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Date : 20180713

Dossier : T-1917-16

Référence : 2018 CF 737

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 13 juillet 2018

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

ANTON OLEYNIK

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  M. Anton Oleynik (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de financement rendue par le comité d’appel interne (le comité d’appel) du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (le CRSH), qui a confirmé une décision [traduction] « Non offert ». La décision du comité d’appel a été communiquée au demandeur dans une lettre datée du 3 octobre 2016.


[2]  Le demandeur, qui se représente lui-même dans la présente demande de contrôle judiciaire, sollicite les redressements suivants :

Le demandeur présente une demande d’ordonnance en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

a.  Annuler la décision [traduction] « Non offert » relative à la demande no 435-2016-1223;

b.  Renvoyer l’affaire au CRSH aux fins d’un nouvel examen avec directives;

c.  Confirmer que le traitement de l’évaluation par les pairs de la demande no 435-2016-1223 et des autres observations formulées par le demandeur dans le cadre des programmes du CRSH entre 2009 et 2016 contenaient des lacunes systémiques et ne respectaient pas les normes de justice naturelle et d’équité procédurale, ce qui a fait obstacle à une évaluation impartiale;

d.  Les frais et dépens relatifs à la présente demande;

e.  Tout autre redressement que la Cour estime juste.

[3]  Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur a sollicité les redressements suivants :

Le demandeur demande respectueusement à la Cour d’accorder les redressements suivants en matière de procédure :

a.  Annuler la décision du comité d’appel du CRSH confirmant la décision [traduction] « Non offert » et annuler la décision [traduction] « Non offert » rendue à l’égard du projet de recherche présenté dans le cadre du concours des subventions de développement Savoir d’octobre 2015 (dossier du CRSH no 435-2016-1223), et renvoyer l’affaire aux fins d’un nouvel examen;

b.  Procéder à une évaluation détaillée des pratiques d’évaluation par les pairs au sein du CRSH par un organisme constitué de façon autonome, habilité à formuler des recommandations contraignantes. La liste des organismes habilités à effectuer de telles évaluations comprend notamment l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU), le Australian Research Integrity Committee (ARIC) et le bureau de rédaction de Science & Engineering Ethics, une revue savante très influente dans ce domaine;

c.  À titre subsidiaire, les frais que le demandeur a raisonnablement engagés dans la préparation de ses projets de recherche entre 2007 et 2015;

d.  Les frais et dépens relatifs à la présente demande, y compris les frais du voyage de recherche qui a été annulé en avril;

e.  Tout autre redressement que la Cour estime juste.

[4]  Aux termes des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), le procureur général du Canada représente le CRSH dans la présente instance, à titre de défendeur (le défendeur).

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

[5]  Les faits suivants proviennent du dossier certifié du tribunal (le DCT) et des affidavits du demandeur assermentés le 10 janvier 2017 et le 8 mars 2017, déposés à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire.

[6]  Le demandeur est un professeur permanent de sociologie à l’Université Memorial de Terre‑Neuve, située à St-John’s (Terre-Neuve-et-Labrador).

[7]  Le CRSH est un organisme fédéral de financement qui appuie la recherche et la formation de niveau postsecondaire dans le domaine des sciences humaines et qui en fait la promotion. Il est constitué suivant la Loi sur le Conseil de recherches en sciences humaines, LRC (1985), c S-12 (la Loi).

[8]  Le CRSH offre des occasions de financement dans le cadre de trois programmes : Talent, Savoir et Connexion.

[9]  IL joue trois rôles dans le processus d’évaluation du mérite, soit celui d’examinateur externe, de membre du comité et de président du comité. Les examinateurs externes fournissent des évaluations écrites relativement aux demandes, et les membres du comité attribuent une note selon une échelle. La demande de financement du demandeur s’est classée parmi les 35 % des évaluations les moins élevées cette année-là, et le comité n’a pas examiné la demande aux fins de financement.

[10]  En octobre 2015, le demandeur a présenté une demande de financement auprès du CRSH dans le cadre du concours des subventions de développement Savoir, dossier no 435-2016-1223; le titre de sa demande était « Power and governance: theoretical models and comparative empirical studies » (Pouvoir et gouvernance : modèles théoriques et études empiriques comparées). Le projet relevait du domaine de la sociologie politique.

[11]  En 2015, 66 subventions Savoir ont été prises en compte par le comité de sociologie. Les demandes ont été évaluées par des examinateurs externes avant d’être évaluées par le comité de sociologie.

[12]  En ce qui a trait aux demandes de subventions Savoir, il est d’usage que les demandes qui se classent parmi les 35 % des évaluations les moins élevées ne soient pas examinées par le comité de sociologie à l’étape finale de la sélection.

[13]  En ce qui concerne le demandeur, deux examinateurs externes, soit les examinateurs nos 17 et 20, ont fourni des évaluations écrites individuelles à l’égard de cette demande.

[14]  Deux membres du comité de sociologie, le lecteur A et le lecteur B, ont évalué la demande du demandeur et lui ont attribuée une note. Le lecteur A a attribué la note de 11,62 sur une possibilité de 18 points, et le lecteur B, une note de 10,38. La demande s’est classée au 55e rang sur un total de 66 demandes.

[15]  La demande du demandeur se situait aux 5e et 6e percentiles de l’ensemble du groupe, soit le groupe le plus faible.

[16]  Selon les documents contenus dans le dossier de demande du demandeur, produits comme pièce D jointe à son affidavit assermenté le 10 janvier 2017, les demandes qui se classaient parmi les 35 % des évaluations les moins élevées n’étaient pas examinées par le comité de sociologie à l’étape finale de la sélection.

[17]  En avril 2016, la décision de financement [traduction] « Non offert » a été communiquée au demandeur. Le 12 avril 2016, le demandeur a interjeté appel de la décision de financement au moyen de la procédure d’appel interne du CRSH, et a déposé une lettre de deux pages ainsi que deux pièces jointes totalisant cinq pages.

[18]  Le demandeur a déposé des documents supplémentaires le 30 juin 2016, soit une lettre de six pages et dix pièces jointes totalisant trente-sept pages.

[19]  Il a déposé d’autres éléments de preuve documentaire le 7 septembre 2016, soit une lettre de deux pages et onze pièces jointes totalisant quarante pages.

[20]  Le demandeur a soulevé trois motifs d’appel. Premièrement, il a allégué que le CRSH n’a pas géré les conflits d’intérêts réels, apparents ou potentiels à l’égard du président du comité de sélection des subventions Savoir, soit M. Kevin McQuillan, vice-recteur principal de l’Université de Calgary.

[21]  Deuxièmement, le demandeur a soutenu qu’il y avait un conflit d’intérêts quant à l’examinateur externe no 17.

[22]  Troisièmement, le demandeur a affirmé qu’il y a eu une mauvaise gestion du processus d’évaluation par les pairs, parce que sa demande a été évaluée par des politologues plutôt que par des sociologues.

[23]  Les premier et troisième motifs d’appel ont été radiés à l’étape de l’examen préalable, et n’ont pas été examinés par le comité d’appel.

[24]  La politique du CRSH sur les appels est ainsi libellée :

Objectif

Le CRSH s’engage à assurer l’intégrité de ses processus d’évaluation du mérite. Pour ce faire, il dispose d’une procédure d’appel permettant aux candidats de solliciter le nouvel examen d’une décision de financement s’il s’avère qu’une erreur a été commise dans le cadre du processus d’évaluation du mérite et que cette erreur a entraîné le refus de leur demande de financement.

Politique

Seul le candidat dont le nom figure dans la demande est autorisé à faire appel d’une décision ayant entraîné le refus de ladite demande. Toutefois, il ne peut le faire que s’il est clair qu’une erreur a été commise dans le cadre du processus d’évaluation du mérite du CRSH.

Parmi les erreurs, qui consistent en des dérogations à des politiques et à des procédures du CRSH, figurent :

• un conflit d’intérêts non déclaré ou résolu;

• le fait, pour le personnel du CRSH, de ne pas fournir les renseignements requis au comité de sélection;

• une décision du comité de sélection de ne pas recommander un financement en raison d’une conclusion qui ne correspond pas aux renseignements fournis par le candidat dans sa demande.

Le CRSH n’accepte pas les appels fondés sur les raisons suivantes :

• les décisions qu’il prend au sujet de l’admissibilité;

• une divergence d’opinion scientifique entre membres de comité de sélection et (ou) examinateurs externes;

• un désaccord lié à l’interprétation ou à l’analyse de faits par les membres de comité de sélection et (ou) les examinateurs externes;

• le nombre d’évaluations externes;

• la composition d’un comité de sélection;

• la valeur du financement accordé.


Les décisions rendues au sujet des appels sont définitives.

[Non souligné dans l’original]

[25]  Dans une lettre datée du 3 octobre 2016, le demandeur a été informé que son appel avait été rejeté et qu’un appel n’est pas une réévaluation d’une demande de financement. Le comité d’appel a déterminé que l’« erreur » alléguée selon laquelle le conflit d’intérêts dans lequel se trouvait le président du comité d’appel était réel, apparent ou potentiel n’avait aucune incidence sur les points accordés à sa demande de financement.

[26]  Le demandeur a répondu en déposant la présente demande de contrôle judiciaire le 10 novembre 2016.

[27]  Le 6 décembre 2016, une copie certifiée conforme du DCT a été soumise à la Cour. M. Victor Armony a attesté que les documents constituaient le dossier dont le comité d’appel avait été saisi.

[28]  Le 30 janvier 2017, le demandeur a déposé un avis de requête contestant le caractère suffisant du DCT et demandant l’autorisation de déposer des éléments de preuve supplémentaires.

[29]  Le 3 février 2017, le défendeur a déposé un avis de requête demandant que les renseignements confidentiels qui avaient été communiqués au demandeur par inadvertance soient visés par une ordonnance de confidentialité.

[30]  Dans une ordonnance rendue le 1er mars 2017, la juge McDonald a rejeté la requête du demandeur visant à compléter le DCT, mais l’a autorisé à déposer un affidavit complémentaire de même qu’un CD-ROM à l’appui de ses allégations de conflit d’intérêts à l’endroit de l’un des examinateurs externes qui avait étudié sa demande de financement. L’autorisation de poursuivre la présente instance en tant qu’instance à gestion spéciale aux termes des Règles a également été accordée.

[31]  La juge McDonald a rejeté la requête du défendeur visant l’obtention d’une ordonnance de confidentialité.

[32]  Le 7 mars 2017, le demandeur a présenté une offre de règlement au défendeur par courriel. Cette offre reposait sur l’annulation de la décision [traduction] « Non offert » et la réalisation, par un organisme constitué de façon autonome, d’une évaluation détaillée des pratiques d’évaluation par les pairs au sein du CRSH.

[33]  Le défendeur n’a pas répondu à cette offre.

[34]  Par un avis de requête déposé le 9 mars 2017, le demandeur a demandé la correction ou le réexamen de l’ordonnance rendue le 1er mars 2017, conformément aux Règles.

[35]  Le 10 avril 2017, la juge McDonald a rejeté la requête du demandeur en réexamen de son ordonnance rendue le 1er mars 2017.

[36]  Dans une ordonnance rendue le 15 mars 2017, la protonotaire Milczynski a été nommée juge chargée de la gestion de l’instance dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

[37]  Au début de l’audience du 20 septembre 2017, le demandeur a demandé l’autorisation de déposer vingt autres documents comme [traduction] « éléments de preuve matérielle » à examiner en l’espèce.

III.  OBSERVATIONS

A.  Les observations du demandeur

[38]  Le demandeur conteste la décision du comité d’appel pour des motifs d’équité procédurale, à savoir des infractions en matière de conflit d’intérêts et de partialité institutionnelle. Il soutient que cette décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, puisque ces allégations concernent l’équité procédurale.

[39]  Il fait valoir qu’il y avait un conflit d’intérêts tant à l’étape initiale – c’est-à-dire au moment de l’évaluation de sa demande de financement par le comité de sociologie – qu’à l’étape de l’appel devant le comité d’appel.

[40]  Il affirme qu’il y avait un conflit d’intérêt entre lui-même et le président du comité des subventions Savoir, M. Kevin McQuillan, et l’examinateur externe no 17, relativement à l’évaluation de sa demande de financement. Il soutient également que l’agent de programme n’avait pas les compétences nécessaires pour désigner les personnes ayant les qualifications requises pour examiner sa demande de financement.

[41]  Il ajoute que M. Kevin McQuillan était en situation de conflit d’intérêts en raison de son emploi à l’Université de Calgary. Le demandeur avait été impliqué dans un litige avec l’Université entre 2008 et 2014. Il déclare que le président, en raison de son poste de vice-recteur principal de l’Université de Calgary, était au courant de ce litige et des frais y afférents.

[42]  Le demandeur soutient que l’examinateur externe no 17 se trouvait dans une situation de conflit d’intérêts réel et apparent en raison de ses opinions bien arrêtées sur le conflit militaire en Russie et en Ukraine, deux pays visés par le projet de recherche du demandeur.

[43]  Il affirme que l’agent de programme n’a pas d’expérience dans son domaine et qu’il n’a donc pas les compétences nécessaires pour désigner les bons examinateurs.

[44]  Le demandeur soutient également que le président du CRSH, M. Ted Hewitt, a recruté son ancien associé, M. Armony, pour faire partie du comité d’appel et qu’il s’agit là d’un conflit d’intérêts.

[45]  Il affirme qu’en raison de son statut d’ancien associé du président du CRSH, M. Armony protégerait le CRSH contre des résultats indésirables à l’issue des procédures d’appel.

[46]  Selon le demandeur, M. Verbeke, un autre membre du comité d’appel, est en conflit d’intérêts fondé sur les intérêts institutionnels, et ce, en raison de son statut de professionnel associé au vice-président du CRSH et de son statut de subalterne de M. McQuillan.

[47]  Le demandeur soutient que M. Verbeke est un professionnel associé au vice-président du CRSH et à M. Jack Mintz, un membre du conseil.

[48]  Le demandeur soulève également la question de la partialité institutionnelle de la part du CRSH, en raison de la façon dont ce dernier a initialement traité sa demande de financement. Il considère que cette question en est une d’équité procédurale.

[49]  Le demandeur soutient que sa demande de financement n’a pas été examinée par des pairs compétents et que le comité d’appel a injustement limité les éléments de preuve qu’il pouvait présenter dans le cadre de son appel.

[50]  Il allègue que le comité d’appel a fait preuve de partialité en raison des conflits d’intérêts perçus parmi ses membres.

[51]  Il soutient en outre que le comité d’appel ne lui a pas permis de fournir des éléments de preuve supplémentaires, ce qui a diminué ses chances de succès.

[52]  De plus, le demandeur prétend que le comité d’appel n’a pas motivé sa décision, et qu’il s’agit là d’un manquement à l’équité procédurale.

[53]  Il ajoute que les notes du comité d’appel ont été détruites, et qu’il n’est pas possible de déterminer le fondement de sa décision. Il souligne que la décision du comité d’appel ne lui a pas été communiquée à temps pour présenter une demande de financement dans le cycle des concours 2016-2017. Il laisse entendre que le CRSH ne veut pas qu’il cherche à obtenir du financement à l’avenir et qu’il devrait renoncer à sa profession.

[54]  Le demandeur conteste également le caractère suffisant du DCT et soutient que le défendeur a omis de déposer un affidavit en réponse à sa demande de contrôle judiciaire. Il affirme également que le défendeur a omis de le contre-interroger sur les affidavits qu’il a déposés.

B.  Les observations du défendeur

[55]  Pour sa part, le défendeur soutient qu’essentiellement, le demandeur conteste le caractère raisonnable de la décision du comité d’appel sous le couvert de l’équité procédurale. Il fait valoir que la décision du comité d’appel est hautement discrétionnaire et commande la déférence, s’appuyant sur la décision Wheeldon c Canada (Procureur général), 427 FTR 157 (CF).

[56]  Pour autant que le défendeur aborde des questions d’équité procédurale, il convient que la norme de la décision correcte s’applique, mais soutient qu’un tel manquement ne s’est jamais produit et que les allégations du demandeur sur la partialité institutionnelle de la part du CRSH sont dénuées de fondement.

[57]  Le défendeur fait également valoir que le demandeur a présenté les documents de façon irrégulière, au moyen de pièces jointes à ses affidavits, documents dont le comité d’appel n’était pas saisi, et que la Cour ne devrait pas tenir compte de ces documents au moment de trancher la demande. Il remarque que bon nombre des documents contestés ont été retrouvés par le demandeur à la suite de demandes qu’il a présentées aux termes de la Loi sur l’accès à l’information, LRC (1985), c A-1, et qu’ils ne se rapportent pas aux questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[58]  Le défendeur ajoute que la décision du comité d’appel était raisonnable. Les appels sont régis par la politique du CRSH et non par des lois. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de fournir des motifs détaillés. Les lignes directrices du CRSH sur les appels énoncent clairement que les décisions concernant le financement initial ne sont révisées qu’en cas d’erreurs et que les appels ne constituent pas un réexamen de la demande.

[59]  Selon le défendeur, le comité d’appel a correctement conclu à l’absence de conflit d’intérêts à l’égard de M. Kevin McQuillan, et ce, pour deux raisons.

[60]  D’abord, la politique du CRSH sur les appels dispose qu’un appel peut être accueilli s’il est possible d’établir qu’une erreur a été commise et qu’elle a entraîné le refus de la demande de financement. Pour pouvoir accueillir l’appel, le comité d’appel devait établir que le conflit d’intérêts influait grandement sur la note du demandeur. Le défendeur fait ressortir que, puisque M. Kevin McQuillan n’a pas attribué de note à la demande, il ne pouvait pas faire naître un conflit d’intérêts.

[61]  Ensuite, le conflit d’intérêts décrit par le demandeur entre lui-même et M. Kevin McQuillan n’est pas visé par la définition de conflit d’intérêts dans la politique du CRSH applicable.

[62]  Selon le défendeur, M. Kevin McQuillan n’avait aucun intérêt financier, institutionnel, personnel ou professionnel dans la question de savoir si le demandeur a reçu ou non une subvention.

[63]  Il affirme en outre que l’allégation de conflit d’intérêts soulevée contre l’examinateur externe no 17 n’a pas été examinée par le comité d’appel, parce que cette allégation était fondée sur des convictions politiques divergentes entre l’examinateur et le demandeur, ce qui ne constitue pas un moyen d’appel autorisé.

[64]  Le défendeur soutient que l’agent de programme n’a pas évalué la demande de subvention du demandeur et n’était pas concerné par son appel.

[65]  Le défendeur reconnaît que le contenu de l’obligation d’équité varie selon les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, et soutient que les exigences procédurales en l’espèce se situent à l’extrémité inférieure du spectre et que l’obligation d’équité a été respectée.

[66]  En réponse aux plaintes de nature procédurale formulées par le demandeur relativement à sa demande de financement, le défendeur présente une analyse fondée sur les facteurs dégagés dans l’arrêt Baker :

a.  La nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir

a.  La décision de financement

b.  Le contenu minimal de l’obligation d’équité procédurale

b.  La nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l’organisme

a.  Au-delà de l’obligation de faire rapport au législateur, le CRSH a le pouvoir discrétionnaire d’établir sa propre procédure pour remplir sa mission

b.  Le contenu minimal de l’obligation d’équité procédurale

c.  L’importance de la décision pour les personnes visées

a.  Le demandeur est un professeur titulaire et ne s’est pas vu refuser d’autres promotions en raison d’un manque de financement

b.  Selon une échelle dégressive fondée sur l’importance, une décision de financement a moins d’importance que le droit de demeurer au Canada

c.  Le contenu minimal de l’obligation d’équité procédurale

d.  Les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision

a.  Le demandeur connaît bien les politiques du CRSH et a agi en qualité de membre du comité de sélection auprès de cet organisme en 2007-2008

b.  Le demandeur est au courant du caractère hautement concurrentiel des programmes du CRSH

c.  Le demandeur a reçu ce qu’on lui a promis : une chance de participer à un concours en vue d’obtenir du financement

d.  Le contenu minimal de l’obligation d’équité procédurale

e.  La nature du respect dû à l’organisme

a.  Le législateur a accordé au CRSH le pouvoir discrétionnaire de concevoir la méthode d’attribution des subventions et du financement

b.  La Cour suprême a reconnu qu’il faut accorder une grande importance au choix de procédures par l’organisme lui-même

c.  Degré minimal d’équité procédurale

[67]  Selon le défendeur, lorsque tous ces facteurs sont appliqués à la décision initiale, l’obligation d’équité à laquelle est soumis le CRSH se situe à l’extrémité inférieure du spectre.

[68]  Il soutient que le demandeur s’est vu accorder plus de temps pour déposer son appel, et que ses observations de deux pages formulées dans le cadre de l’appel ont été examinées par le comité d’appel.

[69]  Le défendeur rejette l’allégation selon laquelle le refus de permettre au demandeur de déposer d’autres documents ou des observations écrites plus longues a donné lieu à un manquement à l’équité procédurale.

[70]  Il soutient qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale découlant du fait que l’on avait limité les motifs d’appel du demandeur à ceux mentionnés dans la politique du CRSH.

[71]  Le défendeur fait valoir en outre que, lorsque des motifs sont fournis, il n’y a pas de manquement à l’équité procédurale et que davantage de motifs devraient être examinés selon la norme de la décision raisonnable.

[72]  Le défendeur affirme que le demandeur se plaint de l’insuffisance des motifs qui lui ont été fournis plutôt que de l’absence de motifs. Il n’y a donc aucun manquement à l’équité procédurale.

[73]  Il indique que les arguments du demandeur sur la crainte raisonnable de partialité sont sans fondement. Il invoque l’arrêt de la Cour suprême du Canada Committee for Justice & Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, dans lequel la Cour a déclaré, au paragraphe 40, que le critère de partialité était le suivant :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[74]  Le défendeur soutient que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve qui amènerait une personne bien renseignée à conclure que l’examinateur externe no 17 n’a pas évalué équitablement sa demande, à part de vagues allégations voulant qu’il ait des convictions politiques différentes de celles du demandeur. Il souligne que le comité d’appel n’a pas fait preuve de partialité en excluant ce motif d’appel.

[75]  Le défendeur ajoute qu’il n’y a aucune preuve de partialité institutionnelle. Il renvoie au critère dégagé dans l’arrêt 2747-3174 Québec Inc. c Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 RCS 919, au paragraphe 44 : « [...] si une personne très bien informée éprouverait une crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas ». Il soutient qu’aucun fondement ne justifie une telle allégation à l’encontre du CRSH.

IV.  ANALYSE ET DÉCISION

[76]  J’examinerai d’abord les questions préliminaires soulevées par les parties, à savoir le caractère exhaustif du DCT, l’absence d’affidavit pour le compte du défendeur et l’inclusion de certains documents dans le dossier du demandeur, comme pièces jointes à ses affidavits.

[77]  Comme je l’ai déjà mentionné, le demandeur a présenté une requête contestant le caractère exhaustif du DCT et demandant l’autorisation de déposer des éléments de preuve supplémentaires. La requête visant à compléter le DCT a été rejetée, mais l’autorisation de déposer des éléments de preuve supplémentaires a été accordée, dont le poids devra être évalué par le juge du procès.

[78]  L’affidavit complémentaire du demandeur comprend un éventail de différents documents, y compris des plaidoiries tirées de la cause no T-1748-02 ainsi que des documents obtenus en réponse à des demandes présentées au commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario et en vertu des lois fédérales en matière d’accès à l’information.

[79]  Quant aux plaintes du demandeur relativement à l’omission du défendeur de déposer un affidavit, je renvoie à l’article 307 des Règles qui dispose ce qui suit :

Affidavits du défendeur

Respondent’s affidavits

307 Dans les trente jours suivant la signification des affidavits du demandeur, le défendeur signifie les affidavits et pièces documentaires qu’il entend utiliser à l’appui de sa position et dépose la preuve de signification. Ces affidavits et pièces sont dès lors réputés avoir été déposés au greffe.

307 Within 30 days after service of the applicant’s affidavits, a respondent shall serve its supporting affidavits and documentary exhibits and shall file proof of service. The affidavits and exhibits are deemed to be filed when the proof of service is filed in the Registry.

[80]  Je suis d’avis que cet article des Règles n’a pas pour effet d’obliger un défendeur à déposer un affidavit, mais établit plutôt un délai de dépôt de l’affidavit si le défendeur choisit d’en déposer un.

[81]  En l’espèce, le défendeur a choisi de ne pas déposer d’affidavit. C’était son choix. Aucune conséquence négative n’a découlé de ce choix.

[82]  Je me penche maintenant sur les objections soulevées par le défendeur à propos de l’inclusion de certains documents comme pièces jointes à l’affidavit du demandeur, et dont le comité d’appel n’était pas saisi. Certaines des pièces sont des documents que le demandeur a obtenus par suite de demandes présentées aux termes de la Loi sur l’accès à l’information, précitée, et qui précèdent la demande de financement qu’il a présentée en 2015.

[83]  Je conviens que la règle générale veut que, dans le cas d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour n’examine que les documents qui ont été présentés au décideur.

[84]  Il y a toutefois une exception à cette règle générale si une personne soulève une question relative à la compétence du tribunal. Je renvoie à la décision Gitxsan Treaty Society c Hospital Employees’ Union (1999) 238 N.R. 73 (C.A.).

[85]  Le défendeur demande que les documents inadmissibles soient radiés.

[86]  Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je refuse de radier les pièces que le défendeur mentionne comme étant des pièces inadmissibles dans son mémoire des faits et du droit.

[87]  Je conviens avec le défendeur que les documents ne se rapportent pas aux questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[88]  Au début de l’audience relative à la présente demande, le 20 septembre 2017, le demandeur a demandé l’autorisation de déposer d’autres documents qu’il a décrits comme étant des [traduction] « éléments de preuve matérielle ».

[89]  Il s’agissait de vingt documents qu’il a divisés en cinq groupes. Les groupes 1 et 2 comprennent des documents qui font partie des dossiers de la Cour pour la cause nT-1748-02, une demande de contrôle judiciaire déposée par le professeur Hesbel Teitelbaum (voir la décision Teitelbaum c Canada (Procureur général) (2004), 248 F.T.R. 283) et qui font également partie de la présente instance; le groupe 3 comprend le mémoire des faits et du droit dans la cause no T-1748-02; le groupe 4 comprend des documents relatifs à un groupe international qui a évalué les pratiques d’évaluation par les pairs au sein du CRSH; et le groupe 5 a été qualifié par le demandeur de [traduction] « nouveaux éléments de preuve ». Ce dernier groupe comprenait des documents obtenus par le demandeur dans le cadre d’un processus continu d’obtention de renseignements auprès du commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario.

[90]  Le demandeur a formulé des observations orales sur la présentation de [traduction« nouveaux éléments de preuve », invoquant entre autres l’arrêt Palmer c La Reine, [1980] 1 RCS 759.

[91]  Le groupe 5 comprenait une [TRADUCTION] « entente en matière de conflits d’intérêts et de confidentialité », qui, selon ce que prétend le demandeur, n’a pas été signée par le président du comité d’appel.

[92]  Le groupe 5 constitué des [traduction] « nouveaux éléments de preuve » du demandeur, comprenait également des documents concernant l’annulation de son vol entre St. John’s et Moscou, en 2016. Le demandeur soutient que ces documents se rapportent à sa demande de dépens.

[93]  Il indique que les [traduction] « nouveaux éléments de preuve » devraient être admis, parce qu’ils n’étaient pas disponibles lorsqu’il préparait son dossier de demande. Il souligne également que certains de ces documents servent à démontrer que le comité d’appel n’était pas dûment constitué.

[94]  Dans l’arrêt Palmer, précité, à la page 775, la Cour suprême du Canada a énoncé les principes généraux suivants sur la présentation de [traduction] « nouveaux éléments de preuve » :

1) On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de manière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles : voir McMartin c La Reine.

2) La déposition doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.

3) La déposition doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi, et

4) elle doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.

[95]  Le défendeur convient que ces principes sont pertinents lorsqu’un tribunal doit examiner la question de la présentation de [traduction] « nouveaux éléments de preuve ».

[96]  Je conviens avec le défendeur que les [traduction] « nouveaux éléments de preuve » proposés doivent se rapporter aux questions soulevées dans une instance en particulier.

[97]  Je conviens également que les [traduction] « nouveaux éléments de preuve » proposés que le demandeur cherche à présenter ne concernent pas l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, à savoir si le comité d’appel a manqué à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur ou a commis une erreur susceptible de contrôle.

[98]  Je suis d’avis que le demandeur n’a pas établi que le défaut du comité d’appel de signer l’[traduction] « entente en matière de conflits d’intérêts et de confidentialité » prive le comité d’appel de son pouvoir d’agir. Par ailleurs, je ne suis pas convaincue que les soi-disant [traduction] « éléments de preuve matérielle », y compris les [traduction] « nouveaux éléments de preuve » se rapportent aux questions soulevées dans la présente demande.

[99]  Le demandeur fait état d’allégations générales de conflit d’intérêt et de partialité institutionnelle, qui, selon lui, appellent l’application de la norme de la décision correcte.

[100]  Il invoque deux allégations distinctes en matière de conflit d’intérêts qui prennent leur source à des étapes différentes du processus. En premier lieu, il a fait état d’allégations de conflit d’intérêts relativement à sa demande de financement, à l’endroit du président du comité, M. Kevin McQuillan, de l’examinateur externe no 17 et de l’agent de programme. En second lieu, il a invoqué un nouvel argument sur le conflit d’intérêts en ce qui a trait à la composition du comité d’appel lui-même, en particulier l’inclusion de M. Armony et de M. Verbeke.

[101]  Je conviens que les questions de conflit d’intérêts et de partialité institutionnelle soulèvent des questions d’équité procédurale, mais ni l’une ni l’autre de ces questions ne risque de nuire à l’équité du processus dans lequel le demandeur a pris part.

[102]  La politique du CRSH sur le « conflit d’intérêts » est ainsi libellée :

Un conflit d’intérêts est un conflit entre les obligations et les responsabilités d’un participant à un processus d’évaluation et ses intérêts privés, professionnels, commerciaux ou publics. Il peut y avoir un conflit d’intérêts réel, apparent ou potentiel lorsqu’un [participant] :

  1. pourrait recevoir un avantage professionnel ou personnel résultant de la possibilité de financement ou d’une demande qui fait l’objet d’une évaluation;

  2. entretient une relation professionnelle ou personnelle avec un candidat ou l’établissement du candidat;

  3. a un intérêt financier direct ou indirect dans une possibilité de financement ou une demande qui fait l’objet d’une évaluation.

[103]  Le demandeur soutient qu’un conflit d’intérêts a pris naissance à l’étape de la sélection, soit lors de l’évaluation initiale de sa demande de subvention, en raison de la participation de M. McQuillan à titre de président du comité, de celle de l’examinateur externe no 17 et de celle de l’agent de programme qui a recruté les examinateurs externes et les membres du comité de sociologie.

[104]  Le demandeur se plaint de l’examinateur externe no 17, en raison de ses opinions bien arrêtées sur le conflit militaire en Russie et en Ukraine, deux pays visés par le projet de recherche du demandeur.

[105]  Il se plaint également de l’agent de programme qui, selon lui, n’a pas de formation universitaire dans son domaine ni les compétences requises pour désigner les examinateurs qui possèdent les qualifications universitaires pertinentes.

[106]  Je ne suis pas convaincue que les éléments de preuve présentés par le demandeur corroborent un « conflit d’intérêts » au sens donné à ce terme dans la politique du CRSH.

[107]  M. McQuillan n’a pas pris part à la décision [traduction] « Non offert », puisque la demande de financement du demandeur a été éliminée à la sélection et n’a pas été examinée par le comité de sélection.

[108]  Le comité d’appel n’a pas examiné l’allégation de conflit d’intérêts à l’endroit de l’examinateur externe no 17, puisque ce motif avait été écarté.

[109]  Le défendeur fait valoir que le prétendu conflit d’intérêts relativement à l’examinateur externe no 17 est visé par un motif d’appel exclu, soit l’existence d’opinions politiques divergentes entre l’examinateur et le demandeur.

[110]  La politique du CRSH sur les appels, affichée sur son site Web, dispose que les appels fondés sur les raisons suivantes ne constituent pas des motifs d’appel :

  les décisions qu’il prend au sujet de l’admissibilité;

  une divergence d’opinion scientifique entre membres de comité de sélection et (ou) examinateurs externes;

  un désaccord lié à l’interprétation ou à l’analyse de faits par les membres de comité de sélection et (ou) les examinateurs externes;

  le nombre d’évaluations externes;

  la composition d’un comité de sélection;

  la composition d’un comité de sélection;

  la valeur du financement accordé.

[111]  La politique du CRSH sur les appels n’est pas décrite en détail, mais elle dispose qu’un appel « doit être fondé sur une démonstration convaincante qu’une erreur a été commise dans le cadre du processus d’évaluation ».

[112]  Compte tenu de la définition de « conflit d’intérêts » et des motifs d’appel énoncés dans la politique du CRSH, je souscris aux observations du défendeur et je conclus qu’aucun conflit d’intérêts n’a été démontré. Je conclus également qu’aucune « erreur n’a été commise dans le cadre du processus d’évaluation », ce qui constitue le fondement mentionné par le CRSH dans sa politique sur les appels pour faire droit à un appel.

[113]  Je remarque que le « conflit d’intérêts » défini dans la politique du CRSH sur les appels a un objet précis. La procédure d’appel du CRSH est orientée vers la question de savoir si une erreur a été commise au cours du processus d’évaluation et si cette erreur a entraîné le refus de la demande de financement. À mon avis, une allégation portant sur une « question de conflit d’intérêts » doit être évaluée dans le contexte du comportement à l’origine de l’erreur et qu’une telle erreur a entraîné le refus de financement.

[114]  Je souscris également aux observations du défendeur voulant qu’aucun conflit d’intérêts, au sens de la politique, n’ait été démontré à l’endroit de l’agent de programme. L’agent de programme n’a pas évalué la demande du demandeur.

[115]  D’après la preuve au dossier, je conclus que M. McQuillan n’a pas participé à l’évaluation de la demande de financement du demandeur. Sa demande a été éliminée à la sélection et n’a pas été examinée par le comité de sociologie.

[116]  La Loi n’est pas détaillée. Elle accorde au CRSH le pouvoir de gérer ses affaires courantes. Elle ne prévoit pas un droit d’appel; la procédure d’appel existe d’après la politique établie par le CRSH.

[117]  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les qualifications de l’agent de programme ne sont pas pertinentes, et que ce dernier n’a ni procédé à l’évaluation de la demande initiale ni pris part à la procédure d’appel. Je suis d’avis que cette allégation s’inscrit dans la préoccupation du demandeur quant au traitement de l’évaluation par les pairs au sein du CRSH, ce qui dépasse la portée de la présente demande de contrôle judiciaire.

[118]  La deuxième allégation en matière de conflit d’intérêts a trait à la procédure suivie par le comité d’appel. Le défendeur n’a pas abordé cette question dans son mémoire des faits et du droit ni dans ses observations orales.

[119]  Le demandeur soutient qu’un conflit d’intérêts s’est posé au moment de la composition du comité d’appel, en raison des rapports personnels entre M. Armony et M. Hewitt. Il soulève l’allégation de conflit d’intérêts découlant des relations professionnelles entre M. McQuillan et M. Verbeke.

[120]  Je reconnais qu’une allégation de conflit d’intérêts puisse donner lieu à un manquement à l’équité procédurale. Il est difficile pour moi de savoir si le demandeur allègue un conflit d’intérêts « en général » ou s’il se fonde sur la définition de « conflit d’intérêts » au sens de la politique du CRSH. Cela n’a peut-être pas d’importance.

[121]  En l’espèce, je conclus que le demandeur a eu l’occasion de se faire « entendre » par le comité d’appel. Rien n’indique que les membres du comité d’appel auraient pu être influencés de manière inappropriée par leurs relations personnelles ou professionnelles. Le demandeur n’a justifié aucune erreur susceptible de contrôle à ce sujet.

[122]  Rien n’indique que le comité d’appel, tel que constitué, a violé les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale en ce qui a trait au demandeur.

[123]  L’essence même de la justice naturelle relativement à un processus administratif de prise de décision est le « droit d’être entendu »; voir la décision Beno c Canada (Procureur général) (2002), 216 FTR 45.

[124]  Le demandeur soutient également que les résultats de l’évaluation de sa demande de financement étaient déterminés à l’avance et qu’il y a partialité institutionnelle de la part du CRSH, dans la mesure où il ne sait pas si un appel interjeté aux termes de la politique du CRSH a été accueilli.

[125]  Je ne vois aucun élément de preuve dans le DCT étayant l’allégation selon laquelle les résultats de l’évaluation de la demande de financement du demandeur étaient déterminés à l’avance.

[126]  En ce qui a trait à l’allégation de partialité institutionnelle, je renvoie à l’arrêt 2747-2174 Québec Inc., précité, dans lequel la Cour suprême, se fondant sur l’arrêt Committee for Justice and Liberty, précité, a fait remarquer que la « détermination de la partialité institutionnelle suppose qu’une personne bien renseignée, ayant étudié la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, éprouve une crainte raisonnable de partialité « dans un grand nombre de cas » (souligné dans l’original).

[127]  Je renvoie à la décision rendue dans Teitelbaum, précitée, où la Cour affirmait ce qui suit au paragraphe 60 :

Quant aux questions de partialité, j’ai pris la position selon laquelle toute crainte raisonnable de partialité constituerait un motif d’invalidation des décisions pour cause d’absence d’équité procédurale.

[128]  Comme je l’ai déjà mentionné, la partialité est en fait un argument d’équité procédurale qui devrait être examinée selon la norme de la décision correcte.

[129]  Je ne suis toutefois pas convaincue de la présence d’éléments de preuve de partialité, tant sur le plan personnel que sur le plan institutionnel, de la part des membres du comité d’appel ou de toute personne ayant participé à l’évaluation de la demande de financement du demandeur.

[130]  Le fait qu’aucun appel n’ait été accueilli pourrait amener à nous interroger sur l’utilité de la procédure d’appel, mais il ne revient pas à la Cour de se prononcer sur cette question dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire

[131]  Je conviens avec le défendeur qu’il n’y a aucune preuve de partialité institutionnelle en l’espèce. En matière d’allégations de partialité, le critère est rigoureux et aucun des éléments de preuve présentés n’étaye cette allégation. Bon nombre des allégations du demandeur sont fondées sur des inférences et des connaissances présumées.

[132]  L’appel du demandeur visait à obtenir la révision de la décision [traduction] « Non offert » initiale. La présente demande de contrôle judiciaire vise à ce que la Cour examine la procédure suivie par le comité d’appel qui s’est prononcé sur l’appel du demandeur.

[133]  Je ne vois aucun fondement aux allégations de partialité.

[134]  Le demandeur se plaint que la destruction des notes du comité d’appel constitue un autre manquement à l’équité procédurale.

[135]  Le défendeur n’est pas de cet avis, s’appuyant sur la décision Maax Bath Inc. c Almag Aluminum Inc., 392 N.R. 219, où la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit au paragraphe 14 :

[14]  On ne saurait douter en l’espèce que, en vue de savoir comment et pourquoi les membres du Tribunal ont tiré les conclusions qu’elle conteste, la demanderesse réclame des documents que les membres en question ont consultés ou qui ont été préparés pour eux alors qu’ils délibéraient. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il s’agit d’une question de privilège qui touche à l’impartialité judiciaire dans l’exercice de fonctions juridictionnelles (Mackeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796).

[136]  Les notes rédigées par un décideur ne sont pas toujours pertinentes. La décision d’un décideur est le document opérant. Les appels et les demandes de contrôle judiciaire sont interjetés à l’encontre d’une décision et non à l’encontre des motifs de la décision.

[137]  Le demandeur affirme qu’aucun motif n’a été fourni justifiant la radiation de deux de ses motifs d’appel.

[138]  La politique du CRSH ne traite aucunement de l’exclusion des motifs d’appel.

[139]  Selon le défendeur, les deuxième et troisième motifs ont été régulièrement exclus, puisqu’ils ne faisaient pas partie des motifs d’appel énoncés dans la politique du CRSH.

[140]  Je suis d’avis que l’élimination des deux motifs d’appel n’est pas fatale pour ce qui est de l’appel interjeté par le demandeur. Il s’agissait apparemment d’une décision administrative. Le comité d’appel est libre de contrôler sa procédure. Aucune erreur susceptible de contrôle ne découle de l’absence de motifs à cet égard.

[141]  Quant aux motifs de la décision du comité d’appel, je suis convaincue qu’ils répondent aux exigences quant au caractère suffisant, comme l’a mentionné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708. Les motifs sont suffisants pour expliquer le fondement de la décision rendue par le comité d’appel.

[142]  Dans la mesure où il est nécessaire d’examiner le bien-fondé de la décision du comité d’appel, la norme de la décision raisonnable s’applique : voir la décision Wheeldon, précitée.

[143]  Selon l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, la norme de la décision raisonnable exige que la décision soit transparente, justifiable et intelligible, et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[144]  J’estime que la décision du comité d’appel satisfait à cette norme.

V.  CONCLUSION

[145]  En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[146]  Le demandeur n’a pas établi qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale de la part du comité d’appel ou que ce dernier a commis toute autre erreur susceptible de contrôle. Il n’y a aucun fondement pour une intervention judiciaire.

[147]  La question des dépens est différée jusqu’à l’issue de l’examen des observations des parties, et une autre ordonnance sera rendue à ce sujet.


JUGEMENT dans le dossier T-1917-16

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire, et la question des dépens est différée jusqu’à ce que les parties aient formulé d’autres observations.

« E. Heneghan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1917-16

INTITULÉ :

ANTON OLEYNIK c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 20 septembre 2017 et le 29 novembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

Le 13 juillet 2018

COMPARUTIONS :

Anton Oleynik

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Angela Greene

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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