Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180718


Dossier : T-1362-16

Référence : 2018 CF 747

Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

SYLVAIN PICARD ET

RBA, GROUPE FINANCIER

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

intervenante

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La présente affaire soulève d’importantes questions d’interprétation statutaire et d’applicabilité constitutionnelle découlant du fédéralisme coopératif en matière de services de police visant les collectivités autochtones vivant au Québec. « Un certain degré de prévisibilité quant au partage de compétences entre le Parlement et les législatures provinciales s’avère indispensable » (Banque canadienne de l’Ouest c Alberta, 2007 CSC 22 au para 23 [Banque canadienne de l’Ouest]). Ainsi, lorsque les services de police sont fournis aux Premières Nations par la Gendarmerie royale du Canada, la Sureté du Québec ou un corps de police municipal, le caractère fédéral ou provincial de la réglementation en matière de travail applicable aux policiers ne pose pas problème. Mais qu’arrive-t-il lorsqu’un conseil de bande a pris le relais?

[2]  En l’espèce, pendant plusieurs décennies, tous les acteurs intéressés – conseils de bande, gouvernements fédéral et provinciaux compris – ont accepté que la réglementation fédérale s’applique aux salariés à l’emploi d’un conseil de bande occupant des fonctions de constable spécial ou de policier dans une réserve. Sauf que, le 21 juillet 2016, le Bureau des institutions financières du Canada [Bureau] a révisé sa position en décrétant que les salariés en question n’occupent pas un emploi dans le cadre d’une entreprise fédérale, que leur régime de pension « n’est donc pas agréé » en vertu de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, LRC 1985, c 32 (2e supp) [LNPP], et qu’il sera transféré à l’autorité provinciale compétente [décision contestée], d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

II.  La présente demande de contrôle judiciaire

[3]  Les demandeurs recherchent aujourd’hui l’annulation de la décision contestée, ainsi qu’un jugement déclaratoire à l’effet que les participants du Régime des rentes de la sécurité publique des Premières Nations [Régime] occupent un emploi dans un ouvrage, une entreprise ou une activité de compétence fédérale, et que la LNPP s’applique au Régime. De son côté, le défendeur, le Procureur général du Canada, soutient la légalité de la décision contestée, ainsi que l’applicabilité de la réglementation provinciale au Régime.

[4]  Un avis de question constitutionnelle a été dûment signifié à tous les procureurs généraux en vertu de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. L’intervenante, la Procureure générale du Québec, a simplement adopté la position du défendeur, sans faire de représentations particulières dans le présent dossier.

[5]  La Constitution du Canada envisage le partage des pouvoirs entre l’autorité centrale et les provinces sous un angle dualiste, dans le cadre traditionnel de la dichotomie « fédéral-provincial », qui doit s’adapter à la réalité de diverses formes de gouvernance autochtone. En bref, deux thèses opposées s’affrontent aujourd’hui. Pour des fins purement logiques, il m’apparaît préférable de d’abord exposer celle du défendeur (et de l’intervenante qui l’a adoptée en bloc).

[6]  Le défendeur ne conteste pas le fait que le Parlement possède la compétence législative pour édicter des lois concernant la police autochtone, mais là n’est pas la question. Il peut clairement le faire en vertu de sa compétence sur les Indiens (NIL/TU,O Child and Family Services Society c BC Government and Service Employees' Union, 2010 CSC 45 au para 2 [NIL/TU,O]). Cependant, à l’heure actuelle, le Parlement n’a pas exercé cette compétence et les corps de police autochtones en cause ici tirent donc leur existence et leurs pouvoirs de la Loi sur la police, LRQ, c P-13.1, ce qui constitue un élément de qualification déterminant. En l’espèce, le statut d’« agent de la paix » en vertu de la Loi sur la police montre bien que les salariés participants du Régime exercent une activité provinciale selon le critère fonctionnel, et ainsi qu’en a décidé la Cour d’appel fédérale en 2015 dans l’arrêt Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski c Alliance de la fonction publique du Canada, 2015 CAF 211 [Commission des services policiers].

[7]  Les demandeurs voient les choses de façon très différente. Le fait que certains aspects touchant les corps de police autochtones – comme la formation et la conduite professionnelle –soient réglementés par la province, n’empêche pas l’application des lois fédérales en matière de travail et de régimes de retraite, lorsqu’un conseil de bande est directement l’employeur. Ce n’est pas parce qu’un policier autochtone est habilité à agir comme « agent de la paix » en vertu de la Loi sur la police que son employeur est soumis aux lois provinciales de travail. Au contraire, il faut se demander selon le critère fonctionnel si le service de police opéré par un conseil de bande sur le territoire d’une réserve et des terres réservées aux Indiens constitue une activité de « gouvernance » vitale et essentielle à l’exercice de ses pouvoirs comme institution fédérale. La réponse est affirmative lorsqu’on considère la nature fédérale des pouvoirs découlant de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5, et qui sont mis en œuvre dans les provinces en vertu de la Politique sur la police des Première Nations (Solliciteur général du Canada, Politique sur la police des Première Nations, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1992 et 1996 [Politique sur la police des Premières Nations]). Enfin, les arrêts NIL/TU,O et Commission des services policiers visaient des entités provinciales indépendantes des conseils de bande.

[8]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

III.  Compétence limitée du surintendant

[9]  Rappelons que la LNPP est entrée en vigueur le 1er janvier 1987 et remplace la Loi sur les normes des prestations de pension, LRC 1985, c P-7, tandis que les régimes de pension enregistrés en vertu de cette dernière loi sont réputés avoir été agréés en vertu de la LNPP (articles 42 et 46 de la LNPP), ce qui est le cas du Régime (enregistré depuis 1981). Il faut cependant reconnaître au surintendant le pouvoir de déterminer ex post facto si un régime de pension déjà agréé continue d’être assujetti à la réglementation fédérale. En effet, la doctrine de la compétence par déduction nécessaire prévoit qu’un décideur administratif possède implicitement tous les pouvoirs nécessaires à l’accomplissement du mandat qui lui est confié par le législateur, incluant notamment le pouvoir de rendre une décision qui concerne l’assujettissement d’une matière à sa juridiction (voir ATCO Gas & Pipelines Ltd c Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4 au para 51; Bell Canada c Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 RCS 1722 à la p 1056, 60 DLR (4e) 682; Canada v Professional Institute of the Public Service of Canada, 1980 CanLII 2467 au para 4, 113 DLR (3e) 262 (CAF); voir aussi le paragraphe 31(2) de la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I-2).

[10]  Or, en vertu du paragraphe 4(2) de la LNPP, un régime de retraite peut seulement être agréé par le surintendant si les participants occupent un emploi inclus, soit un emploi « lié ou rattaché à la mise en service d’un ouvrage, d’une entreprise ou d’une activité de compétence fédérale » [entreprise fédérale] (voir la définition d’« emploi inclus » au paragraphe 4(4)) [je souligne]. On retrouve aux alinéas a) à i), une énumération d’ouvrages, d’entreprises et d’activités relevant de la compétence fédérale (voir au même effet les articles 2 et 4, ainsi que les paragraphes 123(1) et 167(1) du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2). Bien entendu, l’énumération législative n’est pas exhaustive et inclut également « les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activités ne ressortant pas au pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales » [je souligne].

[11]  Une précision importante est également apportée par le législateur fédéral. Par « emploi », il faut entendre « [l]’exécution d’un travail ou exercice de fonctions par un salarié pour un employeur, contre rémunération, au titre d’un contrat formel ou tacite de services ou d’apprentissage » (para 2(1) de la LNPP) [je souligne]. D’autre part, l’« employeur » est « [une] personne ou organisme, ainsi que leurs successeurs ou ayants droit, dotés ou non de la personnalité morale et auprès de qui le salarié occupe un emploi » (para 2(1) de la LNPP) [je souligne]. En droit du travail, l’employeur c’est l’entité qui embauche, détermine les conditions de travail et possède le pouvoir de discipliner et congédier les salariés à son emploi.

[12]  En conséquence, l’identification de l’employeur et de l’entreprise fédérale qu’il exploite, ainsi que l’existence d’un lien d’emploi entre le salarié et l’employeur en cause, sont des prérequis essentiels en vertu du paragraphe 4(4) de la LNPP à l’application de la réglementation fédérale à un régime de retraite. En l’espèce, bien que les salariés occupant des fonctions policières soient à l’emploi d’entités fédérales, soit les conseils de bande membres du Régime à titre d’employeurs, le Bureau a estimé que les premiers relevaient de la compétence provinciale.

IV.  Le Régime des rentes de la sécurité publique des Premières Nations

[13]  Auparavant connu sous le nom de « Régime de rentes pour les employés de la Police amérindienne », le Régime constitue un régime de pension interentreprises dont les employeurs-membres sont exclusivement des conseils de bande au sens de la Loi sur les Indiens. Le Régime est entré en vigueur le 1er novembre 1979, tel que précisé dans la demande d’enregistrement du 25 février 1981 [instance d’agrément du Régime] – le Régime étant un régime de pension agréé par le surintendant, tel qu’en fait foi le certificat d’enregistrement numéro 55864 émis le 18 septembre 1981.

[14]  Le Régime a pour but de procurer des prestations de retraite aux policiers, pompiers et constables spéciaux [collectivement les salariés] œuvrant en milieu autochtone et qui sont au service exclusif de l’un ou l’autre des employeurs-membres. Il s’agit d’un régime à prestations déterminées, qui prévoit l’accumulation d’une rente garantie, calculée en fonction des années de participation de chacun des salariés participants. Le Régime est actuellement composé des services policiers relevant de 14 conseils de bande desservant des communautés autochtones membres des Premières Nations se trouvant dans la province de Québec : le Conseil de la Première Nation Abitibiwinni; le Conseil de bande de Pessamit; la Kebaowek First Nation; le Conseil de bande des Micmacs de Gesgapegiag; le Conseil de la Nation Anishinabe du Lac Simon; la Kitigan Zibi Anishinabeg Nation; le Conseil des Atikamekw de Manawan; le Conseil des Atikamekw d’Opitciwan; le Conseil des Abénakis d’Odanak; le Conseil des Innus de Pakua Shipi; Pekuakamiulnuatsh Takuhikan; Innu Takuaikan Uashat Mak Mani Utenam; la Timiskaming First Nation et le Conseil des Atikamekw de Wemotaci. S’agissant de sa couverture à l’égard des salariés à l’emploi des employeurs-membres, le Régime vise actuellement quelque 220 participants actifs.

[15]  Mais avant d’aller plus avant, il faut également souligner que l’enregistrement par le superintendant d’un régime de pension constitue un acte de puissance publique contribuant à renforcer la confiance du public dans le système financier canadien et créant des expectatives légitimes. Ainsi, une fois qu’un régime de pension a été agréé, il incombe au Bureau de s’assurer du respect des exigences minimales de capitalisation et autres prescriptions dans la LNPP et son règlement d’application, le Règlement de 1985 sur les normes de prestation de pension, DORS/87‑19 [règlement d’application] (voir l’alinéa 4(2.1)a) de la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières, LRC 1985, c 18 (3e supp)). De son côté, l’administrateur du régime gère celui-ci et le fonds de pension en qualité de fiduciaire de l’employeur, des participants, des anciens participants et de toute autre personne qui a droit à une prestation de pension au titre du régime conformément aux prescriptions de la LNPP et de son règlement d’application (paragraphe 8(3) de la LNPP).

[16]  Le Régime est administré conformément au Règlement du Régime, dont la version la plus récente (en vigueur depuis le 1er juillet 2011) a été produite au dossier de la Cour. Dans les faits, le comité de retraite du Régime s’est doté d’une politique écrite de placement conforme à la LNPP, à son règlement d’application, à la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5supp), et aux Règles administratives de l’Agence de revenu du Canada [collectivement, la réglementation fédérale]. Actuellement, la codemanderesse, RBA Groupe Financier, assume la gestion du Régime conformément au Règlement du Régime et à la réglementation fédérale.

V.  L’environnement constitutionnel canadien

[17]  On ne peut vraiment comprendre la suite des choses et apprécier les arguments soulevés par les parties dans ce dossier sans un examen préalable de l’environnement constitutionnel canadien. Dans cet exercice tout en nuances, il faut commencer par les textes constitutionnels et statutaires. Nous examinerons ensuite l’usage du critère fonctionnel dans la détermination de la compétence accessoire sur les relations de travail. Enfin, nous verrons que la réglementation statutaire des pouvoirs de police qui sont délégués aux personnes agissant à titre d’« agents de la paix » est la résultante d’un exercice constitutionnel partagé.

A.  Textes constitutionnels et statutaires

[18]  Il y a lieu de distinguer entre la compétence constitutionnelle sur les Indiens et le droit criminel, qui relève du fédéral, et l’administration de la justice, qui relève des provinces. Cela se traduit par la création statutaire de corps de police provinciaux et fédéraux. Enfin, il faut tenir compte de l’impact du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, (R-U), 1982, c 11.

  i.  Les Indiens et le droit criminel

[19]  Le Parlement a compétence exclusive pour réglementer les Indiens et les terres réservées pour les Indiens, ainsi que le droit criminel, y compris la procédure criminelle (voir les paragraphes 91(24) et (27) de la Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict, c 3, reproduite dans LRC 1985, annexe II, no 5 [Loi constitutionnelle de 1867]. On retrouve l’expression législative de ces pouvoirs concurrents dans la Loi sur les Indiens et dans le Code criminel, LRC c C-46.

[20]  C’est en vertu de sa compétence sur les Indiens que le Parlement pourvoit à la reconnaissance législative et à la constitution de conseils de bande, et qu’il leur délègue certains pouvoirs gouvernementaux, dont celui de légiférer sur l’observation de la loi et le maintien de l’ordre dans les réserves et les terres réservées aux Indiens (alinéa 81(1)c) de la Loi sur les Indiens). Nous reviendrons plus loin sur cet aspect essentiel de la gouvernance d’un conseil de bande.

[21]  D’autre part, tant qu’elles le demeurent, les terres des réserves sont administrées par le gouvernement fédéral (Derrickson c Derrickson, [1986] 1 RCS 285, 26 DLR (4e) 175 au para 26). De plus, rien n’empêche le Parlement de mettre de côté à l’usage et au profit des membres d’une Première Nation d’autres « terres réservées » – qui ne constituent pas une « réserve » au sens de la Loi sur les Indiens, – et de déléguer à une bande indienne le pouvoir de légiférer dans toutes les matières qui sont de son ressort, incluant le respect de la loi, le maintien de l’ordre et la prévention des conduites répréhensibles et des troubles de jouissance (voir par ex la Loi sur le gouvernement du territoire provisoire de Kanesatake, LC 2001, c 8).

[22]  Personne ne remet en question le fait qu’un conseil de bande exerce déjà sur le territoire même de la réserve, en vertu des articles 81 et 83 de la Loi sur les Indiens, des pouvoirs délégués de gouvernance, qui sont analogues à ceux d’un gouvernement local ou d’une municipalité (voir par ex Corbiere c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, [1999] 2 RCS 203 au para 77, 173 DLR (4e) 1, juge L’Heureux-Dubé, opinion concurrente). Pensons par exemple à la réglementation de la circulation, à l’observation de la loi et au maintien de l’ordre, à la répression de l’inconduite et des incommodités, à la réglementation de la conduite et des opérations des marchands ambulants, colporteurs ou autre personnes qui pénètrent dans la réserve pour acheter ou vendre des produits ou marchandises, ou en faire un autre commerce, à l’expulsion et la punition des personnes qui pénètrent dans la réserve ou la fréquentent pour des fins interdites, ou à l’imposition, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d’une amende et/ou d’un emprisonnement, pour violation d’un règlement administratif. En l’espèce, le conseil de bande ne pourrait s’acquitter efficacement de ses activités de gouvernance s’il n’avait pas le pouvoir d’embaucher des constables spéciaux et des policiers pour faire respecter la loi et voir au maintien de l’ordre dans la réserve (alinéa 81(1)c) de la Loi sur les Indiens).

  ii.  L’administration de la justice

[23]  Les législatures provinciales ont compétence exclusive pour réglementer les institutions municipales, la propriété et les droits civils, l’administration de la justice, le droit pénal (provincial) et généralement toutes les matières d’une nature purement locale ou privée (voir les paragraphes 92(8), (13), (14), (15) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867).

[24]  En toute logique, la création et la surveillance des corps de police provinciaux et municipaux – dont les membres ont le statut d’« agents de la paix » aux fins du Code criminel et de l’application des lois et règlements provinciaux – relève accessoirement de l’administration de la justice (voir les commentaires du juge Dickson dans Di Iorio c Gardien de la prison de Montréal (1976), [1978] 1 RCS 152 à la p 200, 73 DLR (3d) 491 [Di Iorio avec renvois aux RCS]).

  iii.  Corps de police provinciaux et fédéraux

[25]  Au Québec, on retrouve une loi cadre qui traite autant de l’organisation de la formation professionnelle du personnel policier que de l’organisation des corps de police, sans compter la réglementation des conditions d’exercice de la profession de policier, des normes de comportement et du contrôle externe de l’activité policière au Québec. Il s’agit bien entendu de la Loi sur la police. Nous y reviendrons plus loin dans ces motifs (voir la Section VI – H. La perspective québécoise). Des lois similaires ont été adoptées en Nouvelle-Écosse, en Ontario, au Manitoba, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique (voir la Section VI – F. Les services de police aux Premières Nations : la réalité d’aujourd’hui et la Section VI – G. La perspective ontarienne).

[26]  Du côté fédéral, le Parlement a également compétence pour créer des corps de police et pour nommer des agents de la paix ou des constables spéciaux chargés de veiller à l’application et au respect de toute loi fédérale (Michel Deschênes, « Les pouvoirs d’urgence et le partage des compétences au Canada », Les Cahiers de droit (1992) 33:4 C de D 1181 aux pp 1200-1201 [Deschênes]). Comme l’explique Deschênes à la p 1201 :

[…] à la suite d’un amendement constitutionnel effectué en 1871, le Parlement s’est vu octroyer certains pouvoirs supplémentaires dont, notamment, celui de légiférer pour l’administration des territoires non provinciaux.C’est sur la base de cette attribution qu’il institua en 1873 la « North-West Mounted Police », connue en français comme la « Police à cheval du Nord-Ouest » […] (Depuis) la Gendarmerie royale du Canada a obtenu le pouvoir de voir à l’application de toutes les lois fédérales à travers le pays, sauf le Code criminel dans les provinces, car l’application de celui-ci relève de la compétence provinciale.

(voir aussi Loi constitutionnelle de 1871, reproduite dans LRC 1985, appendice II, n° 11, art 4; Peter Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e ed supplemented, Toronto, Thomson Reuters, 2007 (feuilles mobiles mises à jour en 2017), aux pp 19-13–19-14; Di Iorio à la p 197).

[27]  Or, en vertu du paragraphe 11.1(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R-10, les officiers de la Gendarmerie royale du Canada ont qualité d’agent de la paix partout au Canada et ont les pouvoirs et l’immunité conférés de droit aux agents de la paix, jusqu’à ce qu’ils perdent leur qualité d’officier.

[28]  En apparence, tout est en ordre, l’affaire est simple. Voilà où cela se complique un peu.

  iv.  Le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982

[29]  En 1867, les Pères de la Confédération n’avaient pas imaginé qu’un jour prochain les peuples autochtones puissent se doter de gouvernements dans la nouvelle fédération. À défaut, en vertu de sa compétence à l’égard des Indiens et des terres réservées aux Indiens, le Parlement a prévu la création de conseils de bande dont les pouvoirs sont statutairement encadrés par la Loi sur les Indiens. Aujourd’hui, en vertu du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés. Une interprétation libérale de cette disposition s’est traduite par une reconnaissance officielle des gouvernements du droit des peuples autochtones à l’auto-gouvernance.

[30]  Mais, l’auto-gouvernance des Premières Nations demeurera un vœu pieux des acteurs politiques faute de financement. Cette contingence économique ouvre le champ à diverses formes de « fédéralisme coopératif » – à défaut d’un meilleur qualificatif – avec les provinces ou territoires. C’est particulièrement vrai dans le secteur des services policiers, si l’on veut renforcer substantiellement les capacités des Premières Nations d’assurer l’ordre, la sécurité publique et la sécurité personnelle des habitants dans les collectivités autochtones, y compris celle des femmes, des enfants et d’autres groupes vulnérables.

[31]  De fait, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, 30 & 31 Victoria, c 3 (R-U) (devenu en 1982 la Loi constitutionnelle de 1867), établissant la Confédération, est longtemps demeuré un ouvrage inachevé du Parlement britannique. Si au départ, celui-ci prenait en compte le désir des provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick « de contracter une Union fédérale pour ne former qu’une seule et même puissance (Dominion) sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et de l’Irlande, avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni » , au fil du temps, les acteurs politiques canadiens ont dû s’adapter aux conjectures historiques à l’origine du partage des compétences en 1867 et à l’évolution de la fédération canadienne qui, entre 1870 et 1949, s’est agrandie avec l’ajout des provinces de l’Ouest et de Terre-Neuve.

[32]  Parlons donc de la Constitution du Canada comme un « arbre vivant », pour reprendre la célèbre métaphore de Lord Sankey (Edwards v Canada (Attorney General), [1930] 1 DLR 98 aux pp 106-107, 1929 CanLII 438 (UK JCPC)). À ce chapitre, « le principe du fédéralisme exige que le tribunal qui interprète des textes constitutionnels tienne compte des répercussions des différentes interprétations sur l’équilibre entre les intérêts du fédéral et ceux des provinces » (R c Comeau, 2018 CSC 15 au para 78). Cette considération a donné lieu, par exemple, à l’élaboration de théories comme celle du caractère nécessairement accessoire et celle des pouvoirs accessoires, ce qui nous amène au présent litige concernant l’agrément du Régime qui, jusqu’à la date de la décision contestée, était agréé par le surintendant.

B.  Compétence accessoire sur les relations de travail : le critère fonctionnel

[33]  Aujourd’hui, il est question de la compétence constitutionnelle sur les relations de travail entre les policiers membres de corps de police autochtones et les conseils de bande qui les emploient. Or, celle-ci dépend d’un exercice de qualification de l’ouvrage, entreprise ou activité de l’employeur en cause.

[34]  En principe, aux termes du paragraphe 92(13), les relations de travail relèvent de la compétence provinciale (voir Toronto Electric Commissioners v Snider, [1925] 2 DLR 5, 1925 CanLII 331 (UK JCPC); Letter Carrier’s Union of Canada c Canadian Union of Postal Workers et al, [1975] 1 RCS 178, 40 DLR (3e) 105). Toutefois, le Parlement peut réglementer celles-ci – incluant les régimes de pension – lorsque l’emploi d’un travailleur s’exerce dans le cadre d’une entreprise fédérale [compétence directe], ou bien se rapporte à une activité faisant partie intégrante d’une entreprise fédérale [compétence dérivée] (voir Validity and Applicability of the Industrial Relations and Disputes Investigation Act, [1955] SCR 529, 1955 CanLII 1 [l’Affaire des débardeurs avec renvois aux SCR]; Construction Montcalm Inc c Com Sal Min (1978), [1979] 1 RCS 754 à la p 768, 93 DLR (3e) 641 [Construction Montcalm avec renvois aux RCS]; Northern Telecom c Travailleurs en communication (1979), [1980] 1 RCS 115, 98 DLR (3e) 1 [Northern Telecom avec renvois aux RCS]; Travailleurs unis des transports c Central Western Railway Corp, [1990] 3 RCS 1112 aux pp 1124-1125, 76 DLR (4e) 1; Tessier Ltée c Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), 2012 CSC 23 aux paras 11-18 [Tessier].

[35]  Afin de déterminer si les relations de travail relèvent de la compétence fédérale, on détermine en premier lieu si la nature fonctionnelle essentielle de l’ouvrage, du commerce ou de l’entreprise en question relève directement d’un chef de compétence mentionné à l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, tandis que dans le cas de la « compétence dérivée », on détermine si cette nature est telle que l’ouvrage fait partie d’une entreprise fédérale (comme par exemple dans l’Affaire des débardeurs). Dans les deux cas, l’attribution de la compétence en matière de relations de travail nécessite l’établissement de la « nature fonctionnelle essentielle » de l’ouvrage (Tessier au para 18).

[36]  En bref, le critère fonctionnel suppose l’analyse de l’entreprise en tant qu’entreprise active, en fonction de ses caractéristiques constantes uniquement, ce qui exige des conclusions de fait assez complètes (Northern Telecom aux pp 139-140; Commission du salaire minimum v Bell Telephone Company of Canada, [1966] SCR 767, 59 DLR (2e) 145; voir également Tessier au para 19). C’est uniquement si le « critère fonctionnel » ne s’avère pas concluant qu’on vérifiera ensuite si la réglementation, par la province, des relations de travail de cette entité porte atteinte au « contenu essentiel » du chef de compétence fédérale (NIL/TU,O au para 3).

[37]  Tant l’Affaire des débardeurs que l’arrêt Northern Telecom – qui fût suivi par Northern Telecom c Travailleurs en communication, [1983] 1 RCS 733, 147 DLR (3e) 1 – constituent des cas de compétence fédérale dérivée impliquant des entités distinctes qui fournissaient des services intégrés et essentiels à l’exploitation active d’autres entités distinctes dont le caractère fédéral n’était pas contesté (entreprise de transport maritime et entreprise de télécommunication). Dans le présent dossier, il n’existe aucune entité distincte et indépendante des conseils de bande qui sont membres du Régime. Les corps de police autochtones n’ont pas d’existence séparée et relèvent exclusivement des conseils de bande.

[38]  Dans l’arrêt Four B Manufacturing c Travailleurs unis du vêtement (1979), [1980] 1 RCS 1031, 102 DLR (3e) 385 [Four B], qui a été considéré subséquemment par la Cour suprême dans NIL/TU,O, il était question d’une entreprise manufacturière de chaussures appartenant à quatre membres d’une bande indienne, qui employait principalement des membres de la bande et qui exerçait ses activités sur une réserve indienne. Bien évidemment, en vertu du critère fonctionnel, les activités commerciales de la compagnie provinciale n’avaient rien à voir avec les affaires de la bande ou les services offerts à la population par le conseil de bande. Qui plus est, la production d’empeignes de cuir à titre de sous-contractant pour une entreprise commerciale non indienne était sans rapport avec la quiddité indienne.

[39]  Au départ, le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 accorde au gouvernement du Canada un pouvoir de gouvernance à l’égard des Indiens et des terres réservées aux Indiens. L’idée qu’une bande indienne puisse « légiférer » par le biais de son conseil constitue l’objet même des dispositions de la Loi sur les Indiens et du régime de reconnaissance et de délégation mis en place par le Parlement depuis les tous premiers temps de la Confédération. Coupons plus raide encore : la réglementation des conseils de bande – qui doivent leur existence au paragraphe 2(1) et à l’article 74 de la Loi sur les Indiens – appartient exclusivement à l’ordre fédéral. Il en est de même de la réglementation des relations de travail, lorsque, dans l’exercice d’une activité de gouvernance, le conseil de bande emploie du personnel.

C.  Réglementation statutaire des pouvoirs de police des agents de la paix : un exercice de délégation partagé entre le fédéral et les provinces

[40]  S’il est vrai que le catalogue des articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 contient un certain nombre de pouvoirs précis et prêtant peu à discussion, d’évidence, certaines matières sont impossibles à classer dans un seul titre de compétence : elles peuvent avoir à la fois une facette provinciale et une autre fédérale (voir notamment Banque canadienne de l’Ouest aux paras 29 et 43 et la jurisprudence citée).

[41]  Faut-il le rappeler, l’article 2 du Code criminel retient une définition très large d’« agent de la paix ». Celle-ci inclut non seulement des personnes pouvant agir en vertu d’une loi fédérale, mais également « [t]out maire, président de conseil de comté, préfet, shérif, shérif adjoint, officier du shérif et juge de paix », ainsi que « tout officier de police, agent de police, huissier ou autre personne employée à la préservation et au maintien de la paix publique ou à la signification ou à l’exécution des actes judiciaires au civil ». C’est d’ailleurs le Code criminel qui prescrit les conditions de détention et de remise en liberté de la personne qui a été arrêtée par un agent de la paix (voir par ex les articles 498 et 503 du Code criminel).

[42]  À l’instar d’autres agents de police régionaux et municipaux, les membres d’un corps de police autochtone – dont ceux exclusivement à l’emploi d’un conseil de bande – sont nommés pour servir leur propre communauté à moins d’accords prévoyant expressément le contraire. Mais l’exercice de leurs fonctions n’est pas astreint aux limites territoriales de cette communauté. Leur « compétence territoriale » est plutôt fonction des lois et règlements applicables, des accords auxquels ils sont assujettis et des modalités assortissant leur nomination ou leur embauche. Par exemple, au Québec, il y a lieu de se référer aux articles 49 et 93 de la Loi sur la police.

[43]  En pareil cas, comme « agents de la paix » au sens de l’article 2 du Code criminel, les agents de police autochtones seront le cas échéant autorisés par le paragraphe 254(3) du Code criminel à ordonner qu’un échantillon d’haleine soit fourni et à arrêter l’accusé pour le refus d’obtempérer à cet ordre (voir aussi R c Decorte, 2005 CSC 9 aux paras 20-22 [Decorte]). Cela dit, le fait qu’une personne ait le statut d’« agent de la paix » en vertu du Code criminel ou de la Loi sur la police ne modifie pas la nature des rapports avec son employeur et n’affecte pas le caractère fédéral ou provincial des activités de police de son employeur. Nous verrons plus loin qu’il s’agit d’une erreur déterminante ayant été commise par le Bureau dans la décision contestée.

[44]  Il est également clair que les lois fédérales et provinciales qui font simplement double emploi, mais qui n’entrent pas en conflit, peuvent exister de façon parallèle (R c Francis, [1988] 1 RCS 1025 au para 9, 51 DLR (4e) 418 [R c Francis avec renvois aux RCS]; Multiple Access Ltd c McCutcheon, [1982] 2 RCS 161, 138 DLR (3e) 1 [Multiple Access]). Prenons à titre d’exemple l’application des règles de la circulation routière dans les réserves indiennes.

[45]  En vertu de l’alinéa 73(1)c) de la Loi sur les Indiens, le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant le contrôle de la vitesse, de la conduite et du stationnement des véhicules sur les routes dans les réserves, tout comme peut le faire le conseil de bande en vertu des pouvoirs qui lui sont dévolus par l’alinéa 81(1)b) de la Loi sur les Indiens. D’un autre côté, la province a également compétence pour réglementer la circulation sur les routes de la province, ce que le Québec a pu faire en adoptant le Code de la sécurité routière, RLRQ, c C‑24.2.

[46]  Dans R c Francis, la Cour suprême s’est notamment demandée, vu que le règlement fédéral sur la circulation mentionnait les « lois et règlements (relativement aux voitures automobiles) » – ce qui constituait une incorporation par renvoi d’une loi provinciale à titre de loi fédérale –, « pour quelle raison le gouvernement fédéral se livrerait au vain exercice de simplement enjoindre de se conformer aux lois provinciales » (R c Francis au para 7). Au-delà de la question plus large de la « prépondérance fédérale qui prévalait alors » (avant Multiple Access), la Cour suprême fournit la réponse pragmatique suivante : « [i]l est également possible que le gouvernement fédéral ait voulu que les règles de la circulation routière dans les réserves indiennes puissent être appliquées par des policiers fédéraux ou provinciaux » (R c Francis au para 7) [je souligne].

[47]  D’un autre côté, selon la doctrine du « double aspect », rien n’empêche un policier de la Sureté du Québec d’arrêter dans une réserve indienne un individu dont on a raison de croire qu’un acte criminel au sens du Code criminel a été commis. Ce dernier pouvoir lui est conféré par une loi d’application générale, la Loi sur la police, sur l’ensemble du territoire de la province (article 50 de la Loi sur la police). Par contre, la Sureté du Québec n’a pas compétence pour faire appliquer un règlement administratif d’un conseil de bande sur le territoire d’une réserve, bien qu’elle ait également compétence pour prévenir et réprimer les infractions aux règlements municipaux applicables sur le territoire des municipalités sur lequel elle assure des services policiers (article 50 de la Loi sur la police).

[48]  Au demeurant, la Gendarmerie royale du Canada n’est pas chargée de l’application des lois provinciales ni des lois municipales, et elle n’applique pas non plus le Code criminel, dans une province, sauf si elle est autorisée, par la province ou la municipalité, à agir en tant que force de police provinciale ou municipale. Il en est ainsi parce que ces aspects du travail de la police relèvent du pouvoir législatif exclusif des provinces (Alliance de la fonction publique du Canada c Canada, 2005 CAF 5 au para 11 [Alliance de la fonction publique]). D’un point de vue opérationnel, il faut donc deux habilitations législatives ou réglementaires distinctes : une fédérale et une provinciale (Alliance de la fonction publique aux paras 11, 12 et 25; Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick Inc c Canada, 2008 CSC 15 au para 13 [Société des Acadiens]).

[49]  À l’inverse, lorsqu’un gouvernement provincial conclut une entente de service avec le gouvernement du Canda afin que la Gendarmerie royale du Canada assure la paix, l’ordre et la sécurité sur un territoire particulier, la Gendarmerie royale du Canada ne perd pas pour autant son caractère d’« institution fédérale » (Société des Acadiens au para 14; Doucet c Canada, 2004 CF 1444 au para 35). Bref, toutes les questions de discipline, d’organisation et de gestion de la Gendarmerie royale du Canada – même en rapport avec ses activités en tant que force de police provinciale – relèvent exclusivement du Parlement (Alliance de la fonction publique au para 26; O’Hara c Colombie-Britannique, [1987] 2 RCS 591 aux paras 16 et 17, 45 DLR (4e) 527; Procureur général de l’Alberta et autre c Putnam et autre, [1981] 2 RCS 267 aux pp 277-278, 123 DLR (3e) 257).

[50]  La démonstration est faite. La compétence constitutionnelle sur les corps de police n’est pas un exercice de pure rhétorique. Celle-ci ne peut reposer sur un quelconque sophisme constitutionnel. Il faut faire preuve de pragmatisme. Et c’est là qu’entre en jeu la nécessaire coopération entre les autorités fédérales et provinciales, laquelle permettra de mettre en place cette glie statutaire assurant la cohésion et le soutien de tous les neurones du système canadien de justice et d’exécution des lois fédérales et provinciales en matière administrative, pénale et criminelle.

VI.  Les services de police aux Premières Nations : un regard historique et contemporain

[51]  Nous en arrivons au cœur du sujet qui nous préoccupe aujourd’hui, soit la compétence constitutionnelle et statutaire touchant les services de police aux Premières Nations et, en particulier, ceux fournis dans les réserves par des conseils de bande et d’autres entités juridiques. Notre cadre d’analyse doit tenir compte de l’histoire et de la réalité d’aujourd’hui. De simples sujets de compétence fédérale, les Indiens sont eux-mêmes devenus des acteurs de gouvernance autochtone incontournables. Cela s’est traduit par une réévaluation progressive du cadre politique et réglementaire, fédéral et provincial, touchant les corps de police fédéraux, provinciaux et autochtones.

A.  Cadre d’analyse général : l’importance des faits législatifs

[52]  Les décisions dans les affaires constitutionnelles ne doivent pas être rendues dans un vide factuel (Northern Telecom aux pp 139-140; Mackay c Manitoba, [1989] 2 RCS 357 aux pp 361‑62, 61 DLR (4e) 385). Cela dit, il est nécessaire d’établir au départ une distinction entre les faits en litige et les faits législatifs (Danson c Ontario (Procureur général), [1990] 2 RCS 1086 à la page 1099, 73 DLR (4e) 686 [Danson avec renvois aux RCS]). D’une part, les faits en litige sont ceux qui concernent les parties au litige : ces faits sont précis et doivent être établis par des éléments de preuve recevables. D’un autre côté, les faits législatifs sont ceux qui établissent l’objet et l’historique de la loi, y compris son contexte social, économique et culturel : « ces faits sont de nature plus générale et les conditions de leur recevabilité sont moins sévères » (Danson à la p 1099).

[53]  Donc, il ne s’agit pas dans le présent dossier, sous le couvert d’un examen des « faits législatifs », de faire le procès des uns et des autres. Il faut plutôt essayer de comprendre d’où origine la notion « raciale » ou « ethnique » de « corps de police autochtone », qui trouve depuis 1995 une consécration explicite au Québec dans la Loi sur la police. Du reste, on peut dire que « [l]e terme de gouvernance – concept au reste très polysémique […] – appliqué aux collectivités autochtones renvoie à celui de self-governance ou auto-gouvernance, et donc au processus de décolonisation et à l’établissement de nouveaux rapports entre elles et l’État […] » (Laura Aubert et Mylène Jaccoud, « Politique sur la police des Premières Nations : une avancée en matière de gouvernance » (2012) 54 Can J Corr 265 à la p 267 [Aubert]).

[54]  C’est dans ce cadre d’analyse général que la Cour a été amenée à apprécier les représentations respectives des parties à la lumière des diverses législations et politiques pertinentes, incluant les raisons sociales, économiques ou culturelles pour lesquelles il existe aujourd’hui des corps de police autochtones, et bien entendu, tout en considérant le contenu des ententes tripartites ayant été produites au dossier et dont il sera plus amplement question au moment de l’application de critère fonctionnel.

B.  Un mot sur la période pré-confédérative

[55]  Avant de contact avec les Européens, il existait déjà des mécanismes de maintien de l’ordre au sein des communautés autochtones, et la tâche de maintenir l’ordre, qui serait aujourd’hui considérée comme le travail des policiers, était attribuée de façon plus ou moins formelle selon les nations autochtones (voir Nicholas A Jones et al, First Nations Policing: A Review of the Literature, Regina (SK), Collaborative Centre for Justice and Safety, 2014 à la p 21 [Jones]). Bien que les communautés autochtones n’avaient pas de systèmes d’exécution de loi – au sens européen de la chose – il n’en demeure pas moins que l’ordre social était réglementé par des normes coutumières, et les différends résolus de manière alternative (voir René Dussault et Georges Erasmus, Par-delà les divisions culturelles, Un rapport sur les autochtones et la justice pénale au Canada, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1996 aux pp 13-19 [rapport Dussault-Erasmus]; Jones aux pp 22-24). La justice prenait une forme indéniablement collective : par exemple, certains agents étaient désignés par la communauté pour prendre des décisions et imposer des sanctions (rapport Dussault-Erasmus à la p 14).

C.  Les autochtones : sujets du colonialisme confédératif

[56]  Comme le notait en 1996, la Commission royale sur les peuples autochtones dans son rapport concernant la reconnaissance et l’établissement de systèmes de justice autochtones, « [c]e sont les lois et l’administration de la justice qui, pour les autochtones, ont été les manipulations les plus répressives du colonialisme » (rapport Dussault-Erasmus à la p 64). D’ailleurs, on retrouvait encore dans les années 1970 dans la Loi sur les Indiens un régime statutaire d’infractions (voir les articles 94 à 100 de la Loi sur les Indiens depuis abrogés) qui ne peut s’expliquer que par la compétence exclusive du Parlement à l’égard des Indiens (lire la dissidence du juge Pigeon dans La Reine c Drybones (1969), [1970] RCS 282 aux pp 303‑304, 9 DLR (3e) 473; voir aussi Procureur général du Canada c Lavell (1973), [1974] RCS 1349 aux pp 1358-59, 1361-62 et 1367-70, 38 DLR (3e) 481; Procureur général du Canada c Canard (1975), [1976] 1 RCS 170 aux pp 187-88, 191-93 et 206-07, 52 DLR (3e) 548 [Canard avec renvois aux RCS]).

[57]  Un siècle plus tôt, selon la vision colonialiste et paternaliste des rapports prévalant à l’époque de la Confédération, c’est le surintendant général des Affaires des Sauvages – assisté par ses agents – qui assumait la gestion des réserves et des terres réservées pour les Indiens (voir l’Acte concernant les Sauvages, SRC 1886, c 43). Sa compétence incluait le respect de la paix, l’ordre et la sécurité publique – les chefs et conseils de bande n’ayant cependant que très peu de pouvoirs juridiques formels à ce chapitre. Du point de vue de l’exécution de la loi, l’article 104 de l’Acte concernant les Sauvages prévoyait que « [t]out constable pourra arrêter sans mandat tout sauvage ou non sauvage non compris dans les traités qu’il trouvera en état d’ivresse, et le conduire à une prison commune, maison de correction ou maison d’arrêt ou autre lieu de détention, pour qu’il y soit détenu jusqu’à ce qu’il soit sobre […] ». D’un autre côté, l’article 117 stipulait que « [t]out agent des sauvages sera juge de paix ex officio […] et sera revêtu de l’autorité de deux juges de paix », de sorte que l’agent des sauvages avait toute discrétion en vertu de l’article 104 ou l’article 105 de juger et d’imposer l’emprisonnement et le paiement d’amendes au sauvage ou non sauvage compris dans les traités trouvé coupable d’ivresse ou refusant de dire où il a eu la substance enivrante.

[58]  Il n’est pas utile de faire un historique de la Police à cheval du Nord-Ouest – devenue la Gendarmerie royale du Canada – sinon pour rappeler qu’elle était appelée à faire respecter non seulement l’ordre dans les réserves – bien que le maintien de l’ordre ait pu être assuré par les bandes elles-mêmes –, mais également des mesures tristement célèbres comme l’obligation de fréquentation scolaire des enfants Indiens, particulièrement dans les pensionnats autochtones; l’interdiction des pratiques spirituelles traditionnelles, devenues infractions à la Loi sur les Indiens (voir l’ancien article 114) et le système de laissez-passer qui imposait l’obtention d’un document pour que les résidents des réserves puissent en sortir librement (voir Jones aux pp 30‑34; voir aussi généralement Marcel-Eugène Lebeuf, Le rôle de la Gendarmerie royale du Canada sous le régime des pensionnats indiens, Ottawa, Gendarmerie Royale du Canada, 2011, en ligne : <http://publications.gc.ca/collections/collection_2011/grc-rcmp/PS64-71-2009-fra.pdf> [Lebeuf]). Ainsi, « la GRC exerçait un contrôle social sur de nombreuses activités relatives aux autochtones, plus particulièrement dans le Nord et dans l’Ouest canadien » même au-delà du régime des pensionnats autochtones (Lebeuf à la p 3).

[59]  Sauf exception – pensons aux territoires desservis par la Sureté du Québec et la Police Provinciale de l’Ontario – la Gendarmerie royale du Canada continue de fournir dans la plupart des provinces des services de police dans les réserves et hors réserves en vertu d’accords gouvernementaux, tandis qu’à l’exception du Québec et de l’Ontario, il y a encore très peu de corps de police autochtones. En effet, il semble qu’il y en ait un seul en Colombie-Britannique (le Stl’atl’imx (Stat-la-mic) Tribal Police Service); trois en Alberta (le Blood Tribe Police Service; le Lakeshore Regional Police Service; et le Tsuu T’ina Nation Police Service); un seul en Saskatchewan (le File Hills First Nations Police Service); et un seul au Manitoba (le Manitoba First Nations Police) (voir John Kiedrowski, Michael Petrunik et Rick Ruddell, Modèles du Programme des services de police des Premières nations — Études de cas représentatives, Ottawa, Sécurité Publique Canada – Division de la recherche, 2016 à la p 13 [Kiedrowski]; « First Nations Policing », Government of British Columbia, en ligne : <https://www2.gov.bc.ca/gov/content/justice/criminal-justice/policing-in-bc/the-structure-of-police-services-in-bc/first-nations> [Government of British Columbia]; First Nations Policing » (2018), Alberta Solicitor General, en ligne : <https://www.solgps.alberta.ca/programs_and_services/public_security/law_enforcement_oversiove/Pages/first_nations_policing.aspx> [Alberta Solicitor General]; « About us » (2018), Fill Hills First Nations Police Service, en ligne : <http://www.filehillspolice.ca/about.html> [Fill Hills]; « Dakota Ojibway Police Service » (2013), Manitoba First Nations Police, en ligne : <http://www.dops.org/Overview.html> [Manitoba First Nations Police]). Les autres communautés sont desservies par la GRC. En 2016, cette dernière fournissait des services policiers à plus de 600 collectivités autochtones au Canada (« La prestation de services aux peuples autochtones du Canada » (1 février 2016), Gendarmerie royale du Canada (page web), en ligne : < http://www.rcmp-grc.gc.ca/aboriginal-autochtone/index-fra.htm>).

D.  Accroissement de la présence autochtone en matière policière : arrivée de constables spéciaux autochtones et modernisation de la Loi sur les Indiens

[60]  Comme le rappelle la Commission royale sur les peuples autochtones, « [u]ne des façons de rapprocher le système judiciaire actuel des autochtones est d’amener ceux-ci à participer au processus judiciaire autrement qu’à titre d’accusés » (rapport Dussault-Erasmus à la p 103). Force est de constater que le cadre statutaire fédéral, bien que limité, comporte déjà des mécanismes d’exécution de la loi dans les réserves tombant dans le ressort exclusif du gouvernement fédéral et des conseils de bande. Rien n’empêche donc le gouvernement fédéral de désigner des juges de paix et des agents de la paix autochtones pour exercer les pouvoirs que l’on retrouve dans les dispositions de la Loi sur les Indiens. Le fait que la compétence prévue dans la Loi sur les Indiens soit ou non exercée par le gouvernement ne change pas la nature des pouvoirs qui sont accordés au Parlement par le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[61]  Ainsi, dans son expression moderne, l’article 107 de la Loi sur les Indiens permet au gouverneur en conseil de nommer des personnes qui seront chargées, pour son application, de remplir les fonctions de juge de paix et leur accorde la compétence de deux juges de paix à l’égard des infractions visées à cette loi, ainsi que de toute infraction aux dispositions du Code criminel sur la cruauté envers les animaux, les voies de fait simples, l’introduction par infraction et le vagabondage, lorsqu’elle commise par un Indien ou se rattache à la personne ou aux biens d’un Indien. D’ailleurs, l’article 103 de la Loi sur les Indiens permet à un agent de la paix, un surintendant ou une autre personne autorisée par le ministre, de procéder à une saisie de marchandises ou de biens meubles lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction à un règlement administratif pris par un conseil de bande en vertu des paragraphes 81(1) ou 85.1(1) ou aux articles 90 ou 93 de la loi a été commise.

[62]  Même si la Loi sur les Indiens ne prévoit pas explicitement la création de corps de police autochtones, il n’en demeure pas moins qu’en 1971, le gouvernement fédéral a décidé de permettre aux conseils de bande d’embaucher des « constables spéciaux ». Mais il n’était pas question que ceux-ci remplacent les agents de police fédéraux et provinciaux. Au demeurant, ces constables spéciaux n’avaient que très peu de formation. Ils ne jouissaient pas non plus de tous les pouvoirs de véritables « agents de la paix ». Ils ne pouvaient pas porter d’armes et leurs pouvoirs d’arrêter une personne en état d’infraction n’étaient pas tellement différents que ceux que possèdent les simples citoyens en vertu du Code criminel (voir Rick Linden, « Policing First Nations and Métis People: Progress and Prospects » (2005) 68 Sask L Rev 303 aux pp 303-304 [Linden] citant Rick Linden, Donald Clairmont et Chris Murphy, Aboriginal policing in Canada: a report to the Aboriginal Justice Implementation Commission, Winnipeg, Aboriginal Justice Implementation Commission à la p 19, en ligne : < http://www.ajic.mb.ca/policing.pdf>; Don Clairmont, Aboriginal policing in Canada: an overview of developments in First Nations, Halifax, Atlantic Institute of Criminology, Dalhousie University, septembre 2006 à la p 16, en ligne : <https://dalspace.library.dal.ca/bitstream/handle/10222/64600/Aboriginal_Policing_in_Canada_Overview_2006.pdf?sequence=1&isAllowed=y> [Clairmont]).

E.  La Politique sur la police des Premières Nations

[63]  En juin 1991, le gouvernement fédéral annonçait l’adoption d’une nouvelle Politique sur les services de police dans les réserves, les terres réservées aux Indiens qui ne sont pas des réserves au sens de la Loi sur les Indiens, ainsi que les terres habitées par des collectivités inuit : Politique sur la police des Première Nations. Son but est d’améliorer l’administration de la justice ainsi que le maintien de l’ordre social, la sécurité publique et la sécurité personnelle des collectivités en question (voir Aubert; Linden; Jones; Jim Harding, « Policing and Aboriginal Justice », (1991) 33 Canadian J Crim 363; Nicholas A Jones et al, First Nations Policing: A Review of the Literature, Regina (SK), Collaborative Centre for Justice and Safety, 2014; Conseil mohawk de Kanesatake/Mohawk Council of Kanesatake c Isaac, 2011 QCCA 977 au para 23 [Isaac]).

[64]  Il n’est pas contesté par le défendeur ou l’intervenante que la Politique sur la police des Premières Nations constitue un exercice valide de la compétence fédérale sur les Indiens en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 (voir notamment Isaac au para 23; Pitawanakwat c Service de police tribale de Wikwemikong, 2010 CF 917 au para 25 [Pitawanakwat]; Decorte aux paras 12-13]. Or, la Politique sur la police des Premières Nations est le résultat de consultations étendues auprès d’un vaste échantillon de collectivités des Premières Nations, un grand nombre de services de police des Premières Nations et toutes les administrations provinciales et territoriales. En particulier, la Politique constitue un moyen de mettre en pratique la politique fédérale concernant la mise en œuvre du droit inhérent des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale et à la négociation de cette autonomie (voir Politique sur la police des Premières Nations aux pp 1-2; voir aussi Aubert à la p 266). La politique est appliquée de façon uniforme dans tout le Canada au moyen d’ententes tripartites négociées entre le gouvernement fédéral, les provinces ou les territoires et les Premières Nations. On ne parle donc pas d’accords bilatéraux entre le Canada et une province.

[65]  En particulier, lorsqu’il s’agit d’une réserve, le conseil de bande – créature fédérale – peut être signataire d’une telle entente, justement à cause de la délégation en matière de maintien de l’ordre et de la paix résultant de la Loi sur les Indiens. Par contre, pour les territoires ancestraux et autres visés par les traités (ou faisant l’objet de revendications), il faut élargir le cadre : on parle possiblement de gouvernements autochtones déjà autonomes agissant non pas comme représentants d’une bande indienne reconnue en vertu de la Loi sur les Indiens, mais au nom d’un peuple autochtone reconnus comme Première Nation (voir notamment Pamela D Palmater, Beyond Blood: Rethinking Indigenous Identity, Saskatoon, Purich Publishing Limited, 2011 aux pp 30, 67, 129-130, etc – la distinction entre le droit des peuples autochtones à l’autodétermination, et leur organisation en bandes est au cœur de cet ouvrage; Shin Imai, « Indigenous Self-Determination and the State » dans Benjamin J Richardson, Shin Imai et Kent McNeil, Indigenous Peoples and the Law, Oxford, Hart Publishings, 2009, 285 aux pp 294-296).

F.  Les services de police aux Premières Nations : la réalité d’aujourd’hui

[66]  Dans la réalité d’aujourd’hui, les services policiers aux Premières Nations impliquent, en pratique, une variété de formules et d’entités différentes – tant sur le plan de leur fonctionnement que celui de leur réglementation. Ces services policiers peuvent être fournis par des corps de police autochtones relevant directement de l’autorité des conseils de bande (le présent dossier); des petites entités distinctes (e.g. File Hills First Nations Police Services); des commissions interrégionales de police autonomes gérant un vaste territoire provincial (e.g. Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski; corps de police du gouvernement de la nation crie); des corps provinciaux (e.g. Sureté du Québec et Police Provinciale de l’Ontario), des municipalités (e.g. Aboriginal Peacekeeping Unit à Toronto et Diversity and Aboriginal Policing Section à Vancouver); et dans la majorité des provinces et territoires, des policiers de la Gendarmerie royale du Canada.

[67]  Outre le Québec et l’Ontario dont les régimes spécifiques seront examinés en détail ci-après, seules la Nouvelle-Écosse et le Manitoba ont adopté des dispositions législatives particulières visant la police autochtone. En Nouvelle-Écosse, la Police Act, RSNS 1989, c 348 a été amendée en 1992 pour ajouter l’article 42D qui prévoit que le « Solicitor General » peut nommer des agents de police autochtones affectés à un territoire particulier (paragraphe 42D(1)). La loi prévoit que ces agents auront tous les pouvoirs d’agents de la paix (paragraphe 42D(2)). Si la nomination vise le territoire d’une réserve, elle requiert l’approbation du conseil de bande (paragraphe 42D(3)). Il en sera de même pour démettre de ses fonctions un policier affecté à une réserve (paragraphe 42D(4)). Ce régime se retrouve à l’article 87 de la nouvelle loi de police, la Police Act, SNS 2004, c 31, en vigueur depuis 2004.

[68]  Au Manitoba, c’est seulement en 2009 qu’a été adoptée la nouvelle Loi sur les services de police, CPLM c P94.5 dont le paragraphe 45(1) permet au gouvernement provincial, au gouvernement du Canada et à une ou plusieurs Premières nations, ou une entité représentant un groupe de Premières nations, de conclure un accord en vue d’établir un service de police chargé de fournir des services de maintien de l'ordre à une collectivité de Premières nations ou à un groupe de collectivités de Premières nations (paragraphe 45(1) – entré en vigueur en 2012). La compétence du service est toutefois limitée aux endroits visés par l’accord (article 46). La loi définit d’ailleurs une Première nation comme une bande au sens de la Loi sur les Indiens (paragraphe 1(1)).

[69]  En Colombie-Britannique, en Alberta et en Saskatchewan, les services policiers sont généralement fournis à la population en vertu de dispositions conférant de vastes pouvoirs discrétionnaires au ministre ou au lieutenant-gouverneur de créer un service de police sur un territoire désigné (voir par ex l’article 5 de la Police Act, RSA 2000 c P-17 ou l’article 4.1 de la Police Act, RSBC 1996 c 367.

[70]  En 2016, il existait vingt-et-un corps de police autochtones autogérés au Québec, onze en Ontario, un au Manitoba, un en Saskatchewan, trois en Alberta et un en Colombie-Britannique (voir Kiedrowski à la p 13).

G.  La perspective ontarienne

[71]  Puisqu’il était question dans l’arrêt Commission des services policiers de la compétence à l’égard de policiers à l’emploi d’une commission interrégionale de police reconnue en vertu de la loi ontarienne, il apparaît nécessaire de s’attarder sur ce dernier régime.

[72]  En 1989, la première « Ontario First Nations Policing Agreement » a été conclue entre le gouvernement de l’Ontario, le gouvernement du Canada, et cinq Premières Nations (Ontario First Nations Policing Agreement, 2 mars 1989; voir aussi Clairmont à la p 7). Cette entente prévoyait, entre autres, qu’un conseil de bande pouvait par résolution informer le Commissaire de la Police Provinciale de l’Ontario de son désir de participer à une entente relative à des services de police autochtones (article 2). Le Commissaire pouvait alors nommer des agents des Premières Nations avec l’accord des conseils de bande ou d’une nouvelle autorité policière créée en vertu de l’entente (articles 3 et 4). L’entente prévoyait également que les agents des Premières Nations ainsi nommés auraient les pouvoirs de constables spéciaux, en vertu de la loi de police ontarienne en vigueur à l’époque (paragraphe 1(c)).

[73]  En 1990, avec la nouvelle Loi sur les services policiers, le gouvernement ontarien est venu enchâsser dans la loi le régime naissant des agents des Premières Nations déjà entamé avec l’entente de 1989. Les agents autochtones y ont désormais les pleins pouvoirs d’agents de police, et non plus seulement ceux de constables spéciaux. Ainsi, le paragraphe 54(1) permet au commissaire de la Police Provinciale de nommer des agents des Premières Nations pour exercer des fonctions précises. La nomination de l’agent lui confère les pouvoirs d’un agent de police pour les fins de l’exercice de ces dites fonctions (paragraphe 54(3)). L’agent peut, mais n’est pas nécessairement affecté à une réserve (paragraphe 54(2)). Dans un tel cas, la nomination exigera l’approbation de l’organe responsable de la police sur la réserve ou du conseil de bande (paragraphe 54(2)). De même, alors que la loi confère le pouvoir de suspension et de congédiement de l’agent au commissaire et à la Commission (paragraphes 54(5) et (6)), l’organe responsable de la police ou le conseil de bande doivent d’abord être consultés si les fonctions de l’agent visent une réserve (paragraphe 54(4)). Ces dispositions sont toujours en vigueur aujourd’hui.

[74]  En 1992, le gouvernement de l’Ontario a signé avec le gouvernement fédéral, et d’autres Premières Nations une nouvelle entente sur les services policiers des Premières Nations de l’Ontario (voir Commission des services policiers au para 14; aussi Clairmont à la p 8). Celle-ci élargit notamment les différentes structures possibles en matière de prestation des services policiers : les Premières Nations peuvent conclure une entente avec des services policiers municipaux ou régionaux ou avec la Police Provinciale de l’Ontario pour assurer le travail de police, établir leurs propres services de police, ou créer un service de police régional contrôlé par une autorité policière des Premières Nations desservant un groupe de territoires des Premières Nations (voir Commission des services policiers au para 14; Clairmont à la p 8).

H.  La perspective québécoise

[75]  Au Québec, la Loi de police sanctionnée en 1968 a d’abord prévu la possibilité pour un juge de nommer des constables spéciaux pour une période désignée, et dont le rôle est de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité sur un territoire désigné, y prévenir le crime et en rechercher les auteurs (voir les articles 64 et suivants de la loi de 1968). Ces constables spéciaux ne peuvent exercer les pouvoirs d’agents de la paix, que sous réserve des restrictions indiquées dans l’écrit constatant leur nomination. Ce régime est demeuré essentiellement le même depuis lors, à l’exception qu’aujourd’hui, les constables spéciaux sont nommés par et relèvent de l’autorité du ministre de la Sécurité Publique, plutôt que du procureur général et d’un juge (voir les articles 105 et 111 de la Loi sur la police actuelle). Ainsi, c’est en vertu de ce régime, qu’ont été nommé les premiers constables spéciaux autochtones au Québec.

[76]  En 1979, le Québec a modifié la Loi de police pour mettre en œuvre les Conventions de la Baie James et du Nord-Est Québécois afin de permettre aux municipalités de village cris et la municipalité du village naskapi de créer et d’établir leurs propres corps de police pour les territoires sur lesquels elles ont compétence (voir l’article 52 de la Loi de police tel qu’amendé en 1979). Ces corps devaient cependant être formés de constables spéciaux (voir l’article 63a)). Les municipalités pouvaient, par règlement soumis à l’approbation du procureur général, déterminer les qualités requises pour devenir membre de son corps de police (voir l’article 63b)). L’article 63b) permettait également aux municipalités de conclure des ententes en matière de police, soit avec le procureur général pour que la Sûreté du Québec fournisse la totalité ou une partie des services policiers, ou bien avec l’Administration régionale crie, l’Administration régionale de Kativik ou une bande au sens de la Loi concernant les villages cris. Pour ce qui est du lien d’emploi, l’article 62 (adopté en 1968) vient également préciser que les policiers municipaux sont réputés être employés du procureur général quand ils agissent en qualité d’agents de la paix autrement que dans l’exécution de ses fonctions pour le compte de la municipalité qui l’emploie ce qui semble indiquer que chaque municipalité est « l’employeur » des policiers.

[77]  Soulignons au passage que dans la nouvelle Loi sur la police sanctionnée en 2000, les agents des corps policiers des villages cris et du village naskapi se sont vus attribuer le véritable statut de « policier » au sens de la Loi (voir l’article 94), avec des pouvoirs d’agents de la paix, plutôt que le statut restreint de constables spéciaux. De plus, en 2008, la Loi sur la police a été amendée afin d’assurer la mise en place et le maintien d’un corps de police régional pour desservir les communautés cries (article 102.1). Si elle décide d’exercer ce pouvoir, l’administration régionale crie est alors assimilée à une municipalité pour les fins d’application de la loi (article 102.1). Les anciens corps policiers des villages cris sont alors fusionnés dans ce corps régional (article 102.2). L’administration régionale crie a alors le pouvoir d’embauche et discipline sur les membres de son corps de police (article 102.3), mais les conditions d’embauche sont déterminées par une entente avec le gouvernement provincial (article 102.4). La section prévoit également les modalités de coopération entre le corps de police régional et la Sûreté du Québec (articles 102.7, 102.9). Par ces amendements, le législateur vise à donner effet à la « Paix des Braves », entente entre le gouvernement du Québec et la nation crie témoignant d’une volonté de transiger de « nation à nation » (voir Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 38e lég, 1re session, vol 40 no 55 (3 juin 2008) (Benoît Pelletier)). À partir de 2013, on parle dorénavant du gouvernement de la nation crie, suite à l’adoption de la Loi instituant le Gouvernement régional d’Eeyou Istchee Baie-James et apportant certaines modifications législatives concernant le Gouvernement de la nation crie, dont l’objectif était encore une fois de « d’harmoniser les relations entre le gouvernement, les Jamésiens et les Cris au sujet de la gouvernance du territoire de la municipalité de Baie-James » (voir Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 40e lég, 1re session, vol 43 no 57 (28 mai 2013) (Gaétan Lelièvre)).

[78]  Mais revenons à la reconnaissance législative des corps de police autochtones qui sont créés à la suite d’ententes avec des conseils de bande ou les représentants de Premières Nations.

[79]  En 1985, l’Assemblée nationale du Québec avait déjà adopté une résolution portant sur la reconnaissance des droits des autochtones (Québec, Assemblée nationale du Québec, Résolution de l’Assemblée nationale du Québec du 20 mars 1985 sur la reconnaissance des droits des Autochtones (20 mars 1985) (René Lévesque), en ligne : <https://www.sqrc.gouv.qc.ca/relations-canadiennes/positions-historiques/motions/1985-05-30.pdf> [Résolution de 1985]; voir aussi le préambule de la Loi sur l'exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec, RLRQ c E-20.2 qui réitère cette reconnaissance). Celle-ci reconnaissait que Premières Nations ont le droit, dans le cadre des lois Québec, de se gouverner sur les terres qui leur sont attribuées. Ainsi, les Premières Nations ont le droit d’avoir et de contrôler, dans le cadre d’ententes avec le gouvernement, des institutions qui correspondent à leurs besoins dans les domaines de la culture, de la langue, de la santé, des services sociaux et du développement économique. Cela a amené le gouvernement du Québec à négocier et à conclure plusieurs ententes avec les Premières Nations dans différents secteurs d’activité, notamment celui de la sécurité publique et plus spécifiquement dans le domaine des services policiers (voir généralement la Résolution de 1985, mais aussi les quinze principes constituant le fondement de l’action gouvernementale à l’égard des Autochtones, adoptés par le Conseil des ministres du Québec le 9 février 1983: Québec, Secrétariat aux affaires autochtones, « Mission et orientations du Secrétariat » en ligne : <www.autochtones.gouv.qc.ca/secretariat/mission_secretariat.htm>).

[80]  En 1990, la crise d’Oka opposant les Mohawks des réserves de Kanesatake et Kahnawake aux gouvernements provincial et fédéral a mis en lumière la fracture de la relation entre autochtones, non-autochtones et gouvernements, et ce à une époque d’instabilité constitutionnelle. Débutant par des revendications territoriales locales suite au projet de la municipalité d’Oka d’agrandir un golf et construire des condominiums sur des terres ancestrales Mohawks, le conflit a vite pris des proportions violentes avec manifestations et constructions de barrages. Cela a mené à l’intervention de la Sûreté du Québec, appelée en renfort par le maire d’Oka, puis de l’armée canadienne (voir John Borrows, Freedom and Indigenous Constitutionalism, Toronto, University of Toronto Press, 2016 aux pp 75-77 [Borrows]; Pierre Trudel, « La crise d’Oka de 1990 : Retour sur les évènements du 11 juillet » (2009) 39 :1-2 Recherches Amérindiennes au Québec 129). Culminant par la mort du caporal Lemay de la Sûreté du Québec, ce conflit a entrainé la mobilisation des communautés autochtones à travers le pays, autour de cette idée que celles-ci se voyaient encore une fois dépourvues de terres qu’elles percevaient comme les leur (voir généralement Borrows). Malgré des négociations qui ont suivi, de nombreux aspects du conflit n’ont jamais vraiment été réglés (voir Borrows à la p 77). Cependant, la crise d’Oka a permis d’ouvrir un débat à l’échelle canadienne autour de la relation entre gouvernements et Premières Nations. Elle a d’ailleurs joué un rôle capital dans l’établissement de la Commission royale sur les peuples autochtones en août 1991 (voir Commission royale sur les peuples autochtones, À l'aube d'un rapprochement : Points saillants du Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1996; voir aussi Borrows à la p 77). À la même époque, le gouvernement fédéral annonçait l’adoption de la Politique sur la police des Premières Nations prévoyant la constitution de corps de police autochtones suite à la signature d’ententes tripartites.

[81]  En 1995, le Québec a modifié la Loi sur la police, pour y ajouter une nouvelle section où il est prévu que le gouvernement du Québec peut conclure avec une communauté autochtone une entente visant à établir ou maintenir un corps de police dans un territoire déterminé dans l’entente. C’était le vœu du gouvernement du Québec, que « [l]es modifications apportée à la Loi sur la police faciliteront l’application des ententes négociées en donnant tous les outils nécessaire aux policiers autochtones chargés de faire respecter les lois et les règlements applicables sur leur territoire » (Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 35e lég, 1re session, no 19 (27 janvier 1995) aux pp 1252-1257 (Serge Ménard) [Journal des débats, 27 janvier 1995]).

[82]  Ainsi, comme le rappelait le ministre de la Justice de l’époque, M. Serge Ménard : « Chaque entente conclue en vertu de cette loi sera un pas dans la bonne direction en vue de mettre un terme à la confusion entourant le statut du policier autochtone qui agit à titre de constable spécial. Cette appellation présente fréquemment une connotation péjorative tant dans l’esprit des populations autochtones que des non autochtones transigeant avec ces constables. Ainsi, le policier autochtone possédera un statut d’agent de la paix équivalent à tout autre policier œuvrant au Québec » (Journal des débats, 27 janvier 1995).

[83]  Les dispositions pertinentes de cette loi se lisent comme suit :

90. Le gouvernement peut conclure, avec une ou plusieurs communautés autochtones, chacune étant représentée par son conseil de bande respectif, une entente visant à établir ou à maintenir un corps de police dans un territoire déterminé dans l’entente.

Le corps de police ainsi établi ou maintenu est, pendant la durée de l’entente, un corps de police aux fins de la présente loi.

91. L’entente doit prévoir des dispositions relatives au lien d’emploi et à la prestation de serments des policiers, à l’indépendance de la direction du corps de police, à la responsabilité civile, à la discipline interne et à la reddition de comptes.

Elle peut aussi prévoir des dispositions relatives, notamment, aux matières suivantes :

1°les normes d’embauche des policiers;

2°la désignation des membres du Comité de déontologie policière chargé d’entendre une demande de révision ou une citation relative à la conduite d’un policier suivant la présente loi.

Les dispositions relatives aux normes d’embauche des policiers peuvent être différentes des normes prévues par la présente loi ou par les règlements du gouvernement pris pour son application et prévalent sur celles-ci en cas de conflit.

Le Comité de déontologie policière est lié par les dispositions de l’entente relatives à la désignation des membres du Comité.

92. Le ministre dépose toute entente à l’Assemblée nationale dans les 15 jours de la date de sa signature si elle est en session, sinon, dans les 15 jours de la reprise des travaux.

93. Un corps de police autochtone et chacun de ses membres sont chargés de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique dans le territoire pour lequel il est établi, de prévenir et réprimer le crime ainsi que les infractions aux lois et aux règlements applicables sur ce territoire et d’en rechercher les auteurs.

[Je souligne]

[84]  Il faut rappeler que l’un des objectifs poursuivis par la Politique sur la police des Première Nations est de s’assurer qu’à l’échelle nationale, les membres d’un corps de police autochtone aient reçu une formation adéquate, en plus de rencontrer les exigences que l’on retrouve dans la province ou le territoire visé par une entente tripartite. Puisque le Parlement n’a pas compétence en matière d’éducation, la Loi sur la police permet donc de régler le problème de formation et de qualification des membres d’un corps de police autochtone. Ainsi, un candidat désirant joindre les rangs d’un corps de police autochtone au Québec doit être citoyen canadien, être de bonnes mœurs, ne pas avoir été reconnu coupable d’acte criminel et être diplômé de l’École nationale de police du Québec ou satisfaire aux normes d’équivalence (article 115 de la Loi sur la police).

[85]  D’autre part, les dispositions de l’entente relatives aux normes d’embauche des policiers membres d’un corps de police autochtone peuvent être différentes des normes prévues par la Loi sur la police (ou par les règlements du gouvernement du Québec pris pour son application) et prévalent sur celles-ci en cas de conflit (article 91 de la Loi sur la police). Retenons également ceci : bien que l’article 90 de la Loi sur la police envisage la conclusion d’une entente bilatérale entre le gouvernement du Québec et le conseil de bande qui représente la communauté autochtone, on parle bel et bien ici dans le présent dossier d’ententes trilatérales impliquant également le gouvernement du Canada. D’ailleurs, les ententes négociées ne se limitent pas seulement aux sujets mentionnés à l’article 91 de la Loi sur la police. Cela dit, s’agissant du financement, selon les ententes tripartites produites au dossier de la Cour, les contributions annuelles du Canada et du Québec sont établies selon le ratio suivant : 52% pour le Canada et 48% pour la province, ce qui est conforme à la formule générale établie dans la Politique sur la police des Première Nations.

VII.  Genèse du présent conflit

[86]  Pour mieux comprendre le présent conflit, qui résulte essentiellement d’une mésentente administrative concernant la portée juridique de l’arrêt rendu en 2015 par la Cour d’appel fédérale dans Commission des services policiers, examinons le comportement antérieur du Bureau. On peut parler de trois périodes charnières, ou mieux, trois actes d’une pièce non encore achevée.

Premier acte : Le Régime est fédéral

[87]  En 1981, le surintendant n’a trouvé aucun motif pour décliner compétence et refuser d’enregistrer le Régime. Ce résultat est conforme à une jurisprudence constante à travers le pays voulant que les salariés – incluant les constables spéciaux et policiers – à l’emploi d’un conseil de bande soient régis par la réglementation fédérale en matière de travail (voir Alliance de la fonction publique du Canada c Francis et autres, [1982] 2 RCS 72, 139 DLR (3e) 9 [Francis CSC], renversant Francis v Canada (Labour Relations Board) (1980), [1981] 1 CF 225, 1980 CarswellNat 96F (CAF) [Francis CAF avec renvois à Carswell], mais uniquement sur la question de l’employeur – le raisonnement sur la compétence vaut toujours; Whitebear Band Council v Carpenters Provincial Council of Saskatchewan, 132 DLR (3e) 128, [1982] 3 WWR 554 (CA Sask) [Whitebear]; R c Paul Band, 1983 ABCA 308 [Paul Band]; Mohawks of the (Bay of Quinte) Tyendinaga Mohawk Territory, [2001] 1 CNLR 176, 2000 CCRI 64 (CanLII); Pitawanakwat). D’ailleurs, cette réalité a fait loi entre les parties depuis une quarantaine d’années.

Deuxième acte : Le Régime est encore fédéral

[88]  En 2011, le Bureau a informé les Premières Nations répondant d’un régime de retraite agréé en vertu de la LNPP qu’il procéderait à une révision administrative de l’applicabilité de la réglementation fédérale à la suite des deux arrêts rendus simultanément par la Cour suprême du Canada dans NIL/TU,O et Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c Native Child and Family Services of Toronto, 2010 CSC 46 [Native Child].

[89]  Le plus haut tribunal avait décidé quelques mois plus tôt que les deux entités en cause, ainsi que leurs salariés, étaient régis par les lois provinciales en matière de travail, plutôt que par le Code canadien du travail, et cela, après avoir appliqué aux faits sous étude le critère fonctionnel. C’est que la mission d’une agence d’aide à l’enfance réglementée par la province – consistant à offrir aux clients et communautés autochtones des services efficaces et adaptés à leur culture – ne change rien au fait que la fonction essentielle de cette entité distincte est, par nature, une activité provinciale.

[90]  Cohérence administrative oblige, suite aux arrêts rendus NIL/TU,O et Native Child, le Bureau a procédé effectivement à la révision de 665 régimes de retraite des Premières Nations, en fonction de la définition d’« emploi inclus » de la LNPP. Environ 25% de ces régimes seront transférés à différentes juridictions provinciales; la majorité visant des emplois de services d’éducation, de santé et enfance-famille. En date d’octobre 2017, le BSIF supervisait encore environ 520 régimes de pension de Premières Nations.

[91]  Mais les régimes de pension établis par les conseils de bande qui procurent directement des services aux communautés autochtones ne seront pas transférés. L’explication est simple : les deux entités constituées pour offrir des services dans NIL/TU,O et Native Child étaient des employeurs distincts. Or, cette différence structurelle fondamentale est bien notée par le Bureau qui, dans le communiqué du 11 juillet 2011, se veut rassurant :

[…] [la Cour suprême] a statué que la compétence de laquelle relève une entité constituée pour offrir des services aux Premières Nations est fonction de la nature de ses activités […]

Ainsi, l’employeur dont les activités se limitent à des domaines tels que les soins de santé et l’éducation sera assujetti aux lois provinciales en matière de relations de travail et d’administration des régimes de retraite. Par contre, l’employeur qui exerce des activités de compétence exclusivement fédérale, tel que l’administration d’un conseil de bande des Premières Nations, sera quant à lui assujetti aux lois [fédérales] [sic] en matière de relations de travail et d’administration des régimes de retraite.

[Je souligne.]

[92]  De fait, deux ans plus tard, soit le 25 février 2013, le Bureau avise le demandeur que l’agrément du Régime ne sera pas changé, à moins que le demandeur ne fournisse, avant le 30 avril 2013, d’autres renseignements qui pourraient modifier cette évaluation. Le 19 mars 2013, le demandeur confirmera le bien-fondé de l’évaluation du Bureau. Qu’on en juge, mais cette évaluation administrative peut s’appuyer non seulement sur le courant jurisprudentiel antérieur (1980-2010), mais également sur la jurisprudence suivante post NIL/TU,O et Native Child : Canada (Procureur Général) c Nation Munsee-Delaware, 2015 CF 366 [Nation Munsee-Delaware]; Première nation de Berens River c Gibson-Peron, 2015 CF 614 [Berens River]; Cahoose v Ulkatcho Indian Band and another, 2016 BCHRT 114; Syndicat international des travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 864 c Waycobah First Nation, 2015 CCRI 792; Association des employés du Nord québécois (CSQ) c Conseil de la Nation Innu Matimekush-Lac John, 2016 CCRI 843 confirmé par le jugement de la Cour d’appel fédérale dans Conseil de la Nation Innu Matimekush-Lac John c Association des employés du nord québécois (CSQ), 2017 CAF 212 [Lac John].

Troisième acte : Le Régime n’est plus fédéral

[93]  Le 25 avril 2016, le Bureau change de cap : il avise le demandeur qu’il croit que le Régime pourrait être assujetti à la législation provinciale, car, le 2 octobre 2015, dans l’affaire Commission des services policiers, la Cour d’appel fédérale « a renversé » la décision de la Cour suprême dans les affaires NIL/TU,O et Native Child, ledit jugement étant devenu final le 7 avril 2016. Le Bureau demande donc au demandeur Picard de lui fournir de l’information contraire à cette nouvelle évaluation administrative, sans quoi le Régime sera transféré à Retraite Québec.

[94]  En mai 2016, le demandeur Picard fournit au Bureau une opinion juridique des procureurs au présent dossier selon laquelle les relations de travail des policiers embauchés et rémunérés directement par les conseils de bande relèvent de la compétence fédérale. Essentiellement, les services de police en question sont indissociables des activités de gouvernance des conseils de bande et découlent de leur responsabilité en vertu de la Loi sur les Indiens de veiller à la paix, l’ordre et à la sécurité publique dans les réserves indiennes. On fait également référence aux différences essentielles entre les corps policiers autochtones du Québec et la Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski. Cette dernière est notamment une entité juridique distincte et indépendante desservant plusieurs bandes indiennes, ainsi que de larges territoires hors réserve où les services de police sont fournis à des populations autochtones et non-autochtones de l’Ontario.

[95]  En juin 2016, le demandeur fournit également au Bureau trois ententes types relatives aux services de police autochtones conclues entre le gouvernement du Québec, le gouvernement du Canada et les communautés de Wendake, Masteuiatsh et Opitciwan. Or, contrairement à la Nation Nishnawbe-Aski, qui a pris la décision de confier la gestion des services policiers à une Commission de services policiers, les conseils de bande parties à ces ententes tripartites sont les employeurs des policiers et sont responsables de la gestion administrative, de l’organisation, de l’embauche et de la sélection des policiers.

[96]  Le 21 juillet 2016, le Bureau rend la décision contestée. Disant se fonder sur le « critère fonctionnel », qui a été appliqué par la Cour suprême du Canada dans NIL/TU,O, ainsi que par la Cour d’appel fédérale dans Commission des services policiers, le Bureau s’appuie sur le raisonnement suivant pour conclure que le Régime est dorénavant soumis à la réglementation provinciale et non à la réglementation fédérale ne matière de travail :

Comme vous le savez […], la Cour fédérale a appliqué le critère fonctionnel […]; il permet d’examiner la nature, le fonctionnement et les activités habituelles de l’entité afin de déterminer le code du travail qui régi[sic] son emploi. Bien que la structure organisationnelle de l’entité ne soit pas à négliger lors de cet examen, il faut mettre l’accent sur la nature des activités qu’elle effectue.

En règle générale, l’emploi des conseils de bande est régi par le Code canadien du travail en raison de la nature administrative de ses fonctions. Cependant, dans certaines circonstances, il n’est pas impossible que certains groupes d’employés sous la responsabilité d’un conseil de bande soient assujettis à un code du travail provincial lorsque l’emploi qu’ils effectuent est de juridiction provinciale.

L’information que vous nous avez transmise indique clairement que les conseils de bande sont les employeurs des services de police qui desservent leur territoire respectif. Cependant et tel que spécifié en page 6 de l’opinion juridique que vous nous avez soumise « lorsqu’un employeur est un conseil de bande, il faut analyser les activités en cause afin de voir si elles font partie des activités intrinsèques des responsabilités de la bande à titre de prestataire de programmes et de services à ses membres. » Dans le cas du Régime, il importe donc d’examiner le fonctionnement et la nature des activités des services de police qui participent au Régime séparément des activités caractéristiques des conseils de bande. Bien que les activités administratives des conseils de bande soient régies par le Code canadien du travail, la nature essentielle et la fonction des opérations des services de police est un domaine qui relève de la sphère provinciale.

Le pouvoir attribué aux agents de police dans l’exercice de leurs fonctions et celui conféré aux conseils de bande pour l’administration des services policiers découlent de la Loi sur la police, loi qui est provinciale. Les activités qui sont déléguées aux conseils de bande sont d’ailleurs détaillées dans les ententes. Ces ententes stipulent également qu’elles doivent être régies et interprétées conformément aux lois et aux règlements en vigueur au Québec. De plus, si ces ententes n’existaient pas, les services policiers dans ces territoires seraient desservis par la Sûreté du Québec, qui, conformément à l’article 50 de la Loi sur la police a le pouvoir de faire appliquer la loi dans toute la province du Québec.

Dans le cas du Régime, il nous apparait d’autant plus évident que les activités des services de police sont distinctes de celles des conseils de bande par le fait que les ententes stipulent que les corps policiers doivent agir de manière indépendante des conseils de bande […]

[Je souligne.]

[97]  C’est donc devenu la nouvelle réalité : le Régime ne peut plus être agréé en vertu de la LNPP. Par conséquent, le Régime sera transféré à Retraite Québec « au courant des prochaines semaines », d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

VIII.  Intérêt juridique des demandeurs et raisons pratiques d’une déclaration

[98]  Dans le présent dossier, M. Sylvain Picard, agit en qualité d’administrateur du Régime, tandis que RBA, Groupe financier, s’occupe de sa gestion quotidienne. L’intérêt juridique des demandeurs, qui défendent notamment les intérêts des conseils de bande, à titre de membres-employeurs du Régime, n’est pas contesté.

[99]  Le 15 septembre 2016, parallèlement à l’institution des présentes procédures en contrôle judiciaire, le demandeur Picard a formulé, en vertu de l’article 32 de la LNPP, un avis d’opposition auprès du surintendant. Rappelons que cette disposition renvoie au paragraphe 10(34) et à l’article 11.1 de la LNPP, lesquels autorisent le surintendant d’envoyer un avis de non-conformité à l’administrateur du régime, voire de révoquer l’agrément du régime et annuler le certificat correspondant si l’administrateur ne s’est pas conformé à l’avis de non-conformité.

[100]  Le 5 octobre 2016, le Bureau a confirmé au demandeur Picard que « notre lettre du 21 juillet dernier vous avisant du transfert du Régime n’implique ni le paragraphe 10(4), ni l’article 11.1 de la LNPP », de sorte qu’aucune suite ne sera donnée par le surintendant à l’avis d’opposition du demandeur. Le Régime est donc conforme à la réglementation fédérale. Le problème, c’est que celle-ci ne s’appliquerait plus au Régime à cause de la nouvelle réalité décrite dans la décision contestée. Cela dit, le Bureau est disposé à continuer d’assurer la surveillance du Régime jusqu’à l’obtention d’un jugement final de la Cour.

[101]  Certes, un transfert à Retraite Québec n’invalidera pas le Régime – il s’agit d’un contrat ni plus ni moins – et n’entraînera pas automatiquement sa liquidation. Mais il reste que l’assujettissement postérieur du Régime à la réglementation provinciale implique des règles différentes pouvant possiblement influer sur des caractéristiques fondamentales du Régime – notamment le cadre du financement, le droit à l’autorisation de mesures réductrices, la désignation de l’administrateur, etc (voir Natalie Bussière, « Les régimes de retraite : où en sommes-nous et qu’est-ce l’avenir nous réserve? dans Développements en droit du travail 2004, volume 205, Cowansville, Yvon Blais, 2004 à la p 83).

[102]  Les demandeurs et les conseils de bande intéressés craignent donc le pire, d’où leur désir que la Cour déclare que la LNPP s’applique au Régime, plutôt que de simplement annuler la décision contestée. Au passage, selon les informations fournies par le défendeur, cinq autres régimes de retraite similaires au Régime sont présentement agréés en vertu de la LNPP (un en Saskatchewan, trois en Ontario, et un en Colombie-Britannique). Leur transfert ou non aux autorités provinciales demeure cependant inconnu des parties. Cet état de fait ne peut que contribuer à alimenter l’incertitude entourant le statut juridique des régimes de retraite des corps de police autochtones au Canada.

IX.  Norme de contrôle et pouvoir déclaratoire de la Cour fédérale

[103]  La décision contestée est révisable en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Le Bureau s’étant prononcé sur une question d’applicabilité constitutionnelle, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux paras 58-59; Commission des services policiers au para 6).

[104]  D’autre part, la Cour fédérale a pleins pouvoirs, comme Cour supérieure statutaire créée en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, pour trancher la question d’applicabilité constitutionnelle et rendre un jugement déclaratoire (Bilodeau-Massé c Canada (Procureur général), 2017 CF 604 au para 38). Une clarification du droit applicable – aux corps de police autochtones dont les salariés sont à l’emploi des conseils de bande – de la Cour est souhaitable en l’espèce (voir Osborne v. Canada (Treasury Board) [1991] 2 SCR 69; Schachter v Canada [1992] 2 SCR 679; Corbiere v Canada [1999] 2 SCR 20; Canada (Procureur général) c Law Society of British Columbia, [1982] 2 RCS 307.

[105]  Il y a lieu d’intervenir en l’espèce.

X.  Retour sur les arguments constitutionnels et statutaires des parties

[106]  À ce point, un retour sur les arguments constitutionnels et statutaires des parties s’avère nécessaire avant d’exposer les motifs particuliers pour lesquels il y a lieu de casser la décision contestée et de déclarer que la réglementation fédérale s’applique au Régime.

A.  Position des demandeurs

[107]  En bref, les demandeurs soumettent que les salariés participants du Régime occupent un emploi dans le cadre d’une entreprise fédérale. La volonté commune des gouvernements provincial et fédéral, et des conseils de bande, de conclure des ententes tripartites sous l’égide de la Politique sur la police les Premières Nations, a pour effet de permettre aux conseils de bande d’exercer les pouvoirs de gouvernance qui leur sont conférés en matière de police par l’article 81 de la Loi sur les Indiens, dont celui de veiller à l’observation de la loi et au maintien de l’ordre sur le territoire d’une réserve.

[108]  En l’espèce, le Bureau s’est trompé sur la portée des arrêts NIL/TU,O et Commission des services policiers : les corps de police autochtones sont créés par la volonté des trois parties – conseil de bande, gouvernement du Canada et gouvernement du Québec – et non exclusivement par la Loi sur la police. Aussi, bien que l’article 90 de la Loi sur la police habilite le gouvernement du Québec à conclure de telles ententes, les demandeurs font valoir que dans les faits, les participants du Régime sont des salariés de chaque conseil de bande. Le fait que les salariés aient des pouvoirs d’« agent de la paix » en vertu de la Loi sur la police ne change pas la nature véritable des activités fédérales de leur employeur.

[109]  Puisque la fourniture aux collectivités autochtones vivant sur les réserves et les terres réservées aux Indiens, est une activité de gouvernance de chaque conseil de bande, on n’a pas affaire à une quelconque activité commerciale ou autre pouvant relever de la compétence provinciale suivant l’application du critère fonctionnel. C’est le Code canadien du travail qui régit exclusivement les relations de travail de l’employeur et des salariés. La LNPP s’applique donc au Régime. Il n’est pas nécessaire de se rendre à la deuxième étape du critère fonctionnel, soit l’examen des effets de la législation provinciale en matière de travail sur l’indianité.

B.  Position du défendeur

[110]  Tout en reconnaissant que les salariés à l’emploi d’un conseil de bande sont normalement régis par le Code canadien du travail, le défendeur soumet que les participants du Régime travaillent néanmoins dans un service distinct et divisible des autres activités du conseil de bande. Ils doivent donc être assujettis à la réglementation provinciale en application du critère fonctionnel.

[111]  Le défendeur considère que la gouvernance autochtone se limite à l’administration des affaires de la bande, tandis que l’article 81 de la Loi sur les Indiens ne permet pas à un conseil de bande de faire respecter le Code criminel et les lois provinciales sur le territoire d’une réserve. Or, l’administration de la justice relève exclusivement de la province. Ici, le pouvoir d’« agent de la paix » des membres d’un corps de police autochtone découle des articles 49 et 93 de la Loi sur la police du Québec. De surcroît, les policiers autochtones jouissent d’une indépendance professionnelle lorsqu’ils exercent des fonctions d’agent de la paix, et ce, même si c’est le conseil de bande qui les embauche, les rémunère, décide de leurs conditions de travail (salaire, horaires de travail, vacances, etc) et peut les congédier.

[112]  Le défendeur soumet donc que le Bureau n’a commis aucune erreur révisable en se fondant sur la conclusion de l’arrêt Commission des services policiers. Même si la Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski constituait une entité interrégionale indépendante des conseils de bande et ayant une juridiction territoriale hors réserve, il reste que la réglementation des corps policiers municipaux et provinciaux relève exclusivement de la compétence des provinces.

[113]  Au niveau de l’indianité, les policiers appartenant aux corps de police autochtones exercent au quotidien un travail qui ne diffère en rien de celui des autres policiers provinciaux. Le fait que la conclusion d’ententes tripartites soit envisagée par la Politique sur la police des Premières Nations n’est pas déterminant. En étant l’une des parties aux ententes tripartites déposées au dossier, le gouvernement fédéral ne fait qu’utiliser son pouvoir de dépenser afin de favoriser la création de services de police locaux ou régionaux culturellement adaptés à la réalité autochtone.

C.  Position de l’intervenante

[114]  L’intervenante, la Procureure générale du Québec s’en remet aux prétentions du défendeur.

XI.  Motifs particuliers d’intervention

[115]  Il n’est pas nécessaire de reprendre l’ensemble du raisonnement constitutionnel exposé à la Section V – L’environnement constitutionnel canadien, et qui est à la base de la conclusion générale de la Cour : la reconnaissance dans une loi provinciale de corps de police autochtones n’est pas en soi déterminant, d’un point de vue constitutionnel, pour conclure que les relations de travail des constables spéciaux et les policiers directement à l’emploi d’un conseil de bande relèvent de la compétence provinciale ou fédérale. Il s’agit maintenant, à la lumière des faits particuliers du dossier, d’identifier les erreurs révisables commises en l’espèce par le Bureau. Ce faisant, nous examinerons également certains aspects pertinents esquivés par le Bureau, ainsi que la jurisprudence applicable en l’espèce.

A.  Erreurs révisables du Bureau

[116]  Au-delà des changements apportés par les législatures provinciales à leurs lois de police (voir la Section VI – Les services de police aux Premières Nations : un regard historique et contemporain), d’un point de vue pragmatique, force est de constater que selon une jurisprudence constante et majoritaire, la réglementation des relations de travail des constables spéciaux et des policiers a de tout temps été déterminée par le caractère, fédéral ou provincial, voire municipal, des activités de l’employeur en cause, et non par la description des tâches des policiers, ou le fait qu’ils pouvaient agir comme agents de la paix en vertu d’une loi provinciale, ce qui inclut les constables spéciaux et les policiers à l’emploi des conseils de bande (voir la Section VII – Genèse du présent conflit).

[117]  Il est également vrai que la décision rendue en 2015 par la Cour d’appel fédérale dans Commission des services policiers, semble rompre, du moins en apparence, avec ce courant jurisprudentiel majoritaire. Mais à y regarder de plus près, la Cour d’appel fédérale avait devant elle une entité juridique autonome et indépendante de tout conseil de bande, ce qui explique le résultat similaire avec celui de l’affaire NIL/TU,O dans le cas des services à l’enfance fournis aux collectivités autochtones par une entité provinciale. Mentionnons également que dans Lac John, qui est postérieur à l’arrêt Commission des services policiers, la Cour d’appel fédérale revient elle-même sur cette distinction importante. Nous reviendrons plus loin sur ces derniers jugements (Section XI – C. Application limitée du jugement dans Commission des services policiers).

[118]  Dans la décision contestée, le Bureau présume erronément que les activités policières dans une réserve sont et demeurent de juridiction provinciale à cause de la nature du travail d’un policier. Mais, faut-il le rappeler, la compétence sur les relations de travail est une compétence accessoire. Il ne faut pas regarder le travail mais l’entreprise. Il ne viendrait à l’idée de personne que parce qu’un individu est un ingénieur, arpenteur, notaire ou avocat reconnu par la loi provinciale, il faille conclure que les relations de travail avec son employeur seront réglementées par la loi provinciale. Il s’agit de se demander si cette personne occupe effectivement un emploi dans le cadre d’une entreprise, provinciale ou fédérale. C’est bien le cas dans le présent dossier, puisque les employeurs des salariés participants du Régime sont les conseils de bande eux-mêmes et non quelque entité provinciale indépendante et autonome. Les prérequis essentiels à l’application de la réglementation fédérale sont tous remplis en vertu du paragraphe 4(2) de la LNPP et selon le cadre d’analyse dicté par la loi et la jurisprudence.

[119]  Nous ne reviendrons pas sur la compétence limitée du surintendant (voir la Section III). En l’espèce, une analyse correcte de l’ensemble des faits pertinents, selon le critère fonctionnel, révèle que, dans leur nature essentielle, les services policiers rendus par des constables spéciaux ou des policiers membres d’un corps de police autochtone, qui sont directement à l’emploi des conseils de bande membres du Régime, sont intimement liés et sont indivisibles des activités de gouvernance de chaque conseil de bande partie aux ententes tripartites produites au dossier de la Cour. Vu le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, le maintien de l’ordre et de la sécurité publique dans les réserves indiennes pouvait être vu par les rédacteurs de la Constitution comme un « accessoire indissociable » de la compétence législative sur les Indiens et les terres aux Indiens (Four B).

[120]  En vertu des ententes conclues, le conseil de bande demeure, en tout temps, imputable des obligations et des responsabilités lui incombant de fournir à la collectivité un service de police de qualité. Le Bureau a donc erré en considérant que le service de police fourni aux communautés se trouvant sur les réserves et les autres terres réservées aux Indiens était divisible des autres activités de gouvernance du conseil de bande. En l’espèce, le fait pour chaque conseil de bande de contrôler l’embauche et les conditions de travail des salariés participants du Régime constitue un élément déterminant de l’exercice de la compétence qui lui est dévolue par la loi et les ententes. Et, au risque de me répéter, le fait qu’un membre d’un corps de police autochtone ait le statut d’« agent de la paix » en vertu de la Loi sur la police n’affecte pas son lien d’emploi avec le conseil de bande et ne change pas le caractère fédéral des activités de gouvernance du conseil de bande.

B.  Recours à la théorie du double aspect : au-delà des simplifications du Bureau

[121]  Tout n’est pas tout blanc ou tout noir en matière de services de police aux Premières Nations comme nous l’avons vu précédemment (voir la Section VI – Les Services de police aux Premières Nations : un regard historique et contemporain). La situation est bien plus complexe sur le plan constitutionnel que semble le laisser entendre le Bureau dans la décision contestée (voir notamment la Section V – C. Réglementation statutaire des pouvoirs de police des agents de la paix : un exercice de délégation partagé entre le fédéral et les provinces). Sans se tromper, on peut affirmer que les pouvoirs de « police » ne découlent pas d’un chef de compétence unique. Tout dépend du contexte et de la nature des pouvoirs dont est investi chaque ordre de gouvernement concerné. Le Bureau a donc erré en affirmant, sans aucune nuance, que « la nature essentielle et la fonction des opérations des services de police est un domaine qui relève de la sphère provinciale ».

[122]  « Il est bien établi que la compétence en matière de travail relève du pouvoir législatif sur l’exploitation et non sur la personne de l’employeur » (Conseil canadien des relations du travail c Yellowknife, [1977] 2 RCS 729 à la p 736, 76 DLR (3e) 85). Néanmoins, lorsque l’employeur est la Couronne fédérale, celle-ci ne saurait être soumise aux lois provinciales portant sur les relations de travail et ce, indépendamment de la nature du travail effectué par les salariés (voir Reference in re Legislative Jurisdiction over Hours of Labour, [1925] SCR 505 aux pp 510 et 512, [1925] 3 DLR 1114; l’Affaire des débardeurs aux pp 542, 545, 555, 564, 574-575 et 592; Commission du salaire minimum à la p 772; Procureur général du Canada c St-Hubert Base Teachers’ Association, [1983] 1 RCS 498 aux pp 504‑507, 1 DLR (4e) 105).

[123]  Ici, la Loi sur la police autorise le gouvernement du Québec à conclure une entente avec un conseil de bande visant à créer un corps de police autochtone. Une fois créé, ce dernier est assimilable pour les fins de la Loi sur la police à un autre corps de police provincial ou municipal de la province. Mais la Loi sur la police n’est pas une loi en matière de travail, ni une loi qui réglemente la gouvernance des conseils de bande. Sans parler ici d’immunité, la nature quasi-gouvernementale du service de police local offert par le conseil de bande devrait suffire à écarter l’application des lois provinciales en matière de travail et de pension, compte tenu du fait qu’en concluant une entente de financement avec les gouvernements du Canada et d’une province, le conseil de bande ne perd pas son statut d’organisme fédéral exerçant un pouvoir de gouvernance délégué par le Parlement.

[124]  Les articles 81 et 83 de la Loi sur les Indiens accordent déjà aux conseils de bande de larges pouvoirs réglementaires, lesquels incluant, nous l’avons vu plus haut, l’observation de la loi et le maintien de l’ordre (alinéa 81(1)c)). Or, aux termes de l’article 88 de la Loi sur les Indiens, le Parlement s’est assuré que les lois provinciales d’ordre général seront applicables aux Indiens, sauf dans la mesure où ces lois sont incompatibles avec cette dernière loi ou la Loi sur la gestion financière des premières nations, LC 2005, c 9, ou quelque arrêté, ordonnance, règle, règlement ou texte législatif d’une bande pris sous leur régime, et sauf dans la mesure où ces lois provinciales contiennent des dispositions sur toute question prévue par la Loi sur les Indiens ou la Loi sur la gestion financière des premières nations ou sous leur régime. En particulier, les lois provinciales d’application générale s’appliquent dans les réserves et des terres réservées aux Indiens tant qu’elles relèvent d’un sujet de compétence prévu à l’article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. En ce sens, il n’y pas d’« enclaves » (Cardinal c Alberta (1973), [1974] RCS 695, 40 DLR (3e) 553).

[125]  Ainsi, le Bureau a erré en concluant que « si [les] ententes [tripartites] n’existaient pas, les services policiers dans ces territoires seraient desservis par la Sûreté du Québec, qui, conformément à l’article 50 de la Loi sur la police a le pouvoir de faire appliquer la loi dans toute la province du Québec ». Nous ne reprendrons pas ici l’analyse que l’on retrouve à la Section V – C. Règlementation des pouvoirs des agents de la paix : un exercice constitutionnel partagé.

C.  Portée du jugement dans Commission des services policiers

[126]  Le Bureau s’est trompé quant à la portée juridique qu’il confère dans le cas de l’agrément du Régime au jugement rendu en 2015 dans Commission des services policiers. La Cour d’appel fédérale n’a d’aucune façon « renversé » l’arrêt NIL/TU,O, rendu quelques années plus tôt par la Cour suprême du Canada. On a simplement appliqué le critère fonctionnel à une situation de fait unique en l’espèce et propre à l’Ontario.

[127]  Il faut se souvenir que ce sont les bandes indiennes elles-mêmes qui choisissent un modèle approprié de fourniture des services sociaux offerts par la province qui peuvent convenir aux besoins spécifiques de leurs communautés (voir Maggie Wente, « Case comment: NIL/TU,O Child and Family Services Society v BC Government and Service Employees' Union and Communication Energy and Paperworkers of Canada v Native Child and Family Services of Toronto » (2011) 10 Indigenous LJ 133 à la p 135 [Wente]; voir également Sebastien Grammond, « Federal Legislation on Indigenous Child Welfare in Canada » (2018) 28 J L & Soc Pol’y 132 [Grammond 2018]). Ainsi, certaines communautés choisissent d’offrir des services par le biais de sociétés incorporées et d’autres directement par le conseil de bande (voir Grammond  2018 aux pp 142-144). Ces différences structurelles limitent, dans les faits, la portée de la décision de la Cour suprême dans NIL/TU,O lorsque les services sont directement fournis par un conseil de bande (voir Wente à la p 135).

[128]  Au demeurant, dans Commission des services policiers, la Commission provinciale recrutait les salariés indépendamment des communautés autochtones. La Nishnawbe-Aski Nation, qui est une organisation politique représentant les membres de plusieurs Premières Nations, est directement partie à plusieurs traités visant le Nord de l’Ontario et la région de la baie James. La région desservie par la Commission provinciale englobait environ les deux tiers du territoire de l’Ontario, dépassant largement le territoire des réserves ou des terres réservées aux Indiens. La Commission provinciale s’est trouvée à prendre de relais de la Police Provinciale de l’Ontario dont plusieurs employés ont été mutés chez elle.

[129]  Dans Lac John, lequel a été rendu après Commission des services policiers, la Cour d’appel fédérale distingue ce dernier arrêt et note aux paragraphes 37-39 :

[37] Dans la Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2015 CAF 211, [2016] 2 R.C.F. 351, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 36742 (7 avril 2016), [Nishnawbe-Aski], notre Cour a renversé la décision du Conseil qui s’estimait compétent pour entendre les demandes d’accréditations des employés des services policiers de Nishnawbe-Aski.

[38] Dans cet arrêt, notre Cour a déterminé que les services policiers de Nishnawbe-Aski n’assumaient aucune partie des fonctions policières d’un organisme fédéral ou d’un service policier fédéral (au paragraphe 17). Les candidats étaient recrutés indépendamment des Premières Nations de Nishnawbe-Aski (ibidem au paragraphe 23). À titre d’employés de ces services policiers, les agents des Premières Nations desservaient autant les citoyens que les non-citoyens des Premières Nations vivant dans les régions touchées par une entente opérationnelle intervenue entre celles-ci et la Police provinciale de l’Ontario (PPO) (ibidem au paragraphe 26). Les services policiers constituaient une entité distincte. Enfin, les agents des services policiers de Nishnawbe-Aski relevaient en dernier ressort du commissaire de la PPO et de la Commission civile de l’Ontario sur la police — tous deux ayant le pouvoir de les suspendre ou les congédier en vertu des paragraphes 54(5) et 54(6) de la Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, c. P.15 (ibidem au paragraphe 27).

[39] Dans notre cas, le demandeur est l’employeur des enseignants et détient le pouvoir de les engager et de les congédier.

[130]  En bref, le Bureau a erré en fait et en droit en décidant que les participants du Régime travaillent dans le cadre d’une entreprise provinciale et en décrétant que le Régime sera transféré à Retraite Québec.

D.  L’analyse fonctionnelle : un exercice incompris ou inachevé par le Bureau

[131]  La compétence sur les relations de travail est accessoire à un ou plusieurs clefs de compétence en vertu des articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Nous avons déjà traité de la question et du recours au critère fonctionnel dans la Section V – B des présents motifs. Or, un service de police offert à une collectivité vivant sur une réserve ou sur des terres réservées aux Indiens est par nature un service public, d’ordre gouvernemental. Qui plus est, lorsqu’une bande indienne fournit lui-même à la communauté vivant sur une réserve un service public, il s’agit d’une activité de gouvernance qui relève de la compétence fédérale (Francis CAF; Paul Band; Whitebear; Nation Munsee-Delaware; Berens River; Lac John).

[132]  En l’espèce, parce que les employeurs des salariés participants du Régime sont des entités fédérales – des conseils de bande –, on parle ici de « compétence directe » (comme dans l’arrêt Francis CAF et CSC). On ne saurait séparer artificiellement ce service des autres services fournis à la population par un conseil de bande. C’est ce qu’a fait ici le Bureau. Or, selon les ententes tripartites, les salariés du corps de police ainsi maintenu et constitué ne sont pas des préposés du gouvernement du Québec et du Canada. Ils agissent exclusivement sous la direction de chaque conseil de bande, qui est légalement responsable des actions ou des omissions des membres du corps de police autochtone. Il n’y a pas lieu non plus d’interpréter restrictivement l’article 81 de la Loi sur les Indiens comme le suggère de défendeur.

[133]  De plus, il n’y a aucune comparaison possible entre les situations décrites par la Cour suprême dans les arrêts Northern Telecom, Four B et NIL/TU,O et la présente affaire. En effet, les corps de police autochtones ne sont pas des entités distinctes sur le plan juridique ou fonctionnel des conseils de bande, comme pouvaient l’être les sociétés de débardage qui chargeaient et déchargeaient les marchandises des navires pour le compte des entreprises maritimes; la société Northern Telecom dont certains employés installaient des appareils de télécommunication dans le cadre de la mise en service par Bell Canada de son système de télécommunication; ou encore la société Four B Manufacturing qui était une entreprise commerciale n’ayant aucun lien avec le conseil de bande de la réserve.

[134]  Selon une preuve non contredite, chaque conseil de bande membres du Régime est exclusivement responsable de la gestion administrative du corps de police établi en vertu de l’entente et pourvoit à son organisation, tant sur le plan des effectifs policiers, que celui du personnel de soutien, des installations policières, du matériel et des équipements. Dans les faits, c’est le conseil de bande qui, pratiquement parlant, s’occupe de l’embauche et de la sélection des agents de police, incluant le directeur de police. D’autre part, c’est le conseil de bande qui gère les budgets et les achats de son corps de police. Celui-ci peut établir des politiques et procédures internes propres à la gestion administrative de son service de police. Néanmoins, pour assurer l’indépendance du corps de police, il est important que le conseil de bande ne puisse s’ingérer dans une enquête policière entreprise par les salariés à son service. Bien que le conseil de bande ne puisse dicter à un policier qu’il emploie la conduite professionnelle qu’il doit adopter dans un dossier particulier, il n’en demeure pas moins qu’il existe un lien de subordination entre le policier et le conseil de bande. En conséquence, comme salarié, le policier doit fournir sa prestation de travail conformément aux règles administratives établies par l’employeur (horaires, heures de travail, congés, etc). Aussi, en tant qu’employeur, chaque conseil de bande possède le pouvoir de discipliner, voire de mettre fin à l’emploi du directeur de police et de discipliner un policier insubordonné, qui ne se présente pas au travail, qui commet un acte répréhensible, etc. Il s’agit d’éléments factuels déterminants dans le présent dossier.

[135]  Lorsque que le conseil de bande décide de participer à la création d’un service de police autochtone dont il assumera la gestion quotidienne, à titre d’autorité publique, sa situation n’est pas différente de celle de toute municipalité ayant mais sur pied un service public similaire. Le fait de fournir au corps de police tout ce qui est normalement requis pour assurer l’efficacité administrative du service de police relève exclusivement du domaine opérationnel et de la gouvernance du conseil de bande. Toute omission à ce chapitre peut constituer de la négligence et entraîner sa responsabilité extracontractuelle (voir Laurentide Motels Ltd c Beauport (Ville), [1989] 1 RCS 705, 94 NR 1). D’autre part, comme employeur, le conseil de bande est également responsable de toute faute commise par l’un de ses préposés dans l’exercice de ses fonctions, ce qui inclut tout membre d’un corps de police autochtone. Le fait que ce dernier agisse comme agent de la paix en vertu de la Loi sur la police n’engage pas la responsabilité du gouvernement du Québec. À ce chapitre, les ententes tripartites prévoient expressément que le conseil de bande doit souscrire à une assurance responsabilité.

[136]  Ultimement, la décision de signer une entente avec les gouvernements compétents pour la création d’un corps de police autochtone sur la réserve revient exclusivement au conseil de bande (voir Pitawanakwat au para 30). Si l’article 50 de la Loi sur la police autorise le ministre de la Sécurité publique du Québec à signer une telle entente, il n’oblige par le gouvernement du Canada, ni le conseil de bande, ni une Première Nation à créer ou maintenir un corps de police autochtone. Un conseil de bande peut très bien laisser à la Sureté du Québec ou à un corps de police municipal le soin d’appliquer la loi sur son territoire.

[137]  De plus, selon la jurisprudence, toute décision d’un conseil de bande de mettre fin ou de congédier un membre d’un corps de police autochtone – qui agit alors comme office fédéral – est révisable par la Cour fédérale (Pitawanakwat aux paras 24‑33; Ross c Mohawk Council of Kanesatake, 2003 CFPI 531 aux paras 66-69; Coalition To Save Northern Flood v Canada, 102 Man R (2e) 223, [1995] 9 WWR 457 (CA Man); Gabriel c Canatonquin, [1980] 2 CF 792, [1981] 4 CNLR 61 (CAF)). Une plainte de congédiement injuste en vertu du Code canadien du travail peut également être portée contre le conseil de bande (voir par ex Delisle c Mohawks de Kanesatake, 2007 CF 35), tandis qu’un recours en dommages intérêts peut aussi être institué contre le conseil de bande devant un tribunal provincial (Isaac).

[138]  Pour résumer, si l’analyse fonctionnelle est demeurée un exercice incompris ou inachevé dans le présent dossier, cela tient au fait que le Bureau a notamment omis de considérer le caractère vital et essentiel des activités de gouvernance d’un conseil de bande. Par nature, le mot « police » vise « l’ensemble des mesures ayant pour but de garantir l’ordre public » et nous vient du latin politeia signifiant administration d’une ville (« police » Larousse, en ligne : <http://larousse.fr/dictionnaires/francais/police/62149?q=police#61449>). Ainsi, les « pouvoirs de police » sont intrinsèquement liés à la gouvernance : toute entité gouvernante a nécessairement les pouvoirs d’assurer la paix, l’ordre et la sécurité publique sur son territoire. Il va également de soi que tout ordre de gouvernement, souverain et autonome, possède le pouvoir d’établir une entité « policière » chargé de voir à l’application ou l’exécution de toute loi ou règlement relevant de sa compétence législative ou réglementaire (dans le cas où celui-ci exerce une compétence déléguée par le Parlement ou la législature d’une province).

E.  L’arrêt Francis et la jurisprudence appliquant Francis permettent de trancher la question d’applicabilité constitutionnelle

[139]  En 1982, la Cour suprême a statué dans l’affaire Francis CSC que le Code canadien de travail s’appliquait au conseil de la bande de Saint-Regis – ce dernier devant être considéré comme un « employeur » – et à ses employés. La Cour d’appel fédérale avait déjà conclu dans le même dossier que les relations de travail en question relevaient de la compétence législative fédérale (Francis CAF).

[140]  S’agissant de la question d’applicabilité constitutionnelle, le juge Heald de la Cour d’appel fédérale note aux paragraphes 17 à 20, après avoir cité les propos du juge Beetz dans l’arrêt Four B :

[17] Il ressort des motifs précités du juge Beetz que la "compétence fédérale exclusive" en matière de relations de travail vise principalement "les relations de travail relatives aux entreprises, services et affaires qui, compte tenu du critère fonctionnel de la nature de leur exploitation et de leur activité normale, peuvent être qualifiés d'entreprises, de services ou d'affaires de compétence fédérale ...". Il est donc nécessaire, d'après moi, aux fins de l'application du critère fonctionnel adopté par le juge Beetz, de déterminer la nature du travail exécuté par l'unité d'employés en question. L'annexe C des motifs de la décision du Conseil intimé mentionné ci-dessus semble être un organigramme qui est instructif quant à la nature du travail exécuté par l'unité d'employés en question. L'annexe D, une liste des employés, semble confirmer les renseignements que l'on trouve dans l'annexe C. D'après ces éléments de preuve, il est clair que les employés s'occupent d'administration en matière d'éducation, de l'administration de terres et de patrimoines d'Indiens, de l'administration du bien-être, de l'administration en matière d'habitation, d'administration scolaire, de travaux publics, de l'administration d'un foyer pour personnes âgées, de l'entretien des routes, de l'entretien d'écoles, de l'entretien du système d'approvisionnement en eau et du système sanitaire, de l'enlèvement des ordures ménagères, etc. Ainsi les chauffeurs d'autobus, les éboueurs, les enseignants, les menuisiers, les sténographes, les préposés à l'habitation, les concierges et les équipes d'entretien des routes composent, entre autres, l'unité des employés en cause. J'estime qu'on peut définir les fonctions de cette unité, en termes généraux, comme se rapportant presque exclusivement à l'administration de la bande d'Indiens de Saint-Regis et dire que toutes ces fonctions sont de nature gouvernementale et relèvent de la Loi sur les Indiens. Il est également instructif de parcourir les diverses dispositions de la Loi sur les Indiens pour déterminer dans quelle mesure une bande d'Indiens et son conseil participent à l'administration des affaires d'une bande d'Indiens à laquelle, comme en l'espèce, s'applique la Loi sur les Indiens. […]

[18] Les articles 81 à 86 inclusivement prévoient les pouvoirs du conseil de bande. L'article 81 autorise le conseil de bande à établir des statuts administratifs dans un grand nombre de domaines: la santé des habitants de la réserve; la réglementation de la circulation; l'observation de la loi et le maintien de l'ordre; l'établissement de fourrières; l'établissement et l'entretien de cours d'eau, routes, ponts, fossés, clôtures et autres ouvrages locaux; la réglementation des catégories d'entreprises permises; la réglementation de la construction; la répartition des terres de la réserve entre les membres de la bande; l'enrayement des herbes nuisibles; l'établissement et la réglementation de services d'eau; la réglementation et le contrôle de sports, courses, concours athlétiques et autres amusements; la réglementation des marchands ambulants et colporteurs, etc.

[19] L'examen des statuts administratifs de la bande de Saint-Regis déposés en preuve démontre que cette bande a effectivement établi un certain nombre de statuts administratifs en vertu de l'article 81 précité. […]

[20] D'après les pouvoirs que confère à la bande et à son conseil la Loi sur les Indiens, tel que nous venons de le voir, et d'après la preuve qui a été faite de l'exercice de ces pouvoirs par la bande et son conseil, je suis convaincu que l'unité d'employés en question participe directement à des activités étroitement reliées au statut d'Indien. À la page 1048 de ses motifs dans l'arrêt Four B précité, le juge Beetz donne des exemples des catégories de droits qui devraient être considérés comme des accessoires indissociables du statut d'Indien. Il mentionne la possibilité d'être enregistré, la qualité de membre d'une bande, le droit de participer à l'élection des chefs et des conseils de bande et les privilèges relatifs à la réserve. À mon avis, ces exemples se rapportent directement à l'administration de la bande, compte tenu des pouvoirs conférés à la bande et au conseil en vertu de la Loi et, d'après moi, relèvent de la même catégorie que les pouvoirs exercés par la présente bande et son conseil comme nous l'avons vu plus haut. Toutefois, sur le plan des faits, l'arrêt Four B (précité) est tout à fait différent de la présente affaire. Dans l'arrêt Four B, quatre Indiens de la réserve exploitaient une entreprise commerciale dans une réserve indienne. Le statut et les droits de l'unité d'employés en tant qu'Indiens et en tant que membres de la bande n'étaient aucunement touchés. En l'espèce, il est impossible de dissocier les employés de l'unité en cause du droit d'élire les conseils et les chefs, du droit de posséder des terres dans les réserves, du droit pour les Indiens de la réserve à ce que leurs enfants soient instruits dans des écoles se trouvant dans la réserve, du droit au bien-être lorsque les circonstances le justifient, du droit d'habiter dans un foyer pour personnes âgées, pourvu de remplir les conditions requises, etc. Dans son ensemble, l'administration de la bande se rapporte continuellement au statut et aux droits et privilèges des Indiens de la bande. Je suis donc fermement convaincu que les relations de travail en l'espèce font "partie intégrante de la compétence fédérale principale sur les Indiens ou les terres réservées aux Indiens" [Cette citation est prise à la page 1048 des motifs du jugement du juge Beetz dans l'arrêt Four B (précité)], établissant ainsi la compétence législative fédérale en vertu des dispositions du paragraphe 91(24) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.‑U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, no. 5].

[Je souligne.]

[141]  Le raisonnement constitutionnel et la conclusion de la Cour d’appel fédérale sur ce point n’ont pas été véritablement attaqués en Cour suprême. Mais voilà, selon la Cour d’appel fédérale le conseil de bande n’avait pas la qualité « d’employeur » au sens du Code canadien du travail (le juge Le Dain étant dissident sur ce point). Restait à décider si les fins du Code canadien du travail, le CCRT pouvait conclure que le conseil de bande est un « employeur ». La Cour suprême a répondu affirmativement et a cassé pour ce motif le jugement de la Cour d’appel fédérale.

[142]  Bien au fait du critère fonctionnel et des arrêts Construction Montcalm, Four B et Francis CAF, tant la Cour d’appel de la Saskatchewan et la Cour d’appel d’Alberta ont tour à tour confirmé l’applicabilité constitutionnelle de la réglementation fédérale aux salariés d’un conseil de bande (Whitebear et Paul Band). Bien que les constables spéciaux dans Paul Band aient été autorisés en vertu de l’article 38 de la Police Act, 1973, SA c 44, de l’Alberta à appliquer certaines lois provinciales d’application générale (e.g. Motor Vehicle Administration Act; Highway Traffic Act; Liquor Control Act; Motor Transport Act; Off-highway Vehicle Act; Litter Act), en plus de faire respecter la paix et l’ordre dans la réserve, cela ne changeait pas la nature fondamentale et indivisible des activités de gouvernance exercées par le conseil de bande en vertu de l’article 81 de la Loi sur les Indiens : celles-ci demeuraient fédérales.

[143]  L’arrêt Francis CAF est toujours valide et n’a pas été renversé par NIL/TU,O ou Commission des services policiers, et ce, justement parce qu’il n’y était pas question de salariés à l’emploi direct d’un conseil de bande (voir Nation Munsee au para 45). Dans Nation Munsee, la Cour a déterminé que les fonctions de comptable étaient intimement liées à l’administration de la bande et donc entraient dans le champ de compétence fédérale sur les Indiens. La Cour y rappelle au paragraphe 42 que le conseil de bande « exerce ses fonctions de gouvernance en recrutant des employés des services administratifs » (voir aussi Berens River au para 66).

[144]  De la même façon, dans Berens River, le fait que la bande n’ait pas eu recours à un règlement administratif n’a pas été jugé déterminant (voir Berens River au para 95). Dans cette dernière affaire, notre Cour devait réviser la décision d’un arbitre nommé en vertu du Code canadien du travail qui a refusé d’exercer sa compétence à l’égard d’une plainte de congédiement injuste d’une infirmière, alléguant que ses relations de travail étaient régies par la province. La salariée travaillait comme infirmière dans un poste infirmier de la Première Nation de Berens River. Elle était employée par le Conseil de bande. La Cour a refusé d’examiner la nature du poste infirmier comme une entité distincte, et a plutôt affirmé qu’il fallait établir si le poste de soins infirmiers faisait partie des activités de la bande qui concernaient les Indiens et les terres qui leur étaient réservées (au para 70). Selon la Cour, exploiter un poste de soins infirmiers était intimement lié à l’administration des affaires de la bande, puisque cela relevait de l’exercice de son pouvoir d’assurer la santé des habitants de la réserve, en vertu de la Loi sur les indiens (au para 79). Pour ces motifs, la Cour conclut que l’arbitre avait compétence pour trancher la plainte.

[145]  Les décisions rendues dans Berens River et Nation Munsee-Delaware ont été récemment approuvées par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Lac John (voir paras 43-45). La Cour d’appel fédérale a décidé que le Conseil canadien des relations industrielles [CCRI] avait la compétence constitutionnelle requise pour accréditer l’Association des employés du nord québécois (CSQ) comme agent négociateur d’une unité de négociation composée du personnel enseignant d’une école située sur le territoire d’une réserve autochtone, soit le territoire de la Nation Innu Matimekush-Lac John. En effet, le conseil de bande de la Nation Innu Matimekush-Lac John était l’employeur des enseignants visés par la demande d’accréditation (paras 23 et 39). Il détenait le pouvoir d’embaucher et de congédier (paras 23 et 39). En confirmant la conclusion du CCRI, la Cour d’appel fédérale accepte que « les services d’éducation fournis par l’employeur sur le territoire de la réserve et les fonctions exercées par ce dernier en ce domaine, y compris son pouvoir décisionnel sur cette activité, constituent une activité de gouvernance, et cette activité relève de la compétence fédérale » (Lac John au para 11). L’établissement d’une école sur une réserve découle donc de la compétence fédérale sur les Indiens (para 49).

[146]  Le Bureau a donc commis une double erreur de qualification. Premièrement, plutôt que d’identifier la nature essentielle des activités d’un conseil de bande – qui sont des activités de gouvernance semblables à un gouvernement local –, le Bureau a traité le service de police autochtone comme s’il était fonctionnellement divisible des autres services fournis à la population par le conseil de bande. Deuxièmement, contrairement à ce que prescrit le critère fonctionnel, le Bureau n’a pas correctement identifié l’entreprise fédérale en cause et a incorrectement confondu dans la décision contestée « [l]e pouvoir attribué aux agents de police dans l’exercice de leurs fonctions » avec « [le pouvoir] conféré aux conseils de bande pour l’administration des services policiers », ce qui l’a amené à conclure erronément que « [les deux pouvoirs en question] découlent de la Loi sur la police, loi qui est provinciale ».

XII.  Remarques subsidiaires sur l’Indianité

[147]  Subsidiairement, s’il faut pousser l’analyse au-delà du critère fonctionnel, la réponse de la Cour demeure toujours la même. Que l’on envisage la gouvernance d’un corps de police autochtone sous l’angle du droit des Premières Nations à l’autonomie gouvernementale – en particulier dans le domaine de l’administration de la justice, ou sous celui d’une délégation statutaire ou contractuelle de pouvoir aux conseils de bande, le résultat est le même. L’indianité, ou si l’on préfère la quiddité indienne, est engagée. D’un point de vue constitutionnel, à cause du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et de la prépondérance des lois fédérales, la réglementation fédérale en matière de travail et de régimes de pension doit donc continuer de s’appliquer au Régime.

[148]  À ce jour, la doctrine de l’exclusivité des compétences a été appliquée par les tribunaux afin de protéger des éléments « vitaux » ou « essentiels » des entreprises fédérales, ce qui peut conduire à écarter l’application des lois provinciales touchant à des domaines reliés au travail comme la santé et la sécurité des salariés (Banque canadienne de l’Ouest aux paras 40 et 51; Bell Canada c Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 RCS 749, 51 DLR (4e) 161). Mais l’« essentiel » de ce qui constitue l’« indianité » n’a jamais été défini de manière exhaustive par les tribunaux (voir Dick c La Reine, [1985] 2 RCS 309 aux pp 320-321, 23 DLR (4e) 33; Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010 au para 181, 153 DLR (4e) 193; Paul c Colombie-Britannique (Forest Appeals Commission), 2003 CSC 55 au para 15). Chaque situation est un cas d’espèce. Ici, la Loi sur la police prévoit la reconnaissance d’une catégorie particulière de corps policier en fonction de la composition raciale des individus.

[149]  Dans l’arrêt Canard à la p 207, le juge Beetz note qu’en employant le mot « Indien » dans le paragraphe 91(24), « la Loi constitutionnelle de 1867 [anciennement connu sous le nom de l’Acte de l’Amérique du nord britannique, 1867], « crée une catégorie raciale et il vise un groupe racial pour lequel il envisage la possibilité d’un traitement particulier » [je souligne]. Or, la prémisse même des ententes tripartites conclues sous l’égide de la Politique sur la police des Premières Nations est de permettre aux collectivités des Premières Nations de bénéficier de services policiers répondant à leurs besoins et adaptés à leur réalité culturelle propre. Il ne faut donc pas se surprendre si les services policiers autogérés par les conseils de bande (le présent dossier) sont majoritairement composés de policiers autochtones.

[150]  Dans les faits, l’appellation « corps de police autochtone » est consacrée depuis 1995 dans la Loi sur la police du Québec (Section IV – Corps de police autochtones, articles 90 à 93). Qu’il s’agisse de « race » ou « d’ethnicité » (lire en général l’article de Sébastien Grammond, « Disentangling "Race" and Indigenous Status: the Role of Ethnicity » (2008) 33 Queen’s LJ 487), il n’en demeure pas moins que c’est sa nature « autochtone » qui distingue le corps de police autochtone des autres corps de police municipaux, provinciaux ou fédéraux. Or, l’établissement par chaque conseil de bande responsable d’un corps de police autochtone de critères d’embauche ou de seuils minimaux fondés sur l’ethnicité autochtone constitue certainement un élément vital d’auto-gouvernance et touche à la quiddité indienne. Puisque c’est le conseil de bande qui procède exclusivement au choix des candidats et à l’embauche des membres du corps de police autochtone, on peut se demander s’il peut être limité par une loi provinciale d’application générale dans sa capacité de donner préférence à des candidats autochtones. Et là on ne parle pas de tous les autres problèmes de gérance que l’application des lois provinciales en matière de travail pourrait causer au conseil de bande. N’oublions pas qu’en vertu des ententes, c’est le conseil de bande qui fournit les locaux et l’équipement au service de police autochtone. Comme employeur, le conseil de bande ne peut à la fois être soumis aux règles de santé et sécurité au travail du Code canadien du travail pour une partie de son personnel administratif et par la réglementation du Québec pour les policiers et constables spéciaux qui sont également à son emploi. Cela ne fait aucun sens.

[151]  Dans la mesure donc, où une loi provinciale d’application générale prétend réglementer ou limiter les pouvoirs de gérance à titre d’employeur du conseil de bande en vertu de la Loi sur les Indiens – que ce soit au niveau des conditions d’embauche et de la sélection des candidats, des rapports collectifs de travail, des conditions de travail minimales des salariés du conseil de bande, de leur santé et sécurité au travail, ou de la réglementation et de la surveillance de leur régime de retraite – une interprétation compatible constitutionnellement avec la compétence fédérale exclusive prévue au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 requiert que cette loi provinciale ne s’applique pas aux conseils de bande et aux salariés participants du Régime. De l’avis de cette Cour, toute interprétation contraire « aurait concrètement pour effet de neutraliser l’exercice du pouvoir reconnu par la Constitution » (Gosselin (Tuteur de) c Québec (Procureur général), 2005 CSC 15 au para 14). Dans le présent dossier, la solution pratique est donc de reconnaître l’application de la réglementation fédérale au Régime, ce qui n’empêche pas les articles 90 à 93 de la Loi sur la police de s’appliquer également.

XIII.  Conclusion

[152]  Pour les motifs mentionnés plus haut, la Cour accueille la présente demande. La décision contestée est annulée. Les demandeurs ont droit à une déclaration de la Cour à l’effet que les policiers et constables spéciaux embauchés et rémunérés par les conseils de bande membres du Régime occupent un emploi dans un ouvrage, une entreprise ou une activité de compétence fédérale, et que la LNPP et son règlement d’application s’appliquent au Régime, les salariés participants occupant un « emploi inclus » au sens de la LNPP. Vu le résultat, les demandeurs ont droit à leurs dépens contre le défendeur.


JUGEMENT au dossier T-1362-16

LA COUR STATUE ET DÉCLARE :

1.  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.  La décision du 21 juillet 2016 rendue par le Bureau des institutions financières du Canada est annulée;

3.  Les policiers et constables spéciaux embauchés et rémunérés par les conseils de bande membres du Régime des rentes de la sécurité publique des Premières Nations [Régime] occupent un emploi dans un ouvrage, une entreprise ou une activité de compétence fédérale, et la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, LRC 1985, c 32 (2e supp) [LNPP] et son règlement d’application s’appliquent au Régime, les salariés participants occupant un « emploi inclus » au sens de la LNPP; et

4.  Les demandeurs ont droit à leurs dépens contre le défendeur.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1362-16

 

INTITULÉ :

SYLVAIN PICARD c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 octobre 2017 et le 19 avril 2018

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 JUILLET 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Serge Belleau

 

Pour leS demandeurS

Me Bernard Letarte

 

Pour le défendeur

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Me Patricia Blair

 

POUR L’INTERVENANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gagné Letarte S.E.N.C.R.L.

avocats

Québec (Québec)

 

Pour leS demandeurS

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Lavoie, Rousseau (Justice-Québec)

 

POUR L’INTERVENANTE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.