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Date : 20180628


Dossier : T-1643-15

Référence : 2018 CF 662

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2018

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

JOY THEAKER

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA JUSTICE ET PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La présente ordonnance, motifs à l’appui, porte sur deux requêtes présentées par la demanderesse, Mme Theaker. Dans sa requête déposée le 15 novembre 2017, la demanderesse demande à la Cour d’ordonner la tenue d’une enquête sur ses allégations d’ingérence criminelle continue par le biais de cyberattaques commises par une personne désignée (ci-après appelée JT) à son endroit et à l’endroit d’autres personnes. Elle demande aussi la suspension de sa demande de contrôle judiciaire sous-jacente en attendant une décision sur la requête et l’enquête qu’elle demande.

[2]  Dans la requête déposée le 16 février 2018, la demanderesse demande l’autorisation de déposer son troisième dossier de requête modifié ainsi qu’une annexe à ses observations en réponse relativement à sa requête déposée le 15 novembre 2017.

[3]  La Cour a ordonné que les deux requêtes soient entendues ensemble.

[4]  Le défendeur a subséquemment consenti au dépôt du troisième dossier de requête modifié de la demanderesse. La requête du 15 novembre 2017 et la demande de dépôt d’une annexe aux observations en réponse de la demanderesse restent à trancher.

[5]  Pour les motifs énoncés ci-dessous, les deux requêtes sont rejetées.

I.  Contexte; la demande de contrôle judiciaire sous-jacente

[6]  D’autres faits relatifs à la demande sont fournis pour en éclairer le contexte, mais ne visent pas à refléter la chronologie complète et détaillée des procédures devant la Cour. Les inscriptions enregistrées dans le système de gestion des dossiers de la Cour indiquent mieux les nombreux échanges entre la demanderesse et la Cour.

[7]  L’instance sous-jacente est la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse à l’encontre d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) datée du 19 août 2015, rendue aux termes du paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), c H-6 (LCDP) concernant une plainte déposée par la demanderesse auprès de la CCDP. La CCDP a accueilli en partie la plainte de la demanderesse, mais lui a imposé des limites de façon à [TRADUCTION] « ce qu’elle traite uniquement les allégations [de la demanderesse] datant de novembre 2008 à août 2010 ». La demanderesse cherche à faire annuler cette décision et à exiger de la CCDP qu’elle tienne compte de toutes ses allégations et de sa réponse au rapport d’enquête de la CCDP, qui, selon la demanderesse, n’a pas été remis à la CCDP.

[8]  Par ordonnance datée du 13 avril 2016, l’audition de la demande de contrôle judiciaire a été fixée au 16 juin 2016, à Edmonton (Alberta). Quelques jours avant l’audience prévue, la demanderesse a demandé un ajournement en raison de son mauvais état de santé. Par ordonnance datée du 14 juin 2016, la Cour a ajourné l’audience sine die. Cette ordonnance mentionnait également que la demande de contrôle judiciaire se poursuivrait à titre d’instance à gestion spéciale et que l’audition de cette demande ne serait pas fixée avant la nomination d’un juge chargé de la gestion de l’instance qui tiendrait les conférences de gestion de l’instance (CGI) nécessaires, après que la demanderesse aurait indiqué qu’elle serait prête à procéder.

[9]  Dans une correspondance à la Cour, y compris des lettres en date du 20 juin et du 19 juillet 2016, la demanderesse a exprimé le souhait qu’une nouvelle date d’audition de la demande soit rapidement fixée. Elle a remis en question la nécessité de la gestion de l’instance.

[10]  Par ordonnance rendue par le juge en chef Paul Crampton, en date du 27 juillet 2016, un juge chargé de la gestion de l’instance a été nommé aux termes de l’article 383 des Règles des Cours fédérales.

[11]  Entre-temps, le 28 juin 2016, la demanderesse a présenté une requête visant à obtenir l’autorisation de déposer un affidavit complémentaire aux fins de sa demande de contrôle judiciaire.

[12]  Par ordonnance datée du 25 juillet 2016, le protonotaire Lafrenière (tel était alors son titre) a accueilli en partie la requête de la demanderesse. En résumé, le protonotaire a accordé à la demanderesse l’autorisation de signifier un affidavit complémentaire se limitant à identifier les documents désignés à titre de pièces « A » et « D » et de joindre ces documents en tant que pièces à son affidavit complémentaire. Le protonotaire a également fixé un délai pour la signification de l’affidavit supplémentaire et du contre-interrogatoire y afférent ainsi que pour le dépôt des dossiers supplémentaires de la demanderesse et du défendeur.

[13]  La demanderesse a interjeté appel de l’ordonnance du protonotaire devant notre Cour. Elle a également présenté une requête en prorogation du délai de dépôt de son dossier de requête quant à l’appel. Une série de directives ont été émises au sujet de l’échange de documents, des délais et de la question de savoir si la requête serait instruite sur la base de prétentions écrites ou entendue de vive voix.

[14]  Par ordonnance datée du 6 avril 2017, la Cour a rejeté l’appel de l’ordonnance du protonotaire Lafrenière interjeté par la demanderesse. Les motifs détaillés ont été fournis dans la décision Theaker c. PGC, 2017 CF 347.

[15]  La demanderesse a alors interjeté appel de cette ordonnance devant la Cour d’appel fédérale. Le 16 mai 2017, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel de la demanderesse. Le 22 juin 2016, la Cour d’appel fédérale a également rejeté la requête de la demanderesse visant à obtenir un nouvel examen de sa décision.

[16]  Par conséquent, l’ordonnance du protonotaire qui permettait à la demanderesse de déposer un affidavit complémentaire à la demande de contrôle judiciaire se limitant à identifier les documents désignés à titre de pièces « A » et « D » et de joindre ces documents en tant que pièces règle le contenu de l’affidavit complémentaire de la demanderesse aux fins de sa demande de contrôle judiciaire.

[17]  Comme l’échéancier relatif à la signification et au dépôt des documents avait expiré, la Cour a établi un nouvel échéancier. La directive de la Cour datée du 11 juillet 2017 exigeait que : l’affidavit complémentaire de la demanderesse soit signifié et que la preuve de signification soit déposée au plus tard le 18 août 2017; les contre-interrogatoires soient menés dans les 30 jours suivant la preuve de signification; les autres aspects de l’échéancier relatifs à la production de documents et aux limites de pages soient abordés dans le cadre d’une CGI prévue pour le 25 septembre ou le 2 octobre 2017.

[18]  La CGI était prévue pour le 2 octobre 2017, mais la demanderesse ne s’y est pas présentée. La Cour a donc émis une directive demandant aux parties d’indiquer leur disponibilité pour fixer à nouveau la CGI, en mentionnant que si la demanderesse ne répondait pas, la Cour établirait l’échéancier sans tenir compte de son point de vue. Compte tenu de la réponse de la demanderesse, la CGI a été reportée au 11 octobre 2017. La demanderesse a encore une fois omis de se présenter, informant le greffe qu’elle était tenue de comparaître devant un autre tribunal à la même date. Cette situation n’était appuyée par aucun document, et aucun avis relatif à sa non- disponibilité n’a été fourni à la Cour en temps opportun.

[19]  À la CGI du 11 octobre 2017, le défendeur a indiqué qu’il n’entendait pas contre-interroger la demanderesse sur son affidavit complémentaire. En outre, même si le défendeur estime que l’affidavit complémentaire dépassait le cadre de l’ordonnance du protonotaire, il a indiqué qu’il aborderait cette question à l’audition de la demande de contrôle judiciaire.

[20]  Par une directive en date du 11 octobre 2017, la Cour a établi un échéancier à respecter relativement au dépôt des documents, exigeant que : la demanderesse signifie et dépose son dossier supplémentaire (y compris l’affidavit complémentaire et le mémoire supplémentaire des faits et du droit) dans un délai de 30 jours, en limitant à 30 pages le mémoire supplémentaire des faits et du droit; le défendeur signifie et dépose son dossier supplémentaire, le cas échéant, dans un délai de 20 jours suivant la signification et le dépôt du dossier supplémentaire de la demanderesse, en limitant à 30 pages son mémoire supplémentaire des faits et du droit; la demanderesse demande la tenue d’une audience conformément à l’article 314 des Règles, dans un délai de 10 jours suivant la signification et le dépôt du dossier supplémentaire du défendeur.

[21]  Le 15 novembre 2017, la demanderesse a présenté une requête demandant la tenue d’une enquête concernant les cyberattaques ainsi que la suspension de sa demande de contrôle judiciaire sous-jacente.

II.  Contexte de la présente requête

[22]  Dans l’avis de requête déposé initialement le 15 novembre 2017, la demanderesse sollicite une ordonnance [TRADUCTION] « exigeant la tenue d’une enquête sur mes [la demanderesse] allégations d’ingérence criminelle continue par cyberattaques commises par [JT] au moyen d’un accès non autorisé, depuis au moins 2006, à une technologie militaire sophistiquée appartenant au gouvernement américain, que j’ai fait connaître tout au long de ces procédures dans les deux dernières années et que j’ai demandé par lettres datées du 27 octobre et du 8 novembre 2017 ainsi qu’une suspension des procédures conformément à la directive datée du 12 octobre 2017, jusqu’à l’issue de la présente requête » et ses dépens.

[23]  La demanderesse énonce ainsi les motifs de sa requête : [TRADUCTION] « actes de sabotage répétés perpétrés par JT contre le gouvernement fédéral canadien et moi-même pour son profit personnel en soudoyant le gouvernement des États-Unis depuis 2011 »; lois applicables régissant la cybercriminalité au Canada; règles d’équité procédurale applicables aux personnes non représentées; principes de justice naturelle.

[24]  La demanderesse a par la suite déposé un dossier de requête modifié le 22 novembre 2017 ainsi qu’un deuxième dossier de requête modifié le 23 novembre 2017. Étant donné la correspondance de la demanderesse et la nécessité de statuer sur la requête du 15 novembre 2017 visant à permettre que la demande de contrôle judiciaire suive son cours, le 8 décembre 2017, la Cour a émis une directive déclarant qu’aucun autre document ne pouvait être déposé jusqu’à ce que la CGI, prévue pour le 19 décembre 2017, ait lieu. Cette directive faisait obstacle au dépôt du troisième dossier de requête modifié de la demanderesse, daté du 7 décembre 2017, que cette dernière a présenté pour dépôt au greffe de la Cour le 8 décembre 2017.

[25]  Le 16 février 2018, la demanderesse a présenté une autre requête visant à obtenir l’autorisation de déposer son troisième dossier de requête modifié et une annexe à ses observations en réponse, lesquelles avaient été limitées à cinq pages et avaient été déposées le 11 janvier 2018.

[26]  La demanderesse a envoyé d’autres communications écrites à la Cour, où elle semble fournir des documents faisant également partie de son troisième dossier de requête modifié qui n’avait pas encore été accepté pour dépôt, ainsi que des pages supplémentaires qu’elle a voulu inclure dans ses observations en réponse. Plusieurs dates de CGI ont été fixées, sans succès. Ces conférences visaient à déterminer une date d’audition de la requête du 15 novembre 2017 et à examiner d’autres questions afin de permettre la tenue de l’audience de la demande de contrôle judiciaire dont la date était toujours à déterminer.

[27]  Par une directive datée du 21 mars 2018, la Cour a déclaré notamment que les deux requêtes de la demanderesse (la requête visant à obtenir l’autorisation de déposer son troisième dossier de requête modifié ainsi qu’une annexe à ses observations en réponse et la requête déposée le 15 novembre 2017) seraient entendues ensemble le 18 avril 2018 à 13 h (heure normale des Rocheuses) par vidéoconférence à Edmonton et à Ottawa, ce qui tenait compte des préférences de la demanderesse quant à la date et à l’heure. Plusieurs directives ont par la suite été émises confirmant que l’audience aurait lieu par vidéoconférence le 18 avril 2018.

[28]  Le 12 avril 2018, le défendeur a informé la Cour et la demanderesse que, pour gagner du temps, il consentirait au dépôt du troisième dossier de requête modifié de la demanderesse.

[29]  Par suite du consentement du défendeur au dépôt du troisième dossier de requête modifié de la demanderesse, à la mi-avril 2018, les questions à trancher étaient la requête de la demanderesse visant à obtenir l’autorisation de déposer une annexe à ses observations en réponse du 11 janvier 2017 et la requête datée du 15 novembre 2017, de même que le troisième dossier de requête modifié datée du 7 décembre 2017, à l’appui.

III.  La décision relative aux deux requêtes

[30]  L’audience a commencé le 18 avril 2018. Au début de l’audience et à d’autres moments au cours de cette dernière, la demanderesse a informé la Cour qu’elle n’était pas prête à présenter ses observations, soulignant qu’elle avait remis un billet de médecin indiquant qu’elle n’était pas en mesure de se présenter à la Cour [TRADUCTION] « jusqu’à nouvel ordre ». La demanderesse a également produit une lettre de trois pages au greffe de la Cour, le 18 avril 2018, au début de l’audience, qui, entre autres, formulait des commentaires sur les directives antérieures de la Cour et sur les questions se rapportant aux requêtes à examiner.

[31]  Même si la demanderesse a manifesté son opposition à la tenue de l’audition des requêtes, mentionnant qu’elle n’était pas prête, elle a présenté certaines observations, a relaté plusieurs des allégations de cyberattaques et a fait part de ses inquiétudes au sujet des soi-disant cyberattaques répétées à son endroit et à l’endroit d’autres établissements. Par exemple, la demanderesse a soutenu que les documents de la Cour avaient pu être manipulés [TRADUCTION] « par magie » par le prétendu cyberpirate, puisque la Cour semblait être en possession de documents qui n’avaient pas été déposés. Elle s’est également dite préoccupée par le fait que la requête pouvait être jugée sans délai en raison de son importance, mais n’a pas indiqué de date à laquelle elle assisterait à la reprise de l’audition de la requête.

[32]  À l’audience, la Cour a demandé à la demanderesse de se concentrer sur ses observations au sujet de la compétence de la Cour d’ordonner la tenue de l’enquête qu’elle demandait.

[33]  L’audience du 18 avril 2018 a duré environ une heure et demie. La Cour a pris acte des préoccupations de la demanderesse quant au fait qu’elle subissait des pressions pour procéder. La Cour a finalement ajourné l’audience, précisant qu’elle reprendrait à une date qui serait toujours à déterminer et soulignant également les demandes répétées de la demanderesse pour que les requêtes soient examinées rapidement. Le greffe de la Cour a tenté à maintes reprises de communiquer avec la demanderesse dans le but de fixer une date appropriée pour la reprise de l’audience, mais sans succès.

[34]  Le 2 mai 2018, la Cour a émis une directive déclarant que l’audition des requêtes de la demanderesse, qui avait commencé le 18 avril 2005, se poursuivrait le 5 juin 2018 à 13 h (heure normale des Rocheuses) pour une durée d’au plus deux heures et qu’elle se tiendrait par vidéoconférence à Edmonton et à Ottawa. La directive mentionnait ce qui suit : [traduction] « tous les documents nécessaires pour permettre à la Cour de statuer sur les requêtes ont été déposés; aucun autre document ne pourra être déposé concernant ces requêtes; dans l’hypothèse où la demanderesse n’assisterait pas à l’audience du 5 juin 2018, la Cour pourrait statuer sur les requêtes en fonction des observations écrites et des documents déposés ainsi que des observations orales entendues à ce jour ».

[35]  La directive datée du 2 mai 2018 prévoyait plusieurs moyens d’informer la demanderesse de la date de la reprise de l’audition des requêtes, y compris par poste prioritaire, par courrier ordinaire et par communications orales du greffe de la Cour advenant que la demanderesse se présente au greffe; tous ces moyens constitueraient un avis à la demanderesse. Il semblerait que la demanderesse ait été mise au courant de l’audience du 5 juin 2018 par le greffe de la Cour. Le 4 juin 2018, la demanderesse a présenté une lettre critiquant la Cour pour ne pas avoir répondu à sa correspondance antérieure, en y joignant d’autres articles dont la pertinence est loin d’être évidente.

[36]  L’audition des requêtes de la demanderesse a eu lieu le 5 juin 2018. La demanderesse ne s’est pas présentée.

[37]  Le défendeur soutient que la Cour devrait statuer sur la requête en fonction des observations écrites de la demanderesse et du défendeur. Ce dernier remarque qu’il a examiné le troisième dossier de requête modifié de la demanderesse, qui ne semblait pas présenter de différences importantes par rapport aux autres dossiers de requête. Le défendeur a donc mentionné qu’il ne présenterait pas d’autres observations et qu’il s’appuierait sur son mémoire des faits et du droit déposé le 20décembre 2017.

[38]  La Cour a examiné le troisième dossier de requête modifié de la demanderesse, y compris les diverses annotations qu’elle y a apportées. Le contenu du troisième dossier de requête modifié, qui comprend certaines allégations supplémentaires de cyberattaques et fait référence à d’autres articles, ne diffère pas sensiblement du premier ou du deuxième dossier de requête. La Cour a examiné le troisième dossier de requête modifié de la demanderesse, qui contient cinq affidavits et plusieurs articles tirés d’Internet et des journaux, provenant de sources non identifiées, de même que les mémoires des parties. La Cour a également pris en considération les observations orales présentées le 18 avril 2018. La Cour a statué sur les requêtes en se fondant sur ces documents, comme elle l’a mentionné dans sa directive datée du 2 mai 2018.

[39]  Elle remarque que, dans le premier avis de requête de la demanderesse daté du 7 novembre 2017, de même que dans l’avis de requête inclus dans le troisième dossier de requête modifié daté du 7 décembre 2017, la demanderesse cite l’article 369 des Règles et cherche à présenter la requête par écrit. Par conséquent, il serait amplement justifié de statuer sur les requêtes sur la base des prétentions écrites.

[40]  Dans les cinq affidavits inclus dans le troisième dossier de requête modifié, la demanderesse formule une vaste gamme d’allégations. Elle affirme avoir été victime de cyberattaques depuis 2006. Elle soutient entre autres que les présumées cyberattaques sont liées au comportement à l’origine de la plainte qu’elle a déposée auprès de la CCDP. Selon ses allégations, le cyberpirate est responsable des avis remis à la demanderesse concernant sa situation d’emploi, avis qui, autrement, n’auraient pas été donnés.

[41]  La demanderesse indique que la personne désignée [JT] qu’elle a rencontrée en ligne en 2006, est responsable des cyberattaques à son endroit et visant également le gouvernement canadien et d’autres établissements canadiens et internationaux. Elle fait notamment valoir que JT est un [TRADUCTION] « cyberprédateur sexuel et un cyberterroriste » qui se sert de la [traduction] « technologie comme arme » et des [traduction] « armes à pulsion électromagnétique » pour lui causer des dommages et semer le chaos dans notre Cour, le gouvernement et la société en général.

[42]  À titre d’exemple, la demanderesse soutient que JT a intercepté des livraisons par la poste à sa résidence, a trafiqué ses courriels et ses dossiers bancaires et ceux d’autres personnes, a trafiqué des ordinateurs publics qu’elle avait utilisé à l’Université de l’Alberta et falsifié les affidavits qu’elle a déposés dans la présente instance, qui nécessitaient des modifications. Elle affirme de plus que l’utilisation qu’a faite JT des fréquences radio et des armes à pulsion électromagnétique destinées aux forces policières l’a amenée à recevoir un grand nombre de contraventions.

[43]  La demanderesse affirme également que JT a trafiqué les dossiers de la Cour, notamment en manipulant leur contenu et en s’organisant pour que les ordonnances judiciaires ne lui soient pas transmises, et que l’ingérence criminelle et le contrôle de l’esprit dont JT s’est rendu coupable vont jusqu’à rendre la Cour incapable de comprendre ses allégations et de rendre de bonnes décisions.

[44]  Les allégations de la demanderesse découlant des cyberactivités de JT s’étendent également à des catastrophes, comme les feux de forêt de 2016 à Fort McMurray (Alberta), les maladies dont souffrent des amis et des étrangers et la débâcle du système de paie Phénix. Elle admet elle-même que ses allégations sont [TRADUCTION] « tirées par les cheveux ».

[45]  Bien que la demanderesse puisse croire qu’elle et d’autres personnes ont été visées par les cyberattaques, en l’espèce, il ne s’agit pas de la question que la Cour doit trancher. La demanderesse demande à la Cour d’ordonner la tenue d’une enquête sur ces allégations, mais elle n’a pas abordé la question juridique fondamentale de savoir si la Cour a compétence pour ordonner la tenue d’une enquête.

[46]  Le mémoire des faits et du droit de la demanderesse réitère ses allégations et formule de nouvelles allégations voulant que JT se soit ingéré dans ses autres litiges. Elle présente également des observations qui semblent se rapporter à la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, qui reste à trancher. La demanderesse n’a toutefois rien indiqué donnant à penser que notre Cour a compétence pour accueillir sa requête.

[47]  La compétence de la Cour est précisée aux articles 17 et 18 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7. La demanderesse n’a jamais fait référence à la Loi.

[48]  Comme le défendeur le souligne, le rôle de la Cour est de régler des différends, d’interpréter la loi et de défendre la Constitution. Le rôle impose que les tribunaux soient « complètement séparés, sur le plan des pouvoirs et des fonctions, de tous les autres participants au système judiciaire » (arrêt La Reine c. Beauregard [1986] 2 RCS 56, au paragraphe 30, 1986 CanLII 24).

[49]  Il est clair que la Cour n’a pas compétence pour enquêter sur des activités criminelles présumées ou pour ordonner la tenue d’une enquête. On reconnaît généralement que lorsqu’une personne a été victime ou témoin d’un crime reproché, elle devrait signaler l’incident à la police ou faire une dénonciation devant le service de police compétent. Ce dernier évaluera les renseignements et décidera s’il est nécessaire de tenir une enquête. Même si la demanderesse déclare, dans l’un de ses affidavits, qu’elle a produit un rapport en 2006 auprès du service de police d’Edmonton concernant une déclaration particulière faite en ligne par JT, elle ne révèle pas les conclusions de ce rapport. Même si elle affirme avoir été victime de cyberattaques constantes depuis 2006, elle ne mentionne pas si elle a signalé à la police les allégations détaillées qu’elle formule maintenant.

[50]  En conclusion, la requête de la demanderesse demandant à la Cour d’ordonner la tenue d’une enquête sur des allégations d’ingérence criminelle continue par cyberattaques est rejetée. Le rôle de la Cour n’est pas d’ordonner la tenue d’enquêtes criminelles.

[51]  La requête de la demanderesse visant à obtenir l’autorisation de déposer une annexe à ses observations en réponse est également rejetée. La Cour disposait de suffisamment de documents produits par la demanderesse pour statuer sur la requête sans les pages ou les articles supplémentaires.

[52]  En raison des décisions rendues sur les requêtes, la demande de contrôle judiciaire sous-jacente devrait suivre son cours le plus rapidement possible. Il est inutile de proposer que l’échéancier relatif à la signification et au dépôt des documents visant à permettre la mise au rôle de la demande de contrôle judiciaire soit établi dans une prochaine CGI en raison de l’incertitude planant sur la présence de la demanderesse. La Cour a donc établi le nouvel échéancier.

[53]  Les références aux CGI « infructueuses » dans les présents motifs concernent les tentatives de la Cour de convoquer plusieurs CGI afin de faire reporter l’audience et la décision relative à la demande de contrôle judiciaire qui était censée être entendue en juin 2016. La demanderesse a remis en question la nécessité de la gestion de l’instance, elle ne s’est pas présentée à la plupart des CGI et, en plus de présenter d’autres requêtes, elle a déposé plusieurs lettres demandant à la Cour de l’informer et de la conseiller sur la façon de procéder. De nombreuses directives ont été données, déclarant notamment que la Cour ne fournissait pas de conseils, n’acceptait pas d’éléments de preuve au moyen de lettres et, de façon générale, ne répondait pas aux lettres des plaideurs sur des questions de fond. Le rôle de la Cour est plutôt de statuer sur des requêtes, des demandes et des actions.

[54]  Compte tenu de la directive antérieure de la Cour selon laquelle l’échéancier relatif à la signification et au dépôt des documents à l’appui de la demande de contrôle judiciaire serait établi sans tenir compte du point de vue de la demanderesse vu son absence de participation aux CGI, la Cour a établi l’échéancier suivant :

  1. Vu que l’affidavit complémentaire de la demanderesse a déjà été signifié au défendeur, la demanderesse doit déposer la preuve de signification (si ce n’est pas déjà fait) à la Cour au plus tard le 16 juin 2018.

  2. Vu que le défendeur a fait savoir qu’il n’entendait pas contre-interroger la demanderesse sur son affidavit complémentaire, il n’y a donc aucun délai à définir à cette fin.

  3. La demanderesse peut signifier et déposer son dossier supplémentaire, y compris son affidavit complémentaire et un mémoire supplémentaire des faits et du droit, le cas échéant, au plus tard 30 jours suivant la date de la présente ordonnance.

  4. Le mémoire supplémentaire des faits et du droit de la demanderesse ne peut contenir plus de 30 pages.

  5. Le défendeur peut signifier et déposer son dossier supplémentaire, y compris un mémoire supplémentaire des faits et du droit, au plus tard 20 jours suivant la signification et le dépôt du dossier supplémentaire de la demanderesse.

  6. Le mémoire supplémentaire des faits et du droit du défendeur ne peut contenir plus de 30 pages.

  7. La demanderesse devra demander la tenue d’une audience sur la demande de contrôle judiciaire conformément à l’article 314 des Règles, dans un délai de dix jours suivant la signification et le dépôt du dossier supplémentaire du défendeur. Advenant que le défendeur ne dépose pas son dossier supplémentaire, la demanderesse devra demander la tenue d’une audience sur la demande de contrôle judiciaire au plus tard 30 jours après la date de signification et de dépôt du dossier supplémentaire de la demanderesse.


ORDONNANCE dans le dossier T-1643-15

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La requête de la demanderesse, en date du 16 février 2018, visant notamment à obtenir l’autorisation de déposer une annexe à ses observations en réponse est rejetée.
  2. La requête de la demanderesse, en date du 15 novembre 2017, demandant à la Cour d’ordonner la tenue d’une enquête sur des allégations d’ingérence criminelle continue par cyberattaques par une personne désignée est rejetée.
  3. L’échéancier susmentionné relatif à la signification et au dépôt des documents à l’appui de la demande de contrôle judiciaire doit être respecté.
  4. Aucuns dépens ne sont accordés.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1643-15

 

INTITULÉ :

JOY THEAKER c. LE MINISTRE DE LA JUSTICE ET PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 avril 2018

Le 5 juin 2018

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 28 juin 2018

 

COMPARUTIONS :

Joy Theaker

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Alexandre Kaufman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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