnant que la requête en modification de Forefront dans le dossier T-1-17 ne soit pas acceptée pour dépôt, puisque la décision du juge Southcott de la Cour d’appel fédérale dans le dossier A-58-17 avait force exécutoire. Le défendeur demandait également une directive précisant comment les quatre demandes en instance, T-1-17, T-2-17, IMM-2611-17 et IMM-2612-17, qui avaient été suspendues en attendant le jugement de la Cour d’appel fédérale, seraient maintenant traitées. Plus tard ce même jour, le protonotaire Aalto a ordonné que la requête en modification de Forefront dans le dossier T-1-17 soit entendue lors d’une audience tenue dans le cadre des séances générales, en même temps que la lettre du défendeur datée du 26 septembre 2017. En réponse, le même jour, Forefront a écrit au greffe de la Cour fédérale en indiquant que la requête en modification dans le dossier T-1-17 devrait être convertie en une requête écrite en application de l’article 369 des Règles, et en joignant un avis de requête modifié à cet égard. Les documents de requête de Forefront ont ensuite été déposés le 27 septembre 2017.

[27]  Le défendeur a déposé ses documents en réponse à la requête en modification de Forefront dans le dossier T-1-17 le 5 octobre 2017, y compris un affidavit d’Anna Thompson, adjointe juridique au ministère de la Justice, auquel était joint en tant que pièce une transcription d’une partie de l’audience de l’appel de Forefront à la Cour d’appel fédérale qui a eu lieu le 21 septembre 2017. Forefront a déposé sa réponse le 10 octobre 2017.

Décision concernant les requêtes de Forefront présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17

[28]  Le 16 octobre 2017, les requêtes en radiation du défendeur dans les dossiers T-1-17 et T-2-17 (déposées aux termes de l’article 369 des Règles) et la requête en modification de Forefront dans le dossier T-1-17 (convertie en une requête aux termes de l’article 369 des Règles) ont été transmises pour être traitées comme des requêtes devant être jugées sur dossier. Cependant, le 18 octobre 2017, le juge Campbell a délivré une ordonnance dans les dossiers T-1-17 et T-2-17 qui était ainsi libellée :

[traduction]

COMPTE TENU de la complexité des présentes requêtes, elles seront instruites sur des arguments présentés de vive voix à une date convenue par les parties.

[29]  Le 21 novembre 2017, le bureau du juge en chef a délivré la directive suivante dans les dossiers T-1-17 et T-2-17 :

[traduction]

La Cour a évalué le temps nécessaire pour les deux affaires et a indiqué que deux heures suffiraient. Ainsi, les parties doivent s’assurer que leurs requêtes pourront être présentées à la séance générale de leur choix.

[30]  Le 14 novembre 2017, les requêtes de Forefront en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17 ont été transmises pour décision. Dans le message du greffe à la Cour, les requêtes en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17 étaient qualifiées de requêtes déposées aux termes de l’article 369 des Règles.

[31]  Dans une ordonnance datée du 19 décembre 2017 rendue dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17, le protonotaire Aalto a rejeté les requêtes de Forefront en application de l’article 120 des Règles et a conclu que M. Leahy ne pourrait représenter Forefront dans ces instances ou dans l’instance T-2-17. De plus, le protonotaire a radié les demandes sous-jacentes d’autorisation et de contrôle judiciaire dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17, de même que les demandes connexes dans les dossiers T-1-17 et T-2-17, avec dépens, et sans autorisation de les modifier.

[32]  L’ordonnance du protonotaire Aalto datée du 19 décembre 2017 fait l’objet du présent appel.

Ordonnance visée par l’appel

[33]  Le protonotaire a présenté les mesures de réparation demandées par Forefront, de même que l’ordonnance du juge Southcott, l’ordonnance interlocutoire de la juge Gauthier, et le jugement de la Cour d’appel fédérale dans le dossier A-58-17. Le protonotaire a souligné que les requêtes de Forefront en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612*17 soulevaient la même question que celle dont avait été saisi auparavant le juge Southcott, à savoir si M. Leahy pouvait ou non représenter Forefront à titre d’avocat. Le protonotaire a aussi affirmé que la Cour avait [traduction] « demandé leur avis aux parties quant à la manière de juger ces requêtes » et avait été [traduction] « informée que toutes les questions pourraient être jugées sur dossier conformément à l’article 369 des Règles ».

[34]  Le protonotaire a estimé que la question de savoir si M. Leahy pouvait représenter Forefront dans les affaires soumises à notre Cour avait été tranchée de manière finale et décisive par l’ordonnance du juge Southcott et le rejet subséquent de l’appel en l’espèce. Le protonotaire a ensuite souligné [traduction] « les arguments irrespectueux, les insinuations de mauvaise conduite et les commentaires subjectifs » de M. Leahy, qui étaient condescendants à l’égard des membres de la Cour, de l’avocat du ministère de la Justice, et d’autres personnes. Le protonotaire a affirmé que ces remarques constituaient un affront à l’intégrité de la Cour et de ses juges et pouvaient être qualifiées de méprisantes. Le protonotaire a cité certains exemples des observations écrites de Forefront préparées par M. Leahy. Le protonotaire a indiqué, que M. Leahy l’apprécie ou non, que la décision du juge Southcott était une décision finale et contraignante pour M. Leahy et Forefront. Par conséquent, le protonotaire a conclu que le reste des mesures de redressement demandées par Forefront ne pouvaient être accordées.

[35]  En outre, le protonotaire a souligné que les demandes IMM-2611-17 et IMM-2612-17 reproduisaient, en grande partie, les demandes T-1-17 et T-2-17. Le protonotaire a indiqué que le 6 janvier 2017, dans le dossier T-2-17, la Cour avait ordonné que Forefront nomme un avocat dans les 30 jours ou dépose une requête pour obtenir l’autorisation de représenter Forefront. Elle ne l’a pas fait. Dans le dossier T-1-17, Forefront avait déposé une requête en application de l’article 120 des Règles, laquelle a été jugée par le juge Southcott de la manière décrite ci-dessus. Le protonotaire a conclu que les quatre demandes devraient être radiées au motif qu’il n’y avait pas d’avocat inscrit au dossier, que les demandes IMM-2611-17 et IMM-2612-17 étaient des copies des demandes T-1-17 et T-2-17 et constituaient par conséquent un abus de procédure, et pour les nombreuses raisons soulevées par le défendeur, que le protonotaire n’a pas précisées tout en indiquant être d’accord elles.

Requête de Forefront interjetant appel de l’ordonnance du protonotaire

[36]  Dans son avis de requête, déposé conformément à l’article 51 des Règles, Forefront sollicite une ordonnance afin que l’ordonnance du protonotaire Aalto datée du 19 décembre 2017 soit annulée et que les questions soient renvoyées pour être entendues oralement par un juge, conformément à l’ordonnance du juge Campbell du 18 octobre 2017 dans les dossiers T-1-17 et T-2-17 et à la directive du bureau du juge en chef délivrée le 21 novembre 2017.

Questions en litige

[37]  Forefront soutient que les questions sont les suivantes :

1)  Le protonotaire a-t-il commis une erreur, et outrepassé sa compétence, en annulant l’ordonnance du juge Campbell, datée du 18 octobre 2017, laquelle demandait la tenue d’une audience dans les dossiers T-1-17 et T-2-17, et en tranchant, sans préavis, les requêtes sur dossier, y compris les dossiers en immigration?

2)  La décision du protonotaire porte-t-elle atteinte à la justice naturelle et à la justice fondamentale, étant donné que les services d’un avocat avaient déjà été retenus, qu’il allait être inscrit au dossier, et qu’il conviendrait d’une date pour l’audience avec l’avocat du défendeur et la Cour?

3)  La teneur et le ton de la décision du protonotaire, et le moment choisi pour rendre cette décision, traduisent-ils une crainte raisonnable de partialité?

[38]  Le défendeur traite de ces questions, mais ajoute les questions suivantes :

1)  Les demandes T-1-17 et T-2-17 devraient-elles être radiées, puisque les décisions contestées dans ces demandes sont des questions ou des décisions relevant de la LIPR, qui auraient par conséquent dû être instruites au moyen d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire?

2)  Forefront a-t-elle qualité pour introduire le présent appel?

3)  Les portions du présent appel qui portent sur la question de savoir si M. Leahy peut représenter Forefront ont-elles été rendues théoriques par le fait que Forefront a maintenant retenu les services d’un avocat?

[39]  À mon avis, les questions en litige peuvent être formulées ainsi :

  • 1) Forefront a-t-elle qualité pour introduire le présent appel?

  • 2) Le protonotaire a-t-il commis une erreur en rejetant les requêtes de Forefront présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17?

  • 3) L’ordonnance du protonotaire contredit-elle l’ordonnance du juge Campbell?

  • 4) Le protonotaire a-t-il commis une erreur en radiant les demandes IMM-2611-17, IMM-2612-17, T-1-7 et T-2-17?

  • 5) L’ordonnance du protonotaire suscite-t-elle une crainte raisonnable de partialité?

Norme de contrôle

[40]  Forefront n’a pas présenté d’observations sur la question de la norme de contrôle applicable dans le cas d’un appel déposé à l’encontre d’une décision discrétionnaire d’un protonotaire, conformément à l’article 51 de la Loi sur les Cours fédérales. Le défendeur affirme, et je suis d’accord avec lui, que la norme de contrôle applicable aux questions de droit et aux questions de droit et de fait est celle de la décision correcte, lorsqu’il y a une question de droit isolable, alors que la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait est celle de l’erreur manifeste et dominante (Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, au paragraphe 66; Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, aux paragraphes 19 à 37 (Housen); Bard Peripheral Vascular Inc. c W.L. Gore & Associates, Inc., 2017 CF 585, au paragraphe 10). Une erreur manifeste et dominante est une erreur qui est évidente et apparente, et qui a pour effet de vicier l’intégrité des motifs (Maximova c Canada (Procureur général), 2017 CAF 230, au paragraphe 5).

[41]  En l’espèce, Forefront affirme que le protonotaire a outrepassé sa compétence, a porté atteinte à la justice naturelle et fondamentale, et que son ordonnance atteste une crainte raisonnable de partialité. Des questions de ce type sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte (voir Pembina County Water Resource District c Manitoba (Gouvernement), 2017 CAF 92, au paragraphe 35, citant Housen, au paragraphe 8; Coombs c Canada (Procureur général), 2014 CAF 222, au paragraphe 12 (Coombs)).

Question 1 : Forefront a-t-elle qualité pour introduire le présent appel?

[42]  Le défendeur affirme que Forefront n’a pas qualité pour introduire le présent appel, s’appuyant sur les arguments présentés dans ses observations écrites relatives à ses requêtes en radiation dans les dossiers T-1-17 et T-2-17. Ces requêtes étaient appuyées par l’affidavit souscrit le 19 mai 2017 par Donna Blois, directrice à la Division des politiques d’intégrité et des renseignements sur le programme, Programme des travailleurs étrangers temporaires, Direction générale des compétences et de l’emploi, Emploi et Développement social Canada (affidavit Blois).

[43]  L’affidavit Blois présente des renseignements généraux sur le Programme des travailleurs étrangers temporaires, qui relève de la LIPR et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, avec notamment un aperçu de la procédure que doivent suivre les employeurs pour présenter une demande d’EIMT. L’affidavit Blois mentionne également qu’une recherche dans la base de données d’Emploi et Développement social Canada (EDC) indique que bien que Forefront ait déposé des demandes d’EIMT à titre de tierce partie représentant de potentiels employeurs, Forefront n’a jamais présenté de demande d’EIMT à EDC pour son propre compte.

[44]  Le défendeur soutient que pour qu’une entité soit directement touchée par une décision au sens du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, la décision doit avoir porté atteinte à ses droits, lui avoir imposé des obligations juridiques ou lui avoir causé directement préjudice (CanWest MediaWorks Inc. c Canada (Santé), 2007 CF 752, au paragraphe 13, conf. par 2008 CAF 207). Comme l’intérêt de Forefront dans le litige est purement commercial, ce n’est pas suffisant pour justifier une qualité directe pour agir. Le défendeur soutient également que Forefront ne satisfait pas au critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public exposé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45.

[45]  À mon avis, les arguments du défendeur ne portent que sur la question de savoir si Forefront a qualité pour introduire, à titre de demanderesse, ses demandes sous-jacentes de contrôle judiciaire dans les dossiers IMM-2611-17, IMM-2612-17, T-1-17 et T-2-17 – et non sur la question de savoir si elle a qualité pour interjeter appel de l’ordonnance du protonotaire, qui a radié ces demandes. Autrement dit, aucun des arguments avancés par le défendeur ne remet vraiment en question la qualité pour agir de Forefront à titre de partie appelante. À cet égard, je souligne que les questions en appel portent sur des erreurs alléguées découlant de cette ordonnance, et non sur la manière dont Forefront a été touchée par les décisions contestées dans les demandes sous-jacentes. En outre, dans l’arrêt Ordre des architectes de l’Ontario c Assn. of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218, la Cour d’appel fédérale a souligné le « principe normal selon lequel une personne qui n’était ni partie ni intervenante aux procédures initiales n’a pas qualité pour exercer un droit d’appel » (au paragraphe 42). À l’inverse, donc, cela indiquerait qu’une personne qui était partie aux procédures a normalement qualité pour interjeter appel. À titre de demanderesse, Forefront est une partie aux termes de l’article 2 des Règles; ses demandes ont été radiées par l’ordonnance du protonotaire et elle a par conséquent qualité pour déposer une requête en application de l’article 51 des Règles.

[46]  Cela dit, parce que j’ai conclu ci-dessous que cet appel devrait être accueilli, en partie, puisque le protonotaire a commis une erreur en radiant les demandes, je conviens avec le défendeur que la question portant sur la qualité pour agir de Forefront est directement pertinente et doit être tranchée en l’espèce.

Question 2 : Le protonotaire a-t-il commis une erreur en rejetant les requêtes de Forefront présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17?

[47]  Dans ses requêtes présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17, Forefront avance les mêmes arguments que ceux qui ont été rejetés par le juge Southcott dans la requête déposée en application de l’article 120 des Règles dans le dossier T-1-17. Toutefois, Forefront a également ajouté l’argument selon lequel l’ordonnance interlocutoire de la juge Gauthier, qui autorisait M. Leahy à représenter Forefront à la Cour d’appel fédérale, lui permettait d’agir comme avocat au dossier pour Forefront dans toute instance dans les cours fédérales.

[48]  Ce dernier argument a été examiné par le protonotaire, qui a estimé que l’ordonnance de la juge Gauthier accordait uniquement à M. Leahy une autorisation, selon des conditions très limitées, de représenter Forefront dans l’appel à la Cour d’appel fédérale. Le protonotaire n’a commis aucune erreur à d’autres égards. Premièrement, bien que Forefront ait demandé, dans sa requête à la Cour d’appel fédérale, 19 mesures de réparation, dont une déclaration selon laquelle M. Leahy était autorisé à comparaître dans les cours fédérales comme avocat au dossier en vertu du certificat de 1991, l’ordonnance de la juge Gauthier se limitait précisément à la première mesure de réparation demandée : [traduction] « une ordonnance autorisant Timothy E. Leahy à agir comme conseiller de la partie appelante concernant l’audition de la requête signifiée le 5 avril 2017 ». En outre, la juge Gauthier a expressément jugé qu’il existait des circonstances spéciales autorisant M. Leahy à représenter Forefront dans cet appel, et a indiqué que son ordonnance n’avait aucune incidence sur le bien-fondé de l’appel.

[49]  Je voudrais également souligner que l’affidavit de l’adjointe juridique Anna Thompson, déposé par le défendeur en réponse à la requête en modification de Forefront dans le dossier T-1-17, et joint comme pièce, contenait une portion d’une transcription de l’audience devant la Cour d’appel fédérale dans le dossier A-58-17. Il contenait l’échange suivant à la fin de l’audience :

[traduction]

L :  Puis-je poser une question? Parce que le protonotaire Alto attend de rendre sa décision en raison des requêtes en instance ci-dessous. J’interprète les motifs qu’a lus le juge Stratus comme signifiant, pour moi, que je peux représenter Forefront Placement à titre d’administrateur.

B :  Il ne dit pas cela. Il rejette l’appel pour des raisons de compétence.

L :  Étant donné que la question n’est toujours pas réglée, le protonotaire Alto veut une sorte de directive.

B :  L’appel est rejeté et par conséquent, le jugement de la Cour fédérale est maintenu. D’après ce que je comprends, l’appel est rejeté parce que nous n’avons pas compétence. Donc, la décision du juge Southcott est maintenue et il a jugé que vous ne pouviez représenter l’entreprise.

L :  Mais la juge Gauthier a dit que je peux représenter l’entreprise.

B :  Devant notre Cour [...]

B :  Uniquement à cette seule fin [...].

[…]

[orthographe respectant le texte original]

[50]  Compte tenu du libellé de l’ordonnance de la juge Gauthier, et de la transcription d’un extrait de l’audience de la Cour d’appel fédérale reproduit ci-dessus, je ne vois pas comment les arguments de Forefront relativement aux requêtes présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17 – c’est-à-dire que l’ordonnance de la juge Gauthier autorisait M. Leahy à représenter Forefront à la Cour fédérale – pouvaient avoir un quelconque fondement juridique ou factuel.

[51]  De plus, je conviens avec le défendeur qu’une fois qu’un différend a été tranché définitivement, il ne peut être soumis à nouveau aux tribunaux. Les conditions préalables à l’application de la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont les suivantes : a) que la même question ait été décidée, b) que la décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion soit finale, et c) que les parties dans la décision judiciaire invoquée soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la préclusion est soulevée (voir Danyluk c Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, au paragraphe 25; Timm c Canada, 2014 CAF 8, au paragraphe 22 (Timm)). Les conditions préalables ont été satisfaites en l’espèce, et je ne vois aucune raison de refuser d’appliquer la doctrine (Timm, au paragraphe 24).

[52]  Compte tenu de ce qui précède, le défendeur affirme dans le présent appel que le protonotaire a conclu à bon droit que M. Leahy ne pouvait représenter Forefront, puisque le protonotaire était lié par l’ordonnance du juge Southcott à cet égard. Ainsi, le défendeur demande que cette partie de l’ordonnance du protonotaire ne soit pas révisée en appel.

[53]  En fait, dans ses observations écrites déposées à l’appui du présent appel, Forefront ne conteste pas la conclusion du protonotaire selon laquelle la question soulevée dans les requêtes présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17 – à savoir la capacité de M. Leahy à représenter Forefront comme avocat – était la même question que celle qui avait été précédemment soulevée et tranchée définitivement par le juge Southcott dans la requête de Forefront déposée en application de l’article 120 des Règles dans le dossier T-1-17. Quand elle a comparu devant moi dans le présent appel, Forefront avait retenu les services d’un avocat, M. Rocco Galati, qui a explicitement concédé dans ses observations de vive voix que l’ordonnance de la juge Gauthier s’appliquait uniquement au dossier A-58-17 et ne donnait pas autorisation à M. Leahy de représenter Forefront devant notre Cour.

[54]  Toutefois, parce qu’il est possible que M. Galati ne représente pas toujours Forefront à l’avenir, je veux qu’il soit très clair que le protonotaire n’a commis aucune erreur de droit quand il a conclu, relativement aux requêtes de Forefront présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17, qu’il était lié par l’ordonnance du juge Southcott et que, par conséquent, M. Leahy ne pouvait – et ne peux – représenter Forefront. Sur ce point, je souligne que je ne suis pas d’accord avec les observations du défendeur qui affirme, citant l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, que la portion de l’ordonnance du protonotaire Aalto traitant de la question de savoir si M. Leahy peut représenter Forefront est maintenant devenue théorique, étant donné que Forefront a maintenant retenu les services de M. Galati comme avocat. Cette question n’est pas devenue théorique. Elle a plutôt reçu une réponse négative définitive.

[55]  Cela nous mène à la question de savoir si le protonotaire a commis une erreur en tirant cette conclusion sans entendre les observations présentées de vive voix par les parties. Les requêtes de Forefront présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17 n’ont pas été déposées par écrit. Lors d’une audience devant le protonotaire Aalto le 4 juillet 2017, les requêtes présentées en application de l’article 120 ont été ajournées en attendant une décision quant à l’appel interjeté par Forefront dans le dossier T-1-17. Dans le présent appel, Forefront adopte maintenant la position selon laquelle les requêtes présentées en application de l’article 120 dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17 devaient être jugées uniquement après une audience orale supplémentaire.

[56]  Dans son ordonnance, le protonotaire a affirmé qu’il avait demandé leur avis aux parties quant à la manière de juger ces requêtes, et que la Cour avait été informée que toutes les questions pourraient être jugées sur dossier conformément à l’article 369 des Règles. Je souligne que l’ordonnance du juge Campbell datée du 18 octobre 2017, dans laquelle il maintenait que certaines requêtes seraient entendues oralement, concernait uniquement les requêtes en radiation présentées par le défendeur dans les dossiers T-1-17 et T-2-17 et la requête présentée par Forefront pour obtenir l’autorisation de modifier son avis de demande dans le dossier T-1-17. De même, la directive subséquente du bureau du juge en chef délivrée le 22 novembre 2017 ne concernait que les requêtes dans les dossiers T-1-17 et T-2-17. Ainsi, ni l’ordonnance du juge Campbell ni la directive du bureau du juge en chef ne s’appliquaient à l’audition des requêtes présentées en application de l’article 120 dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17.

[57]  Forefront n’a déposé aucun affidavit ou autre élément de preuve contestant l’affirmation du protonotaire selon laquelle les requêtes présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17 pourraient être tranchées sur dossier. Quand elle a comparu devant moi, Forefront a affirmé que parce que le protonotaire avait fait référence à l’avis des « parties », cela ne pouvait inclure toute communication de la part de Forefront puisqu’elle n’était pas encore représentée. À mon avis, cet argument n’est pas fondé, puisque les requêtes présentées en application de l’article 120 des Règles entendues par le protonotaire avaient été présentées par M. Leahy et visaient à lui permettre de représenter Forefront. En outre, dans les documents dont je dispose, il semble que tous les dépôts et toutes les communications ayant précédé l’ordonnance du protonotaire ont été faits par M. Leahy et que le greffe lui a répondu.

[58]  Cela dit, les dossiers de la Cour contiennent une lettre de Forefront datée du 25 septembre 2017, déposée dans les dossiers IMM-2611-17, IMM-2612-17, T-1-17 et T-2-17, demandant que les [traduction] « requêtes en instance soient mises au rôle en vue d’une audience ». Il n’y a, dans le dossier, aucune autre correspondance ou communication convertissant ou acceptant de convertir les requêtes présentées en application de l’article 120 des Règles en requêtes présentées en application de l’article 369. Par conséquent, en fonction du dossier dont je dispose, il semble que le protonotaire ait fait erreur en pensant que les requêtes présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17 pouvaient, sur accord des parties, être tranchées sur dossier.

[59]  Toutefois, l’erreur de fait du protonotaire est sans conséquence, pour autant que son ordonnance indique que M. Leahy n’a pas qualité pour représenter Forefront. Même si cette erreur a entraîné un manquement à l’équité procédurale, de tels manquements peuvent être passés sous silence lorsque l’issue d’une affaire est légalement inévitable (Canada (Attorney General c McBain, 2017 CAF 204, au paragraphe 10, citant Mobil Oil Canada Ltd. c Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers), [1994] 1 RCS 202, aux pages 227 et 228). Comme je l’ai mentionné plus haut, à l’audition du présent appel, Forefront a concédé que l’ordonnance du juge Southcott avait force exécutoire, que l’ordonnance interlocutoire de la juge Gauthier ne s’appliquait pas, et que M. Leahy ne pouvait représenter Forefront dans les cours fédérales.

[60]  En l’espèce, même si une audience avait eu lieu, les demandes n’avaient simplement aucune chance d’être accueillies dans les circonstances. Par conséquent, je confirme les portions de l’ordonnance du protonotaire qui rejettent les requêtes de Forefront présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17. Toutefois, comme nous en traiterons plus loin, l’absence d’audience n’a pas eu d’autre incidence sur Forefront, puisqu’elle n’a pas eu la possibilité de répondre au rejet des demandes.

Question 3 : L’ordonnance du protonotaire contredit-elle l’ordonnance du juge Campbell?

[61]  Forefront affirme dans le présent appel que l’ordonnance du protonotaire contredisait l’ordonnance du juge Campbell, et outrepassait donc sa compétence. Comme je l’ai dit dans mon résumé ci-dessus, l’ordonnance du juge Campbell indiquait que les requêtes en radiation du défendeur dans les dossiers T-1-17 et T-2-17, et la requête en modification de Forefront dans le dossier T-1-17 (lesquelles avaient toutes été déposées en vertu de l’article 369 des Règles ou converties en requêtes écrites en vertu de ce même article) seraient entendues oralement. Conformément à l’alinéa 50(1)g) des Règles, un protonotaire ne peut entendre une requête pour annuler ou modifier l’ordonnance d’un juge, sauf celles rendues aux termes de l’article 385 concernant une gestion des instances. Je souligne qu’en l’espèce, il n’y a eu aucune requête pour modifier l’ordonnance du juge Campbell et que les quatre demandes ne faisaient pas l’objet d’une gestion des instances.

[62]  Toutefois, je ne suis pas d’accord avec l’idée que le protonotaire a contredit l’ordonnance du juge Campbell. Cette ordonnance concernait uniquement les trois requêtes dont était saisi le juge Campbell – les requêtes en radiation du défendeur dans les dossiers T-1-17 et T-2-17 et la requête en modification de Forefront dans le dossier T-1-17. De plus, les trois requêtes dans les dossiers T-1-17 et T-2-17 qui faisaient l’objet de l’ordonnance du juge Campbell n’ont pas été soumises pour décision au protonotaire et il n’a pas traité de ces requêtes ou rendu de décision à leur sujet dans son ordonnance. L’ordonnance du protonotaire concernait plutôt les deux requêtes présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17; à la suite de ses conclusions dans ces requêtes, il a radié les demandes IMM-2611-17, IMM-2612-17, T-1-17 et T-2-17, au motif qu’il n’y avait pas d’avocat au dossier et qu’elles constituaient un abus de procédure.

[63]  À mon avis, dans ces circonstances, l’ordonnance du protonotaire n’a pas annulé ou modifié l’ordonnance du juge Campbell. L’ordonnance du protonotaire radiant les demandes a plutôt eu comme résultat de rendre inutile l’audition des trois requêtes dans les dossiers T-1-17 et T-2-17. Par conséquent, le protonotaire n’a pas commis d’erreur de droit en outrepassant sa compétence et n’a pas manqué à l’équité procédurale en « annulant » l’ordonnance du juge Campbell.

Question 4 : Le protonotaire a-t-il commis une erreur en radiant les demandes IMM-2611-17, IMM-2612-17, T-1-7 et T-2-17, sans autorisation de les modifier?

[64]  Forefront affirme qu’en radiant les quatre demandes, le protonotaire a outrepassé sa compétence et a commis une erreur de droit. D’abord, Forefront soutient que radier les demandes était injuste, puisque peu de temps avant que le protonotaire ne rende son ordonnance, Forefront avait retenu les services d’un avocat, M. Galati, qui s’apprêtait à mettre à l’horaire l’audition des requêtes dans les dossiers T-1-17 et T-2-17 et était [traduction] « sur le point de s’inscrire au dossier ». Forefront affirme ensuite que le protonotaire n’avait, quoi qu’il en soit, pas compétence pour radier les demandes. Enfin, Forefront soutient que le protonotaire a commis une erreur en radiant les demandes en l’absence d’arguments présentés de vive voix concernant les requêtes.

Était-il équitable de rendre l’ordonnance alors que l’avocat était [traduction] « sur le point de s’inscrire au dossier »?

[65]  La Cour d’appel fédérale a rendu sa décision dans le dossier A-58-17, en rejetant l’appel interjeté par Forefront contre l’ordonnance du juge Southcott dans le dossier T-1-17, le 21 septembre 2017. L’ordonnance du protonotaire qui fait maintenant l’objet du présent appel a été délivrée trois mois plus tard, le 19 décembre 2017. Forefront affirme dans le présent appel que [traduction] « peu de temps avant » l’ordonnance du protonotaire, elle avait retenu les services d’un avocat qui s’apprêtait à mettre à l’horaire les requêtes dans les dossiers T-1-17 et T-2-17 et était [traduction] « sur le point de s’inscrire au dossier » après avoir obtenu une date convenant à toutes les parties.

[66]  Forefront s’appuie sur l’affidavit de Samantha Coomara, étudiante en droit, employée par la société professionnelle Rocco Galati Law Firm (affidavit Coomara). L’affidavit Coomara indique que [traduction] « quelques semaines seulement avant la décision du protonotaire rendue le 19 décembre 2017, Forefront avait pris des dispositions pour que M. Galati la représente dans les quatre affaires, étant donné les requêtes en instance » [sic]. Toutefois, l’affidavit Coomara n’indique pas à quel moment M. Galati a été réellement embauché. Lorsqu’il a comparu devant moi, M. Galati a indiqué qu’il avait accepté d’être embauché autour du 6 décembre 2017, mais aucun avis selon lequel il était l’avocat inscrit au dossier n’a été déposé à ce moment-là.

[67]  L’affidavit Coomara indique également que le 7 ou le 8 décembre 2017, ou aux alentours de ces dates, M. Galati a communiqué avec l’avocat du défendeur et le greffe de la Cour pour indiquer qu’il [traduction] « allait participer » et serait inscrit au dossier sous peu, après que l’on ait fixé une date pour entendre les requêtes. À cet égard, une copie de la correspondance entretenue selon Mme Coomara [traduction] « en réponse aux appels faits par M. Galati à l’avocat du défendeur et à la Cour » est jointe comme pièce à l’affidavit Coomara. Il s’agit d’une lettre d’une seule phrase, datée du 13 décembre 2017, adressée par l’avocat du défendeur à M. Galati, indiquant qu’il serait disponible pour plaider les requêtes dans les dossiers T-1-17 et T-2-17 aux dates fixées. La lettre n’est pas adressée en copie conjointe à la Cour.

[68]  Étant donné ce qui précède, il est possible que les services de M. Galati aient été retenus le 6 décembre 2017 ou aux alentours de cette date, mais je ne dispose d’aucun élément de preuve me prouvant à quelle date ses services ont été retenus. Je ne dispose également d’aucun élément de preuve montrant qu’avant de rendre son ordonnance, le protonotaire savait que Forefront avait retenu les services d’un avocat et lui avait demandé de la représenter dans une partie ou la totalité des requêtes et les demandes sous-jacentes. Et comme l’a souligné le défendeur, il n’y a rien au dossier de la Cour indiquant que lorsque le protonotaire a rendu son ordonnance, M. Galati était sur le point d’être embauché. Le défendeur affirme également que la règle générale est que l’appel d’une ordonnance d’un protonotaire doit être jugé à partir des documents qui lui étaient présentés (Shaw c Canada, 2010 CF 577, au paragraphe 8). En l’espèce, le protonotaire ne disposait d’aucun élément montrant que M. Galati était l’avocat inscrit au dossier ou avait l’intention de l’être.

[69]  À mon avis, dans ces circonstances, le simple fait que l’ordonnance du protonotaire a été rendue au moment où Forefront s’apprêtait à retenir les services d’un avocat n’équivaut pas à un manquement à l’équité procédurale ou à la justice naturelle ou fondamentale. Comme j’en parle plus en détail ci-dessous, cela n’établit pas non plus une crainte raisonnable de partialité.

Compétence pour radier la demande

[70]  Dans les observations écrites de Forefront, cette dernière a maintenu que le protonotaire avait commis une erreur en rejetant les demandes. Dans ses observations écrites, le défendeur, s’appuyant sur l’arrêt TMR Energy Ltd. c Ukraine (State Property Fund), 2005 CAF 28, a affirmé que le protonotaire n’avait pas compétence pour rejeter l’une ou l’autre des demandes de contrôle judiciaire.

[71]  Ayant examiné les observations des parties avant d’entendre le présent appel, j’ai demandé aux parties, dans une directive datée du 18 mai 2018, de se préparer à parler de la décision Pfizer Canada inc. c Canada (Santé), 2007 CF 452 (conf. par 2007 CF 649), et des décisions subséquentes comme Abi-Mansour c Canada (Passeport), 2015 CF 363 (conf. par 2016 CAF 5), et Coombs c Canada (Procureur général), 2014 CF 232 (conf. par 2014 CAF 222, autorisation de pourvoi refusée 2015 CarswellNat 694 (WL Can)), relativement à la compétence d’un protonotaire de trancher définitivement une demande alors que cette décision est la conséquence nécessaire d’une requête soumise à l’attention du protonotaire.

[72]  Après avoir pris en considération cette jurisprudence, et lorsqu’ils ont comparu devant moi, Forefront et le défendeur ont convenu que le protonotaire avait compétence, en principe, pour radier les demandes T-1-17 et T-2-17. Toutefois, Forefront a affirmé que le protonotaire n’avait toujours pas compétence pour radier les demandes IMM-2611-17 et IMM-2612-17.

[73]  Forefront a avancé cet argument en s’appuyant sur le paragraphe 72(1) et l’alinéa 72(2)d) de la LIPR, qui sont ainsi libellés :

Demande d’autorisation

Application for judicial review

72 (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est, sous réserve de l’article 86.1, subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72 (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is, subject to section 86.1, commenced by making an application for leave to the Court.

Application

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :

(2) The following provisions govern an application under subsection (1):

d) il est statué sur la demande à bref délai et selon la procédure sommaire et, sauf autorisation d’un juge de la Cour, sans comparution en personne…

(d) a judge of the Court shall dispose of the application without delay and in a summary way and, unless a judge of the Court directs otherwise, without personal appearance…

[74]  Selon Forefront, l’alinéa 72(2)d) de la LIPR a pour but de faire échec à la compétence des protonotaires découlant par ailleurs du paragraphe 50(1) des Règles (voir aussi le paragraphe 12(3) de la Loi sur les Cours fédérales). Plus précisément, l’alinéa 50(1)a) porte qu’un protonotaire peut entendre toute requête présentée en vertu des Règles (et rendre toute ordonnance nécessaire à cet égard), à l’exception des requêtes « à l’égard desquelles les Règles ou une loi fédérale confèrent expressément la compétence à un juge ».

[75]  Le défendeur a souscrit à cet argument à l’audition de l’appel, mais a souligné que l’on n’avait pas encore examiné, dans la jurisprudence, la question de savoir si un protonotaire pouvait rendre une décision finale concernant une demande de contrôle judiciaire dans une affaire d’immigration, alors que cette décision est la conséquence nécessaire d’une requête soumise à l’attention du protonotaire. Aucune jurisprudence n’a été citée par l’une ou l’autre des parties, et aucun argument sérieux n’a été présenté sur la question de la compétence.

[76]  En l’absence de toute jurisprudence ou d’analyse sur la question par les parties, j’hésite à tirer une conclusion à cet égard. Il n’est pas nécessaire que je le fasse pour trancher l’appel de Forefront, puisque j’ai conclu que l’ordonnance du protonotaire, pour autant qu’elle radie les demandes IMM-2611-17, IMM-2612-17, T-1-17 et T-2-17, doit être annulée pour un autre motif, soit un manquement à l’équité procédurale, dont j’ai traité précédemment.

Était-il équitable de radier les demandes sans une audience?

[77]  Le protonotaire a radié les demandes IMM-2611-17 et IMM-2612-17 parce qu’il n’y avait pas d’avocat inscrit au dossier et parce que les demandes répétaient celles des dossiers T-1-17 et T-2-17 et constituaient, par conséquent, un abus de procédure. Le protonotaire a radié les demandes T-1-17 et T-2-17 parce qu’il n’y avait pas d’avocat inscrit au dossier, soulignant que Forefront avait omis de nommer un avocat dans le dossier T-2-17, nonobstant la directive antérieure de la Cour datée du 6 janvier 2017, et l’ordonnance du juge Southcott dans le dossier T-1-17 interdisant à M. Leahy de représenter Forefront.

[78]  En fonction du dossier dont je dispose, j’ai conclu ci-dessus que le protonotaire avait commis une erreur de fait en concluant que les requêtes dont il était saisi pourraient être jugées sur dossier, avec le consentement des parties. Il y a donc eu un manquement à l’équité procédurale. Toutefois, contrairement au rejet par le protonotaire de l’essentiel des requêtes présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17, l’autre mesure ordonnée (à savoir la radiation des quatre demandes sans autorisation de les modifier) n’était pas, à mon avis, légalement inévitable. Dans ses documents en réponse concernant les requêtes présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17, le défendeur a présenté certaines observations quant au double emploi des quatre demandes et a précisément demandé que les demandes IMM-2611-17 et IMM-2612-17 soient rejetées. Accorder ou non cette mesure de réparation relevait de la compétence de la Cour, tout comme la portée d’une telle mesure, mais ce n’était pas acquis, légalement parlant. De plus, le protonotaire n’était pas saisi des demandes T-1-17 et T-2-17.

[79]  Par conséquent, dans ces circonstances, j’estime que le protonotaire a commis une erreur de droit en radiant les quatre demandes sans tenir d’audience.

[80]  Enfin, je souligne l’argument du défendeur selon lequel les demandes T-1-17 et T-2-17 devraient être radiées puisque ces demandes sont des affaires ou des décisions qui relèvent de la LIPR. Même si cet argument pourrait très bien être fondé, étant donné la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Forefront 2017, ce n’était pas au protonotaire de radier ces demandes, et il serait donc inapproprié de juger cette question en appel.

Question 5 : L’ordonnance du protonotaire suscite-t-elle une crainte raisonnable de partialité?

[81]  Forefront affirme que [traduction] « la teneur et le ton » de l’ordonnance du protonotaire Aalto, et [traduction] « le moment » choisi pour rendre l’ordonnance, soulèvent une crainte raisonnable de partialité (Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, aux pages 394 et 395 (Committee for Justice); R. c. S. (R.D.), [1997] 3 RCS 484, au paragraphe 31 (RDS)). Plus précisément, Forefront conteste les commentaires du protonotaire concernant la nature offensante des observations de M. Leahy devant la Cour. À l’audition du présent appel, l’avocat de Forefront a affirmé que bien que les commentaires du protonotaire aient pu être justifiés, étant donné le contenu des observations de Forefront, ils soulèvent néanmoins une crainte raisonnable de partialité. Forefront a affirmé que c’était d’autant plus vrai que, dans l’un des exemples cités par le protonotaire comme étant une observation irrespectueuse représentant un affront à l’intégrité de la Cour, on retrouvait un commentaire de M. Leahy à propos du protonotaire lui-même. Selon Forefront, cela signifiait que l’affaire pourrait être perçue comme étant de naturelle personnelle. De plus, Forefront a soutenu que les observations du protonotaire étaient inutiles, puisque la question de savoir si M. Leahy avait qualité pour comparaître au nom de Forefront n’avait plus à être tranchée par le protonotaire, et que le ton choisi était peu judicieux.

[82]  Dans RDS, la Cour suprême du Canada a affirmé que le critère applicable à la crainte raisonnable de partialité avait été énoncé par le juge de Grandpré, dans des motifs dissidents dans la décision Committee for Justice. Dans cette affaire, le juge de Grandpré a affirmé que la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? ». De plus, les motifs d’une crainte raisonnable de partialité doivent être sérieux et elle ne peut être le fait d’une « personne de nature scrupuleuse ou tatillonne » (Committee for Justice, à la page 394; RDS, au paragraphe 31).

[83]  La partie qui allègue la partialité doit satisfaire à une norme très rigoureuse, puisque l’allégation de crainte raisonnable de partialité, réelle ou apparente, met en cause non seulement l’intégrité personnelle du juge, mais celle de l’administration de la justice toute entière. Il s’agit d’allégations graves qui ne devraient pas être faites à la légère. Elles nécessitent plus qu’une allégation fondée sur un commentaire fait en passant dans une décision, et doivent être accompagnées d’un élément de preuve convaincant. Il existe également une solide présomption selon laquelle la Cour fédérale remplira ses obligations de manière intègre et impartiale (voir RDS, aux paragraphes 113, 114 et 117; Zhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1139, aux paragraphes 1 et 2 (Zhu); Blank c Canada (Justice), 2017 CAF 234, au paragraphe 3; Badawy c Waldemar, 2016 CAF 162, au paragraphe 6).

[84]  Je ne suis pas convaincue que Forefront ait établi que les motifs du protonotaire démontrent une crainte raisonnable de partialité. Une telle allégation ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur (Zhu, au paragraphe 2, citant Arthur c Canada (Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, au paragraphe 8). Les commentaires du protonotaire ne peuvent non plus faire état d’une crainte de partialité [traduction] « apparente », comme le fait valoir Forefront.

[85]  Je souligne d’abord que l’argument de Forefront, selon lequel le moment choisi par le protonotaire pour rendre son ordonnance démontre une certaine partialité, renferme la supposition implicite que l’ordonnance contournait délibérément les droits procéduraux de Forefront. Cette supposition n’est étayée par aucune preuve. Comme je l’ai conclu ci-dessus, le protonotaire a jugé, bien qu’à tort, que les questions qu’il devait trancher pouvaient l’être sur dossier, et il n’y a aucun élément de preuve montrant que l’embauche envisagée d’un avocat par Forefront ait jamais été communiquée au protonotaire.

[86]  Quant à l’argument présenté par Forefront dans ses observations faites de vive voix devant moi, selon lequel les commentaires du protonotaire n’étaient pas nécessaires, puisque la question de savoir si M. Leahy avait qualité pour comparaître au nom de Forefront n’avait plus à être tranchée par le protonotaire, je conclus qu’il est également sans fondement. Le protonotaire était saisi des requêtes présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17, et cela parce M. Leahy n’avait pas reconnu comme exécutoires les décisions de la Cour d’appel fédérale et du juge Southcott concernant son incapacité à représenter Forefront à titre d’avocat.

[87]  Après avoir examiné les demandes sous-jacentes dans les dossiers IMM-2611-17, IMM-2612-17, T-1-17 et T-2-17, de même que toutes les requêtes et tous les arguments de Forefront présentés pour appuyer ces mêmes demandes, et toute la correspondance adressée à la Cour, il m’apparaît très clairement que le commentaire du protonotaire, selon lequel les observations de M. Leahy étaient [traduction] « des arguments irrespectueux, des insinuations de mauvaise conduite et des commentaires subjectifs qui étaient condescendants à l’égard des juges de la Cour, de l’avocat du ministère de la Justice, et d’autres personnes », et constituaient [traduction] « un affront à l’intégrité des tribunaux et de leurs juges et pouvaient être qualifiés de méprisants », était exact, en regard des faits. En fait, c’était peut-être un euphémisme. Alors que le protonotaire a donné six exemples pour prouver le bien-fondé de son commentaire, les observations de M. Leahy fourmillent d’allégations tout autant non fondées concernant les juges de la Cour et d’autres personnes. À mon avis, la conduite de M. Leahy méritait la censure, et il n’était pas inapproprié pour le protonotaire de soulever le problème et d’en traiter. Et cela, pas plus que le fait qu’un des exemples cités concernait le protonotaire lui-même, ne suffit pas pour établir une crainte raisonnable de partialité (voir Coombs, aux paragraphes 14-15).

[88]  En fait, comme l’a souligné le défendeur, ce n’est pas la première fois que la Cour émet des commentaires sur l’usage par M. Leahy de propos inappropriés et irrespectueux, et M. Leahy a précédemment déposé un affidavit qui renfermait [traduction] « des commentaires exagérés et non professionnels au sujet des fonctionnaires de la Cour et du gouvernement », dans lequel M. Leahy a déclaré à plusieurs reprises, sans s’appuyer sur aucun élément de preuve, que les fonctionnaires canadiens avaient menti et que plusieurs juges de la Cour avaient agi de façon inappropriée (voir Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 178, au paragraphe 2).

Conclusion

[89]  En conclusion, le protonotaire n’a pas commis d’erreur en rejetant les requêtes présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17. L’ordonnance du protonotaire ne contredisait pas l’ordonnance du juge Campbell et Forefront n’a pas réussi à établir que l’ordonnance du protonotaire faisait état d’une crainte raisonnable de partialité. Toutefois, le protonotaire a bien commis une erreur de fait en concluant que les requêtes présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17 pouvaient être jugées sur dossier. Même si cette erreur a entraîné un manquement à l’équité procédurale, elle était sans conséquence quant au fait que l’ordonnance du protonotaire affirmait que M. Leahy ne pouvait représenter Forefront à la Cour fédérale, puisque ce résultat était légalement inévitable. Toutefois, ce n’était pas le cas concernant la radiation des demandes IMM-2611-17, IMM-2612-17, T-1-17 et T-2-17. Par conséquent, le rejet de la mesure de redressement demandée par Forefront dans les requêtes présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17 est maintenu. La portion de l’ordonnance du protonotaire radiant les demandes dans les dossiers IMM-2611-17, IMM-2612-17, T-1-17 et T-2-17 sera annulée. Les requêtes dans les dossiers T-1-17 et T-2-17 – à savoir les requêtes en radiation du défendeur et la requête en modification de Forefront – seront donc entendues conformément à l’ordonnance du juge Campbell et à la directive du bureau du juge en chef.

[90]  Enfin, je souligne que même si j’ai conclu que les demandes IMM-2611-17 et IMM-2612-17 n’auraient pas dû être radiées parce qu’elles ont été déposées en application du paragraphe 72(1) de la LIPR, une autorisation de la Cour sera nécessaire pour qu’elles puissent être entendues.


ORDONNANCE DANS LES DOSSIERS T-1-17, T-2-17, IMM-2611-17 et IMM-2612-17

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La portion de l’ordonnance du protonotaire rejetant la mesure de redressement demandée par Forefront dans ses requêtes présentées en application de l’article 120 des Règles dans les dossiers IMM-2611-17 et IMM-2612-17 est maintenue.

  2. La portion de l’ordonnance du protonotaire indiquant, pour plus de clarté, que M. Leahy ne peut représenter Forefront dans les dossiers IMM-2611-17, IMM-2612-17 ou T-2-17 est maintenue.

  3. La portion de l’ordonnance du protonotaire radiant les demandes IMM-2611-17, IMM-2612-17, T-1-17 et T-2-17 est annulée.

  4. Les requêtes en radiation du défendeur dans les dossiers T-1-17 et T-2-17 et la requête en modification de Forefront dans le dossier T-1-17 seront entendues oralement conformément à l’ordonnance du juge Campbell et à la directive du bureau du juge en chef.

  5. Les dépens du présent appel suivront l’issue des demandes.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-1-17, T-2-17, IMM-2611-17, IMM-2612-17

 

INTITULÉ :

FOREFRONT PLACEMENT LTD. c LE MINISTRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 mai 2018

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 juillet 2018

 

COMPARUTIONS :

Rocco Galati

 

Pour la demanderesse

 

John Locar

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rocco Galati Law Firm

Société professionnelle

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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