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Date : 20180710


Dossier : IMM-261-18

Référence : 2018 CF 715

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

KAMERON COAL MANAGEMENT LTD.

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Kameron Coal Management Ltd. avait besoin de travailleurs qualifiés pour l’exploitation de la mine de charbon Donkin. Puisque la main-d’œuvre canadienne ne pouvait suffire à tous ses besoins, Kameron a embauché deux travailleurs étrangers. Kameron a sollicité et obtenu du défendeur les approbations nécessaires pour ce faire, en application du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET). Après une inspection par le défendeur, il a été conclu que Kameron ne se conformait pas aux modalités de l’entente qu’elle avait conclue dans le cadre du PTET. Un certain nombre de sanctions ont été imposées, dont l’affichage du nom de Kameron sur un site Web du gouvernement destiné à divulguer le nom d’employeurs « non conformes ». Kameron sollicite une ordonnance de sursis de la mesure d’exécution de ce volet de l’ordonnance. Elle demande une ordonnance enjoignant le défendeur à retirer son nom de ce site, en attendant la décision finale de sa demande de contrôle judiciaire de l’ordonnance d’exécution. Kameron soutient que cet affichage nuit à la réputation de l’entreprise, et que son nom doit être retiré jusqu’à ce que la société ait la possibilité de contester l’ordonnance de non-conformité.

[2]  Kameron ne sollicite pas un sursis à l’égard des autres volets de l’ordonnance, à savoir l’imposition d’une sanction administrative pécuniaire et d’une période de suspension au cours de laquelle elle ne peut pas employer d’autres travailleurs étrangers temporaires (TET). Kameron a également présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de l’ordonnance de non-conformité, qui sera traitée séparément.

[3]  Par les motifs qui suivent, je rejette la suspension partielle.

I.  Résumé des faits

[4]  Kameron exploite la mine de charbon Donkin en Nouvelle-Écosse qui a redémarré la production en 2017 après une longue période d’inactivité. Puisqu’elle anticipait de ne pouvoir combler tous ses besoins en personnel en ayant recours à de la main-d’œuvre canadienne, Kameron a présenté une demande d’étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) afin d’embaucher des travailleurs étrangers temporaires (TET), et sa demande a fait l’objet d’une décision favorable. Afin d’obtenir l’EIMT, Kameron devait préciser les conditions d’emploi des TET, notamment les salaires et les conditions de travail. En application du PTET, l’EIMT implique une évaluation par le défendeur visant à déterminer si les besoins de l’employeur peuvent être comblés par de la main-d’œuvre canadienne; si ce n’est pas le cas, l’EIMT permet à l’employeur d’avoir recours à des travailleurs d’autres pays pour satisfaire à ses exigences temporairement. En retour, l’employeur conclut une entente qui établit, entre autres, le salaire et les conditions de travail de ces TET.

[5]  À la suite d’une inspection, le défendeur a conclu que Kameron ne se conformait pas à l’EIMT pour les raisons suivantes :

  1. Faire défaut de verser un salaire qui est essentiellement le même, mais non moins avantageux que celui précisé dans l’EIMT, conformément au sous-alinéa 209.3(1)a)(iv) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés,, DORS/2002-227 [RIPR];
  2. Faire défaut de ménager des conditions de travail qui sont essentiellement les mêmes, mais non moins avantageuses que celles précisées dans l’EIMT, conformément au sous-alinéa 209.3(1)a)(iv) du RIPR;
  3. Ne pas démontrer que, pendant une période de six ans à compter du premier jour d’emploi pour laquelle un permis de travail est délivré à l’étranger, tout renseignement fourni à l’appui de l’EIMT était exact, conformément à l’alinéa 209.3(1)c) du RIPR.

[6]  Essentiellement, l’allégation selon laquelle Kameron a embauché deux travailleurs américains aux termes de l’EIMT, et leur donnait des salaires, des payes pour les heures supplémentaires et d’autres avantages substantiellement plus élevés que ceux qu’elle offrait à ses travailleurs canadiens constitue la contravention à l’EIMT. Ce faisant, Kameron a contrevenu aux conditions de l’EIMT qu’elle avait conclue. Le défendeur a conclu que la société n’avait pas établi que sa conduite était justifiée au sens des dispositions du RIPR.

[7]  Pour les besoins de la présente requête, il sera utile de dresser l’historique de la présente mesure d’application. À la suite d’une inspection de conformité réalisée par le défendeur, Kameron a reçu un avis initial de possible non-conformité au début de juin 2016, et était tenue d’apporter une justification écrite de la non-conformité alléguée. Kameron a répondu le 22 juin 2016, et plusieurs communications ont eu lieu entre les parties d’août 2016 à janvier 2017. Le 4 mai 2017, le défendeur a publié un avis de décision provisoire, en application de l’article 209.993 du RIPR, indiquant que le défendeur avait rendu une décision provisoire à l’effet que Kameron pouvait ne pas s’être conformée à ses obligations en application de l’EIMT concernant les trois motifs énoncés ci-dessus. L’avis indique également les conséquences possibles de l’allégation de non-conformité : (i) une sanction administrative pécuniaire de 230 000 $; (ii) l’inadmissibilité au PTET et au Programme de mobilité internationale pendant une période de dix ans; et (iii) la publication du nom de l’entreprise et des violations alléguées sur la liste publique des employeurs non conformes du site Web d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC).

[8]  Kameron a répondu à cet avis de décision provisoire le 6 juin 2017, ce qui a donné lieu à de nouveaux échanges entre les parties. Enfin, le 14 décembre 2017, le défendeur a rendu un avis de détermination final, concluant que Kameron ne se conformait pas à l’EIMT, en fonction des trois critères énoncés ci-dessus, et a imposé une sanction administrative pécuniaire de 54 000 $ et une interdiction d’un an d’accéder au PTET ou au Programme de mobilité internationale. En outre, l’avis indique que le nom de Kameron serait immédiatement publié sur la liste publique des employeurs non conformes du site Web d’IRCC.

[9]  Kameron sollicite la suspension du volet de l’ordonnance qui exige l’affichage de son nom et des détails de la non-conformité sur le site Web d’IRCC. Elle allègue que cet affichage cause un préjudice grave et irréparable à sa réputation d’entreprise. Kameron ne sollicite aucune ordonnance concernant les autres pénalités imposées par l’avis de décision final.

II.  Question en litige

[10]  La seule question en litige que comporte la présente requête est de décider si une suspension de « l’affichage » est justifiée, en attendant le règlement définitif de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sous-jacente.

III.  Analyse

[11]  Le paragraphe 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, accorde à la Cour le vaste pouvoir de rendre toute ordonnance provisoire qu’elle estime appropriée en attendant le règlement final d’une demande. Les deux parties font valoir, et je suis d’accord, que le critère en trois volets régissant l’octroi d’une injonction interlocutoire s’applique en l’espèce. La Cour suprême du Canada a récemment résumé ce critère dans R. c. Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5, au paragraphe 12 [Radio-Canada] :

À la première étape, le juge de première instance doit procéder à un examen préliminaire du bien‑fondé de l’affaire pour décider si le demandeur a fait la preuve de l’existence d’une « question sérieuse à juger », c’est‑à‑dire que la demande n’est ni futile ni vexatoire. À la deuxième étape, le demandeur doit convaincre la cour qu’il subira un préjudice irréparable si la demande d’injonction est rejetée. Enfin, à la troisième étape, il faut apprécier la prépondérance des inconvénients, afin d’établir quelle partie subirait le plus grand préjudice en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond, selon que la demande d’injonction est accueillie ou rejetée.

[Notes de bas de page omises.]

[12]  Le pouvoir d’accorder une réparation interlocutoire constitue un redressement de nature très discrétionnaire et exceptionnelle (Bergman c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 1129, au paragraphe 21). Comme la Cour suprême du Canada a récemment déclaré dans Google Inc c. Equustek Solutions Inc, 2017 CSC 34, au paragraphe 25 : « Il s’agit essentiellement de savoir si l’octroi d’une injonction est juste et équitable eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire. La réponse à cette question dépendra nécessairement du contexte. »

A.  Question sérieuse

[13]  Dans de nombreux cas, le seuil pour établir que « la question à trancher est sérieuse » n’est pas élevé – il suffit de convaincre le tribunal que la demande n’est « ni futile ni vexatoire » : RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 à la page 337 [RJR-MacDonald]. C’est particulièrement le cas lorsque l’injonction interlocutoire est présentée pour empêcher quelque chose de se produire; si un demandeur cherche à préserver le statu quo, les tribunaux ont jugé que le premier élément ne devrait pas imposer un fardeau élevé.

[14]  Il y a deux exceptions à cette règle : (i) le cas où le résultat de la requête interlocutoire équivaudra en fait au règlement final de l’action, et (ii) le cas où la question de constitutionnalité se présente uniquement sous la forme d’une pure question de droit. Dans ces deux cas, le demandeur doit démontrer qu’il a un dossier solide quant au fond de l’affaire afin d’obtenir une ordonnance interlocutoire.

[15]  Kameron soutient qu’aucune des deux exceptions ne s’applique, alors que le défendeur soutient que l’octroi de la suspension partielle donnera dans ce cas à la demanderesse une partie de la réparation qu’elle recherche dans le contrôle judiciaire sous-jacent, et que la première exception s’applique donc.

[16]  À mon avis, il n’est pas nécessaire de trancher cette question, parce que la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Radio-Canada indique qu’un seuil plus élevé s’appliquera dans un troisième cas : lorsque le demandeur sollicite une ordonnance qui intimerait le défendeur à prendre des mesures afin de changer le statu quo en vigueur au moment de la demande souvent décrit comme une « injonction interlocutoire mandatoire ».

[17]  À la lumière du redressement demandé par Kameron, j’ai demandé des observations supplémentaires de la part des parties concernant l’application de l’arrêt Radio-Canada en ce qui a trait au critère relatif à la « question sérieuse » dans le contexte d’une injonction mandatoire. Les deux parties estiment que le critère établi dans l’arrêt Radio-Canada s’applique; ils ne s’entendent cependant pas sur l’application du critère aux faits de l’espèce. Je suis d’accord que le critère relatif à la question sérieuse énoncé dans l’arrêt Radio-Canada s’applique à l’espèce.

[18]  Dans ce cas-ci, comme le démontre clairement le dossier de requête, le nom de l’entreprise et les détails de sa violation sont déjà affichés sur le site Web d’IRCC. Kameron sollicite une ordonnance enjoignant le défendeur à retirer ces renseignements du site Web d’IRCC. Cela ressemble singulièrement aux faits de l’arrêt Radio-Canada, où la Couronne a sollicité une ordonnance intimant la Société Radio-Canada à retirer de son site Internet certains documents qui enfreignaient une ordonnance de non-publication qui avait été rendue dans le contexte d’un procès criminel. La Société Radio-Canada avait affiché le matériel avant la délivrance de l’ordonnance de non-publication. La Couronne a demandé une ordonnance exigeant que la Société Radio-Canada retire le matériel de son site Web.

[19]  Dans sa décision, la Cour suprême a précisé que, lorsque le demandeur sollicite une injonction interlocutoire qui aurait pour effet d’intimer au défendeur de faire quelque chose, le seuil initial est élevé. Les passages suivants (des paragraphes 15 et 16) sont particulièrement instructifs, à la lumière des faits de l’espèce :

À mon avis, lorsqu’il s’agit d’examiner une demande d’injonction interlocutoire mandatoire, le critère approprié pour juger de la solidité de la preuve du demandeur à la première étape du test énoncé dans RJR—MacDonald n’est pas celui de l’existence d’une question sérieuse à juger, mais plutôt celui de savoir si le demandeur a établi une forte apparence de droit. Une injonction mandatoire intime au défendeur de faire quelque chose — comme de rétablir le statu quo —, ou d’autrement [traduction] « restaurer la situation », ce qui est souvent coûteux et pénible pour le défendeur et ce que de longue date l’equity a été réticente à faire. Une telle ordonnance est également (règle générale) difficile à justifier à l’étape interlocutoire, puisque la réparation qui vise à restaurer la situation peut habituellement être obtenue au procès. Ou, comme l’a exprimé le juge Sharpe (dans un ouvrage de doctrine), « le risque qu’un tort soit causé au défendeur est [rarement] moins important que le risque couru par le demandeur du fait de la décision du tribunal de ne pas agir avant le procès ».

Par exemple, en l’espèce, cesser de diffuser les renseignements établissant l’identité de la victime requerrait qu’un employé de la SRC prenne les mesures nécessaires pour retirer ces renseignements du site Web de l’entreprise. En définitive, le juge de première instance, lorsqu’il qualifie l’injonction interlocutoire de mandatoire ou de prohibitive, doit regarder au‑delà de la forme et du libellé de la demande sollicitant l’ordonnance de manière à déceler l’essence de ce qui est recherché et, à la lumière des circonstances particulières de l’affaire, à déterminer [traduction] « quelles risquent d’être les conséquences pratiques de l’injonction » Bref, le juge de première instance doit examiner si, en substance, l’effet global de l’injonction consisterait à exiger du défendeur qu’il fasse quelque chose ou qu’il s’abstienne de le faire.

[Souligné dans l’original]

[20]  Compte tenu de la nature de l’ordonnance interlocutoire que Kameron sollicite par la présente demande, j’estime qu’elle doit atteindre le seuil plus élevé établi par l’arrêt Radio-Canada (au paragraphe 18), à savoir : « Le demandeur doit établir une forte apparence de droit qu’il obtiendra gain de cause au procès. Cela implique qu’il doit démontrer une forte chance au regard du droit et de la preuve présentée que, au procès, il réussira ultimement à prouver les allégations énoncées dans l’acte introductif d’instance ». [Souligné dans l’original]

[21]  Je note en passant qu’il s’agit d’une norme beaucoup plus élevée que la norme applicable dans le cadre de l’octroi d’un sursis en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], où il suffit qu’un demandeur démontre qu’il a « une cause défendable » : Bains c. (Emploi et Immigration Canada) (1990), 109 NR 239, [1990] ACF no 457 (QL) (CAF).

[22]  Kameron soutient qu’elle satisfait au seuil plus élevé d’une « question sérieuse ». Elle soutient que les faits ne sont pas contestés : elle a embauché deux TET à sa mine de charbon Donkin, comme il est permis de le faire aux termes de l’EIMT qu’elle a conclue avec le défendeur; elle a payé à ces deux employés des salaires et des heures supplémentaires, et a aussi payé certains avantages en plus de ce qu’elle avait précisé dans l’EIMT; ce faisant, elle a violé les termes de l’entente qu’elle avait conclue avec le défendeur. Kameron soutient cependant qu’elle a plusieurs arguments puissants à l’encontre de la conclusion de non-conformité.

[23]  Kameron soutient que le défendeur a commis deux erreurs juridiques importantes : premièrement, il a commis une erreur en concluant à trois cas de non-conformité en application du RIPR; Kameron affirme que son seul manquement est lié à l’omission de fournir des renseignements précis à l’appui de sa demande d’EIMT, en contravention de l’alinéa 209.3(1)c). Les autres violations ne s’appliquent pas puisqu’elles se rapportent à des dispositions qui visent à empêcher un traitement défavorable des TET eu égard aux salaires et aux conditions de travail. Dans le cas présent, Kameron a offert des salaires et des avantages plus généreux à ses TET, et elle soutient que les deux premiers motifs de non-conformité ne peuvent être maintenus.

[24]  Kameron soutient ensuite que le défendeur n’a pas tenu compte de ses observations justifiant la non-conformité, décrites ci-dessus. Elle fait valoir que son argument relatif à sa « bonne foi » n’a pas fait l’objet de suffisamment de considération de la part du défendeur, et aussi que l’avis de décision final comporte une erreur en faisant référence à la mauvaise disposition de justification du RIPR.

[25]  Kameron affirme avoir agi de bonne foi, s’appuyant sur l’avis d’un conseiller juridique, et s’appuyant également sur le fait que lorsque ces employés sont arrivés à la frontière, ils ont obtenu des permis de travail de l’Agence des services frontaliers du Canada. Pour ces raisons, Kameron soutient qu’elle a établi une solide preuve prima facie selon laquelle elle avait une justification raisonnable de sa conduite, une justification qui est expressément prévue dans le RIPR, et que le défendeur a omis de prendre en compte.

[26]  Kameron soutient aussi que la décision est déraisonnable parce qu’il n’y a aucune indication que le défendeur ait pris en compte la disposition relative à la justification à l’égard de la violation alléguée. Elle souligne que le rapport d’enquête, qui a constitué le fondement de l’avis final, fait référence à la mauvaise disposition. Le rapport d’enquête fait référence à la justification en application de l’article 209.4 du RIPR qui a trait à l’omission par l’employeur de participer au processus d’inspection et d’examen, ce qui n’est pas pertinent dans le cas présent. Elle soutient que cette erreur indique que le défendeur n’a pas examiné la justification appropriée (à savoir le paragraphe 209.3(4)), liée aux dispositions invoquées pour l’accuser de violation (sous-alinéa 209.3(1)a)(iv), et alinéa 209.3(1)c)). Kameron soutient que cette erreur suffit à rendre la décision déraisonnable.

[27]  Le défendeur soutient que Kameron a à juste titre été jugée non conforme pour trois motifs distincts : les salaires qui étaient de 60 à 120 % plus élevés que ceux indiqués dans l’EIMT; différentes conditions de travail, notamment les heures supplémentaires payées à un taux qui était de 46 à 60 % plus élevé que celui précisé dans l’EIMT; et des renseignements inexacts à l’appui de sa demande d’EIMT. Ce sont trois violations distinctes. Le défendeur soutient que les dispositions touchant les salaires et les conditions de travail du RIPR ne visent pas seulement à protéger les travailleurs étrangers temporaires, mais visent également à protéger l’intégrité de l’économie et du marché du travail canadiens. Le défendeur affirme qu’il y a contravention à l’EIMT parce que l’information correcte sur les salaires et les conditions de travail n’a jamais été fournie, et qu’il n’a donc pas pu analyser si suffisamment de travailleurs canadiens auraient accepté des salaires et des conditions de travail plus favorables pour répondre aux besoins de Kameron.

[28]  Ce cas illustre la difficulté d’évaluer si un demandeur, dans une demande interlocutoire fondée sur un dossier peu étoffé, et où l’audition complète du bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire n’a pas encore eu lieu, a atteint le seuil élevé établi par l’arrêt Radio-Canada. Tout ce que je dis à ce stade peut avoir une incidence sur l’audience sur le fond. Cependant, je dois évaluer le cas en l’espèce en fonction du seuil très élevé fixé par l’arrêt Radio-Canada de la Cour suprême du Canada.

[29]  En fin de compte, je ne peux conclure que Kameron a démontré qu’elle avait une « forte chance » de succès dans sa demande de contrôle judiciaire (Radio-Canada, au paragraphe 17). Je ne cherche aucunement à discréditer les arguments que Kameron a présentés, qui semblent soulever de nouvelles questions dans le cadre de ce régime réglementaire, et qui peuvent être étudiés de façon plus poussée lors d’un examen du bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire, si l’autorisation est accordée. Bien que les arguments que Kameron avance semblent quelque peu nouveaux, le défendeur a présenté une réponse substantielle fondée sur le libellé du RIPR, et son but dans la mise en application. Après avoir examiné les observations des deux parties, je ne peux pas conclure, d’après le dossier dont je dispose, que Kameron a atteint le seuil élevé fixé par l’arrêt Radio-Canada pour les injonctions interlocutoires mandatoires.

[30]  Bien que cette conclusion soit suffisante pour trancher la présente affaire, étant donné les arguments avancés par les parties, je vais aussi examiner les autres volets du critère.

B.  Préjudice irréparable

[31]  L’expression préjudice irréparable a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue; c’est en général un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié (RJR-Macdonald, à la page 341). Dans plusieurs affaires, il a été conclu que ce préjudice ne peut être fondé sur une simple hypothèse, il doit être établi au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants : Glooscap Heritage Society c. Canada (Revenu national), 2012 CAF 255, au paragraphe 31; Gateway City Church c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 126, aux paragraphes 15 et 16 [Gateway City Church]; Newbould c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 106, aux paragraphes 28 et 29 [Newbould].

[32]  Un redressement équitable doit, cependant, conserver sa souplesse, et certaines formes de préjudice ne sont pas facilement établies, notamment dans les procédures interlocutoires, où le temps presse et la capacité de préparer un dossier de preuve complète est nécessairement quelque peu limitée. Il est nécessaire, en fin de compte, de « se fonder sur une preuve solide » pour évaluer le préjudice. De simples affirmations ou hypothèses formulées par le demandeur ne suffisent pas : voir, par exemple, Vancouver Aquarium Marine Science Centre c. Charbonneau, 2017 BCCA 395, au paragraphe 60. Comme la Cour d’appel fédérale l’a récemment fait remarquer dans l’arrêt Newbould, au paragraphe 29 :

À mon avis... la qualité de la preuve – « claire et convaincante » ou autre chose – varie en fonction de la nature du préjudice irréparable qu’on allègue. Lorsque le préjudice appréhendé est financier, la preuve claire et convaincante est nécessaire puisque la nature du préjudice permet qu’il soit prouvé par une preuve concrète comme celle énoncée au paragraphe 17 de Gateway City Church. En cas d’atteinte à des intérêts sociaux comme la réputation ou la dignité, comme dans Douglas, la survenance d’un préjudice irréparable peut être respectée par inférence à partir de l’ensemble des circonstances de l’espèce.

[33]  La demanderesse fait valoir que la publication de son nom sur un site Web du gouvernement du Canada visant à rendre publics les noms des sociétés « fautives » causera un préjudice irréparable à la réputation de son entreprise. Kameron signale la couverture médiatique sur les efforts du gouvernement pour améliorer l’application des règles du programme, et note qu’un article de journal sur les activités d’application nomme seulement Kameron comme un employeur non conforme – aucune autre société figurant sur le site n’est mentionnée. Elle soutient que l’affichage d’un nom d’une société est évidemment destiné à servir de moyen de dissuasion, et qu’il ne peut que servir de moyen de dissuasion, car il aura un impact sur l’ensemble de la réputation de la société. La demanderesse soutient que l’affichage de son nom en tant qu’employeur non conforme, dans le cadre d’un programme qui est destiné à protéger les travailleurs étrangers temporaires, ne peut que conduire le public à déduire que cet employeur a maltraité des travailleurs étrangers qu’il a embauchés, exactement le contraire de ce que Kameron a réellement fait. Kameron affirme que cela va inévitablement nuire à sa réputation.

[34]  À part une affirmation de préjudice dans un affidavit et une lettre présentés à l’appui de la présente demande, la demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve démontrant la nature ou l’étendue de l’atteinte à ses intérêts ou à sa réputation. Elle demande que le préjudice soit inféré, notant qu’un préjudice à la réputation d’entreprise a été reconnu dans d’autres cas d’injonctions interlocutoires : RJR-MacDonald, à la page 341.

[35]  Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas atteint le seuil de preuve requis par les cas cités précédemment, et que la demande devrait être rejetée pour ce motif.

[36]  Comme indiqué ci-dessus, on peut déduire que des dommages à la réputation d’une personne causent un préjudice irréparable dans les cas appropriés. Cependant, une injonction interlocutoire ne peut généralement pas être accordée lorsque le préjudice est essentiellement de nature financière et que le défendeur est en mesure d’indemniser le demandeur si dans la décision ultime il est conclu qu’une transgression du droit positif a été commise.

[37]  Dans le cas qui nous occupe, le préjudice invoqué aurait été causé à la réputation de la société. Rien ne démontre la nature ou l’étendue d’un tel préjudice ni des efforts de communication du demandeur pour essayer de réduire ou éviter de tels préjudices.

[38]  La présente affaire peut être comparée à l’affaire Gateway City Church, où l’église sollicitait une ordonnance interdisant au ministre de révoquer son statut d’organisme de bienfaisance en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, LR 1985, c 1 (5e supp.). La Cour d’appel a conclu que l’appelante n’avait pas rencontré le seuil de preuve établissant un préjudice irréparable. Le passage suivant est particulièrement approprié à l’affaire que j’ai à trancher.

[13]  Si son enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance est révoqué, l’église ne pourra délivrer des reçus correspondants aux dons obtenus. Les futurs donateurs ne pourront déduire de leur revenu le montant de leurs dons. L’église affirme que le montant des dons qu’elle reçoit diminuera sensiblement, ce qui l’empêchera d’exécuter des travaux essentiels pour sa congrégation, voire pour l’ensemble de la communauté.

[14]  Cette affirmation générale ne suffit pas pour établir l’existence d’un préjudice irréparable : Holy Alpha and Omega Church of Toronto c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 265, au paragraphe 22. Ce type d’affirmation générale peut être formulé dans toutes les affaires. L’acceptation de cette affirmation comme élément de preuve établissant en soi un préjudice irréparable affaiblirait indûment le pouvoir que le législateur a accordé au ministre, soit celui de protéger l’intérêt public dans les cas pertinents en publiant son avis et en révoquant l’enregistrement même avant que la décision soit rendue au sujet de l’opposition et, plus tard, de l’appel.

[39]  Dans l’affaire qui nous occupe, je suis prêt à déduire qu’un risque de préjudice est associé à la publication du nom de la demanderesse sur le site Web. Toutefois, l’absence d’éléments de preuve précis indiquant la nature ou l’étendue du préjudice qui sera causé au cours de la période d’attente de la décision finale de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire constitue un facteur qui pèse contre l’octroi d’une injonction.

C.  Prépondérance des inconvénients

[40]  Le troisième volet du critère exige une « appréciation de la prépondérance des inconvénients, afin d’établir quelle partie subirait le plus grand préjudice en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond, selon que la demande d’injonction est accueillie ou rejetée » (Radio-Canada, au paragraphe 12). L’expression souvent utilisée est « la prépondérance des inconvénients ». Les facteurs qui doivent être pris en considération dans l’évaluation de ce volet du critère sont nombreux et varient selon les circonstances de chaque cas : RJR-MacDonald, à la page 342.

[41]  Le préjudice à évaluer est celui qui sera causé entre la date de l’octroi (ou du refus) de l’injonction interlocutoire et la date de la demande sous-jacente. Dans le cas d’une demande de contrôle judiciaire à notre Cour, ce délai est normalement une question de mois, en tenant pour acquis que la demande suit son cours normal.

[42]  Cet équilibre prend une dimension différente dans la mesure où sont soulevées des questions de validité constitutionnelle ou d’application de la loi puisque l’intérêt public commande le respect des lois dûment adoptées (Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd, [1987] 1 RCS 110, au paragraphe 129. Dans l’arrêt RJR-MacDonald, à la page 343, la Cour suprême du Canada a cité avec approbation le passage suivant de la décision du juge Blair dans l’affaire Ainsley Financial Corp c. Ontario (Securities Commission), (1993), 14 OR (3d) 280, 1993 CanLII 5552 (Gen Div) :

Une injonction interlocutoire comportant une contestation de la validité constitutionnelle d’une loi ou de l’autorité d’un organisme chargé de l’application de la loi diffère des litiges ordinaires dans lesquels les demandes de redressement opposent des plaideurs privés. Il faut tenir compte des intérêts du public, que l’organisme a comme mandat de protéger, et en faire l’appréciation par rapport à l’intérêt des plaideurs privés.

[43]  Notre Cour et la Cour d’appel ont conclu que l’intérêt public à appliquer les dispositions législatives ou réglementaires milite en faveur de l’autorité publique cherchant à faire exécuter les ordonnances rendues en vertu de lois dûment adoptées, en l’absence d’une contestation de la constitutionnalité de ces lois : voir, par exemple, Dugonitsch v (Emploi et Immigration Canada) (1992), 53 F.T.R. 314, [1992] ACF no 320 (QL) (TD), au paragraphe 15; Baron c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81 [Baron]; Atwal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CAF 427, au paragraphe 19.

[44]  J’ai soupesé les considérations suivantes dans l’évaluation de la prépondérance des inconvénients. Premièrement, la nature du cadre législatif constitue une considération importante. Les dispositions en application desquelles le demandeur a été jugé non conforme ont été introduites afin d’améliorer la conformité avec les règles régissant les TET. Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, publié au moment de l’introduction de ces changements, énonce ce qui suit :

Les objectifs de ces modifications sont d’augmenter la capacité du gouvernement à encourager la conformité des employeurs aux conditions des PTET/PMI ainsi qu’en décourageant la non-conformité en mettant en œuvre une gamme de conséquences pour répondre de manière proportionnelle aux degrés variables de non-conformité. Cela aidera à protéger les étrangers tenus d’avoir un permis de travail pour travailler au Canada et favorisera l’économie canadienne et l’intégrité du marché du travail au Canada.

[45]  Il convient de souligner que les objectifs comprennent la protection des travailleurs étrangers temporaires, et la protection de l’économie et du marché du travail canadiens.

[46]  L’affichage du nom de l’employeur et des détails de sa violation ont été l’un des changements introduits pour atteindre ces objectifs. Le RIPR indique clairement que, dans certaines circonstances, l’affichage de ces renseignements est obligatoire – il n’a pas été conféré au ministre un large pouvoir discrétionnaire en la matière :

Liste des employeurs

List of Employers

Publication des renseignements sur les employeurs

Publication of employer’s information

209.997 (1) Si l’agent ou le ministre de l’Emploi et du Développement social formule une conclusion à l’égard d’un employeur aux termes des paragraphes 209.996(1) ou (2), le ministère ou ce ministre, selon le cas, ajoute les renseignements visés au paragraphe (2) à la liste visée à ce paragraphe, sauf s’il donne un avertissement à l’employeur aux termes de l’alinéa 209.996(4)d).

209.997 (1) If an officer or the Minister of Employment and Social Development makes a determination under subsection 209.996(1) or (2) in respect of an employer, the Department or that Minister, as the case may be, must add the information referred to in subsection (2) to the list referred to in that subsection, except if the officer or that Minister issues a warning to the employer in accordance with paragraph 209.996(4)(d).

Contenu de la liste

Content of list

(2) Une liste est affichée sur un ou plusieurs sites Web du gouvernement du Canada et comporte les renseignements ci-après :

(2) A list is posted on one or more Government of Canada websites and includes the following information:

a) le nom de l’employeur;

(a) the employer’s name;

b) l’adresse de l’employeur;

(b) the employer’s address;

c) les critères prévus à la subdivision 200(1)c)(ii.1)(B)(I) ou au sous-alinéa 203(1)e)(i) qui n’ont pas été remplis ou les conditions prévues aux dispositions mentionnées dans la colonne 1 du tableau 1 de l’annexe 2 qui n’ont pas été respectées par l’employeur, selon le cas;

(c) the criteria set out in subclause 200(1)(c)(ii.1)(B)(I) or subparagraph 203(1)(e)(i) that were not satisfied or the conditions set out in the provisions listed in column 1 of Table 1 of Schedule 2 with which the employer failed to comply, as the case may be;

d) la date à laquelle la conclusion a été formulée à l’égard de l’employeur;

(d) the day on which the determination was made;

e) la mention du fait que l’employeur est inadmissible ou non;

(e) the eligibility status of the employer;

f) s’il y a lieu, à la fois :

(f) if applicable,

(i) le montant de la sanction administrative pécuniaire,

(i) the administrative monetary penalty amount, and

(ii) la période d’inadmissibilité de l’employeur.

(ii) the ineligibility period of the employer.

[47]  Le retard à présenter la demande de suspension partielle constitue une deuxième considération importante. Alors que dans de nombreux cas d’injonction interlocutoire, le retard ne sera un facteur que lorsqu’il est démontré que le laps de temps a causé un préjudice au défendeur (voir Lindsay Petroleum Co c. Hurd (1874), LR 5 PC 221; Erlanger c. New Sombrero Phosphate Co (1878), 3 App Cas 1218, 39 LT 269 (HL); Canada Trust Co c. Lloyd, [1968] RCS 300; M(K) c. M(H), [1992] 3 RCS 6), dans le cas qui nous occupe, j’estime que le retard est pertinent, car il tend à jeter un doute sur la nature et l’étendue du préjudice anticipé sur la réputation de la demanderesse. La séquence des événements est révélatrice. Contrairement à de nombreuses situations dans lesquelles une injonction provisoire ou interlocutoire est demandée d’urgence pour répondre à un événement inconnu et imprévisible qui causera un préjudice important au demandeur, dans ce cas-ci la société en cause savait depuis longtemps qu’une inspection pouvait conduire à l’affichage de son nom.

[48]  D’après le dossier restreint qui m’a été présenté, il semble que la demanderesse ait été avisée pour la première fois qu’elle risquait d’être trouvée non conforme en juin 2016. Étant donné les termes impératifs du libellé de la disposition sur l’affichage du RIPR, cela aurait dû indiquer à la demanderesse qu’il existait une réelle possibilité que son nom et les détails de sa non-conformité soient affichés sur le site Web d’IRCC. Au plus tard, cela a été indiqué en termes clairs dans l’avis de décision provisoire que la demanderesse a reçu en mai 2017. Chacune de ces communications a donné lieu à un échange avec le défendeur, et pendant cette période, la demanderesse espérait sans doute pouvoir convaincre les autorités qu’elle ne devrait pas être trouvée non conforme. Il est cependant juste de déduire que la demanderesse, qui a été conseillée par son avocat tout au long de cette période, savait qu’un constat de non-conformité constituait une réelle possibilité.

[49]  Dans de telles circonstances, si la demanderesse avait été sérieusement préoccupée par la possibilité qu’un préjudice grave et irréparable soit causé à sa réputation, il serait juste de s’attendre à ce qu’elle agisse très rapidement pour prévenir ou réduire ce préjudice dès la réception de l’avis de décision final le 21 décembre 2017. Bien que la demanderesse ait déposé sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire le 17 janvier 2018, elle n’a sollicité une suspension partielle de l’ordonnance que le 28 mars 2018. Bien que d’après le dossier dont je dispose, je ne puisse savoir le moment exact où le nom de la demanderesse a été publié sur le site Web, l’avis de décision final indiquait que cela se ferait « immédiatement ».

[50]  Comme indiqué ci-dessus, je suis prêt à déduire qu’un risque de préjudice à la réputation d’entreprise de la demanderesse est associé à l’affichage de son nom. Cependant, le retard dans le dépôt de la demande, dans des circonstances où la demanderesse avait toute la latitude pour se préparer à présenter immédiatement une demande de redressement pour prévenir ou réduire au minimum les dommages anticipés à sa réputation d’entreprise, et l’absence d’éléments de preuve plus précis de l’incidence de l’affichage sur la réputation d’entreprise de la demanderesse au cours de la période d’attente de la décision de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, sont tous des facteurs qui pèsent contre l’octroi de l’ordonnance.

[51]  Au vu de ce qui précède, j’ai examiné l’intérêt public en conformité avec le cadre législatif et réglementaire. L’un des éléments de ce cadre est l’affichage obligatoire des noms des employeurs qui ont été jugés non conformes. Il s’agit d’une conséquence ordinaire et intentionnelle d’un constat de non-conformité dans de nombreux cas, comme il ressort clairement des termes mêmes du RIPR. En d’autres circonstances, les tribunaux ont jugé qu’un redressement interlocutoire ne sera pas accordé lorsque le préjudice allégué est la conséquence naturelle et ordinaire de l’application de dispositions législatives réglementaires; il en faut plus pour obtenir un tel redressement extraordinaire.

[52]  Ainsi, par exemple, les difficultés liées à la séparation d’une famille constituent une conséquence ordinaire d’une mesure de renvoi dans un contexte d’immigration, et ces difficultés, en soi, ne justifient pas l’octroi d’un sursis : voir Baron, au paragraphe 69. Sur ce point, je vous renvoie à nouveau à l’arrêt Gateway City Church de la Cour d’appel qui a rejeté l’allégation de préjudice à la réputation de l’église qui pouvait découler d’une révocation de son statut d’organisme de bienfaisance (paragraphe 14) :

... Ce type d’affirmation générale peut être formulé dans toutes les affaires. L’acceptation de cette affirmation comme élément de preuve établissant en soi un préjudice irréparable affaiblirait indûment le pouvoir que le législateur a accordé au ministre, soit celui de protéger l’intérêt public dans les cas pertinents en publiant son avis et en révoquant l’enregistrement même avant que la décision soit rendue au sujet de l’opposition et, plus tard, de l’appel.

IV.  Conclusion

[53]  J’ai conclu que l’octroi de cette ordonnance interlocutoire ne serait pas juste et équitable dans les circonstances de l’espèce, parce que :

  • Kameron n’a pas démontré une solide preuve prima facie qu’elle aura gain de cause en ce qui a trait au bien-fondé de sa demande de contrôle judiciaire;
  • La preuve de préjudice irréparable à sa réputation d’entreprise fait défaut, vu les circonstances particulières de l’espèce;
  • La prépondérance des inconvénients milite en faveur du défendeur, en raison de : la nature obligatoire de l’exigence d’affichage du RIPR; le retard à présenter la présente demande, étant donné que Kameron a bénéficié d’une longue période de préavis concernant la possibilité que son nom et les détails de sa violation soient affichés sur le site Web d’IRCC; et le fait que, tout préjudice incident qui pourrait être causé à la réputation d’une entreprise par l’affichage de cette information est une conséquence naturelle de l’application du règlement.

[54]  Aucune des parties n’a présenté d’observation concernant les dépens. Bien que je rejette la requête, j’ai décidé de ne pas accorder de dépens, compte tenu de toutes les circonstances de la présente affaire, et dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire en application de l’article 400 des  Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER IMM-261-18

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La requête est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont accordés.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-261-18

INTITULÉ :

KAMERON COAL MANAGEMENT LTD. c. LE MINISTRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) EN APPLICATION DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE :

Le 10 juillet 2018

COMPARUTIONS :

Lee Cohen

Craig M. Garson

 

Pour la demanderesse

Tokunbo Omisade

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Lee Cohen & Associates

CABINET D’AVOCATS

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Pour la demanderesse

Garson MacDonald

CABINET D’AVOCATS

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Pour le défendeur

 

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