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Date : 20180717


Dossier : IMM-200-18

Référence : 2018 CF 745

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 17 juillet 2018

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

EVELYN OBOAGUONONA AKPOJIYOVWI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Evelyn Oboaguonona Akpojiyovwi, est une citoyenne du Nigéria. Elle est arrivée au Canada le 17 février 2017 et a présenté une demande d’asile en raison de son orientation bisexuelle.

[2]  Sur son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) et son exposé circonstancié, la demanderesse allègue que son petit ami a découvert son orientation sexuelle en octobre 2016, en consultant des messages texte qu’elle avait envoyés à une autre femme. À son retour du travail cette journée-là, la demanderesse a été attaquée et battue par un groupe de sept (7) ou huit (8) personnes. Une femme lui a porté secours et l’a amenée chez elle, et la demanderesse a été soignée par le mari de cette femme qui était médecin. Après avoir passé la nuit à cet endroit, la demanderesse a fui à Lagos. Pendant son séjour à Lagos, la demanderesse a voyagé dans plusieurs pays, dont le Canada. En janvier 2017, à son retour d’une conférence en Égypte, la demanderesse a trouvé des messages haineux à l’entrée de son appartement. Craignant pour sa sécurité, elle a déménagé dans un hôtel où elle est demeurée jusqu’à sa venue au Canada, en février 2017, où elle a présenté une demande d’asile.

[3]   Dans une décision datée du 21 juin 2017, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté la demande de la demanderesse, concluant qu’elle n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La SPR a conclu qu’un certain nombre de questions minaient la crédibilité de la demanderesse concernant sa bisexualité. Parmi ces questions figuraient d’importantes omissions sur son formulaire FDA, certaines invraisemblances, le fait que la demanderesse se soit réclamée à nouveau de la protection de son pays, ainsi que son défaut de présenter une demande d’asile dès la première occasion. La SPR a aussi jugé que les éléments de preuve documentaire présentés par la demanderesse n’étaient pas dignes de foi ou suffisants pour appuyer sa demande.

[4]  La demanderesse a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la Section d’appel des réfugiés (SAR). Le 18 décembre 2017, la SAR a rejeté l’appel et convenu, comme la SPR, que la demanderesse manquait de crédibilité.

[5]  La demanderesse présente maintenant une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la SAR. Elle soutient que la SAR a tiré des conclusions déraisonnables quant à sa crédibilité et des conclusions insoutenables concernant la vraisemblance de la preuve, et qu’elle n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents ni de la crainte objective de persécution de la demanderesse du fait d’être une femme bisexuelle au Nigéria.

[6]  La norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle qui s’applique lorsque notre Cour doit examiner les conclusions de la SAR relativement à la crédibilité et son évaluation de la preuve (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35). La Cour n’interviendra pas si la décision de la SAR est justifiable, transparente et intelligible et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[7]  Je conviens avec la demanderesse que la décision de la SAR doit être annulée.

[8]  La SAR a examiné l’allégation de la demanderesse, selon laquelle la SPR a commis une erreur en concluant que les nombreux voyages faits par la demanderesse hors du Nigéria, sans demander l’asile, témoignaient d’un manque de crainte subjective et minaient son allégation qu’elle est bisexuelle. La demanderesse a expliqué que, lorsque son orientation sexuelle a été révélée en octobre 2016, elle s’est réinstallée dans une autre ville où elle ne craignait pas son ex-petit ami ou sa communauté. Cependant, lorsqu’elle a reçu des messages de haine en janvier 2017, elle a estimé qu’elle ne pouvait plus se cacher et que sa vie était en danger. La SAR a mis en doute la raison fournie par la demanderesse pour expliquer qu’elle ne se sentait plus en sécurité à Lagos. La SAR a mentionné le témoignage de la demanderesse dans lequel elle disait que son ex-petit ami avait découvert son adresse à Lagos parce que le personnel de la demanderesse la lui avait donnée par inadvertance, et elle a déclaré ce qui suit : [traduction« il semble que la demanderesse aurait été en sécurité sinon, et aurait très bien pu déménager, même en restant à Lagos, une ville qui compte près de 20 millions d’habitants, notamment compte tenu du fait qu’elle était disposée à ne pas vivre sa bisexualité ouvertement ».

[9]  Je suis d’avis qu’il était déraisonnable pour la SAR de laisser entendre que la demanderesse aurait pu se réinstaller en toute sécurité ailleurs si son orientation sexuelle demeurait secrète. Il est un fait bien établi qu’il ne faut pas obliger des personnes à cacher ou à nier ou refouler des aspects innés de leur identité pour éviter d’être persécutées (Okoli c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 332, aux paragraphes 36 et 37; Atta Fosu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1135, au paragraphe 17; Sadeghi-Pari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 282, au paragraphe 29).

[10]  Comme il n’est pas clair, d’après la décision de la SAR, si cette conclusion a été déterminante dans l’évaluation globale de la crédibilité de la demanderesse, la décision doit être annulée et renvoyée afin d’être réexaminée par un autre tribunal.

[11]  Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire ne soulève aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-200-18

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la Section d’appel des réfugiés est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre tribunal pour être réexaminée.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-200-18

INTITULÉ :

EVELYN OBOAGUONONA AKPOJIYOVWI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 juillet 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 17 juillet 2018

COMPARUTIONS :

John Cintosun

Pour la demanderesse

Leanne Briscoe

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Cintosun

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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