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Date : 20180720


Dossier : T-1642-17

Référence : 2018 CF 768

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

DENNIS STEWART

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Pendant que le défendeur, Dennis Stewart, était incarcéré dans un pénitencier fédéral, ses prestations de la Sécurité de la vieillesse (SV) ont été suspendues, en application du paragraphe 5(3) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi sur la SV). Il a contesté cette suspension devant la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale du Canada, qui a rejeté sa demande. Il a ensuite fait appel devant la division d’appel (DA) du Tribunal de la sécurité social du Canada, qui a fait droit à son appel et renvoyé son dossier à la DG.

[2]  En l’espèce, le procureur général du Canada demande le réexamen des conclusions de la DA, selon lesquelles la DG a commis une erreur en rejetant sommairement la demande de M. Stewart, et en ne tenant pas compte de ses arguments touchant la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

[3]  M. Stewart s’est représenté lui-même et a comparu en personne à l’audience. L’avocat du procureur général a comparu par vidéoconférence. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucuns dépens ne sont accordés.

I.  Résumé des faits

[4]  Dans ses observations présentées à la DG, M. Stewart a contesté la suspension de ses prestations de la SV pour des motifs d’ordre humanitaire (son piètre état de santé), et il a soutenu que les droits qui lui sont consentis par la Charte ont été violés.

[5]  Le 28 septembre 2015, la DG a informé M. Stewart de son intention de rejeter sommairement son appel, en raison du paragraphe 5(3) de la Loi sur la SV et parce qu’elle n’avait pas le pouvoir d’envisager la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire. La DG a également informé M. Stewart qu’il devait se conformer aux exigences procédurales du paragraphe 20(1) du Règlement sur le tribunal de la sécurité sociale (le Règlement) pour ce qui était des questions soulevées touchant la Charte.

[6]  Le 8 octobre 2015, M. Stewart a répondu à la DG, affirmant que les droits à une « défense » qui lui sont consentis par l’article 6 de la Charte ont été violés par des [traduction] « programmes de la sécurité du revenu, comme la SV et le Régime de pensions du Canada (RPP) ».

[7]  Le 27 juin 2016, la DG a rendu une ordonnance interlocutoire, demandant à M. Stewart de déposer un dossier de Charte avec tous les détails avant le 1er septembre 2016. Dans son ordonnance, la DG a souligné que « [l]e non-respect du délai prévu ci-dessus et des exigences énumérées [...] pourrait donner lieu à un appel suivant un processus régulier. Le cas échéant, l’appelant ne sera pas autorisé à soulever la contestation constitutionnelle au cours de l’instance. »

[8]  Dans une lettre subséquente, M. Stewart a informé la DG qu’il était détenu dans une unité d’isolement et qu’il n’avait pas accès aux ressources nécessaires et que par conséquent, il ne [traduction] « présentera pas d’autres documents [...] relatifs à [sa] question constitutionnelle ».

[9]  Le 12 octobre 2016, la DG a demandé à M. Stewart s’il voulait présenter une demande de prorogation du délai pour présenter son dossier. Le 15 novembre 2016, la DG l’a informé qu’il avait jusqu’au 1er décembre 2016 pour aviser la DG de ses intentions.

[10]  Le 5 décembre 2016, n’ayant pas reçu de réponse, la DG a ordonné que M. Stewart ne soit plus autorisé à soulever une question constitutionnelle. La DG a également indiqué que son appel suivrait un processus régulier.

[11]  Par la suite, la DG a sommairement rejeté son appel et M. Stewart a fait appel à la DA.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[12]  Dans sa décision datée du 29 septembre 2017, la DA a souligné les quatre questions en litige : 1) dans quelle mesure la DA doit-elle faire preuve de déférence à l’égard des décisions de la DG? 2) la division générale a-t-elle appliqué le bon critère pour un rejet sommaire? 3) la DG a-t-elle correctement interdit à M. Stewart de soulever des questions constitutionnelles? 4) la DG a-t-elle commis une erreur en rejetant sommairement sa demande de rétablir sa pension malgré son incarcération?

[13]  Concernant la première question, la DA a conclu que l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 s’appliquait au contrôle de la décision de la DG. La DA a conclu que la loi habilitante (la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social [LMEDS]), indiquait que la DA devrait intervenir lorsque la DG « fonde sa décision sur une erreur flagrante ou en contradiction avec le contenu du dossier ».

[14]  Concernant la deuxième question, la DA a conclu que la question à se demander est de savoir s’il est « clair et évident sur la foi du dossier que l’appel est voué à l’échec ». La DA a souligné que le seuil est « très élevé ». La DA a également examiné d’autres décisions de la DA où on avait appliqué ce seuil et d’autres normes aussi rigoureuses concernant les rejets sommaires.

[15]  Concernant la troisième question, la DA a conclu que la DG avait commis une erreur en interdisant à M. Stewart de soulever une question touchant la Charte. Elle a souligné que la DG avait envoyé un avis d’intention de rejeter sommairement l’appel, citant le paragraphe 5(3) de la Loi sur la SV. M. Stewart a répondu par une note manuscrite; la DG a souligné que dans cette note, il [traduction] « mentionne » le paragraphe 5(3) de la Loi sur la SV. Pourtant, dans sa décision interlocutoire du 27 juin 2016, la DG a conclu que M. Stewart n’avait pas précisé la disposition en cause, contrairement à ce que prévoit le sous-alinéa 20(1)a)(i) du Règlement. La DA a conclu qu’il s’agissait d’une erreur, parce que le paragraphe 5(3) de la Loi sur la SV était « l’objet même de la lettre [du défendeur] portant sur son argument constitutionnel ».

[16]  La DA a de plus conclu que la DG s’était elle-même contredite en permettant que l’appel de M. Stewart se poursuive « en tant qu’appel particulier fondé sur la Charte », malgré cette lacune. La DA a jugé que la DG avait à tort imposé des conditions pour la poursuite de l’appel qui « (i) sont déjà respectées par [le défendeur] ou (ii) « n’étaient pas nécessaires selon toute loi ou tout règlement ».

[17]  La DA a estimé qu’une fois que la DG avait conclu que l’appel pouvait se poursuivre aux termes de l’alinéa 20(1)a) du Règlement, elle ne pouvait retirer cette certification ou proposer d’autres conditions. Selon la DA, le sous-alinéa 20(1)a)(ii) constitue une exigence minimale, obligeant une partie qui cherche à présenter une contestation fondée sur la Charte à présenter un avis contenant toutes les observations à l’appui de la question soulevée. Ainsi, selon la DA, la DG n’avait pas le pouvoir d’évaluer la qualité des observations ou d’insister sur leur forme ou leur contenu.

[18]  Enfin, la DA a conclu que même si M. Stewart ne satisfaisait pas aux exigences pour présenter un argument fondé sur la Charte, la DG aurait quand même dû décider si son appel avait une chance raisonnable de succès. La DA s’est appuyée sur une autre de ses décisions traitant des mêmes questions que celles soulevées dans le cas de M. Stewart, et a conclu que sa cause était [traduction] « défendable » et qu’elle ne pouvait conclure que la cause était vouée à l’échec.

III.  Questions en litige

[19]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Notre Cour a-t-elle compétence?
  2. La DA avait-elle compétence pour entendre l’appel?
  3. La décision de la DA est-elle raisonnable?

IV.  Norme de contrôle

[20]  La norme de contrôle qui s’applique aux décisions de la DA est celle de la décision raisonnable (Atkinson c Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, au paragraphe 33).

[21]  Pour évaluer le caractère raisonnable d’une décision, la Cour peut examiner d’autres décisions de la DA (Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c Jagjit Singh Farwaha, 2014 CAF 56, au paragraphe 95; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 6).

A.  Notre Cour a-t-elle compétence?

[22]  Aux termes de l’alinéa 28(1)g) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour d’appel fédérale a compétence pour entendre certaines demandes de contrôle judiciaire visant des décisions de la DA du Tribunal de la sécurité sociale. Toutefois, l’alinéa 28(1)g) contient une exception, dans les cas où la DA rejette sommairement un appel interjeté au titre du paragraphe 53(3) de la LMEDS. Dans de tels cas, notre Cour a compétence :

28 (1) La Cour d’appel fédérale a compétence pour connaître des demandes de contrôle judiciaire visant les offices fédéraux suivants :

28 (1) The Federal Court of Appeal has jurisdiction to hear and determine applications for judicial review made in respect of any of the following federal boards, commissions or other tribunals:

[...]

[...]

g) la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale, constitué par l’article 44 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, sauf dans le cas d’une décision qui est rendue au titre du paragraphe 57(2) ou de l’article 58 de cette loi ou qui vise soit un appel interjeté au titre du paragraphe 53(3) de cette loi, soit un appel concernant une décision relative au délai supplémentaire visée au paragraphe 52(2) de cette loi, à l’article 81 du Régime de pensions du Canada, à l’article 27.1 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse ou à l’article 112 de la Loi sur l’assurance-emploi;

(g) the Appeal Division of the Social Security Tribunal established under section 44 of the Department of Employment and Social Development Act, unless the decision is made under subsection 57(2) or section 58 of that Act or relates to an appeal brought under subsection 53(3) of that Act or an appeal respecting a decision relating to further time to make a request under subsection 52(2) of that Act, section 81 of the Canada Pension Plan, section 27.1 of the Old Age Security Act or section 112 of the Employment Insurance Act;

[23]  En l’espèce, la DA affirme ce qui suit dans sa décision :

Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre de la décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada [...], laquelle rejetait sommairement l’appel interjeté par l’appelant contre la décision de l’intimé de suspendre la pension de la sécurité de la vieillesse (SV) et le Supplément de revenu garanti (SRG). La division générale a rejeté l’appel parce qu’elle n’était pas convaincue que celui-ci avait une chance raisonnable de succès.

[24]  Il est manifeste d’après la décision de la DA qu’elle considérait que l’appel de M. Stewart visait le rejet sommaire de son appel par la DG. Le cas échéant, cet appel répond à l’exception soulignée ci-dessus et prévue à l’alinéa 28(1)g) de la Loi sur les Cours fédérales. Je souligne également que la Cour fédérale a exercé sa compétence concernant d’autres appels devant la DA visant le rejet sommaire d’un appel au niveau de la DG : voir Bossé c Canada (Procureur général), 2015 CF 1142; Rose c Canada (Procureur général), 2017 CF 185.

[25]  Par conséquent, je conclus que notre Cour a compétence pour examiner la présente demande de contrôle judiciaire.

B.  La DA avait-elle compétence pour entendre l’appel?

[26]  Le procureur général soutient que la DA n’aurait pas dû entendre l’appel de M. Stewart, parce qu’il n’avait pas obtenu la permission de faire appel, conformément à ce qu’exige le paragraphe 56(1) de la LMEDS :

56 (1) Il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission.

56 (1) An appeal to the Appeal Division may only be brought if leave to appeal is granted.

[27]  Toutefois, le problème avec cet argument, c’est que le paragraphe 56(2) contient une exception, dans les cas où la DG rejette sommairement un appel interjeté au titre de l’article 53 parce qu’il n’a aucune chance raisonnable de succès. Le paragraphe 56(2) est libellé ainsi :

56 (2) Toutefois, il n’est pas nécessaire d’obtenir une permission dans le cas d’un appel interjeté au titre du paragraphe 53(3).

56 (2) Despite subsection (1), no leave is necessary in the case of an appeal brought under subsection 53(3).

[28]  D’après ces dispositions, il faut une permission dans tous les cas, sauf dans les cas où la DG rejette sommairement un appel parce qu’il n’a aucune chance raisonnable de succès. En l’espèce, la DA a expressément conclu que la DG avait rejeté sommairement l’appel et la DA a examiné l’affaire comme un appel interjeté à l’encontre d’un rejet sommaire. Dans ce cas, la permission n’est pas nécessaire.

[29]  Cependant, le procureur général soutient que lorsque des demandes sont déposées en application de la Charte, la décision au niveau de la DG est en fait une décision au titre de l’article 4 du Règlement, et non une décision au titre de la LMEDS. Dans un tel cas, la DA a commis une erreur en entendant l’appel sans que la permission d’interjeter appel ait été obtenue. Le procureur général s’appuie sur les décisions suivantes de la DA pour justifier son argument : Ministre de l’Emploi et du Développement social c C. B., 2017 TSSDASR 635; Ministre de l’Emploi et du Développement social c C.T., 2017 TSSDASR 614; Ministre de l’Emploi et du Développement social c F.H., 2017 TSSDASR 636.

[30]  L’article 4 du Règlement est rédigé ainsi :

4 À la demande déposée par une partie auprès du Tribunal, celui-ci peut déterminer la règle applicable à toute question relative à l’instance, notamment la prorogation des délais impartis par le présent règlement.

4 A party may request the Tribunal to provide for any matter concerning a proceeding, including the extension of a time limit imposed by these Regulations, by filing the request with the Tribunal.

[31]  Ainsi, la question est de savoir si l’appel de M. Stewart a été rejeté en application de la LMEDS ou en application du Règlement. Les décisions sur lesquelles s’appuie le procureur général pour soutenir son point concernent des situations factuelles différentes de la situation en l’espèce. Il est souligné dans les trois décisions que les articles 53 et 56 de la LMEDS semblent indiquer que le « terme “appelant” se référerait à un appelant à la division générale ». Par conséquent, seule la partie qui fait appel devant la DG a un droit d’appel devant la DA. La partie qui présente la requête doit être la même à chaque instance pour pouvoir faire appel sans permission. Dans les décisions sur lesquelles s’appuie le procureur général, les parties qui présentaient les requêtes n’étaient pas les mêmes.

[32]  En l’espèce, M. Stewart était l’appelant dans les dossiers devant la DG et la DA. À titre d’appelant, il avait la possibilité en vertu de la Loi de faire appel de plein droit. Par conséquent, selon les articles 53 et 56 de la LMEDS, le terme « appelant » fait référence à M. Stewart, et la DA a entendu l’appel de plein droit.

[33]  De plus, les décisions invoquées par le procureur général n’appuient pas l’idée qu’à chaque fois qu’une question touchant la Charte est soulevée, c’est l’article 4 du Règlement qui régit ces demandes. Dans les cas où l’article 4 s’appliquait, le ministre a déposé une requête à la DG pour qu’elle rejette sommairement la portion de l’appel portant sur la Charte. Toutefois en l’espèce, il n’y a pas eu rejet sommaire de la demande portant sur la Charte. La DG a plutôt maintenu, dans sa décision du 5 décembre 2016, que l’appel suivrait un processus régulier, et que M. Stewart ne serait plus autorisé à soulever une question constitutionnelle.

[34]  Autrement dit, le seul rejet sommaire en cause se trouve dans la décision de la DG datée du 9 décembre 2016, qui rejetait sommairement l’appel régulier. Cette décision a été rendue conformément à la LMEDS. La DG affirme dans son ordonnance finale [traduction] que « [l]’appel est rejeté de façon sommaire ». Au paragraphe 10 de sa décision, la DG indique que « [c]onformément au paragraphe 53(1) de la [LMEDS], la division générale rejette de façon sommaire l’appel si elle est convaincue qu’il n’a aucune chance raisonnable de succès ». La DG explique que « [s]elon l’article 22 du [Règlement], avant de rejeter un appel de façon sommaire, la division générale doit en aviser l’appelant par écrit et lui accorder un délai raisonnable pour présenter ses observations ». Plus loin dans ses motifs, la DG indique qu’elle se conforme à l’article 22 du Règlement.

[35]  Étant donné que la DG utilise l’expression « rejette de façon sommaire » au paragraphe 10 de la décision, indique dans son ordonnance que l’appel est rejeté de façon sommaire, et affirme ensuite se conformer à la réglementation concernant le rejet sommaire, il est raisonnable de conclure que la DG a rejeté l’appel en application du paragraphe 53(1). De plus, le fait que M. Stewart, comme appelant, était en position d’obtenir de bon droit la permission d’interjeter appel, contrairement aux décisions citées par le procureur général, appuie cette conclusion.

[36]  À mon avis, comme l’appel a été rejeté en application de la LMESD, cette permission d’interjeter appel n’était pas nécessaire.

C.  La décision de la DA est-elle raisonnable?

[37]  Le procureur général soutient qu’il était déraisonnable de la part de la DA de conclure qu’un avis de question constitutionnelle constituait un motif suffisant à lui seul pour appuyer les arguments touchant la Charte présentés par M. Stewart. Le procureur général affirme que la DG a adopté la bonne approche en insistant pour obtenir un dossier complet avant que les questions touchant la Charte soulevées par M. Stewart puissent être examinées. Le procureur général souligne que sans un tel dossier, il est désavantagé, parce qu’il ne connaît pas ce qu’il doit établir. De plus, la nécessité d’un dossier est conforme aux arrêts de la Cour suprême, selon lesquels les arguments touchant la Charte ne devraient pas être examinés dans un vide.

[38]  M. Stewart, pour sa part, soutient que la décision de la DA est juste et que ses prestations de la SV devraient être rétablies, pour la période pendant laquelle elles ont été suspendues. Lors de l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, M. Stewart a également affirmé qu’il n’était pas incarcéré au sens de la Loi sur la SV à l’époque en cause. Toutefois, cet argument n’avait pas été présenté à la DG ou à la DA. Par conséquent, il ne peut être examiné pour la première fois dans le contexte du présent contrôle judiciaire (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 23).

[39]  Pour placer ces observations en perspective, il faut examiner les décisions rendues par la DG. Dans sa décision interlocutoire, la DG a conclu qu’elle était convaincue que M. Stewart avait déposé un avis conformément à l’alinéa 20(1)a) du Règlement, et a donc entendu l’appel comme un appel spécial touchant la Charte. Toutefois, la DG a imposé une condition, soit que M. Stewart dépose des éléments de preuve et des arguments pour appuyer sa demande touchant la Charte. Parce qu’il ne l’a pas fait, la DG a conclu que l’appel suivrait le processus régulier.

[40]  La DG a ensuite conclu que le critère pour un rejet sommaire était satisfait, parce qu’il s’agissait d’un appel régulier. La DG a conclu que les faits donnant lieu à l’incarcération de M. Stewart n’étaient pas en cause et que par conséquent le paragraphe 5(3) de la Loi sur la SV s’appliquait. Il s’agissait là d’un exercice simple d’application de la loi aux faits relatifs à l’appel de M. Stewart. Comme la DG l’a souligné avec raison, elle peut uniquement appliquer la loi telle qu’elle est énoncée, parce qu’elle n’est qu’une entité créée par voie législative (Ocean Port Hotel Ltd. c Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52, au paragraphe 24). Comme le paragraphe 5(3) de la Loi sur la SV ne prévoit pas d’exceptions dans les cas qui ne satisfont pas aux exigences procédurales établies par la LMEDS, la DG a interprété ces exigences de façon raisonnable.

[41]  Malgré cela, la DA a estimé que la DG avait tort d’exiger un dossier de Charte. Selon la DA, comme la DG a conclu que l’appel était conforme à l’alinéa 20(1)a) du Règlement, elle a eu tort d’exiger plus de M. Stewart.

[42]  Toutefois, cette conclusion ne cadre pas avec les dispositions du Règlement, qui donne à la DG l’autorisation de demander un dossier de Charte. L’alinéa 20(1)a) et le paragraphe 20(3) du Règlement sont ainsi libellés :

20 (1) Lorsque la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, d’une disposition du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, de la Loi sur l’assurance-emploi, de la partie 5 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social ou de leurs règlements est mis en cause devant le Tribunal, la partie qui soulève la question:

20 (1) If the constitutional validity, applicability or operability of any provision of the Canada Pension Plan, the Old Age Security Act, the Employment Insurance Act, Part 5 of the Department of Employment and Social Development Act or the regulations made under any of those Acts is to be put at issue before the Tribunal, the party raising the issue must

a) dépose auprès du Tribunal un avis qui contient:

(a) file a notice with the Tribunal that

(i) la disposition visée,

(i) sets out the provision that is at issue, and

(ii) toutes observations à l’appui de la question soulevée;

(ii) contains any submissions in support of the issue that is raised;

[...]

[...]

(3) Si un avis est déposé au titre de l’alinéa (1)a), les délais prévus par le présent règlement pour le dépôt de documents ou d’observations ne s’appliquent pas et le Tribunal peut enjoindre aux parties de les déposer dans les délais qu’il fixe

(3) If a notice is filed under paragraph (1)(a), the time limits for filing documents or submissions set out in these Regulations do not apply and the Tribunal may direct the parties to file documents or submissions within the time limits it establishes.

[43]  L’article 20 apparaît sous l’en-tête « Question constitutionnelle » dans le Règlement, qui indique que chaque disposition constitue un élément du cadre régissant les contestations constitutionnelles. L’article 20 prévoit un processus en deux étapes : 1) le demandeur dépose un avis en application de l’alinéa 20(1)a) et 2) la DG peut accepter des observations supplémentaires dans les délais qu’elle fixe. La seconde étape est distincte de la première.

[44]  En l’espèce, la DA n’a pas tenu compte de cette seconde étape. Elle a conclu que la DG n’avait pas compétence pour exiger un dossier, parce qu’une fois qu’un avis est déposé en application de l’alinéa 20(1)a) avec des observations minimales, la contestation est valide d’un point de vue procédural. Mais la DA n’a pas tenu compte du paragraphe 20(3), qui donne à la DG le pouvoir discrétionnaire de modifier les délais impartis et d’« enjoindre aux parties » de déposer des documents et des observations. Il n’y a rien qui limite le pouvoir discrétionnaire de la DG à cet égard.

[45]  Cette interprétation est justifiée par les appels devant la DG et la DA, qui portent qu’une fois qu’un demandeur s’est conformé à l’alinéa 20(1)a), « le Tribunal de la sécurité sociale invitera généralement les parties à fournir leurs dossiers complets, lesquels doivent comprendre leurs éléments de preuve et observations, ainsi que la jurisprudence et la doctrine sur lesquels ils ont l’intention de se fonder » (J.C. c Ministre de l’Emploi et Développement social, 2016 TSSDASR 126, au paragraphe 11; G.B. v Minister of Human Resources and Skills Development, 2014 SSTADIS 28, au paragraphe 38).

[46]  Cette interprétation est également conforme avec la directive de la Cour suprême du Canada, qui a maintenu que les décisions relatives à la Charte ne devaient pas être rendues dans un vide factuel (Mackay c Manitoba, [1989] 2 RCS 357, à la page 364). En l’espèce, l’absence de dossier de Charte empêchait la DG d’examiner l’affaire correctement. Les observations de M. Stewart manquaient de détails. Il s’est appuyé sur l’article 6 de la Charte, qui fait référence à la liberté de circulation, mais il a fait mention d’un droit de défense. De plus, il a eu amplement l’occasion de déposer un dossier de Charte pour préciser les dispositions législatives qu’il contestait.

[47]  La DA a commis une erreur en blâmant la DG pour avoir suivi le processus régulier d’appel en l’absence d’observations relatives à la Charte. Toutefois, la DG avait le pouvoir de le faire, et ce faisant, elle a appliqué de façon raisonnable la loi qui s’appliquait. De plus, la DG a le droit de fixer sa propre procédure (Prassad c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560, aux pages 568 et 569).

[48]  La décision de la DA est par conséquent déraisonnable.


JUGEMENT dans le dossier T-1642-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la division d’appel est annulée et l’affaire est renvoyée pour un nouvel examen.
  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Ann Marie McDonald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

Dossier : T-1642-17

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c DENNIS STEWART

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 juin 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 20 juillet 2018

COMPARUTIONS :

Sylvie Doire

Pour le demandeur

Dennis Stewart

Pour le défendeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LE DEMANDEUR

 

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