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Dossier : IMM-4963-17

Référence : 2018 CF 759

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2018

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

BRYAN SKIE SUMALDE RAYMUNDO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur conteste la légalité de la décision d’un agent des visas à l’ambassade du Canada à Manille [l’agent], qui a rejeté, le 1er septembre 2017, sa demande pour obtenir un visa d’étudiant [la décision].

[2]  Le demandeur est un citoyen des Philippines dont la mère et deux frères et sœurs sont des résidents permanents du Canada et dont le beau-père est un citoyen canadien. En février 2017, le demandeur a présenté une demande de visa d’étudiant pour venir étudier au Centennial College, à Toronto, dans le programme de commerce international offert par le collège. Selon le plan d’études personnel qu’il a déposé avec sa demande de visa, après des études antérieures dans le domaine du transport maritime, le demandeur souhaite suivre les cours du programme de commerce international offert par le collège, dans le but [traduction] « d’acquérir de nombreuses compétences en commerce international », compétences auxquelles les programmes d’administration des affaires disponibles aux Philippines n’accordent pas d’importance (Dossier certifié du tribunal [DCT], à la page 17). Après ses études, le demandeur entend retourner aux Philippines et démarrer sa propre entreprise de transport maritime, puisque cette industrie a [traduction] « une grande portée » aux Philippines. Durant les études envisagées, le demandeur aurait l’appui financier de sa famille au Canada, qui l’hébergerait, mais sa femme et son enfant demeureraient aux Philippines.

[3]  La demande de visa du demandeur a été refusée parce que l’agent n’était pas convaincu qu’il quitterait le Canada à la fin de son séjour. La lettre de décision envoyée au demandeur indique que la décision était fondée sur ses perspectives d’emploi aux Philippines, sa situation d’emploi actuelle, ses biens personnels et sa situation financière.

[4]  Plus précisément, l’agent n’était pas convaincu que les études que le demandeur se proposait d’entreprendre étaient sensées, vu le peu de renseignements fournis expliquant comment ces études permettraient d’améliorer les perspectives de carrière du demandeur, à un point où le coût du programme en vaudrait la peine; l’agent n’était également pas convaincu que les études envisagées fissent partie d’un cheminement scolaire logique et cohérent. Enfin, l’agent a estimé que le demandeur n’avait pas fait la preuve de solides liens socioéconomiques avec les Philippines, qui l’inciteraient à quitter le Canada à la fin de son séjour.

[5]  Le demandeur soutient que ces conclusions sont déraisonnables. En particulier, il présente les affirmations suivantes :

  • a. en concluant qu’il n’avait pas de solides liens socioéconomiques avec les Philippines, l’agent a omis de prendre en considération le fait que son épouse et son enfant continueraient de vivre là-bas;

  • b. en concluant que ce serait beaucoup moins dispendieux pour lui d’étudier dans son propre pays, l’agent a fait valoir un motif qui exclurait bon nombre de demandeurs de visa d’étudiant pour le Canada qui croient que des études canadiennes valent le coup et offrent de meilleures perspectives de carrière;

  • c. en exprimant des craintes concernant sa situation d’emploi et sa situation financière, l’agent a fait fi du fait que les parents du demandeur l’aideraient financièrement durant son séjour au Canada et qu’ils avaient les moyens de le faire;

  • d. en affirmant qu’il n’avait [traduction] « pas de cheminement scolaire logique et cohérent », l’agent n’a pas tenu compte du fait que le demandeur a clairement indiqué dans son plan d’études qu’il souhaitait s’inscrire au programme de commerce international afin de démarrer sa propre entreprise de transport maritime aux Philippines et qu’aucun programme équivalent n’était offert dans ce pays.

[6]  Dans ses observations écrites, le demandeur a également affirmé que l’agent avait accordé trop d’importance au fait qu’il avait précédemment été exclu de la demande de résidence permanente de sa mère, soutenant que ce fait semblait être la principale raison du rejet de sa demande de visa. Toutefois, il n’a pas fait valoir cet argument à l’audience.

[7]  La seule question à trancher en l’espèce est de savoir si l’agent a commis une erreur susceptible de révision en rejetant la demande de visa d’étudiant du demandeur.

[8]  Selon l’article 216 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, les étrangers qui souhaitent obtenir un permis d’études doivent faire la preuve qu’ils quitteront le Canada à la fin de la période de séjour qui leur est applicable (voir également : Kwas Obeng c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 754, au paragraphe 20; Dhillon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 614, au paragraphe 41). Lorsqu’ils évaluent ce critère, et plus généralement lorsqu’ils décident s’il faut ou non accorder un permis d’études ou accueillir une demande de visa, les agents des visas jouissent d’un vaste pouvoir discrétionnaire (Akomolafe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 472, au paragraphe 12).

[9]  Par conséquent, les décisions de ce type sont assujetties à la norme de la décision raisonnable (Hamad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 600, aux paragraphes 6 et 7; Patel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 570, aux paragraphes 8 et 9); cependant, pour satisfaire à cette norme, la décision faisant l’objet du contrôle doit démontrer la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel et appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[10]  En l’espèce, je juge que ce n’est pas le cas.

[11]  À mon avis, il y a deux problèmes avec la décision. Le premier problème concerne la conclusion de l’agent selon laquelle il n’était pas convaincu que les études que le demandeur se proposait d’entreprendre au Canada étaient sensées et faisaient partie d’un cheminement scolaire logique et cohérent, vu le peu de renseignements fournis expliquant comment ces études permettraient d’améliorer les perspectives de carrière du demandeur, au point où cela contrebalancerait les frais nécessaires pour étudier à l’étranger au lieu de suivre les programmes disponibles au pays pour une fraction du coût.

[12]  Cette conclusion n’est tout simplement pas appuyée par la preuve dont disposait l’agent, et ce dernier n’offre aucune explication valable indiquant pourquoi le programme proposé n’est pas sensé. Au contraire, le demandeur explique en détail, dans le plan d’études personnel qu’il a déposé pour appuyer sa demande de visa, comment le programme envisagé contribuerait à son plan de carrière, en plus d’énumérer les recherches qu’il a faites pour tenter de trouver un programme semblable aux Philippines portant sur les compétences en commerce international qu’il souhaite acquérir (DCT, à la page 17). À cet égard, la décision de l’agent manque d’intelligibilité, de transparence et de justification.

[13]  Le second problème concerne le fait que l’agent, en rendant sa décision, a omis de tenir compte des liens familiaux du demandeur aux Philippines. C’est particulièrement flagrant lorsque l’agent affirme ne pas être convaincu que le demandeur a fait la preuve de solides liens socioéconomiques avec les Philippines, alors qu’il y avait des éléments de preuve au dossier montrant que la femme du demandeur et son jeune enfant demeureraient aux Philippines durant les études du demandeur au Canada. En omettant de tenir compte de ces faits d’une quelconque façon, et surtout en omettant d’évaluer la question de savoir si le demandeur retournerait rejoindre sa femme et son enfant aux Philippines, l’agent a fait abstraction de certains faits d’une importance cruciale en rendant sa décision. Selon moi, il est par conséquent approprié que la Cour intervienne (Taiwo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 91, aux paragraphes 31-32; voir également Ogunfowora c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 471, au paragraphe 43).

[14]  La demande de contrôle judiciaire du demandeur sera donc accueillie. Aucune des parties n’a soulevé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4963-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  • 1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  • 2. La décision de l’agent des visas à l’ambassade du Canada à Manille, datée du 1er septembre 2017, par laquelle il a rejeté la demande de visa d’étudiant du demandeur, est annulée et l’affaire est renvoyée à un agent des visas différent pour une nouvelle détermination.

  • 3. Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4963-17

 

INTITULÉ :

BRYAN SKIE SUMALDE RAYMUNDO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 juillet 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 juillet 2018

 

COMPARUTIONS :

Peter Lulic

 

Pour le demandeur

 

Laoura Christodoulides

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Lulic

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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