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Date : 20180622


Dossier : T-1773-17

Référence : 2018 CF 645

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2018

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

ARTHUR KEITH

demandeur

et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

défenderesse

et

LES FORCES ARMÉES CANADIENNES

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 19 octobre 2017 par le Tribunal canadien des droits de la personne [le Tribunal]. Le Tribunal a rejeté la plainte du demandeur à l’encontre des Forces armées canadiennes [FAC].

[2]  Le demandeur est né aux États-Unis et a reçu une formation de psychiatre dans ce pays. Les FAC exigent que leurs psychiatres soient agréés par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada [CRMCC] dont l’agrément est reconnu dans l’ensemble du Canada. Le demandeur a tenté, en vain, de réussir le processus d’agrément du CRMCC; par conséquent, il n’est pas agréé par le CRMCC. Toutefois, le demandeur a obtenu une reconnaissance (et non un agrément) de psychiatre en Ontario auprès de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario (OMCO).

[3]  Le demandeur soutient que l’exigence des FAC selon laquelle les psychiatres doivent être agréés comme des spécialistes par le CRMCC est discriminatoire au motif de l’« origine nationale », en violation de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 [la LCDP]. Le demandeur soutient également que l’agrément du CRMCC n’est pas une exigence professionnelle justifiée [EPJ], au sens de l’alinéa 15(1)a) de la LCDP.

[4]  Le Tribunal a rejeté sa plainte pour les deux motifs.

[5]  Le demandeur soutient que l’exigence des FAC à l’égard d’un agrément du CRMCC empêche les spécialistes qualifiés d’origine autre que canadienne (ce qu’il prétend être) d’être pris en considération pour un emploi au sein des FAC. Il soutient également que cette exigence le prive de façon discriminatoire de possibilités d’emploi (c.-à-d. qu’elle le soumet à une discrimination défavorable).

[6]  La position de la défenderesse est que les membres des FAC se déplacent à l’échelle du pays et qu’en adoptant les normes du CRMCC, les FAC s’assurent que les psychiatres qui traitent les membres et le personnel répondent à une norme reconnue à l’échelle du Canada sur le plan de la compétence en psychiatrie. Il n’est pas contesté qu’il est essentiel pour les FAC que les psychiatres qui exercent dans une région du pays présentent les mêmes compétences ou, à tout le moins, des compétences ayant une similarité minimale, à ceux de toutes les autres régions du pays. La continuité des soins psychiatriques et une norme commune régissant cet aspect sont des éléments essentiels pour les FAC. La défenderesse soutient que l’agrément du CRMCC n’est pas une exigence discriminatoire et que, de toute manière, elle constitue une EJP.

[7]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  Exposé des faits

[8]  Le demandeur est un médecin né aux États-Unis qui a obtenu une formation médicale et une formation spécialisée en psychiatrie aux États-Unis. Il a terminé sa résidence en psychiatrie aux États-Unis en 1983. En 1987, il a été agréé aux États-Unis comme spécialiste en psychiatrie par l’American Board of Psychiatry and Neurology [ABPN]. Il a occupé un poste de médecin au sein des forces armées américaines de 1979 à 1986.

[9]  En 1988, il est venu au Canada. Il est devenu résident permanent en 1991 et a obtenu la citoyenneté canadienne en 1995.

A.  Tentative du demandeur d’obtenir un agrément du CRMCC

[10]  En 1989, alors qu’il était résident des États-Unis, dans un effort pour obtenir une reconnaissance canadienne en psychiatrie, le demandeur a soumis une demande d’agrément (titre d’associé) de spécialiste en psychiatrie auprès du CRMCC. À cette époque, le CRMCC était la seule entité ayant le pouvoir d’octroyer un agrément de spécialiste. À ce moment, le demandeur ne résidait pas au Canada et n’était pas à la recherche d’un emploi au sein des FAC.

[11]  Le CRMCC a reconnu la majeure partie de la formation du demandeur aux États-Unis. Toutefois, le CRMCC a déterminé qu’il devait suivre trois autres étapes pour recevoir un agrément : (1) réussir un examen écrit; (2) terminer une résidence de six mois en pédopsychiatrie; et (3) réussir un examen oral en psychiatrie.

[12]  Le demandeur a réussi l’examen écrit du processus du CRMCC lors de sa deuxième tentative. Il a également terminé sa résidence en pédopsychiatrie.

[13]  Il a ensuite tenté l’examen oral en psychiatrie à trois occasions distinctes, mais a toutefois échoué à chacune des occasions. Après sa troisième tentative, il n’était plus admissible à l’examen oral. Pour réussi l’examen oral, et par extension, pour recevoir l’agrément du CRMCC, il devait soumettre une demande au Comité des titres du CRMCC pour renouveler son admissibilité. Il ne l’a pas fait.

B.  Travail du demandeur en Ontario et rapports avec l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario (OMCO)

[14]  En 1992, le demandeur a obtenu un permis d’exercice de la médecine en Ontario à titre de non-spécialiste auprès de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario (OMCO). À cette époque, l’OMCO, à titre d’organisme d’octroi des permis d’exercice de la médecine, se fondait exclusivement sur l’agrément accordé par le CRMCC pour reconnaître les spécialistes, agrément que le demandeur ne possédait pas.

[15]  De 1993 à 1998, le demandeur a travaillé en Ontario à titre de psychiatre membre du personnel et de psychiatre légiste au sein d’établissements de soins de santé qui n’exigeaient pas l’agrément de spécialiste du CRMCC.

[16]  Après une autre période à exercer aux États-Unis, le demandeur est revenu en Ontario en 2003, où il a une fois de plus travaillé à titre de psychiatre. Il a continué ce travail jusqu’à son départ à la retraite, en 2015.

[17]  En 2004, le demandeur a demandé à être reconnu comme psychiatre par l’OMCO. À cette période, l’OMCO travaillait à établir un mécanisme de permettant une « reconnaissance » (et non d’« agrément » comme c’est le cas du CRMCC) des médecins spécialistes formés à l’étranger sans les obliger à obtenir un agrément du CRMCC.

[18]  En 2007, le demandeur a obtenu une reconnaissance de spécialiste en psychiatrie de l’OMCO dans le cadre d’une procédure « d’évaluation fonctionnelle » ciblant les spécialistes formés à l’étranger comme le demandeur. Il a été l’un des premiers à recevoir cette reconnaissance. D’autres précisions de l’OMCO sont fournies à partir du paragraphe 32 des présents motifs.

[19]  Fait important, le nouveau processus de l’OMCO n’était pas fondé sur la réussite d’examens, comme l’exigeait le CRMCC.

[20]  Il est également important de souligner que, selon le demandeur, le processus d’agrément de l’ABPN auquel il s’est soumis pour évaluer ses compétences en psychiatrie aux États-Unis était fondé sur des examens similaires à ceux du processus d’agrément du CRMCC.

[21]  À tous les moments pertinents, la reconnaissance de spécialiste de l’OMCO n’était pas acceptée par certaines provinces, pas plus que ne l’étaient les reconnaissances accordées par les autres provinces.

[22]  Par contre, l’agrément de spécialiste du CRMCC en psychiatrie était reconnu à l’échelle du Canada.

[23]  Le Tribunal a déterminé que la reconnaissance de spécialiste de l’OMCO n’était pas équivalente à l’agrément du CRMCC :

Le statut de spécialiste octroyé par l’OMCO n’est pas équivalent au titre d’associé du CRMCC : Le registre de l’OMCO fournit des renseignements précis sur les médecins en Ontario, y compris la spécialité, le cas échéant, et l’organisme ayant agréé la spécialité du médecin.

III.  Le CRMCC et l’OMCO

A.  Le CRMCC

[24]  Au moment où le demandeur a déposé sa plainte devant le Tribunal, les médecins de l’Ontario pouvaient être reconnus comme spécialistes de deux façons : 1) en obtenant un agrément de spécialiste (associée) auprès du CRMCC, ou 2) en obtenant une reconnaissance de spécialiste auprès de l’OMCO. Par souci d’intégralité, il existe une troisième méthode pour permettre aux médecins de famille d’obtenir un agrément auprès du CRMCC, mais cette méthode n’est pas pertinente en l’espèce.

[25]  La nature et la portée de la reconnaissance octroyée par le CRMCC et l’OMCO diffèrent.

[26]  Le CRMCC est l’organisme national chargé de l’agrément des spécialistes sur tout le territoire canadien dans tous les domaines de la médecine et de la chirurgie. Un médecin agréé comme spécialiste par le CRMCC est reconnu à ce titre à l’échelle du Canada.

[27]  Le CRMCC était également responsable de l’agrément des programmes universitaires qui forment les médecins pour exercer leur spécialité à l’échelle du Canada. Le CRMCC administrait les examens oraux et écrits permettant d’obtenir l’agrément du CRMCC, accréditait les programmes de résidence au sein des facultés de médecine à l’échelle du Canada et s’assurait que la formation et l’évaluation des spécialistes en médecin et en chirurgie étaient conformes aux normes pertinentes. Au terme de leurs études postdoctorales en médecin, tous les médecins au Canada devaient réussi les examens d’agrément du CRMCC afin de devenir spécialistes.

[28]  Comme nous l’avons mentionné précédemment, lorsque le demandeur a soumis une demande aux FAC, la norme de recrutement en vigueur obligeait les psychiatres à obtenir l’agrément du CRMCC en psychiatrie. Toutefois, il y avait une exception pour les médecins agréés par le Collège des médecins du Québec [le CMQ]. Les FAC acceptaient l’agrément du CMQ puisque le CMQ différait des autres organisations provinciales d’agrément : le CMQ constitue à la fois une organisation d’octroi de permis et une organisation d’agrément. Fait important, le CMQ et le CRMCC ont harmonisé leurs exigences respectives relatives à l’agrément.

[29]  Lorsque le demandeur a soumis une demande d’agrément auprès du CRMCC, en 1989, tous les médecins, sans égard à leur origine nationale ou à l’endroit où ils avaient reçu leur formation, étaient tenus de réussir les examens écrits et oraux normalisés du CRMCC pour être agréés. C’est le composant oral des examens normalisés du CRMCC en psychiatrie que le demandeur a échoué à trois occasions.

[30]  La même situation est survenue en 2008, lorsque le demandeur a présenté, sans succès, une demande après des FAC, ce qui l’a mené à déposer cette plainte devant le Tribunal : tous les médecins, sans égard à leur origine nationale ou à l’endroit où ils avaient reçu leur formation, étaient tenus de réussir les examens écrits et oraux normalisés du CRMCC pour être agréés.

[31]  En 2010, le CRMCC a créé une nouvelle voie d’admissibilité vers l’agrément pour les médecins dont la formation n’était pas reconnue et qui ne pouvaient accéder aux examens d’agrément réguliers. Dans le cadre de ce nouveau processus, le CRMCC procéderait à un examen fondé sur la pratique afin de déterminer si le médecin devrait être reconnu comme spécialiste. Toutefois, le demandeur n’a pas tenté de recourir à cette nouvelle méthode d’agrément du CRMCC.

B.  L’OMCO

[32]  L’OMCO est l’organisation provinciale qui réglemente l’exercice de la médecine en Ontario. Je dois souligner que l’exercice de la médecine est une question de compétence provinciale. L’OMCO émet des certificats d’inscription pour permettre aux médecins d’exercer la médecine. Toutefois, en l’absence d’une entente avec un autre territoire de compétence, les certificats de l’OMCO ne sont valides qu’en Ontario. De façon plus générale, les certificats et les permis d’exercice de la médecine émis par une province canadienne ne sont pas automatiquement transférables dans toutes les autres provinces.

[33]  L’OMCO reconnaît également certains domaines de spécialisation en Ontario, comme la psychiatrie. Puisque la réglementation de la médecine au Canada est une question de compétence provinciale, encore une fois, la reconnaissance de l’OMCO n’est valide qu’en Ontario, à moins qu’une autre province adopte ou accepte la reconnaissance de l’OMCO, ce qui n’est pas le cas pour toutes les provinces.

[34]  En outre, l’OMCO assure l’application de normes provinciales d’exercice de la profession, fait enquête sur les plaintes des patients visant des médecins et s’occupe des questions disciplinaires relatives aux médecins coupables d’inconduite.

[35]  En 2004, l’OMCO a adopté une nouvelle « évaluation fonctionnelle » individuelle comprenant une évaluation fondée sur le médecin et sur le poste occupé visant à reconnaître les spécialistes qui ne pouvaient se conformer aux exigences du CRMCC, y compris les spécialistes étrangers dont la formation n’était pas reconnue par le CRMCC et qui, comme le demandeur, n’étaient pas en mesure de réussir, en partie ou en totalité, les examens du CRMCC.

[36]  Certaines autres provinces ont également élaboré des évaluations fonctionnelles visant la reconnaissance des spécialistes. Toutefois, lorsque le demandeur a suivi le processus de reconnaissance de l’OMCO, les provinces n’avaient pas encore normalisé leurs évaluations, si bien que le processus de reconnaissance des spécialistes dans une province n’était pas automatiquement reconnu dans une autre.

[37]  Comme nous l’avons mentionné, le demandeur a été reconnu comme un spécialiste par l’OMCO en 2007, en application de sa politique d’« évaluation fonctionnelle ». Cette procédure consistait pour l’OMCO à évaluer les études, la formation, l’expérience et la certification à l’étranger du demandeur. Elle reposait également sur les commentaires recueillis auprès de son superviseur et de ses collègues, ainsi que sur une évaluation de la pratique en personne sur place. L’évaluation fonctionnelle de l’OMCO ne comportait aucun examen oral ou écrit, ce qui distingue le processus de reconnaissance de l’OMCO de l’agrément du CRMCC.

[38]  Le demandeur a réussi la procédure d’évaluation fonctionnelle de l’OMCO et a donc été reconnu comme spécialiste en psychiatrie en Ontario. Ainsi, la reconnaissance de l’OMCO lui conférait le droit d’exercer à titre de spécialiste en psychiatrie en Ontario et dans certaines autres provinces au même titre que les autres spécialistes accrédités par le CRMCC.

IV.  Demande d’emploi du demandeur auprès des FAC

[39]  Calian Ltd. [Calian] est un entrepreneur fournissant des services de professionnels de la santé aux FAC. L’entreprise assure le recrutement, l’embauche et la gestion de fournisseurs de soins de santé qualifiés. Toutefois, les exigences liées aux postes au sein des FAC sont déterminées par les FAC et non par Calian. Les FAC choisissent les candidats retenus parmi ceux identifiés par Calian.

[40]  Dans ce contexte, les FAC ont chargé Calian de recruter des psychiatres civils à deux de ses bases au Canada, soit Cold Lake, en Alberta, et Petawawa, en Ontario. Pour les deux postes, les FAC exigeaient que les candidats soient agréés en psychiatrie par le CRMCC.

[41]  Au début de l’année 2008, le demandeur a soumis sa candidature pour les deux postes, sans égard au fait qu’il ne possédait pas l’agrément requis du CRMCC en psychiatrie. Il savait qu’il devait posséder l’agrément du CRMCC et qu’il ne l’avait pas. Il soutenait alors (et soutient toujours) que l’exigence des FAC à l’égard de l’agrément du CRMCC contrevenait à la LCDP et qu’il n’était donc pas tenu de s’y conformer.

[42]  Le demandeur a été avisé par les recruteurs de Calian qu’il serait embauché par Calian si ses titres étaient considérés acceptables par le ministère de la Défense nationale. Calian a proposé la candidature du demandeur aux FAC malgré le fait que le demandeur n’était pas agréé par le CRMCC. Les recruteurs de Calian ont demandé aux FAC de lever l’exigence de l’agrément du CRMCC pour le demandeur.

[43]  À cet égard, de nombreux courriels ont été envoyés par le gestionnaire adjoint des programmes de Calian aux FAC en soutien à la candidature du demandeur. Le 15 juillet 2008, les dirigeants de Calian ont rencontré le major Tremblay des FAC pour discuter de la candidature du demandeur.

[44]  Cependant, les FAC ont refusé d’exempter le demandeur de l’agrément du CRMCC en psychiatrie. Le colonel Boddam (à la retraite), le principal praticien en psychiatrie et en santé mentale dans les Forces canadiennes, a pris en compte la candidature du demandeur, mais a déterminé qu’il ne répondait pas aux exigences du poste puisqu’il ne possédait pas l’agrément du CRMCC en psychiatrie, comme le précisait l’avis de poste à pourvoir. En août 2008, le demandeur a été avisé par Calian que sa demande ne passerait pas à l’étape suivante puisqu’il ne possédait pas l’agrément du CRMCC exigé pour ces postes.

V.  Antécédents du demandeur en matière de litiges

A.  À l’endroit de l’OMCO

[45]  En décembre 2008, le demandeur a soumis une demande auprès du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario [le TDPO] conformément à l’article 34 du Code ontarien des droits de la personne, RSO 1990, ch. H 19 à l’encontre de l’OMCO, alléguant que certaines mesures prises par l’OMCO constituaient de la discrimination au motif de l’origine et de la citoyenneté.

[46]  Le demandeur allègue que le défaut de l’OMCO d’évaluer individuellement ses compétences à titre de spécialiste entre 1992 et 2007 et son invocation de l’agrément de spécialiste du CRMCC constituent de la discrimination au motif de l’origine et de la citoyenneté puisqu’elle sous-évalue sa formation aux États-Unis. Dans une décision intérimaire, le TDPO soutenait que les allégations concernant la conduite avant 2007 ont été soumises à l’extérieur des délais et ne pouvaient être entendues : Keith v College of Physicians and Surgeons of Ontario, 2010 HRTO 2310.

[47]  Dans l’affaire Keith v College of Physicians and Surgeons of Ontario, 2013 HRTO 1646, le demandeur a contesté un registre public tenu par l’OMCO qui fournit des renseignements précis sur les médecins exerçant en Ontario, notamment la spécialité du médecin et l’organisation ayant octroyé un permis d’exercice de cette spécialité. Dans sa demande déposée devant le TDPO, le demandeur alléguait que le registre de l’OMCO était discriminatoire à l’endroit des spécialistes agréés par l’OMCO au motif de l’origine puisque la plupart des spécialistes inscrits auprès de l’OMCO ont reçu leur formation à l’étranger. Le TDPO a rejeté sa plainte après avoir conclu que la distinction établie dans le registre entre les spécialistes agréés par le CRMCC et l’OMCO n’était pas discriminatoire en ce sens qu’il n’existait aucune preuve qu’elle entraînait un traitement défavorable ou un désavantage. Le demandeur n’a pas interjeté appel de cette décision.

B.  Plaintes aux termes de la LCDP

[48]  Le demandeur a également soumis une demande de redressement à la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission]. En février 2009, il a déposé une plainte modifiée à l’encontre des FAC alléguant une discrimination au motif de l’origine nationale. La Commission a lancé une enquête et rejeté la plainte pour absence de compétence. La Commission a également rejeté une plainte similaire déposée par le demandeur à l’encontre du Service correctionnel du Canada [SCC]. Le SCC et les FAC exigent tous deux que les psychiatres embauchés soient agréés par le CRMCC; le demandeur a été refusé par les deux organisations en raison du fait qu’il ne détenait pas l’agrément du CRMCC, sans égard au fait qu’il était alors reconnu par l’OMCO.

[49]  Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire des décisions des deux Commissions. En 2011, le juge O’Reilly a rejeté les deux demandes. Ce faisant, le juge O’Reilly a conclu qu’il était justifié pour la Commission de conclure que le demandeur est en « désaccord » avec le CRMCC et non avec les FAC. Par conséquent, le juge O’Reilly a conclu que la Commission n’était pas compétente pour faire enquête sur la plainte du demandeur à l’encontre des FAC : Keith c. Canada (Service correctionnel), 2011 CF 690.

[50]  En 2012, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge O’Reilly concernant le SCC. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel du demandeur relativement à sa plainte à l’encontre des FAC. Comme le juge Mainville, il a conclu que la Commission n’avait pas compétence pour examiner la plainte du demandeur à l’encontre des FAC : se reporter à l’article 81 de Keith c Canada (Service correctionnel), 2012 CAF 117 :

[81]  Je suis toutefois bien conscient du fait que, vu les conclusions sur lesquelles la Commission s’est fondée pour rejeter la plainte visant le Service correctionnel, un examen de la plainte portée contre les Forces canadiennes pouvait s’avérer quelque peu superfétatoire. La Commission devait toutefois être conséquente avec son choix tout à fait conscient de traiter séparément les deux plaintes en appliquant deux mécanismes législatifs distincts. Elle était parfaitement consciente du fait qu’elle était saisie de deux plaintes, mais elle a choisi de les traiter séparément. Pour une raison inconnue, elle ne s’est pas fondée sur les éléments de preuve recueillis au cours de l’enquête qu’elle avait menée sur la plainte portée contre le Service correctionnel pour trancher celle portée contre les Forces canadiennes.

[51]  Par conséquent, la plainte du demandeur a été renvoyée à la Commission. En 2013, la Commission a renvoyé la plainte à l’encontre des FAC au Tribunal. Le Tribunal a mené une enquête et tenu une audience d’une durée de huit jours. Après avoir étudié la question, le Tribunal a rejeté la plainte du demandeur en octobre 2017. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

VI.  Décision

[52]  Le Tribunal a conclu que la pratique d’embauche des FAC n’était pas discriminatoire au motif de l’origine nationale. Il a également conclu, à titre incident, que la pratique d’embauche des FAC constituait une EJP. Le Tribunal a rejeté la plainte du demandeur.

VII.  Questions en litige

[53]  Le demandeur soulève les questions suivantes pour examen :

  • (1) Le Tribunal a-t-il commis une erreur dans l’évaluation de la discrimination :

  • a) en interprétant mal la loi et en l’appliquant incorrectement aux faits pour déterminer que les études et la formation du demandeur à l’étranger n’ont pas servi de substitut au motif protégé d’origine nationale (c.-à-d. le lieu d’origine);

  • b) en utilisant une approche officielle en matière d’égalité et en commettant des erreurs de fait déterminées pour exclure les effets défavorables;

c)  en présumant indûment une intention dans le volet contributif de l’analyse de la discrimination à première vue?

  • (2) Le Tribunal a-t-il commis une erreur dans l’application du critère de l’EJP en omettant d’appliquer correctement l’analyse dans l’arrêt Meiorin et en s’appuyant sur des éléments de preuve qui ne pouvaient raisonnablement aboutir à une conclusion de préjudice indu?

(3)  Le Tribunal a-t-il commis un manquement au droit à l’équité procédurale du demandeur en retenant contre lui le fait qu’aucun élément de preuve n’a été présenté pour démontrer que l’agrément du CRMCC est discriminatoire alors qu’il n’a pas été dûment saisi de cette question?

[54]  Il existe à mon avis deux questions déterminantes.

  • (1) La question à savoir si le Tribunal a agi de manière raisonnable en concluant que l’exigence des FAC selon laquelle tous les praticiens en psychiatrie doivent être agréés par le CRMCC n’est pas discriminatoire à première vue.

  • (2) La question à savoir si le Tribunal a manqué à l’équité procédurale.

VIII.  Norme de contrôle

[55]  Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a établi aux paragraphes 57 et 62 qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse du critère de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». La Cour d’appel fédérale a également confirmé que la norme de la décision raisonnable est la norme d’examen standard des décisions du Tribunal portant sur l’interprétation de sa loi constitutive : Adamson c. Canada (Commission des droits de la personne), 2015 CAF 153, au paragraphe 30, et de façon plus générale, Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, au paragraphe 27. La norme de la décision raisonnable est la norme d’examen de la première question.

[56]  Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[57]  Lorsqu’elle examine la norme de la décision raisonnable, la Cour doit intervenir seulement si les décisions du Tribunal n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, il pourrait y avoir plusieurs résultats possibles qui répondent à la norme de la décision raisonnable établie dans l’arrêt Dunsmuir. En outre, il est un fait bien établi qu’au contrôle judiciaire, la Cour doit s’abstenir de soupeser de nouveau et de réévaluer la preuve examinée par le décideur : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 64.

[58]  À cet égard, le Tribunal possède une expertise considérable et spécialisée. Par conséquent, la décision du Tribunal mérite une « déférence considérable » : Stewart c. Elk Valley Coal Corp, 2017 CSC 30, au paragraphe 20. Les décisions qui sont soumises à la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire ne sont pas des audiences de novo.

[59]  Un tribunal assujetti à la LCDP est chargé de soupeser et d’évaluer les éléments de preuve. La Cour suprême du Canada a jugé que les tribunaux comme celui-ci ont le mandat et l’expertise nécessaires pour « tirer des conclusions de fait au chapitre de la discrimination » : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, au paragraphe 25. Voir aussi Lévis (Ville) c. Fraternité des policiers de Lévis Inc., 2007 CSC 14, au paragraphe 112.

[60]  En ce qui concerne les questions d’équité procédurale, les décisions du Tribunal sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79). Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision correcte :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

[61]  La Cour suprême du Canada prescrit aussi que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase; la décision doit être considérée comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

IX.  Analyse

A.  Question 1 – Application par le Tribunal du critère d’examen de discrimination à première vue établi dans l’arrêt Moore

[62]  La Cour suprême du Canada définit le critère d’examen de discrimination à première vue établi dans l’arrêt Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 [Moore], qui est l’arrêt faisant autorité, au paragraphe 33 :

[33]  Comme l’a à juste titre reconnu le Tribunal, pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Une fois la discrimination établie à première vue, l’intimé a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique suivant le régime d’exemptions prévu par les lois sur les droits de la personne. Si la conduite ou pratique ne peut être justifiée, le tribunal conclura à l’existence de la discrimination.

[63]  J’examinerai séparément les trois volets du critère.

1)  Le demandeur a-t-il, comme il se doit, montré qu’il possède une caractéristique protégée par la LCDP contre la discrimination?

[64]  Le Tribunal s’est fondé à juste titre sur l’arrêt Moore pour appliquer le critère d’examen de discrimination à première vue.

[65]  Je n’ai pas entendu le demandeur se plaindre comme tel qu’il avait subi une discrimination fondée sur son origine nationale (en soi). L’origine nationale est un motif de discrimination illicite en application du paragraphe 3(1) de la LCDP :

Motifs de distinction illicite

Prohibited grounds of discrimination

 (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience.

 (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, gender identity or expression, marital status, family status, genetic characteristics, disability and conviction for an offence for which a pardon has been granted or in respect of which a record suspension has been ordered.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

[66]  Le demandeur a plutôt soutenu qu’il avait subi une discrimination fondée sur ses études qui, affirme-t-il, se substitue au motif illicite de discrimination fondée sur l’« origine nationale ».

[67]  Le Tribunal souscrit à l’analyse sur le lieu des études comme substitut du « lieu d’origine » (« origine nationale » dans le contexte de la LCDP) énoncée dans la décision Grover v Alberta (Human Rights Commission), [1996] AJ no 667 (Cour du banc de la Reine de l’Alberta), confirmé par 1999 ABCA 240 [Grover]. Le Tribunal a affirmé ce qui suit :

[traduction] [46]  Je souscris à l’opinion exprimée dans Grover v Alberta (Human Rights Commission), [1996] AJ no 667 (Cour du banc de la Reine de l’Alberta) et confirmée par [1998] AJ no 924 (Alta CA) relativement au lieu des études comme une extension du « lieu d’origine »; la Cour a déclaré, aux paragraphes 47 et 48, qu’elle « doit rendre une interprétation équitable et large, mais fidèle de l’expression “lieu d’origine”. Cette expression (lieu d’origine d’une personne) ne peut être déformée pour englober le lieu où une personne a reçu son doctorat ».

[68]  Bien que le demandeur critique l’arrêt Grover et son acceptation par le Tribunal, j’estime que cet arrêt est utile et je l’utilise comme point de départ dans l’analyse du critère établi dans l’arrêt Moore. En d’autres termes, pour déterminer si un plaignant possède une caractéristique qui est protégée contre la discrimination, il faut d’abord examiner les lois (le LCDP en l’espèce). Je ne suis pas convaincu qu’il s’agissait d’une approche inacceptable ou déraisonnable pour interpréter la loi constitutive du Tribunal.

[69]  Par conséquent, l’examen en l’espèce doit se concentrer sur l’« origine nationale » ou, lorsque cela n’est pas établi, sur un substitut de l’« origine nationale ». C’est ce que le Tribunal a fait; le processus est justifiable. Le Tribunal était en accord, affirmant au paragraphe 45 que « l’extension du ‘lieu d’origine’ pour inclure le lieu des études à l’étranger pourrait être approprié dans certaines circonstances. »

[70]  En ce qui concerne la référence à l’arrêt Grover, la LCDP n’interdit pas la discrimination au motif du pays où les études ont été dispensées; rien ne justifie de critiquer les conclusions du Tribunal à cet égard, qui tire la même conclusion :

[traduction] [...] On ne peut appliquer automatiquement le principe que les études dispensées à l’étranger sont une extension de la naissance à l’étranger. Cela n’est pas un principe absolu; autrement, il constituerait une rubrique distincte sur la discrimination dans la LCDP. Bien que le Tribunal dispose d’un large pouvoir discrétionnaire dans son interprétation, il est en droit de limiter ce qui pourrait s’appliquer autrement dans un cas dont les faits sont dissemblables.

[71]  Bien que le demandeur ait fait valoir devant le Tribunal que ses études médicales aux États-Unis constituaient un substitut acceptable au « lieu d’origine », le Tribunal n’était pas de cet avis. Le Tribunal n’était pas d’avis que « le simple fait d’être né et d’avoir faire ses études à l’extérieur du Canada » entraîne une discrimination défavorable et que ce statut est « automatiquement protégé » aux termes de la LCDP dans le dossier en l’espèce. À mon avis, cet examen dépend tant du contexte que des faits, comme c’est le cas en l’espèce.

[72]  Sous ce rapport, et à juste titre, selon moi, le Tribunal s’est tourné vers les éléments de preuve. Dans ce dossier, le Tribunal n’a pas accepté l’allégation du demandeur selon laquelle ses études aux États-Unis ont servi de substitut à l’origine nationale. Le Tribunal a mentionné l’affaire Bitonti v College of Physicians & Surgeons of British Columbia, [1999] BC HRTD no 60 [Bitonti]. Le Tribunal a fait observer, au paragraphe 44 :

[traduction] [44]  Je suis d’accord que le lieu d’origine peut constituer un motif approprié pour conclure à une discrimination sur le marché du travail et dans la société en général, et par conséquent, qu’il s’agit d’une pratique interdite, à juste titre, prévue par la LCDP. Toutefois, je ne souscris pas à la théorie que le simple fait d’être né et d’avoir faire ses études à l’extérieur du Canada entraîne une discrimination défavorable et que ce statut est automatiquement protégé aux termes de la LCDP.

[traduction] [45]  Bien que l’extension du « lieu d’origine » pour inclure le lieu des études à l’étranger soit appropriée dans certaines circonstances, comme dans le cas des diplômes obtenus dans certaines universités du tiers-monde. Je suis d’accord que l’extension automatique de la définition du « lieu d’origine » n’était pas l’intention visée par l’arrêt Bitonti et que la conclusion exprimée dans l’arrêt Fazil constitue l’interprétation correcte. Aucune preuve n’a été déposée devant le Tribunal canadien des droits de la personne (« Tribunal ») selon laquelle le processus d’agrément du CRMCC était plus onéreux au motif que le Dr Keith est né aux États-Unis et y a fait ses études.

[Non souligné dans l’original.]

[73]  Je ne trouve rien à redire sur le caractère raisonnable de cette conclusion. Pour fournir un contexte, le demandeur a soutenu devant le Tribunal que « [l]a jurisprudence en matière de droits de l’homme a toujours jugé que le lieu de la formation est un substitut du lieu d’origine » (voir le paragraphe 134 des observations présentées par le demandeur au Tribunal).

[74]  Soit dit très respectueusement, cette observation de la part du demandeur n’était pas fondée lorsqu’il l’a soumise au Tribunal. Elle ne l’est pas plus maintenant.

[75]  Bien que le demandeur ait mentionné l’arrêt Bitonti comme jurisprudence à l’appui dans ses observations au Tribunal, un examen de l’arrêt Bitonti confirme que le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique n’a pas tiré la conclusion que lui attribue le demandeur. La conclusion de l’arrêt Bitonti était plutôt fondée sur le cas précédent, qui comportait des données statistiques. Dans l’arrêt Bitonti, le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a raisonnablement mentionné, au paragraphe 145, qu’il revenait au tribunal « d’accorder autant de poids et de tirer une telle inférence de [la preuve] que j’estime approprié dans les circonstances. » La conclusion du Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Bitonti, au paragraphe 147, était que selon la preuve dont il disposait, « il existait une corrélation élevée entre le lieu d’origine et le lieu d’obtention du diplôme ». En d’autres termes, le Tribunal n’a conclu à cette corrélation élevée qu’après avoir examiné et analysé les éléments de preuve qui lui ont été présentés.

[76]  À cet égard, le demandeur a également attiré l’attention du Tribunal sur la décision Mihaly v The Association of Professional Engineers, Geologists and Geophysicists of Alberta, 2014 AHRC 1 [Mihaly Tribunal]. Dans l’affaire Mihaly Tribunal, le Tribunal de l’Alberta a conclu, au paragraphe 171, « selon ces faits », c’est-à-dire selon les éléments de preuve dont il disposait, que les diplômes du plaignant constituaient un « substitut pour [son] lieu d’origine ». Toutefois, la décision Mihaly Tribunal a été infirmée en appel : The Association of Professional Engineers, Geologists and Geophysicists of Alberta v Mihaly, 2016 ABQB 61 [Mihaly Queen’s Bench]. Dans l’affaire Mihaly Tribunal, on estimait que le plaignant faisait l’objet de discrimination puisque, en tant qu’ingénieur né à l’étranger et formé dans le cadre d’un programme de génie non agréé, il devait réponde à des normes plus onéreuses que les ingénieurs formés dans le cadre de programmes de génie agréés. Au contraire, dans l’affaire Mihaly Queen’s Bench, on a conclu qu’il n’y a pas de discrimination lorsqu’une exigence de réussir des examens s’applique à toutes les personnes qui souhaitent s’inscrire à titre d’ingénieur professionnel, sans égard à l’endroit où ils ont été formés ou à la question à savoir s’ils ont obtenu leur diplôme dans le cadre d’un programme de génie agréé.

[77]  Élément particulièrement pertinent en l’espèce, la conclusion suivante a été formulée au paragraphe 106 de l’affaire Mihaly Queen’s Bench : [traduction] « Même si les éléments de preuve indiquent que M. Mihaly a échoué l’examen [du NPPE] à trois reprises, il n’existe aucune preuve que ces échecs étaient liés de quelque façon que ce soit à son lieu d’origine. »

[78]  Je note l’importance d’examiner et d’analyser les preuves dont dispose le Tribunal pour déterminer la première étape de l’analyse du critère établi dans l’arrêt Moore, soit la question à savoir si un plaignant possède ou non une caractéristique protégée contre la discrimination aux termes de la LCDP.

[79]  Comme il est indiqué au paragraphe 45 de la décision du Tribunal, citée au paragraphe 72, ci-dessus, le Tribunal en l’espèce est d’accord avec l’interprétation de la première partie de l’analyse du critère de l’arrêt Moore établie dans Fazli v National Dental Examination Board of Canada, 2014 HRTO 1326 [Fazli]. Dans l’arrêt Fazli, un dentiste formé en Afghanistan ne répondait pas aux exigences du demandeur sur le plan de l’agrément. Il s’est dit victime de discrimination en raison de son lieu d’origine, un motif illicite, en utilisant le lieu des études comme substitut. La demande de M. Fazli a été rejetée par le Tribunal. Le Tribunal a tenu compte de la preuve et a conclu que M. Fazli n’avait pas « établi qu’un traitement différentiel ou désavantageux qu’il aurait pu subir en raison du fait qu’il a obtenu son diplôme dans le cadre d’un programme de médecine dentaire non agréé constituait de la discrimination au motif du lieu d’origine ».

[80]  Aux paragraphes 37 à 40 de l’arrêt Fazli, le Tribunal a conclu :

[traduction] [37]  Dans la mesure où les diplômés de programmes de médecine dentaire non agréés subissent des désavantages au sein du système de la défenderesse, la défenderesse fait valoir, et je suis d’accord, que ce désavantage est lié au lieu des études ou de la formation de la personne, et non à son lieu d’origine. Le lieu des études ou de la formation n’est pas un motif de discrimination illicite en application du Code. Neiznanski v. University of Toronto, (1995) 24 CHRR D/187, aux paragraphes 49 et 50, cité dans la décision Durakovic v. Canadian Architectural Certification Board, 2011 HRTO 333 (CanLII).

[traduction] [38]  En toute justice, le demandeur reconnaît ce fait. Toutefois, il fait valoir que le lieu de formation peut être un substitut du lieu d’origine, puisque les gens ont tendance à suivre une formation dans leur lieu d’origine. Neiznanski, précité; Mihaly v. The Association of Professional Engineers, Geologists and Geophysicists of Alberta, 2014 AHRC 1 (CanLII).

[traduction] [39]  Dans les circonstances où un agrément ou un permis plus onéreux est imposé en raison d’hypothèses négatives sur le lieu de formation d’une personne, il pourrait être approprié de conclure à une discrimination fondée sur le lieu d’origine. Par exemple, dans la décision [Bitonti], un cas abondamment invoqué par le demandeur, le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a conclu qu’il était discriminatoire pour le Collège des médecins et chirurgiens de la Colombie-Britannique d’accorder un traitement préférentiel aux diplômés de facultés de médecine du Canada, des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’Irlande, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et de l’Afrique du Sud par rapport aux diplômés des facultés de médecine des autres régions du monde, en se fondant sur des hypothèses liées aux mérites du système d’enseignement médical britannique en vigueur dans ces pays, par rapport aux connaissances réelles.

[traduction] [40]  En l’espèce, toutefois, la preuve ne démontre pas que la défenderesse a imposé au demandeur des exigences plus onéreuses en matière d’agrément sur la base d’hypothèses sur l’Afghanistan ou d’autres pays.

[Non souligné dans l’original.]

[81]  Je formule trois observations sur la décision Fazli. Premièrement, la décision dans l’affaire Fazli, comme la décision du Tribunal dans l’affaire dont je suis saisi, était fondée sur des faits. Deuxièmement, la décision Fazli reconnaît à juste titre que le lieu des études, bien que cela ne soit pas systématique, peut être un substitut du lieu d’origine, si bien que la discrimination fondée sur le lieu des études peut être un substitut et appuyer une plainte fondée sur la discrimination en fonction de l’origine nationale. Les parties s’entendent sur ce fait.

[82]  Le troisième point de la décision Fazli est sa proposition générale selon laquelle le lieu des études peut constituer un substitut pour la discrimination fondée sur l’origine nationale dans les circonstances où un agrément ou un permis plus onéreux est imposé à certains groupes de personnes, particulièrement si ces exigences sont fondées sur des hypothèses négatives liées au lieu de formation des membres de ce groupe.

[83]  Le Tribunal a adopté cette approche et, ce faisant, a rejeté les prétentions du demandeur. Le Tribunal a conclu, au paragraphe 45, que [traduction] « [a]ucune preuve n’a été déposée devant le Tribunal canadien des droits de la personne (« Tribunal ») selon laquelle le processus d’agrément du CRMCC était plus onéreux au motif que le Dr Keith est né aux États-Unis et y a fait ses études ». En d’autres termes, le demandeur n’a pas réussi à établir la première partie du critère établi dans l’arrêt Moore. À mon avis, il ne s’agissait ni d’une évaluation déraisonnable de la preuve ni d’une approche déraisonnable à l’interprétation de la loi constitutive.

[84]  Le Tribunal a également conclu que le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve démontrant que son agrément de l’ABPN était inférieur à l’agrément du CRMCC. Une telle conclusion aurait pu créer un substitut entre le lieu d’origine et le lieu des études, mais aucun élément de preuve ne le démontrait :

[traduction] [47]  Je ne suis pas d’avis que la politique des FAC exigeant un agrément du CRMCC était fondée sur des hypothèses discriminatoires. De plus, aucune preuve n’a été soumise au Tribunal pour démontrer que l’agrément octroyé par l’ABPN au Dr Keith était inférieur à l’agrément du CRMCC, créant ainsi une extension du « lieu d’origine » pour englober le « lieu des études ». Le Dr Keith a fait valoir que ces deux éléments étaient, dans une large mesure, comparables.

[traduction] [48]  En outre, si le lieu de la formation doit servir de substitut pour le lieu d’origine, il faut alors mettre l’accent sur le lieu de formation pour élargir la portée du lieu d’origine de façon à inclure le lieu de formation. Aucune preuve n’a été soumise par le plaignant selon laquelle les médecins formés aux États-Unis sont, dans une large mesure, d’origine américaine, ce qui signifie que les médecins formés aux États-Unis sont américains et, par le fait même, formés à l’étranger.

[85]  Le Tribunal a conclu ce qui suit :

[traduction] [51]  Les FAC exigeaient que tous les candidats médicaux obtiennent des titres de compétence du CRMCC. Comme dans la décision Mihaly [Cour du Banc de la Reine de l’Alberta], le plaignant n’a pas fourni de preuve convaincante démontrant que son origine nationale a joué un rôle relativement aux désavantages qu’il aurait pu subir en tentant d’obtenir un agrément du CRMCC.

[...]

[traduction] [53]  Les FAC exigent que tous les médecins, qu’ils soient nés au Canada ou à l’étranger, obtiennent un agrément du CRMCC. L’avocat de la défenderesse a fait valoir, à juste titre, à mon avis, qu’il n’y avait aucune preuve que l’exigence d’obtenir un agrément du CRMCC était lié de quelque façon que ce soit au lieu d’origine. Que le médecin soit canadien, américain ou autre, les FAC imposent la même compétence.

[traduction] [54] J’estime qu’il n’y a aucune preuve convaincante que le Dr Keith a été traité différemment en raison de l’attestation de ses compétences par toute autre partie au motif qu’il était américain. Je ne peux conclure que son lieu d’origine a eu des effets défavorables sur sa capacité à se conformer aux exigences du CRMCC.

[86]  Les conclusions aux paragraphes 53 et 54 de la décision du Tribunal sont fondées sur les éléments de preuve déposés dans le cadre de l’audience du Tribunal, d’une durée de 8 jours. À mon humble avis, il était raisonnablement loisible que le Tribunal tire ces conclusions relativement au dossier dont il était saisi; cela s’explique par le fait qu’il n’y avait aucune preuve d’hypothèses discriminatoires. En outre, il n’y avait aucune preuve que l’agrément de l’ABPN était inférieur à celui du CRMCC.

[87]  Le Tribunal a ensuite déterminé que le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve démontrant que son agrément en psychiatrie aux États-Unis (ABPN) était inférieur à l’agrément du CRMCC pour établir ou démontrer un lien entre le « lieu d’origine » et le « lieu des études » : voir le paragraphe 46 des motifs cités ci-dessus, au paragraphe 67 des présents motifs. À cet égard, la défenderesse fait valoir que le dossier soutient la conclusion du Tribunal selon lequel le demandeur n’a pas réussi à déposer des éléments de preuve démontrant que le lieu des études pourrait, en l’espèce, être un substitut au lieu d’origine. La défenderesse a également raison dans son observation que la preuve du demandeur relativement à cette question s’appuie largement sur des données démographiques publiées sur les spécialistes agréés par l’OMCO. Le demandeur insiste sur l’élément de preuve selon lequel au moins 72 % des spécialistes reconnus par l’OMCO sont nés à l’extérieur du Canada et que 92 % ont obtenu leur formation médicale à l’extérieur du Canada. Par inférence, il soutient que la majorité des spécialistes nés à l’étranger qui sont reconnus par l’OMCO doivent avoir suivi une formation spécialisée à l’extérieur du Canada. Le demandeur fait valoir devant le Tribunal que cette « inférence » est logique puisque depuis 2008, l’évaluation de l’OMCO fondée sur la pratique est limitée exclusivement aux spécialistes formés à l’étranger. Par analogie à l’arrêt Bitoni, aux paragraphes 138 à 147, le demandeur a soutenu que la preuve statistique relative à l’OMCO a démontré une corrélation élevée entre le lieu des études et de la formation et le lieu d’origine.

[88]  La défenderesse fait état d’éléments de preuve qui contredisent les observations du demandeur. Ces éléments de preuve figurent dans le Sondage national des médecins [le sondage national] mené par l’Association médicale canadienne [AMC], une organisation nationale qui représente les intérêts d’un grand nombre de médecins à l’échelle du Canada. Selon le sondage national de l’AMC, bien que 2,4 % des spécialistes en Ontario soient nés aux États-Unis, seul 1,1 % des membres du même groupe ont reçu leur formation médicale aux États-Unis. En outre, le sondage national indique que bien que 7,3 % des spécialistes en Ontario ont suivi leur plus récente formation post-universitaire aux États-Unis, seuls 2,4 % des membres du même groupe sont nés aux États-Unis. En l’espèce, il était loisible pour le Tribunal, dans le cadre de son « mandat » d’enquête, de conclure que le fait d’être « né et d’avoir faire ses études à l’extérieur du Canada entraîne une discrimination défavorable et que ce statut est automatiquement protégé aux termes de la LCDP ».

[89]  Le Tribunal avait un « mandat » et avait donc le droit de trouver les preuves du demandeur peu convaincantes; de même, le Tribunal pouvait rejeter la preuve du demandeur au motif qu’elle a été écartée par la preuve la défenderesse. Il semble qu’il ait fait les deux. La question devient alors, en partie, celle de savoir si cela équivaut à un caractère déraisonnable ou à une erreur susceptible de révision

[90]  À mon avis, l’évaluation par le Tribunal de la question à savoir si les médecins formés aux États-Unis sont, dans une large mesure, d’origine américaine nécessite d’évaluer le poids accordé à la preuve. L’examen et l’évaluation de la preuve du demandeur à cet égard relève du « mandat » reconnu par la Cour suprême du Canada comme appartenant au Tribunal : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, au paragraphe 25. Le Tribunal a conclu que la preuve n’établissait pas que les médecins formés aux États-Unis étaient, dans une large mesure, d’origine américaine, de façon que la formation du demandeur aux États-Unis constituait un substitut de l’origine nationale. Je suis d’avis qu’il était loisible au Tribunal de parvenir à cette conclusion en l’espèce.

[91]  Le Tribunal a également insisté sur le fait que les FAC exigent que tous les médecins, qu’ils soient nés au Canada ou à l’étranger, obtiennent un agrément du CRMCC. Le Tribunal a préféré l’observation de la défenderesse selon laquelle il n’y avait aucune preuve que l’exigence d’obtenir un agrément du CRMCC était lié de quelque façon que ce soit au lieu d’origine. Autrement dit, que le médecin soit canadien, américain ou autre, les FAC imposent la même compétence. Il était loisible au Tribunal d’arriver à cette conclusion en l’espèce.

[92]  Le demandeur a critiqué la conclusion du Tribunal selon laquelle les FAC exigent que tous les médecins embauchés par l’intermédiaire de Calian, qu’ils soient nés au Canada ou à l’étranger, obtiennent un agrément du CRMCC.

[93]  La critique du demandeur repose sur deux faits. Premièrement, le demandeur souligne qu’un seul psychiatre a vu sa candidature retenue par les FAC, sans égard au fait que, comme le demandeur, il ne possédait pas d’agrément du CRMCC en psychiatrie. Je ne suis pas persuadé de la pertinence de cette observation. Le psychiatre en question a été embauché environ six ans après que le demandeur ait soumis sa plainte. Fait important, cette embauche a eu lieu après que le CRMCC ait révisé ses politiques d’agrément, en 2010, tel que décrit au paragraphe 31 des présents motifs. En outre, le médecin s’est soumis à une analyse formelle des risques (examen des titres) menée par les FAC par l’intermédiaire d’un comité formé de quatre membres des FAC. Tandis que Calian a demandé une renonciation ou une exemption pour le demandeur, les FAC n’ont pas demandé d’examen des titres du demandeur. En outre, l’examen des titres mené par les FAC a révélé que le médecin en question avait terminé deux programmes de formation postdoctorale supervisés au Canada, qu’il occupait des postes en enseignement et en professorat, qu’il exerçait dans un contexte de groupe comparable à celui dont avait besoin les FAC à ce moment, qu’il possédait l’expertise en toxicomanie nécessaire pour occuper le poste, qu’il était titulaire d’un permis d’exercice dans la province concernée et qu’il possédait une expertise diagnostique et une expertise professionnelle reconnues et explicitement demandées par l’équipe de santé mentale en question. De plus, il avait déjà travaillé pour la Gendarmerie royale du Canada qui, comme les FAC, possède des effectifs importants à l’échelle du Canada. Je conclus que les FAC désiraient embaucher ce psychiatre en particulier et ont pris les mesures nécessaires pour obtenir ses services. Je ne suis pas convaincu que la décision d’embaucher ce médecin jette un doute ou discrédite la décision des FAC de se fonder sur l’exigence standard de l’agrément du CRMCC dans le cas du demandeur.

[94]  Le deuxième point de la critique du demandeur à l’égard de la décision du Tribunal selon laquelle les FAC exigent que tous les médecins, qu’ils soient nés au Canada ou à l’étranger, obtiennent un agrément du CRMCC, se rapporte aux médecins du Québec. Ces médecins peuvent être agréés ou non par le CRMCC. Toutefois, cette critique n’est pas pertinente puisque les médecins du Québec peuvent obtenir leur agrément du CMQ et que le CMQ et le CRMCC ont harmonisé leurs exigences respectives relatives à l’agrément (voir le paragraphe 28 ci-dessus).

[95]  Le demandeur soutient également que le Tribunal a mené une analyse formaliste, en renvoyant à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, au paragraphe 2. Je concède que le sondage n’est pas formaliste ni arbitraire; toutefois, après analyse de la décision en l’espèce, je ne suis pas persuadé que le Tribunal a commis une telle erreur.

[96]  Comme nous l’avons mentionné au début de cette partie de l’analyse du critère établi dans l’arrêt Moore, il incombait au demandeur de prouver ses allégations devant le Tribunal. Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas convaincu que le Tribunal a agi de façon déraisonnable ou a commis une erreur en concluant que le demandeur n’a pas satisfait la première partie du critère établi dans l’arrêt Moore. Ce tribunal spécial a déterminé que le demandeur n’a pas établi que sa formation aux États-Unis constituait un substitut au motif de discrimination illicite, essentiellement l’« origine nationale ». Il faut traiter cette conclusion avec la plus grande retenue. En outre, la conclusion du Tribunal à cet égard appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. En conséquence, selon le cours normal des activités, à ce stade, la demande de contrôle judiciaire serait rejetée.

[97]  Toutefois, puisqu’elle a été plaidée devant moi, je vais examiner la deuxième étape de l’analyse de la décision Moore.

2)  Le demandeur a-t-il subi des répercussions négatives relativement au service en litige?

[98]  Dans l’arrêt Moore, la Cour suprême du Canada établit la deuxième étape de l’analyse de la discrimination à première vue : le plaignant doit établir qu’il a subi des répercussions négatives relativement au service en litige.

[99]  À cet égard, selon la preuve dont il disposait, le Tribunal a rejeté les prétentions du demandeur au paragraphe 54. Le Tribunal a conclu qu’il n’y avait aucune preuve convaincante que le demandeur a été traité différemment en raison de sa formation aux États-Unis :

J’estime qu’il n’y a aucune preuve convaincante que le Dr Keith a été traité différemment en raison de l’attestation de ses compétences par toute autre partie au motif qu’il était américain.

[100]  À l’examen des observations à cet égard, je n’oublie pas la grande retenue dont il faut faire preuve à l’encontre de ce tribunal spécial. Je reconnais, encore une fois, que le tribunal a un « mandat », confirmé par la Cour suprême du Canada, essentiellement le « mandat et l’expertise nécessaires pour tirer des conclusions de fait au chapitre de la discrimination » : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, au paragraphe 25.

[101]   Pour soutenir ses observations relativement aux répercussions négatives subies, le demandeur s’est appuyé en partie sur le professeur Reitz, qui a produit une preuve d’expert sur le traitement différentiel des immigrants et des minorités ethniques.

[102]  Le Tribunal a évalué, mais minimisé la preuve du professeur Reitz puisqu’elle « était fondée sur les minorités visibles et ne fournissait aucun élément de preuve substantielle concernant les études et le lieu d’origine pour les médecins de race blanche nés et formés aux États-Unis ».

[103]  Bien que le demandeur ne soit pas d’accord avec cette évaluation, à mon humble avis, l’évaluation par le Tribunal de cet élément de preuve en particulier était raisonnable. Je note que le professeur Reitz, dans son témoignage en contre-interrogatoire, a affirmé que l’objet de ses recherches était « les questions concernant l’emploi dans le contexte des immigrants et des minorités visibles ». Il a également convenu que ses travaux s’appuient en grande partie « sur la race ou les immigrants de minorités visibles » (dossier du demandeur, pages 791 à 792). Il n’a écrit aucun article ou ouvrage portant précisément sur la reconnaissance au Canada des titres de compétences médicaux obtenus aux États-Unis. Il a concédé qu’il n’a pas mené de recherches particulières sur la question de la reconnaissance au Canada des titres de compétences médicaux obtenus aux États-Unis, outre ce qui était inclus dans ses autres travaux. Il a concédé qu’il n’a pas étudié la question de la reconnaissance au Canada des titres médicaux obtenus aux États-Unis (dossier du demandeur, pages 795 et 796).

[104]  Comme nous l’avons mentionné, l’examen et l’évaluation de la preuve relèvent du mandat du Tribunal. À mon avis, cette évaluation se situait dans la fourchette des résultats possibles.

[105]  En outre, en opposition aux arguments du demandeur, un élément de preuve a été fourni par les FAC sous la forme du sondage national administré par l’AMC. Le sondage national a révélé que la plupart des spécialistes reconnus en Ontario sont agréés par le CRMCC dans la mesure où 99,2 % des spécialistes ontariens nés au Canada sont agréés par le CRMCC. Le Tribunal a choisi de se fier à la preuve du sondage national :

[59]  Le demandeur n’a pas réussi à établir que l’exigence des FAC relativement à l’agrément du CRMCC est discriminatoire à l’endroit des médecins nés et formés à l’étranger, J’accepte la preuve de la défenderesse produite par le sondage national des médecins administré par l’Association médicale canadienne (AMC), qui a déterminé que la plupart des spécialistes en Ontario sont agréés par le CRMCC, dans une mesure où 99,2 % des spécialistes nés à l’extérieur du Canada sont agréés par le CRMCC.

[106]  Durant l’audience, le demandeur s’est dit être en désaccord avec l’invocation par le Tribunal du sondage national de l’AMC puisque, comme il a été mentionné précédemment, il incombait au Tribunal et non à la Cour d’évaluer et d’analyser la preuve, l’absence de caractère raisonnable ou le caractère inacceptable. Je ne suis pas convaincu que l’AMC s’est montrée biaisée ou inexacte dans le cadre de son sondage national ou que ce sondage était vicié sur l’un ou l’autre de ces points.

[107]  Le sondage national suggère que le demandeur faisait partie d’une très petite minorité de spécialistes nés à l’étranger qui ne pouvaient obtenir l’agrément du CRMCC; cette preuve a affaibli l’allégation de discrimination préjudiciable du demandeur.

[108]  Le demandeur a également invoqué des preuves documentaires et des témoignages d’experts qui, selon lui, ont démontré les effets préjudiciables de la pratique d’embauche en apparence neutre que les FAC ont imposée au demandeur « et aux autres demandeurs formés à l’étranger ». Il a, dans les faits, invité la Cour à soupeser de nouveau la preuve, ce qui est contraire à la jurisprudence établie. Le Tribunal a choisi d’accepter le sondage national; le demandeur n’a pas établi que ces conclusions devraient faire l’objet d’un nouveau litige ou être réévaluées dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Les conclusions du Tribunal doivent également appartenir aux issues possibles établies dans l’arrêt Dunsmuir : à mon avis, c’est le cas.

[109]  Le demandeur a également allégué que la reconnaissance de l’OMCO (qu’il possède déjà) était équivalente à l’agrément du CRMCC (qu’il n’a pas reçu). Le Tribunal a rejeté cette observation :

[traduction]

[60]  De même, je n’accepte pas l’allégation que l’insistance des FAC relativement à l’agrément du CRMCC est une mesure discriminatoire, puisque cet agrément est équivalent aux titres accordés par l’OMCO. J’admets en preuve les éléments fournis par M. Dan Faulkner et le Dr Harris, puisque le CRMCC et l’OMCO ont des avis divergeant sur les titres de compétence. Le CRMCC est une norme nationale reconnue à l’échelle du Canada.

[110]  À cet égard, le Tribunal disposait de la preuve du Dr Faulkner, un registraire adjoint de l’OMCO, qui a témoigné que les médecins comme le demandeur, qui ont reçu une formation aux États-Unis, pouvaient accéder au processus du CRMCC. Dans son témoignage, il a indiqué que le nombre de pays ayant accès aux examens du CRMCC se situait entre 20 et 30. Il a également confirmé que le processus de l’OMCO était conçu pour s’assurer que si un diplômé international en médecine pratique en Ontario et ne peut réussir les examens du CRMCC, l’OMCO « mettra en place un processus pour les reconnaître comme spécialiste ». (Dossier du demandeur, à la page 937)

[111]  Pour demander à la Cour de soupeser à nouveau la preuve, le demandeur a invoqué une observation la défenderesse : « [Les] FC [FAC] ne sont pas d’avis que l’agrément du CRMCC est supérieur ou que les spécialistes reconnus par l’OMCO sont inférieurs. » Toutefois, le Dr Faulkner, qui a passé des années au sein de l’OMCO, a affirmé dans son témoignage que l’agrément du CRMCC n’est pas équivalent à la reconnaissance de l’OMCO. Le Dr Faulkner a confirmé qu’il n’existe aucune reconnaissance réciproque des processus de reconnaissance des spécialistes de chaque province. Il a livré le témoignage suivant : [traduction] « [I]l existe certains critères dans d’autres provinces, qui diffèrent de ceux de l’Ontario et que nous [l’OMCO] n’acceptons pas comme critère de reconnaissance des spécialités » (dossier du demandeur, à la page 955). Plus précisément, le Dr Faulkner a noté qu’il existe un territoire de compétence appliquant un critère selon lequel un candidat doit [traduction] « avoir exercé dans ce territoire de compétence pendant deux ans à titre de spécialiste et détenir trois lettres de référence » pour être reconnu comme spécialiste dans ce territoire de compétence (dossier du demandeur, à la page 957). Il a confirmé que la pratique [traduction] « n’est pas uniforme. Il existe des similitudes, mais elle n’est pas uniforme » (dossier du demandeur, à la page 957).

[112]  Le Tribunal a accepté la preuve du Dr Faulker selon laquelle l’OMCO lui-même ne considère pas son processus de reconnaissance des spécialistes [traduction] « comme un processus équivalent à l’agrément du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada ». Dans son témoignage, le Dr Faulkner a déclaré que « le terme ‘équivalent’ a une signification profonde. [...] Le processus par lequel vous y parvenez est très différent, et la compréhension de ces processus est très disparate à l’échelle du pays en ce qui concerne l’application de la reconnaissance par les provinces individuelles. » Il a souligné que le processus du CRMCC est fondé sur des examens, alors que le processus de l’OMCO est fondé sur des critères précis et, dans certains cas, sur [traduction] « une évaluation de la pratique. Dans certains cas, les médecins posent des gestes qui ne sont pas largement répandus dans une spécialité. Ils sont beaucoup plus ciblés. Voilà quelques-unes des principales différences qui, selon moi, suggèrent que ces processus ne sont pas équivalents » [non souligné dans l’original].

[113]  À cet égard, le TDPO, dans la décision Keith v College of Physicians and Surgeons of Ontario, 2010 HRTO 2310, a également conclu que la reconnaissance par l’OMCO n’est pas équivalente à l’agrément du CRMCC, aux paragraphes 46 à 50 :

[traduction] [46]  Un autre problème lié au témoignage du Dr Reitz [témoin du Dr Keith] est qu’il présume d’une similitude entre les spécialistes de l’OMCO et ceux du CRMCC. Dans son témoignage, le Dr Reitz a indiqué que si les compétences sont réellement équivalentes entre l’OMCO et le CRMCC, l’OMCO invite le public à s’interroger sur la différence entre ces deux statuts en maintenant une distinction dans son registre. La question se pose à savoir si son opinion revêt une importance si les deux groupes ne sont pas égaux. La distinction établie dans le registre pourrait refléter leurs différences fondamentales et non une dévaluation.

[traduction] [47]  Dans son rapport le Dr Reitz indique que « l’OMCO a déclaré officiellement que le statut de spécialiste reconnu par l’OMCO est équivalent, à tous les égards, au statut de spécialiste du CRMCC ». Il n’existe aucun document dans lequel l’OMCO a utilisé les mots « équivalent » ou « équivalence » pour désigner les spécialistes reconnus par l’OMCO et les spécialistes reconnus par le CRMCC. Ce point a été admis par le Dr Reitz et le demandeur.

[traduction] [48]  Le demandeur s’appuie sur une note interne de l’OMCO datant du 18 septembre 2003, dans laquelle le registraire adjoint, le Dr John Carlisle, utilise les mots « spécialistes à tous les égards » pour décrire les spécialistes reconnus par l’OMCO. L’objet de la note est « la reconnaissance des médecins aux fins de facturation des honoraires des spécialistes ». Le demandeur extrapole à partir de cette déclaration, affirmant que « l’OMCO a clairement accepté que ceux qui satisfont aux critères de reconnaissance de l’OMCO satisfont à la même norme de pratique standard pour une spécialité particulière que celle à laquelle ont satisfait les spécialistes agréés par le CRMCC ».

[traduction] [49]  L’OMCO est l’organisation qui réglemente l’exercice de la médecine en Ontario; elle a pour mandat de réglementer la profession médicale dans l’intérêt public. Le fait que l’OMCO reconnaît que les spécialistes doivent se conformer à certaines normes d’exercice ne signifie pas que ces normes sont les mêmes que celles imposées aux spécialistes agréés par le CRMCC.

[traduction] [50]  Il n’existe aucune preuve qu’une évaluation du processus de reconnaissance de l’OMCO et du processus d’agrément du CRMCC a été effectuée pour soutenir la conclusion que les spécialistes de l’OMCO sont identiques à ceux du CRMCC. En fait, il existe des différences importantes entre les deux processus. Le processus du CRMCC est fondé sur des examens alors que celui de l’OMCO est une évaluation fonctionnelle. Le processus du CRMCC a une portée nationale, alors que celui de l’OMCO a une portée provinciale. Le CRMCC accrédite les spécialistes alors que l’OMCO reconnaît leur expertise. Le CRMCC élabore des normes nationales alors que l’OMCO octroie des permis d’exercice de la médecine en Ontario. L’agrément d’un médecin par le CRMCC sous-entend qu’il possède de vastes compétences dans tous les aspects d’une spécialité. Dans le cadre de son évaluation fonctionnelle, l’OMCO examine ce que le médecin fait au moment présent et détermine si sa pratique est conforme au niveau de compétence attendu d’un spécialiste pour ce travail particulier. Une évaluation réussie de la pratique par l’OMCO n’équivaut pas à une spécialisation générale, comme dans le cas de la spécialisation du CRMCC.

[114]  En outre, le professeur Reitz a affirmé dans son témoignage que [traduction] « les titres de compétence américains sont sous-évalués au Canada ». Il a également témoigné que dans le domaine médical, [traduction] « on observe certains contextes, une présomption que le Canada et les États-Unis partagent les mêmes normes, et que ce qui est suspect, c’est le reste du monde ». Il a également convenu que la formation médicale américaine est surévaluée dans certains cas, qu’elle est certainement considérée comme égale à la formation médicale canadienne et que dans de nombreux cas, la formation américaine serait assurément équivalente. En d’autres termes, la preuve du demandeur reposait sur le fait que la formation américaine n’était pas surévaluée, était la même ou était sous-évaluée, selon le contexte. Le Tribunal avait le droit de soupeser et d’analyser cette preuve avant de rendre sa décision, non seulement en lien avec ce témoin en général, mais également au chapitre de l’argument non retenu du demandeur selon lequel il a subi une discrimination défavorable, tel qu’établi dans la deuxième partie de l’analyse de l’arrêt Moore.

[115]  En toute déférence, je ne suis pas convaincu que le Tribunal ait agi de manière déraisonnable sur la base des faits et du droit en concluant, au paragraphe 54, qu’il n’y avait « aucune preuve convaincante que le Dr Keith a été traité différemment en raison de l’attestation de ses compétences par toute autre partie au motif qu’il était américain » ou en concluant que le lieu d’origine du demandeur n’a pas eu « d’effets défavorables sur sa capacité à se conformer aux exigences du CRMCC ».

[116]  Ainsi, le demandeur n’a pas réussi à démontrer un caractère déraisonnable ou une erreur relativement à la deuxième étape de l’analyse en trois volets de la décision Moore. Selon le cours normal des activités, cette conclusion entraînerait également le rejet de la demande de contrôle judiciaire. Toutefois, puisqu’elle a été plaidée devant moi, je vais examiner la troisième étape de l’analyse de la décision Moore.

3)  La caractéristique protégée a-t-elle joué un rôle dans la discrimination défavorable?

[117]  Non seulement le Tribunal n’a observé aucune répercussion négative, mais il a également conclu, dans le troisième volet du critère, que bien que le demandeur ait échoué les examens à trois reprises, [traduction] « il n’existe aucune preuve que ces échecs étaient liés à son lieu d’origine ». Ce faisant, le Tribunal, au paragraphe 55, a paraphrasé la décision de la cour de révision dans l’affaire Mihaly Queen’s Bench, au paragraphe 106 : « Même si les éléments de preuve indiquent que M. Mihaly a échoué l’examen [du NPPE] à trois reprises, il n’existe aucune preuve que ces échecs étaient liés de quelque façon que ce soit à son lieu d’origine. »

[118]  À cet égard, le demandeur reproche au Tribunal d’avoir présumément tenu compte de « l’intention » de la pratique d’embauche des FAC, en se fondant sur le paragraphe 47 de sa décision, où le Tribunal déclare « Je ne suis pas d’avis que la politique des FAC exigeant un agrément du CRMCC était fondée sur des hypothèses discriminatoires ».

[119]  Il est un fait établi que « l’intention d’établir une distinction n’est pas une condition préalable à la conclusion de discrimination » : Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 SCR 892, au paragraphe 67.

[120]  À mon avis, le simple fait de noter l’absence d’« hypothèses discriminatoires » dans les pratiques d’embauche des FAC diffère considérablement d’une conclusion fondée sur la question à savoir s’il y avait une intention de discriminer : cette dernière est ouverte à la critique, peut-être même de façon irrémédiable. Toutefois, ça n’a pas été le cas en l’espèce.

[121]  Le demandeur a également noté que dans le troisième volet du critère établi dans l’arrêt Moore, la discrimination à première vue n’a pas à être fondée uniquement sur un motif illicite; on peut conclure à une discrimination à première vue si cette discrimination est fondée, en totalité ou en partie, sur un motif illicite : Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, au paragraphe 48. Une fois de plus, aucune des parties ne conteste cette proposition. Toutefois, et en toute déférence, cela n’est d’aucune aide pour le demandeur puisque dans les preuves dont il est question précédemment, le Tribunal a conclu qu’il n’y avait eu aucune discrimination défavorable. Le troisième volet de l’arrêt Moore ne s’applique pas pour les mêmes raisons.

[122]  J’ai donc conclu que cet aspect de la décision du Tribunal est raisonnable en ce sens qu’elle fait partie des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, comme il est indiqué dans l’affaire Dunsmuir.

B.  Question 2 – Le Tribunal a-t-il commis une erreur dans l’évaluation de la discrimination?

[123]  À ce stade de l’affaire, une analyse de l’EJP n’est pas nécessaire puisque le demandeur n’a pas satisfait au critère de discrimination à première vue établi dans l’arrêt Moore. Selon le cours normal des activités, la demande de contrôle judiciaire serait rejetée sans l’analyser comme une EJP, puisque le fardeau de la question de l’EJP n’est pas passé à la défenderesse.

[124]  Ceci dit, le Tribunal a abordé la question de l’EJP à titre incident. Ses motifs sont énoncés aux paragraphes 60 à 65 :

[traduction]

[60]  De même, je n’accepte pas l’allégation que l’insistance des FAC relativement à l’agrément du CRMCC est une mesure discriminatoire, puisque cet agrément est équivalent aux titres accordés par l’OMCO. J’admets en preuve les éléments fournis par M. Dan Faulkner et le Dr Harris, puisque le CRMCC et l’OMCO ont des avis divergeant sur les titres de compétence. Le CRMCC est une norme nationale reconnue à l’échelle du Canada.

[traduction] [61]  Le recours aux titres de compétences du CRMCC par les FAC permet d’appliquer une norme à l’échelle du Canada. Le plaignant a allégué que les titres de l’OMCO étaient équivalents. Aucun élément de preuve crédible ne le démontre. Bien que l’accréditation de spécialiste de l’OMCO soit acceptée dans certaines provinces canadiennes, mais pas toutes, il n’y avait aucun élément de preuve démontrant qu’elle était acceptée dans la province de l’Alberta. Le Dr Ken Harris, directeur général du CRMCC, a témoigné que l’agrément de spécialiste est une norme nationale applicable à toutes les provinces et qu’elle est également acceptée par tous les collèges provinciaux comme preuve de conformité à la norme liée au titre de spécialiste.

[traduction] [62]  Le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a conclu que l’OMCO et le CRMCC ne sont pas équivalents, puisque le CRMCC élabore des normes nationales, alors que l’OMCO est responsable de l’octroi de permise d’exercice de la médecine en Ontario. Keith-CPSO, précité, aux paragraphes 46, 49 et 50.

[traduction] [63]  Je reconnais également que le CRMCC est une EJP. La défenderesse a invoqué le critère à trois volets établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, 1999 CanLII 652 (CSC), [1999] 3 RCS (« Meiorin ») au paragraphe 54 pour établir qu’une exigence professionnelle est justifiée :

[...]

1)  qu’il [l’employeur] a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;

2)  qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;

3)  qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail; Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

[traduction] [64]  Je reconnais que les FAC subiraient une contrainte excessive si elles devaient déterminer les compétences de tous ses praticiens médicaux. J’accepte l’explication simple du colonel MacKay, qui a affirmé ce qui suit :

Avant 2009, certaines provinces ne reconnaissaient pas les permis et agréments des autres provinces. Si l’ensemble des provinces ne peut s’entendre relativement au processus d’agrément appliqué au sein de chaque province, quel niveau de confiance pouvons-nous avoir à l’égard du processus d’agrément entrepris par chaque province? Le processus d’agrément du Collège royal du Canada a été reconnu par chaque province à cette époque, et il est encore reconnu aujourd’hui comme une norme acceptable visant à assurer la qualité des soins dispensés par les fournisseurs de soins de santé.

[traduction] [65]  Je conclus que les FAC n’ont pas agi de manière discriminatoire à l’encontre du Dr Keith en application des exigences de la LCDP, ayant satisfait au critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Meiorin, et que toute suggestion contraire imposerait une contrainte excessive aux FAC ainsi qu’à la santé et aux normes de ses employés.

[125]  La question concernant l’EJP ne peut pas être tranchée dans un vide factuel. Comme nous l’avons mentionné précédemment, les FAC sont constituées d’employés mobiles qui peuvent être amenés à se déplacer d’une base à l’autre à l’échelle du pays. Selon la preuve non contestée livrée par le Colonel Boddam (à la retraite), qui a œuvré au sein des FAC, il est essentiel pour les FAC « que les psychiatres qui exercent dans une région du pays présentent les mêmes compétences ou, à tout le moins, des compétences ayant une similarité minimale, à ceux de toutes les autres régions du pays. » La continuité des soins psychiatriques et une norme commune régissant cet aspect sont des éléments d’une importance évidente pour les FAC. Seul le CRMCC offrait des normes d’agrément minimales acceptées à l’échelle du Canada pour les psychiatres. Bien que l’OMCO reconnaisse les compétences du demandeur dans la province de l’Ontario, et bien que cette reconnaissance soit acceptée dans certaines autres provinces, le fait est que la reconnaissance de l’OMCO n’offrait pas l’assurance nécessaire d’une similitude minimale à l’échelle du Canada.

[126]  Le demandeur soutient que l’analyse de l’EJP du Tribunal a fait l’objet d’un engagement insuffisant. Il s’agit d’un argument dénué de fondement. Je ne suis pas convaincu que la jurisprudence établie par l’arrêt Meiorin a été ignorée par le Tribunal ou que l’analyse du Tribunal était viciée; le Tribunal s’est posé les bonnes questions de droit et y a répondu. Le dossier et les faits évoqués soutiennent ces conclusions.

[127]  Il faut également garder à l’esprit que le Tribunal est un tribunal spécialisé possédant une expertise précise pour évaluer et établir les preuves entourant les EJP et les arguments connexes. Pour cette raison, ses motifs concernant l’EJP doivent faire l’objet d’une grande retenue par les cours de révision, y compris celle-ci. À mon humble avis, les observations du demandeur sur ce point ne reconnaissent pas adéquatement l’expertise du Tribunal ou la retenue qui s’impose. À mon avis, les conclusions concernant l’EJP appartiennent aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, le critère établi dans l’arrêt Dunsmuir est satisfait.

C.  Question 3 – Est-ce que la SAI a manqué à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur?

[128]  Le demandeur soutient qu’en l’absence d’une preuve « selon laquelle le processus d’agrément du CRMCC était plus onéreux en raison du fait que [le demandeur] est né et a fait ses études aux États-Unis », le Tribunal a suggéré qu’elle s’attendait à ce que le demandeur soumette des preuves de la nature discriminatoire du processus d’agrément du CRMCC pour fonder sa plainte. Le demandeur a fait valoir que cette question n’a jamais été présentée au Tribunal et que jamais le demandeur n’a soutenu que le processus d’agrément du CRMCC était discriminatoire. La question qu’il soumet consiste à déterminer si la pratique d’embauche des FAC exigeant un agrément du CRMCC était discriminatoire dans ses circonstances particulières.

[129]  Pour commencer, la déclaration du Tribunal doit être lue dans son contexte :

Bien que l’extension du « lieu d’origine » pour inclure le lieu des études à l’étranger soit appropriée dans certaines circonstances, comme dans le cas des diplômes obtenus dans certaines universités du tiers-monde. Je suis d’accord que l’extension automatique de la portée de la définition du « lieu d’origine » n’était pas l’intention visée par l’arrêt Bitonti et que la conclusion exprimée dans l’arrêt Fazil constitue l’interprétation correcte. Aucune preuve n’a été déposée devant le [Tribunal] selon laquelle le processus d’agrément du CRMCC était plus onéreux au motif que le Dr Keith est né aux États-Unis et y a fait ses études.

[Non souligné dans l’original.]

[130]  En l’espèce, le demandeur interprète à tort la question comme étant une question d’équité procédurale. Ce n’est pas le cas. L’analyse du Tribunal portait plutôt sur la décision de fond du Tribunal, que le Tribunal était en droit de prendre en compte. Le demandeur affirme qu’il a subi de la discrimination défavorable, que l’exigence à l’égard d’un agrément du CRMCC, bien qu’en apparence neutre sous prétexte que les FAC l’appliquent à tous les médecins sans égard au lieu d’origine, a eu des répercussions pour lui en tant que personne née et ayant poursuivi des études aux États-Unis. La seule façon dont les exigences des FAC relativement à l’agrément du CRMCC auraient pu avoir des répercussions négatives sur les médecins américains est si l’obtention de l’agrément du CRMCC avait été plus difficile pour une personne née et formée aux États-Unis que pour une personne née et formée au Canada. Par conséquent, la question à savoir si la norme du CRMCC était plus difficile pour les médecins nés et formés à l’étranger a été présentée directement au Tribunal. Il y avait la question du troisième volet du critère de discrimination à première vue établi dans l’arrêt Moore.

[131]  Je note également que dans les cas invoqués par le demandeur, comme Bitonti et Mihaly, pour déterminer si une discrimination défavorable existe, la question déterminante était de savoir si les plaignants d’origine étrangère devaient satisfaire des critères différents et plus onéreux que les Canadiens au motif de leur formation à l’étranger. Cela justifie également les commentaires du Tribunal. À mon avis, cette affirmation sur l’équité procédurale est sans fondement.

X.  Conclusions

[132]  Après avoir pris du recul et avoir examiné la décision comme un tout, il faut se poser la question à savoir si le Tribunal a agi raisonnablement en ce sens que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits du droit. La Cour reconnaît qu’il peut y avoir plusieurs issues possibles acceptables dans cette gamme. La Cour doit également reconnaître l’expertise spécialisée du Tribunal, son « mandat » qui consiste à tirer des conclusions de fait et à rendre d’autres décisions établies par la Cour suprême du Canada, ainsi que la déférence importante due au Tribunal dans le cadre du contrôle judiciaire. Je reconnais également qu’un contrôle judiciaire n’est pas une chasse au trésor à la recherche d’une erreur.

[133]  Après avoir pris en compte ces facteurs, je ne suis pas convaincu que la décision du Tribunal soit déraisonnable. À mon humble avis, les conclusions appartiennent aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. En outre, j’estime non fondé l’argument de l’équité procédurale invoqué par le demandeur. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

XI.  Dépens

[134]  Les parties conviennent que des dépens seront adjugés à la partie qui aura gain de cause, soit un montant global de 10 000 $ comprenant les honoraires, débours et taxes. Comme les défenderesses ont eu gain de cause, ce montant sera versé aux défenderesses par le demandeur.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1773-17

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire avec dépens payables aux défenderesses par le demandeur. Le montant global est fixé à 10 000 $.

« Henry S. Brown »

Juge



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1773-17

INTITULÉ :

ARTHUR KEITH c. LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET LES FORCES ARMÉES CANADIENNESP

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 mai 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge BROWN

DATE DES MOTIFS :

Le 22 juin 2018

COMPARUTIONS :

David Baker

Hannah Shaikh

Pour le demandeur

Sean Gaudet

Wendy Wright

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bakerlaw

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

 

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