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Date : 20180615


Dossier : T-2239-16

Référence : 2018 CF 624

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 15 juin 2018

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

TYLER WARK

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  M. Tyler Wark (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 26 juillet 2016 par le président indépendant de l’établissement de Warkworth. Dans cette décision, le président indépendant a déclaré le demandeur coupable sous le chef d’accusation d’avoir désobéi à un ordre légitime, infraction prévue à l’alinéa 40a) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 (la Loi), et l’a condamné à une amende avec sursis de 20 $.

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

[2]  Aux termes des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), le procureur général du Canada est le défendeur dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[3]  Le 12 avril 2016, des agents correctionnels ont trouvé des mocassins dans la cellule du demandeur. La possession de ces mocassins était interdite. Alors que les agents tentaient de résoudre le problème de manière informelle, le demandeur est devenu agité.

[4]  Selon la description des événements donnée par un agent correctionnel, le demandeur a reçu à plusieurs reprises l’ordre de retourner dans sa cellule, mais il n’a pas obéi à ces ordres [traduction] « aussi rapidement que le prévoit le modèle de gestion de situation ».

[5]  Le demandeur affirme qu’au moment où il retournait à sa cellule, il s’est retourné avec colère vers l’agent correctionnel, qui l’a aspergé avec sa bonbonne de Mace (poivre de cayenne). Par la suite, le demandeur a été amené en isolement pour une [traduction« décontamination ».

[6]  Le 13 avril 2016, le demandeur a appelé le bureau de l’enquêteur correctionnel et il a affirmé qu’on avait fait usage d’une force excessive durant l’incident.

[7]  Le 13 avril 2016, le demandeur a reçu un [traduction] « rapport d’infraction et avis d’accusation » (l’acte d’accusation) relativement à l’incident.

[8]  Dans une lettre datée du 18 mai 2016, l’enquêteur Patrick Dagenais a officiellement informé le demandeur que l’examen de l’incident était terminé et que la force utilisée était inappropriée.

[9]  L’audition a eu lieu le 26 juillet 2016. Le demandeur était représenté à cette audition par un étudiant en droit participant au projet de droit pénitentiaire de l’Université Queen’s et il a plaidé non coupable, maintenant qu’il retournait à sa cellule lors du recours à la force.

[10]  Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur allègue qu’il a été déclaré coupable d’une infraction qui n’apparaissait pas sur l’acte d’accusation. Il affirme qu’il a été déclaré coupable d’une infraction visée par l’alinéa 40a) de la Loi, mais les motifs du président indépendant et les éléments de preuve déposés appuient plutôt une infraction visée par l’alinéa 40h).

[11]  Le défendeur, pour sa part, affirme que le demandeur a été accusé d’avoir désobéi à un ordre légitime, infraction visée à l’alinéa 40a) de la Loi. Selon le paragraphe 43(3), le président indépendant devait être convaincu hors de tout doute raisonnable que les éléments essentiels du chef d’accusation avaient été établis; ces éléments essentiels étaient que l’ordre était justifié et que le demandeur y avait désobéi.

[12]  Le défendeur affirme que les éléments de preuve présentés à l’audition montraient que le demandeur a reçu, à trois reprises, l’ordre de retourner à sa cellule. Le demandeur n’a pas obéi à l’ordre, et est devenu agressif, verbalement et physiquement, selon le rapport d’observation.

[13]  Le défendeur conteste l’argument du demandeur selon lequel il n’aurait pas dû être déclaré coupable parce que l’agent correctionnel a eu recours à une force inappropriée après qu’il eut désobéi à l’ordre. Le défendeur fait valoir qu’il s’agit de deux incidents distincts.

[14]  Quoi qu’il en soit, le défendeur affirme que le dossier montre que le président indépendant a tenu compte du recours à une force excessive quand il a imposé la sanction disciplinaire. Il affirme que le président indépendant a tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents et qu’il en est venu à une conclusion qui appartient aux issues possibles acceptables.

III.  ANALYSE ET DÉCISION

[15]  Le défendeur s’est opposé à l’affidavit du demandeur, déposé dans la présente demande de contrôle judiciaire, au motif qu’il présente des éléments de preuve dont ne disposait pas le président indépendant.

[16]  Le défendeur s’oppose également au fait que le demandeur fait référence, au paragraphe 12 de son mémoire des faits et du droit, à son niveau de sécurité. Le défendeur soutient qu’il s’agit d’une simple hypothèse.

[17]  Si le demandeur a inclus dans son affidavit des renseignements ou des éléments de preuve dont ne disposait pas le président indépendant, ces renseignements ou éléments de preuve ne seront pas pris en considération pour rendre une décision dans la présente demande de contrôle judiciaire. La même chose vaut pour la mention faite par le demandeur de son niveau de sécurité.

[18]  La première question à trancher concerne la norme de contrôle applicable.

[19]  Je suis d’accord avec les observations du défendeur, selon lesquelles c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique, conformément à l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190. La norme de la décision raisonnable commande que la décision rendue par un décideur administratif soit justifiée, transparente et intelligible, et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit; voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

[20]  Le demandeur soutient que la décision n’est pas raisonnable parce qu’il a été déclaré coupable sur le mauvais chef d’accusation. Il fait référence aux motifs du président indépendant comme suit :

[21]  Le défendeur affirme que la décision du président indépendant est raisonnable, compte tenu de la preuve présentée.

[22]  En l’espèce, l’acte d’accusation montre que le demandeur a été accusé en application de l’alinéa 40a) de la Loi, qui est libellé ainsi :

Régime disciplinaire

Disciplinary offences

40 Est coupable d’une infraction disciplinaire le détenu qui:

40 An inmate commits a disciplinary offence who

a) désobéit à l’ordre légitime d’un agent;

(a) disobeys a justifiable order of a staff member;

[23]  L’alinéa 40h) de la Loi se lit comme suit :

Régime disciplinaire

Disciplinary offences

40 Est coupable d’une infraction disciplinaire le détenu qui:

40 An inmate commits a disciplinary offence who

h) se livre ou menace de se livrer à des voies de fait ou prend part à un combat;

(h) fights with, assaults or threatens to assault another person;

[24]  Cependant, la transcription de l’audition devant le président indépendant montre que l’audition a porté uniquement sur l’accusation d’avoir désobéi à un ordre direct. La transcription ne fait aucunement référence à un chef d’accusation visé par l’alinéa 40h).

[25]  À mon avis, la décision du président indépendant ne satisfait pas à la norme de la décision raisonnable telle qu’elle a été énoncée dans l’arrêt Dunsmuir, précité. Compte tenu du chef d’accusation, de la transcription de l’audition et de la preuve présentée à l’audition, et des motifs du président indépendant, la raison pour laquelle le demandeur a été déclaré coupable d’une infraction visée par l’alinéa 40a) n’est pas « transparente ». Les motifs du président indépendant ne sont pas justifiés ou intelligibles, en regard du chef d’accusation, des éléments de preuve et de la transcription de l’audition.

[26]  Le demandeur sollicite les réparations suivantes :

  1. une ordonnance de la nature d’un bref de certiorari annulant la décision du président indépendant;

  2. une ordonnance obligeant le défendeur à fournir une copie de l’enregistrement de l’audience d’un tribunal disciplinaire, à la demande de l’avocat dont les services auront été retenus;

  3. une ordonnance pour les dépens de la présente demande.

[27]  Je ne suis pas prête à rendre une ordonnance obligeant le défendeur à fournir « une copie de l’enregistrement de l’audience d’un tribunal disciplinaire, à la demande de l’avocat dont les services auront été retenus ».

[28]  Ainsi, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du président indépendant est annulée dans son intégralité et, si d’autres accusations sont portées relativement au même incident, l’affaire sera entendue par un autre président indépendant. Le demandeur a droit à ses dépens taxés.


JUGEMENT dans le dossier T-2239-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du président indépendant est annulée et l’affaire est renvoyée au directeur de l’établissement, à la condition que si d’autres accusations sont portées relativement au même incident, l’affaire sera entendue par un autre président indépendant. Le demandeur a droit à ses dépens taxés.

« E. Heneghan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2239-16

INTITULÉ :

TYLER WARK c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 octobre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

Le 15 juin 2018

COMPARUTIONS :

John Dillon

Pour le demandeur

 

Susan Jane Bennett

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Dillon

Avocat

Kingston (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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