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Date : 20180723


Dossier : T-1627-17

Référence : 2018 CF 773

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 23 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE

STUART MCCULLOCH

requérant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La question en litige essentielle est abordée aux articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18 (la Loi sur le TACRA), quant à savoir si le comité de réexamen a erré ou a commis une erreur de fait et de droit, lorsqu’il a refusé de nouveaux éléments de preuve concernant l’état de santé du requérant.

[2]  Le comité n’a pas cité chaque conclusion qu’il aurait pu tirer des éléments de preuve et, par conséquent, il n’a pas tranché, en faveur du requérant, l’ensemble des incertitudes découlant de la preuve, comme le prescrit la Loi sur le TACRA. Comme il est indiqué dans l’arrêt Mackay c Canada (Procureur général), 1997 ACF no 495, à la page 7, au moment de traiter de l’objet de la Loi sur le TACRA :

L’article 3 crée donc certaines directives libérales et intentionnelles pour l’étude des demandes de pension d’anciens combattants au vu de l’énorme dette morale de la nation à l’égard de ceux qui ont servi leur pays.

Par conséquent, le comité a rendu une décision déraisonnable, puisqu’il n’a pas examiné adéquatement les éléments de preuve probants et crédibles présentés par le requérant concernant son état de santé lié à ses années de service dans la GRC.

[3]  Le critère relatif aux « nouveaux éléments de preuve » prescrit par la Loi sur le TACRA est bien expliqué dans la décision Mackay, rendue par la Cour fédérale, au paragraphe 40 :

a) On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès [...].

b) La déposition doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.

c) La déposition doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi, et

d) elle doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser [...] [qu’]elle aurait influé sur le résultat.

II.  Contexte

[4]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7, à l’encontre d’une décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel), rendue le 28 septembre 2017. Le requérant sollicite un bref de certiorari annulant la décision du comité de réexamen (le comité) rendue le 29 août 2017, laquelle a rejeté la demande de réexamen de la décision sur l’admissibilité rendue en appel le 10 juillet 2013, laquelle a rejeté la demande de pension d’invalidité pour le prétendu syndrome de conflit sous-acromial chronique à l’épaule droite (opéré). La demande a été rejetée aux termes de l’article 32 de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R-11 (la Loi sur la pension de retraite de la GRC), conformément au paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, LRC 1985, c P-6 (la Loi sur les pensions).

[5]  Le requérant, âgé de 61 ans, a été au service de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de juillet 1979 jusqu’à sa retraite, en septembre 2017. Son expérience de travail au sein de la GRC est résumée comme suit :

[traduction] M. McCulloch aurait travaillé comme policier aux services généraux durant presque 11 ans (de 1979 à 1991 environ). [...] Entre 1991 et 2003, M. McCulloch a occupé des fonctions d’identification judiciaire sur le terrain. [...] En 2003, M. McCulloch a commencé à travailler comme chef de division, poste pour lequel il consacrait 25 % de son temps sur le terrain et 75 % de son temps au travail de bureau. [...] À partir de 2011, il effectuait moins de travail sur le terrain, et il participait souvent à des réunions et il s’occupait de formalités administratives, sauf dans de rares cas de scènes de crime ou d’enquêtes importantes.

(Dossier certifié du tribunal [DCT], Ergonomic Risk Analysis Report (rapport d’analyse sur les risques liés à l’ergonomie) de Matthew Rose & Associates, daté du 19 août 2016, à la page 201.)

[6]  Le requérant aurait commencé à ressentir de la douleur à l’épaule droite en 1994. Depuis la blessure qu’il a subie lors des entraînements au combat, lesquels ont eu lieu entre 1979 et 1989, le requérant a constamment indiqué qu’il ressentait une douleur intermittente au cou et dans le haut du dos.

[7]  En 2007, le requérant a indiqué qu’il souffrait d’une douleur chronique dans son épaule droite et dans son dos, en avril de la même année, il a appris qu’il présentait une lésion de la coiffe des rotateurs dans l’épaule droite. Depuis ce diagnostic et les traitements continus qu’il a reçus, le requérant a éprouvé des problèmes de force et de mobilité, qui ont eu une incidence sur sa capacité à travailler comme agent de la GRC.

[8]  Le 21 mars 2011, le requérant a présenté une demande de pension d’invalidité pour son épaule droite, auprès d’Anciens Combattants Canada. Le 5 janvier 2012, Anciens Combattants Canada a jugé que le requérant n’était pas admissible à une pension d’invalidité au motif qu’il n’existait pas d’éléments de preuve démontrant un lien entre la blessure à l’épaule droite du requérant et son service au sein de la GRC. Le requérant a alors interjeté appel de la décision d’Anciens Combattants Canada. Le 27 septembre 2012, un comité d’examen de l’admissibilité a rejeté cet appel et a conclu que le requérant ne satisfaisait pas au critère surutilisé contenu dans le document intitulé Lignes directrices sur l’admissibilité au droit à pension, publié par Anciens Combattants Canada.

[9]  Le requérant a interjeté appel de la décision de 2012 devant un comité d’appel du TACRA. Le 27 août 2013, le comité d’appel a refusé d’accorder une pension au requérant pour sa blessure à l’épaule droite, au motif que le dossier ne contenait pas d’éléments de preuve démontrant que la blessure chronique à l’épaule droite dont souffrait le requérant découlait de son service au sein de la GRC, ni que ses services étaient liés à sa blessure.

[10]  Le 6 janvier 2017, le requérant, en alléguant posséder de nouveaux éléments de preuve, a demandé le réexamen de la décision sur l’admissibilité rendue en appel par le TACRA, conformément au paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1985, c 18 (la Loi sur le TACRA).

III.  Décision contestée

[11]  Le 28 septembre 2017, le comité a décidé de ne pas rouvrir la décision sur l’admissibilité rendue en appel pour les motifs suivants. Le TACRA a d’abord indiqué que la question en litige à trancher à l’égard de toute demande de réexamen consiste à décider si les nouveaux éléments de preuve répondent au critique juridique en quatre parties énoncé par la Cour fédérale dans l’arrêt Mackay c Canada (Procureur général), (1997), 129 FTR 286, [1997] ACF 495 :

1. On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès [...].

2. La déposition doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.

3. La déposition doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi.

4. Elle doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.

(DCT, la décision du TACRA, à la page 242.)

[12]  Le requérant, dans sa demande de réexamen, a voulu présenter les éléments de preuve suivants :

Un rapport préparé par Matthew Rose & Associates, dont l’en-tête indique « Medical Legal Consultants » (conseillers en matière médicolégale).

(DCT, la décision du TACRA, à la page 240.)

[13]  Ce rapport particulier, préparé à l’aide du formulaire R1-M1 (à la page 16), indique ce qui suit :

[traduction] Au cours des 20 premières années de sa carrière, M. McCulloch a été exposé à des niveaux de risque modérés à élevés en matière d’ergonomie en ce qui concerne l’épaule et l’extrémité supérieure. Compte tenu de l’absence de blessures associées, il est très probable que la première blessure à l’épaule, survenue lors des entraînements au combat, ait causé un déséquilibre musculaire qui, lorsqu’il était placé dans des situations présentant des risques de blessures modérés à élevés, a finalement entraîné une incapacité dans l’épaule. Un examen attentif des renseignements médicaux ne révèle pas d’autres causes probables expliquant la symptomatologie de l’épaule, outre celles des exigences du travail auxquelles il a été soumis pendant plusieurs décennies. Par conséquent, il est fort probable que la blessure à l’épaule soit attribuable aux exigences du milieu de travail.

(DCT, la décision du TACRA, à la page 241.)

[14]  Après avoir examiné les nouveaux éléments de preuve et avoir tenu compte des observations du requérant, le TACRA a conclu que ce dernier n’avait pas réussi à démontrer le motif pour lequel le rapport n’avait pu être produit plus tôt. Le comité a conclu que le rapport de M. Matthew Rose ne traitait pas de l’apparition des symptômes chroniques à l’épaule droite depuis 2006, bien qu’il ait examiné les rapports précédents de ce comité.

[15]  Concernant le deuxième critère, le comité était d’avis, toutefois, que certains éléments du rapport étaient pertinents pour l’état de santé allégué du requérant. En fait, le comité a conclu que le rapport de M. Matthew Rose établit les périodes de la carrière du requérant où ce dernier était exposé à des risques plus importants. Par exemple, M. Matthew Rose a établi que le requérant a été exposé à un risque plus important au cours de la première partie de son service, soit entre 1980 et 1990. Par conséquent, si le rapport était accepté, le comité le considérerait comme pertinent.

[16]  Le TACRA a conclu que le rapport n’était pas suffisamment crédible. Selon le comité, les nouveaux éléments de preuve ne pouvaient être considérés comme un [traduction] « avis médical », mais plutôt comme un [traduction] « avis en matière d’ergonomie » concernant le lien entre la blessure et les exigences de l’emploi. Bien que le comité ait reconnu que le conseiller est un expert dans le domaine, il a conclu, néanmoins, que le rapport n’était pas suffisamment crédible, puisqu’il ne tenait pas compte de l’ensemble des renseignements contenus dans le mémoire. Les nouveaux éléments de preuve n’ont pas satisfait aux trois exigences liées à la crédibilité d’un avis médical pour les raisons suivantes :

[traduction] Le rapport ne tient pas compte de l’ensemble des éléments de preuve et il est fondé sur une blessure à l’épaule que l’appelant a subie au début de sa carrière et sur des symptômes à l’épaule droite datant de 1994. Ces faits ne sont pas justifiés par les éléments de preuve contemporains.

(DCT, la décision du TACRA, à la page 247.)

[17]  Enfin, le comité a conclu que les nouveaux éléments de preuve n’auraient pas d’incidence sur l’issue. Le comité a indiqué que les nouveaux éléments de preuve présentés par le requérant visaient à contredire les Lignes directrices sur l’admissibilité au droit à pension, [TRADUCTION] « lesquelles indiquent que pour qu’un état de santé concorde avec des activités professionnelles, les symptômes doivent commencer au moment, ou dans les 30 jours, de l’activité » (DCT, à la page 247). Après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve, le comité a mentionné que tous les rapports avaient indiqué que l’apparition des symptômes, dans le cas du requérant, était survenue bien après la période de 30 jours. Le TACRA a reconnu le fait que les Lignes directrices sur l’admissibilité au droit à pension ne sont que des recommandations, mais que, toutefois, elles correspondent à un consensus médical. Par conséquent, le comité a conclu que le rapport de M. Rose est silencieux quant à l’apparition des symptômes, [TRADUCTION] « ce qui constitue un obstacle constant à l’admissibilité en l’espèce » DCT, à la page 248).

IV.  Dispositions pertinentes

[18]  Les dispositions suivantes sont pertinentes en l’espèce :

Le paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions :

Milice active non permanente ou armée de réserve en temps de paix

Service in militia or reserve army and in peace time

21 (2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l’armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

21 (2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie — ou son aggravation — consécutive ou rattachée directement au service militaire;

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

b) des pensions sont accordées à l’égard des membres des forces, conformément aux taux prévus à l’annexe II, en cas de décès causé par une blessure ou maladie — ou son aggravation — consécutive ou rattachée directement au service militaire;

(b) where a member of the forces dies as a result of an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall be awarded in respect of the member in accordance with the rates set out in Schedule II;

c) sauf si une compensation est payable aux termes du paragraphe 34(8), la pension supplémentaire que reçoit un membre des forces en application de l’alinéa a), du paragraphe (5) ou de l’article 36 continue d’être versée pendant l’année qui suit la fin du mois du décès de l’époux ou du conjoint de fait avec qui il cohabitait alors ou, le cas échéant, jusqu’au versement de la pension supplémentaire accordée pendant cette année à l’égard d’un autre époux ou conjoint de fait;

(c) where a member of the forces is in receipt of an additional pension under paragraph (a), subsection (5) or section 36 in respect of a spouse or common-law partner who is living with the member and the spouse or common-law partner dies, except where an award is payable under subsection 34(8), the additional pension in respect of the spouse or common-law partner shall continue to be paid for a period of one year from the end of the month in which the spouse or common-law partner died or, if an additional pension in respect of another spouse or common-law partner is awarded to the member commencing during that period, until the date that it so commences; and

d) d’une part, une pension égale à la somme visée au sous-alinéa (ii) est payée au survivant qui vivait avec le membre des forces au moment du décès au lieu de la pension visée à l’alinéa b) pendant une période d’un an à compter de la date depuis laquelle une pension est payable aux termes de l’article 56 — sauf que pour l’application du présent alinéa, la mention « si elle est postérieure, la date du lendemain du décès » à l’alinéa 56(1)a) doit s’interpréter comme signifiant « s’il est postérieur, le premier jour du mois suivant celui au cours duquel est survenu le décès » — d’autre part, après cette année, la pension payée au survivant l’est conformément aux taux prévus à l’annexe II, lorsque, à l’égard de celui-ci, le premier des montants suivants est inférieur au second :

(d) where, in respect of a survivor who was living with the member of the forces at the time of that member’s death,

(i) la pension payable en application de l’alinéa b),

(i) the pension payable under paragraph (b)

[BLANK]

is less than

(ii) la somme de la pension de base et de la pension supplémentaire pour un époux ou conjoint de fait qui, à son décès, est payable au membre en application de l’alinéa a), du paragraphe (5) ou de l’article 36.

(ii) the aggregate of the basic pension and the additional pension for a spouse or common-law partner payable to the member under paragraph (a), subsection (5) or section 36 at the time of the member’s death,

[BLANK]

a pension equal to the amount described in subparagraph (ii) shall be paid to the survivor in lieu of the pension payable under paragraph (b) for a period of one year commencing on the effective date of award as provided in section 56 (except that the words “from the day following the date of death” in subparagraph 56(1)(a)(i) shall be read as “from the first day of the month following the month of the member’s death”), and thereafter a pension shall be paid to the survivor in accordance with the rates set out in Schedule II.

L’article 32 de la Loi sur la pension de retraite de la GRC :

Admissibilité à une compensation conforme à la Loi sur les pensions

Eligibility for awards under Pension Act

32 Sous réserve des autres dispositions de la présente partie et des règlements, une compensation conforme à la Loi sur les pensions doit être accordée, chaque fois que la blessure ou la maladie — ou son aggravation — ayant causé l’invalidité ou le décès sur lequel porte la demande de compensation était consécutive ou se rattachait directement au service dans la Gendarmerie, à toute personne, ou à l’égard de toute personne :

32 Subject to this Part and the regulations, an award in accordance with the Pension Act shall be granted to or in respect of the following persons if the injury or disease — or the aggravation of the injury or disease — resulting in the disability or death in respect of which the application for the award is made arose out of, or was directly connected with, the person’s service in the Force:

a) visée à la partie VI de l’ancienne loi à tout moment avant le 1er avril 1960, qui, avant ou après cette date, a subi une invalidité ou est décédée;

(a) any person to whom Part VI of the former Act applied at any time before April 1, 1960 who, either before or after that time, has suffered a disability or has died; and

b) ayant servi dans la Gendarmerie à tout moment après le 31 mars 1960 comme contributeur selon la partie I de la présente loi, et qui a subi une invalidité avant ou après cette date, ou est décédée.

(b) any person who served in the Force at any time after March 31, 1960 as a contributor under Part I of this Act and who has suffered a disability, either before or after that time, or has died.

Les articles 3 et 39 ainsi que le paragraphe 32(1) de la Loi sur le TACRA :

Principe général

Construction

3 Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

3 The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

Nouvel examen

Reconsideration of decisions

32 (1) Par dérogation à l’article 31, le comité d’appel peut, de son propre chef, réexaminer une décision rendue en vertu du paragraphe 29(1) ou du présent article et soit la confirmer, soit l’annuler ou la modifier s’il constate que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées; il peut aussi le faire sur demande si l’auteur de la demande allègue que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées ou si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés.

32 (1) Notwithstanding section 31, an appeal panel may, on its own motion, reconsider a decision made by it under subsection 29(1) or this section and may either confirm the decision or amend or rescind the decision if it determines that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law, or may do so on application if the person making the application alleges that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law or if new evidence is presented to the appeal panel.

Règles régissant la preuve

Rules of evidence

39 Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

39 In all proceedings under this Act, the Board shall

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

V.  Discussion

[19]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[20]  En l’espèce, la seule question en litige à trancher consiste à décider si le comité de réexamen a commis une erreur en refusant de reconnaître le rapport de l’ergonome comme un nouvel élément de preuve. La norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable à une décision en réexamen du TACRA (Nicol c Canada (Procureur général), 2015 CF 785, au paragraphe 22; Canada (Procureur général) c Wannamaker, 2007 CAF 126, au paragraphe 13).

[21]  Comme l’indique l’arrêt R. c Sekhon, 2014 CSC 15, une cour ou un tribunal doit garder une emprise sur la preuve d’expert que l’on demande de présenter, afin que la preuve n’alourdisse pas le processus décisionnel.

[22]  La détermination de la question fondamentale en litige concernant l’ensemble de la preuve revient à un tribunal ou à une cour. Il ne revient pas aux experts de décider de la manière de parvenir aux conclusions définitives à l’égard d’un dossier de preuve complet.

[23]  Le rapport du Dr Silburt (même si le recours à l’autre rapport d’ergonomiste indique simplement le besoin de s’assurer que l’ensemble des éléments de preuve sont lus comme un tout), peut être résumé de la manière suivante : la blessure à l’épaule, compte tenu du temps qui s’est écoulé et de sa nature répétitive ou cumulative, s’est aggravée au fil des ans, comme en témoignent les réparations chirurgicales que le requérant a subies. Le rapport du Dr Silburt ne contredit pas les éléments de preuve, il indique seulement que ces derniers devraient être examinés dans leur intégralité. L’examen de ce rapport peut être réalisé de différentes manières; toutefois, il souligne essentiellement les éléments de preuve et il indique qu’ils devraient être rassemblés, afin d’être examinés dans leur intégralité.

[24]  En conséquence, il est important de reconnaître que les éléments de preuve doivent être examinés comme un tout plutôt que de manière fragmentée (R. c Hart, 2014 CSC 52).

[25]  Le rapport médical du Dr Silburt, daté du 15 avril 2012, indique ce qui suit :

[traduction] L’inspecteur McCulloch a subi une angioplastie et une décompression sous-acromiale en raison de la douleur chronique et du dysfonctionnement qu’il a fini par subir après une trentaine d’années de travail policier. Il ne fait aucun doute que cet état de santé découle de ses fonctions relatives au maintien de l’ordre, puisqu’il n’a jamais été un très grand « athlète du dimanche », n’ayant jamais pratiqué de sports, comme le hockey ou le football, lesquels sont susceptibles de causer des blessures aux épaules. Si vous cherchez dans vos dossiers, je suis convaincu que le sien contient diverses limitations et restrictions liées à ses fonctions en raison de ce problème à l’épaule. Ce sont ces mêmes fonctions répétées maintes et maintes fois (pensez à un lanceur de baseball lançant une balle à une vitesse de 145 kilomètres, 100 fois par partie) qui ont, en premier lieu, contribué aux microtraumatismes répétés. Le fait que l’inspecteur McCulloch n’a plus été capable de les accomplir confirme le concept selon lequel chacune d’entre elles a contribué au problème d’une manière ténue, mais constante et persistante. Par exemple, tirer des balles au fusil (son épaule dominante est sollicitée) occasionne des problèmes, parce que le recul de l’arme pousse fortement l’humérus dans la cavité glénoïdale. Lever les bras au-dessus du niveau des épaules provoque un coincement (combien de fois par jour un travailleur du domaine médicolégal effectue-t-il ce geste? Cela est sans parler du transport de matériel sur la scène). Il est évident que le « combat » au corps à corps et d’autres techniques d’immobilisation devant être pratiqués dans les cas d’arrestation ont contribué à l’état de santé de l’inspecteur McCulloch. Je crois que nous avons découvert un membre qui NE se plaint PAS et qui, par conséquent, n’a pas signalé la douleur après « l’une de ces arrestations » ou « l’une de ces séances à la salle de tir ».

Je suis convaincu qu’il est fort possible que les lésions dues aux mouvements répétitifs (LMR) soient à l’origine du recours ultime à une chirurgie de l’épaule.

Je suis persuadé que ce qui précède suffira.

Dr Bruce Silburt, M.D., Fellow du Collège des médecins de famille du Canada (FCMF)

(DCT, rapport médical du Dr Silburt, à la page 137.) (Voir également le paragraphe 32 du présent jugement.)

[26]  La formation du TACRA (décideurs) a reproduit le récit du requérant; toutefois, elle l’a fait comme une série d’images fixes plutôt que comme un ensemble cohérent (film) de la vie du requérant. Le récit de la blessure, comme dans un film ou dans l’histoire d’un événement ou d’une personne, doit comporter un début, un milieu et une fin. Le rapport du Dr Silburt expose l’histoire du dossier. Le Dr Silburt est celui qui a dirigé le requérant vers un médecin spécialiste pour des raisons précises et non pour un historique du dossier, lequel n’a pas été fourni; le deuxième médecin vers qui le Dr Silburt a dirigé le requérant a confié ce dernier à un chirurgien. Une telle situation probante ne doit pas être analysée en formulant des hypothèses ou des suppositions. C’est grâce à l’histoire contenue dans les éléments de preuve, comme relatée par le Dr Silburt, que le requérant a été dirigé vers deux autres médecins spécialistes.

[27]  Lors de l’examen des éléments de preuve, il est important d’indiquer que des éléments de preuve précis concernant des expériences de vie ou des événements forment un récit suivi, comme énoncé devant les décideurs; un récit doit être analysé d’un bout à l’autre de tout ce qui est entendu, lu et vu; tous les éléments de preuve doivent être considérés comme formant un ensemble, et ils ne doivent pas être fragmentés. C’est seulement à ce moment que l’on peut décider de ce qui est réellement pertinent, et de ce qui ne l’est pas, pour la compréhension de l’espèce, afin de faire en sorte que les éléments de preuve ont été examinés de manière adéquate aux fins de l’analyse permettant de parvenir à une ou à plusieurs conclusions.

[28]  La décision de la formation du TACRA doit être examinée de nouveau par un comité constitué différemment, qui doit, pour qu’un lien soit établi entre les éléments de preuve, expliquer la manière dont il a apprécié et, par conséquent, analysé les éléments de preuve dans leur intégralité. Le comité doit expliquer ou justifier les éléments de preuve comme un tout lors de la narration du récit du requérant, conformément à la jurisprudence citée ci-dessous.

[29]  Pour que la décision soit raisonnable, les éléments de preuve fondés sur l’historique du cas médical, tiré de l’ensemble des rapports médicaux, doivent faire l’objet d’une analyse globale complète, avec pour aboutissement l’historique du cas médical du requérant. Pour ce faire, le dossier médical ou le dossier complet des éléments de preuve doit être examiné de manière linéaire, avec une démonstration d’un continuum; en d’autres termes, ils doivent être assemblés en une présentation complète d’un récit plutôt qu’en une présentation de pièces fragmentées. Pour faire autrement, il serait nécessaire de démontrer que le Dr Silburt n’a pas apprécié le dossier de manière appropriée ou qu’il l’a fait de manière inadéquate. Aucun médecin n’a témoigné en ce sens. Aucun médecin n’a rejeté l’opinion du Dr Silburt. Le Dr Silburt est le seul à avoir évalué l’historique du cas médical comme un tout.

[30]  La question était et demeure la suivante : étant donné que le requérant a servi dans la GRC de 1979 à 2017 et que ses problèmes de santé ont commencé en 1994 quant à son état de santé actuel devant la Cour, selon les éléments de preuve s’y rapportant, la blessure est-elle survenue dans la GRC et, par conséquent, a-t-elle commencé là? Cette blessure a-t-elle été aggravée par la suite des événements regroupés et, par conséquent, s’agit-il d’une blessure aggravée par le passage du temps, depuis son apparition? Compte tenu du passage ou des événements continuels de la vie, les éléments de preuve doivent être examinés depuis leur origine; la blessure a pu demeurer asymptomatique ou s’être aggravée au fil du temps ou par l’utilisation continue du membre.

[31]  Il ne s’agit pas d’un manquement, de la part de la formation du TACRA, dans le récit des éléments de preuve comme un tout, mais c’est plutôt que les éléments de preuve ont été regroupés de manière fragmentée, au lieu d’avoir été assemblés.

● Origine de la douleur à l’épaule ressentie par le requérant en 1994

Rapport médical du Dr John T. Smith
DCT, aux pages 16 et 17, DR, onglet 3(b)

Rapport clinique et compte de la Dre Rosemary Baird
DCT, à la page 18, DR, onglet 3(c)

● Blessure signalée, subie à l’occasion d’un combat au début du service dans la GRC, alors qu’il est précisé que la formation a eu lieu en 1998

Rapport médical du Dr Dermot Adams
DCT, aux pages 29 et 30, DR, onglet 3(d)

● Douleur chronique à l’épaule droite et au cou signalée, diagnostiquée comme une lésion de la coiffe des rotateurs dans l’épaule, dont la douleur est toujours présente à ce jour – restrictions médicales prescrites en ce qui a trait aux services opérationnels

Rapport médical du Dr Yabsley en date du 20 février 2007
DCT, à la page 52, DR, onglet 3(e)

Rapport médical du Dr Yabsley en date du 24 avril 2007
DCT, à la page 63, DR, onglet 3(f)

Examen médical périodique en date du 1er avril 2008
DCT, à la page 67, DR, onglet 3(g)

Examen médical périodique en date du 18 mars 2009
DCT, à la page 81, DR, onglet 3(h)

Rapport médical du Dr Yabsley en date du 27 octobre 2009
DCT, à la page 85, DR, onglet 3(i)

Compte rendu clinique du Dr David G. Johnston en date du 15 décembre 2009
DCT, aux pages 87 et 88, DR, onglet 3(j)

● Chirurgie à l’épaule droite du requérant en 2010

Rapport de consultation du Dr Johnston en date du 25 février 2010
DCT, à la page 91, DR, onglet 3(k)

● Le requérant souffre d’une lésion déterminée continuelle de la coiffe des rotateurs causée par son travail au sein de la GRC, laquelle lésion est liée aux altercations physiques répétitives avec des personnes offensives dans l’exercice de ses fonctions, en plus de l’utilisation d’armes à feu, comme un fusil de chasse de calibre 12 en métal et une carabine.308, et du transport constant d’environ 18 kilogrammes de matériel sur les scènes de crime, notamment des appareils-photo et des lentilles, sur des distances de plus de 30 mètres et, enfin, étant donné les tâches devant être réalisées dans des espaces difficiles et restreints, lors des travaux d’enquête.

Demande de prestations d’invalidité
DCT, à la page 7, DR, onglet 3(a)

Lettre du requérant au Bureau de services juridiques des pensions
DCT, aux pages 138 et 139, DR, onglet 3(r)

Décision du comité d’examen
DCT, à la page 131, DR, onglet 3(p)

Appel de la décision du comité d’examen
DCT, aux pages 143 à 154, DR, onglet 3(w)

Demande de réexamen
DCT, aux pages 179 à 232, DR, onglet 3(x)

Rapport médical du Dr Silburt en date du 15 avril 2012
DCT, aux pages 137 à 141, DR, onglet 3(q)

Rapport de l’ergonomiste
DCT, aux pages 202 à 206, DR, onglet 3(y)

● Une douleur soutenue continuelle et une diminution importante de l’amplitude des mouvements à l’égard des tâches quotidiennes causées par le problème à l’épaule documenté sur le plan médical, dont l’historique est exposé de manière chronologique

Questionnaire médical du Dr Roula Eid
DCT, aux pages 227 à 232, DR, onglet 3(z)

[32]  Aucun événement ne peut être distingué sans d’abord examiner les éléments de preuve comme un tout; ce n’est qu’ensuite qu’il peut être décidé si des éléments de preuve peuvent être liés ou séparés, afin de s’assurer que l’ensemble de la situation est examinée de manière à ce que des conclusions puissent être tirées du récit. Les éléments de preuve doivent être soupesés et appréciés. (Voir les pages 252 et 253 du dossier du Tribunal, comme on les voit à l’onglet AA.)

[33]  Un comité constitué différemment doit trancher l’affaire de nouveau. La Cour conclut qu’une erreur de fait et de droit a été commise, puisque les nouveaux éléments de preuve n’ont pas été appréciés correctement, selon le critère d’analyse énoncé dans la décision Mackay. Ce critère aurait amené le comité à reconnaître, à admettre et à comprendre la nécessité d’apprécier la totalité des éléments de preuve, ensemble, comme un tout.

[34]  Tout ce qui a été dit précédemment reflète la décision de la Cour dans l’affaire Stoyek c Canada (Procureur général), 2017 CF 47, à la page 47, selon laquelle les éléments de preuve doivent être examinés comme un tout.

[47]  Afin d’établir si les décisions du TACRA étaient raisonnables, il est nécessaire de comprendre quelle était la preuve et à quel moment elle avait été présentée devant le tribunal. La discussion qui suit divise les éléments de preuve pertinents présentés au CAA avant qu’il ne rende sa décision en 2015 et avant que le comité rende sa décision en 2016 et tient compte de la norme de la décision raisonnable dans chacune des décisions selon la preuve à sa disposition. [Non souligné dans l’original.]

[35]  Comme la Cour l’a jugé dans la décision Roach c Canada (Procureur général), 2013 CF 852, aux paragraphes 64 et 65 [Roach], ainsi que dans la décision Reed c Canada (Procureur général), 2007 CF 1237, aux paragraphes 55 et 56, la Cour conclut en l’espèce que la décision du TACRA n’est pas justifiée. En outre, la Cour conclut également que la décision du TACRA, en plus de ne pas être justifiée, manque de transparence et d’intelligibilité (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47), et que l’affaire doit, par conséquent, être examinée de nouveau par un comité constitué différemment :

[67]  Les Drs Wiseman et Silha étaient les médecins traitants du demandeur : ils connaissaient l’ensemble de son dossier. Il était impossible de contourner leurs opinions comme le Tribunal a tenté de le faire. Le Tribunal a omis de tenir compte de ce que l’on pourrait considérer comme étant les éléments de preuve non contredits qui établissent que l’aggravation de la maladie du demandeur et les conséquences néfastes de celle‑ci étaient consécutives ou se rattachaient directement à son service dans la GRC. Plus particulièrement, le Tribunal n’a pas appliqué de manière raisonnable l’article 39 de la Loi sur le TACRA. La présente affaire doit être renvoyée au Tribunal pour réexamen.

(Roach, précitée, au paragraphe 67) Aussi, en l’espèce, il est fort probable qu’il existe un lien entre le parcours professionnel et la blessure.

[36]  Lors de la détermination de l’espèce, la question que les décideurs auront à trancher devrait être la suivante : les éléments de preuve peuvent-ils constituer un édifice ou s’agit-il simplement de briques qui ne peuvent être assemblées pour permettre à l’édifice de tenir debout?

VI.  Conclusion

[37]  La demande est accueillie avec dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-1627-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du TACRA est annulée et l’affaire est renvoyée afin d’être réexaminée par un comité constitué différemment, conformément aux présents motifs.

  2. Le défendeur doit payer les dépens de la demanderesse dans la présente affaire.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1627-17

INTITULÉ :

STUART MCCULLOCH c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 juillet 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :

Le 23 juillet 2018

COMPARUTIONS :

Taylor Buckley

Pour le requérant

Jan Verspoor

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dentons Canada S.E.N.C.R.L.

Pour le requérant

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour l’intimé

 

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