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Date : 20180619


Dossier : IMM-5233-17

Référence : 2018 CF 634

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 juin 2018

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

ADA LUZ MOYA ZUNIGA

KEVIN ALEXANDER HERCULES SORIANO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’instance

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le premier demandeur nommé [la demanderesse] et son mari [le demandeur] en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, le 26 octobre 2017. La SPR a déterminé que les demandeurs ne peuvent avoir la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger [la décision]. La décision porte sur l’aspect de leur demande liée à l’article 97 (personnes à protéger) puisqu’ils ne satisfont pas aux exigences de l’article 96 de la LIPR. La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.  Faits

[2]  La demanderesse et le demandeur sont des citoyens du Salvador âgés de 31 ans et 24 ans, respectivement. La demanderesse a quitté le Salvador pour les États-Unis en 2010, alors que le demandeur est déménagé aux États-Unis en 2012. Ils se sont mariés aux États-Unis en juillet 2017. Ils sont entrés au Canada en août 2017.

[3]  Les éléments de preuve suivants soumis par les deux demandeurs ont été jugés crédibles par la SPR.

[4]  En 2007, un gang criminalisé [le « gang »] a commencé à se former dans le quartier habité par la demanderesse au Salvador. Le gang a tenté de recruter son frère. La demanderesse a empêché son frère de se joindre au gang. Lorsqu’elle a tenté d’empêcher physiquement son frère de se joindre au gang, elle a été poussée, insultée et menacée par les membres du gang.

[5]  En 2009, la demanderesse a découvert que son frère avait une arme en sa possession. Les membres du gang lui avaient remis une arme afin qu’il commette un meurtre, comme l’exigeait le processus d’initiation du gang. Lorsque la demanderesse a forcé son frère à retourner l’arme, il a été battu sérieusement par les membres du gang, qui ont menacé de tuer le père de la demanderesse et d’agresser sexuellement la demanderesse et sa sœur cadette. Un policier lui a conseillé d’envoyer son frère à l’extérieur du Salvador aussitôt que possible sans quoi le gang le tuerait. En mars 2009, le frère de la demanderesse a quitté le Salvador et est entré aux États-Unis illégalement.

[6]  La demanderesse est entrée aux États-Unis en 2010, où elle a vécu illégalement jusqu’à son entrée au Canada, en 2017. Elle n’est pas retournée au Salvador.

[7]  En janvier 2017, le frère de la demanderesse a été déporté des États-Unis vers le Salvador, où il réside. Selon la demanderesse, son frère doit se déplacer constamment et n’est pratiquement jamais au Salvador en raison de craintes pour sa sécurité; toutefois, la déclaration du frère n’indique rien à ce sujet. Le père et le frère aîné de la demanderesse habitent toujours la même maison au Salvador.

[8]  Le demandeur affirme également qu’il craint d’être persécuté par les membres du gang, car ceux-ci ont tenté de le recruter en 2008 et il a refusé. Le demandeur, ainsi que sa mère et ses frères et sœurs, ont déménagé à différents endroits au Salvador en 2008 et 2009. Il a été retracé par le gang, qui l’a menacé et harcelé sans arrêt pendant 2010 et 2011 en raison de refus à joindre leurs rangs. Le demandeur allègue également qu’au cours de cette période, le gang a menacé de tuer sa famille et exigé que sa mère leur donne de l’argent, sans quoi il serait tué. Même s’il changeait de numéro de téléphone, le gang finissait par trouver le nouveau numéro et téléphonait au domicile du demandeur.

[9]  En 2012, le demandeur a quitté le Salvador pour les États-Unis. Sa mère et ses frères et sœurs sont restés au Salvador pendant environ deux ans avant de venir le rejoindre aux États-Unis; ils ont été ciblés par le gang. Le demandeur n’est pas retourné au Salvador.

[10]  En août 2017, les demandeurs sont entrés au Canada et ont présenté une demande d’asile, qui a été rejetée par la SPR. Le présent contrôle judiciaire découle de cette décision.

III.  Norme de contrôle

[11]    Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 57 et 62, [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a établi qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». La Cour a déjà déterminé qu’un examen du traitement fait par la SPR de la preuve et des conclusions de fait commande un degré de déférence et doit être examiné selon la norme de la décision raisonnable : Kgaodi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 957, par le juge Russell, aux paragraphes 20 et 21. La norme de contrôle de la décision raisonnable est également celle qui s’applique pour déterminer si un demandeur est exposé à un risque généralisé : Salomon Herrada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 20147 CF 888, par le juge Locke, au paragraphe 11.

[12]   Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[13]  Il est bien établi que la norme de contrôle de la décision raisonnable commande la retenue, de sorte qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard de la SPR : Ahmed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 828, par le juge Boswell, au paragraphe 9; Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1273, par le juge LeBlanc, aux paragraphes 13, 21 et 22; Sater c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 60, par le juge de Montigny, au paragraphe 3; Hernandez Gutierrez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 785, par le juge Shore, au paragraphe 20; Lin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1052, au paragraphe 13, par le juge Teitelbaum. C’est à la SPR, et non à la cour de révision, que revient la responsabilité d’examiner et d’évaluer les éléments de preuve déposés devant elle. Cela fait partie du mandate principal de la SPR. Un contrôle judiciaire ne se veut pas une substitution par un juge de révision de l’évaluation de la preuve par la SPR, mais une détermination du caractère raisonnable, comme le définit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir.

[14]  Il est important de se rappeler également que les demandeurs doivent s’acquitter du fardeau d’établir qu’ils sont des personnes à protéger en application des articles 96 et 97 de la LIPR.

[15]  La Cour suprême du Canada prescrit que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses].

IV.   Questions en litige

[16]  Bien qu’ils reconnaissent que la norme de contrôle est la décision raisonnable, les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur sur deux points :

  1. La SPR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation des éléments de preuve déposés relativement à la demande d’asile de la demanderesse?

  2. La SPR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation des éléments de preuve déposés relativement à la demande d’asile du demandeur?

[17]  À mon avis, la question consiste à déterminer si la conclusion de la SPR, selon laquelle les demandeurs ne sont pas des personnes à protéger, est raisonnable. À mon avis, c’est le cas. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

V.  Décision

A.  Crédibilité

[18]  La SPR a jugé les demandeurs crédibles et souligné leurs témoignages directs, concis et sincères.

B.  Les éléments de preuve sont insuffisants pour conclure que les demandeurs sont exposés à un risque personnalisé auquel ne sont pas exposés les autres Salvadoriens

[19]  Le raisonnement et les conclusions de la SPR au sujet du risque personnalisé sont les suivants :

[traduction] J’éprouve de la compassion pour les [demandeurs]. Ils ont vécu de grandes épreuves au Salvador et ont été privés de leur enfance et de leur avenir. Ils sont tous deux intelligents, capables de s’exprimer et méritants. Ceci dit, pour que leurs demandes soient acceptées, ils doivent démontrer qu’ils sont exposés à un risque élevé de persécution fondée sur la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un groupe social particulier et les opinions politiques. Subsidiairement, ils doivent prouver qu’ils sont exposés à un risque personnalisé de menace pour leur vie ou à un risque de peines ou de traitements auxquels ne sont généralement pas exposés les autres Salvadoriens. Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve devant moi pour tirer cette conclusion aujourd’hui.

Dans le cas de [la demanderesse], son frère a quitté le Salvador en mars 2009. Malgré les menaces à son endroit, elle est demeurée au pays jusqu’en mai 2010 sans rencontrer le moindre problème. Elle reconnaît qu’elle a dû limiter ses activités et rester souvent à l’intérieur. Son frère a été déporté vers le Salvador il y a dix mois et il n’a pas subi de préjudice, bien qu’il se soit déplacé constamment pour assurer sa sécurité. Après le départ de [la demanderesse], en 2010, son père et son autre frère sont demeurés au pays et vivent toujours au même endroit. Son père travaille dans le domaine de l’agriculture et son frère fréquente l’université. Ils n’ont pas subi de préjudice au cours des huit dernières années, malgré les menaces proférées à l’endroit de tous les membres de la famille. La preuve est insuffisante pour démontrer qu’ils ont subi un traitement qui équivaut à de la persécution ou aux risques établis à l’article 97 qui indiqueraient une possibilité de violations graves, soutenues ou systématiques des droits de [la demanderesse] en raison d’un motif prévu à la Convention. De même, la preuve est insuffisante pour indiquer que ce risque serait personnalisé et différent de ceux auxquels sont exposés les Salvadoriens en général en raison des problèmes de sécurité généralisés dans ce pays.

Étant donné le laps de temps écoulé (sept ans depuis qu’elle a quitté le pays) et l’absence de preuve démontrant une menace persistante, il m’est impossible de déterminer qu’elle est exposée à une possibilité sérieuse de persécution en raison d’un motif prévu à la Convention ou un risque personnalisé probable, même en tenant compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

Je suis d’avis que l’analyse concernant [le demandeur] est comparable. Il a continué à vivre au Salvador pendant plusieurs années après qu’on lui ait initialement demandé de se joindre au gang. Il n’a rencontré aucun problème, bien que je tienne compte du fait qu’il a dû limiter ses activités. Il ne sait pas si sa mère a cédé à la mesure d’extorsion, mais il sait que le gang demandait une somme que la famille ne pouvait payer. Après son départ du pays, en 2012, il n’existe aucune preuve démontrant que sa mère, son frère et ses sœurs, qui sont restés au pays pendant quelques années, ont été exposés à des préjudices, y compris la violence sexuelle.

Le [demandeur] est parti depuis cinq ans et les éléments de preuve sont insuffisants pour conclure à une menace active. Bien que le [demandeur] soit encore jeune, il a atteint un âge supérieur à celui ciblé par les membres de gangs en Amérique centrale pour le recrutement. Je ne dispose pas d’éléments de preuve suffisants pour démontrer que le demandeur associé serait ciblé pour un motif énoncé dans la Convention ou qu’il est exposé à un risque autre que ceux auxquels les Salvadoriens sont exposés en général.

C.  La crainte est fondée sur la criminalité

[20]  À cet égard, la SPR conclut comme suit :

[traduction] La crainte des [demandeurs] aujourd’hui est fondée sur la criminalité, qui n’est pas un motif énoncé dans la Convention. Ni l’un ni l’autre des demandeurs ne présente un profil qui suggérerait que les menaces subies antérieurement seraient, après tant d’années, attribuables à la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un groupe social particulier et les opinions politiques ou un risque personnalisé.

Je conviens que les [demandeurs] sont très craintifs. Je reconnais que les gangsters au Salvador sont brutaux et vindicatifs. Je reconnais que le Salvador est le pays ayant le plus haut taux d’homicide au monde, en dehors des pays en guerre. En ce qui concerne leurs profils, [la demanderesse] est une femme qui a encouragé son frère à résister au recrutement, alors que [le demandeur] a évité le recrutement, alors que sa mère a résisté à la tentative d’extorsion. Bien que cela soit considéré comme des affronts pour les gangs, je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve démontrant que les gestes posés par [les demandeurs] auraient pour conséquence que les menaces seraient toujours actives après de nombreuses années, ou indiqueraient aujourd’hui une violation grave, soutenue ou systématique des droits humains en raison d’un motif prévu à la Convention ou un risque qui n’est pas généralisé.

VI.  Analyse

[21]  Je ne puis conclure que la SPR a appliqué une norme déraisonnable ou incorrecte dans son approche de la section 96 ou de la section 97 de la LIPR. Plus particulièrement, à mon avis, il n’y avait aucun matériel ou élément de preuve pour appuyer une demande en application de l’article 96 de la LIPR. Si la demande avait pu être envisagée sous un angle positif, elle l’aurait été en application de l’article 97 :

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée:

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Personne à protéger

Person in need of protection

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection

[22]  J’accepte le critère de l’article 97 établi par le juge Zinn dans Guerrero c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1210, aux paragraphes 25 et 26 :

[25] Aux termes du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi, a qualité de personne à protéger « la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité [...], exposée [...] à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités [si] elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas ».

[26] Il ressort clairement d’une analyse minutieuse de cette disposition que, pour que la qualité de personne à protéger soit reconnue à un demandeur d’asile, il faut conclure :

a.  que le demandeur d’asile est au Canada;

b.  qu’il serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont il a la nationalité, exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités;

c.  qu’il y serait exposé en tout lieu de ce pays;

d.  que « d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne [...] sont généralement » pas exposées à ce risque personnel. »

Ces quatre conditions doivent être remplies pour que la personne soit une personne à protéger au sens de la Loi. Seules les personnes à protéger sont autorisées à demeurer au Canada.

[23]  Comme le juge Mosley l’a indiqué dans Coreas Contreras c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 510 [Contreras], au paragraphe 16, « Chaque décision est un cas d’espèce. »

A.  Allégation de la demanderesse

[24]  Dans ses observations, la demanderesse fait valoir que la conclusion de la SPR est déraisonnable et injustifiable à la lumière de la conclusion de la SPR reconnaissant que les demandeurs étaient crédibles et que les membres de gang sont « brutaux et vindicatifs », du témoignage sous serment concernant les menaces de viol et de mort à son égard pour avoir empêché son frère adoptif de se joindre au gang et des éléments de preuve démontrant l’agression sexuelle et le meurtre, en 2009, d’une jeune amie se trouvant dans une situation comparable, qui a tenu tête au gang et empêché des membres de sa famille de s’y joindre.

[25]  Toutefois, à cet égard, la SPR avait le droit et était tenue d’examiner et d’évaluer la preuve de risque prospectif. Il n’y a aucune raison de douter que la demanderesse était en difficulté au Salvador lorsqu’elle a quitté en 2010. Toutefois, la question à trancher pour la SPR portant sur la nature du risque si elle retournait au Salvador en 2017 (année de l’audience de la SPR), sept ans plus tard. Le devoir de la SPR est d’évaluer ce risque prospectif. Il a été évalué par la SPR dans les termes suivants :

[...] De même, la preuve est insuffisante pour indiquer que ce risque serait personnalisé et différent de ceux auxquels sont exposés les Salvadoriens en général en raison des problèmes de sécurité généralisés dans ce pays.

Étant donné le laps de temps écoulé (sept ans depuis qu’elle a quitté le pays) et l’absence de preuve démontrant une menace persistante, il m’est impossible de déterminer qu’elle est exposée à une possibilité sérieuse de persécution en raison d’un motif prévu à la Convention ou un risque personnalisé probable, même en tenant compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. [Souligné dans l’original.]

[26]  À mon humble avis, les préoccupations de la demanderesse ont été examinées par la SPR à la lumière des éléments de preuve. Bien que la demanderesse ne soit pas d’accord avec l’évaluation, celle-ci appartient aux issues possibles conformément à l’arrêt Dunsmuir. Cela est particulièrement vrai compte tenu de l’absence de preuve qu’elle a été recherchée ou qu’on a cherché à connaître ses allées et venues au cours de ces sept années, de son départ du Salvador jusqu’à la date de l’audience. En outre, aucune menace n’a été proférée à son égard ou advenant son retour au Salvador. La SPR s’est posée la bonne question, essentiellement s’il s’agissait d’un « risque personnalisé probable », et a conclu que sa demande était sans fondement.

[27]  Les demandeurs reconnaissent que la SPR n’est pas obligée de mentionner chaque élément de preuve en particulier et qu’elle est réputée avoir pris en considération l’ensemble de la preuve. Toutefois, ils soutiennent que l’élément de preuve selon lequel une amie de la famille a été assassinée par le gang est pertinent puisqu’il [traduction] « soulève la question que la Cour n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents, n’a pas examiné l’ensemble de la preuve ou n’a pas fourni d’explication en termes clairs et explicites pour expliquer pourquoi ces éléments de preuve ne peuvent être acceptés ». Je ne suis pas convaincu que cela constituait une erreur susceptible de révision. Les événements décrits sont survenus en 2009, huit ans avant l’audience. La SPR est présumée avoir examiné ces éléments de preuve et, dans ce contexte, il était raisonnable qu’elle juge ces éléments comme insuffisants pour démontrer une intention continue de causer un préjudice à la demanderesse en termes de risque prospectif en 2017.

[28]  Les demandeurs soutiennent que la SPR a omis de fournir des raisons dans des termes clairs et explicites pour expliquer pourquoi les éléments de preuve selon lesquels la demanderesse était prisonnière de sa propre maison n’ont pu être acceptée comme preuve du risque. À mon avis, il n’était pas nécessaire de se pencher plus particulièrement sur cet élément dans l’examen et l’évaluation de la preuve par la SPR.

[29]  Les demandeurs affirment que la SPR a commis une erreur en concluant que le frère n’a pas subi de préjudice depuis sa déportation vers le Salvador, à la lumière du témoignage de la demanderesse selon lequel son frère n’a pratiquement pas passé de temps au Salvador depuis sa déportation en raison de sa crainte du gang. En ce qui concerne cette observation, la difficulté est qu’il existe également des éléments de preuve indiquant que son frère a habité au Salvador. En outre, bien que la demanderesse ait affirmé qu’il se déplaçait constamment, son frère lui-même n’a rien mentionné à ce sujet dans ses observations écrites, pas plus qu’il n’a fait état de menaces proférées à son endroit par les membres du gang. La SPR devait évaluer les éléments de preuve, l’a fait et a tiré la conclusion qu’elle pouvait tirer sur la foi du dossier dont elle disposait.

[30]   En ce qui concerne le père et le frère de la demanderesse, qui sont restés au Salvador dans la maison familiale d’origine sans subir de préjudice depuis le départ de la demanderesse, en 2010, la SPR a noté que son frère fréquentait l’université et que son père travaillait comme agriculteur. Lors de l’audience, la demanderesse n’a fourni aucun élément de preuve indiquant que son père était exposé à des menaces ou un préjudice continu de la part du gang, mais a affirmé que son frère devait verser un dollar chaque fois qu’il sortait. Dans ses observations, le frère n’a toutefois fait part d’aucune menace ou préjudice à son endroit de la part du gang. Dans sa déclaration, il a affirmé que [traduction] « depuis l’enfance, ils ont vécu dans la même ville et, peu importe les difficultés rencontrées, ils ont été en mesure d’aller de l’avant, d’abord avec l’aide de Dieu, et deuxièmement, avec l’aide de sa sœur aînée [...] ». La SPR était libre de privilégier le témoignage de son frère, soulignant qu’il n’avait pas mentionné de préjudice continu ou d’extorsion de la part du gang.

[31]  Selon les demandeurs, la SPR a commis une erreur en caractérisant le risque auquel la demanderesse était exposée comme un risque de criminalité généralisé. Les demandeurs ont souligné que le profil de risque de la demanderesse [traduction] « différait grandement » de celui de son père ou de son frère, qui n’ont pas joué de rôle actif en empêchant son frère de se joindre au gang et en le défiant en forçant son frère à retourner son arme. Je suis d’accord que son profil diffère, mais sa demande en application de l’article 97 a été rejetée en raison de l’insuffisance des éléments de preuve confirmant un risque prospectif continu.

B.  Allégation du demandeur

[32]  Les demandeurs s’insurgent contre la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur a vécu au Salvador pendant de nombreuses années sans problème après avoir refusé d’être recruté par le gang en question. Les demandeurs insistent sur le fait que leur preuve indique que le demandeur et sa famille ont été contactés plusieurs fois par le gang malgré qu’ils aient quitté le pays. Selon les demandeurs, la SPR n’a pas expliqué pourquoi leur preuve de persécution, que la SPR a jugé crédible, n’a pas été considérée comme une preuve de risque. À mon humble avis, la SPR a accepté la preuve à cet égard, mais n’était pas persuadée qu’elle équivalait à plus que de la criminalité générale, qui ne constitue pas un motif prévu à l’article 97 de la LIPR (ou de l’article 96).

[33]  En ce qui concerne la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y avait « aucune preuve » que les membres de sa famille [traduction] « ont été exposés à des préjudices, y compris la violence sexuelle », les demandeurs renvoient la Cour à l’élément de preuve déposé par le demandeur selon lequel sa mère et sa sœur ont été ciblées par le gang après son départ et ont été obligées de fréquenter des membres du gang. Je suis d’accord avec les demandeurs que cette conclusion d’absence de preuve n’est pas étayée par les éléments de preuve. Toutefois, dans le contexte de la conclusion de la SPR, il s’est écoulé environ cinq ans depuis que le demandeur a quitté le Salvador et il n’a plus l’âge typique pour être recruté par un gang. En outre, toute sa famille avait quitté le Salvador en 2016, ce qui est de notoriété publique. Je ne suis pas persuadé que cette conclusion a eu des conséquences importantes sur la décision dans le contexte présenté à la SPR.

[34]  En ce qui concerne la conclusion de la SPR selon laquelle le risque auquel est exposé le demandeur est le même risque auquel sont exposés en général la population du Salvador ou les personnes originaires de ce pays, les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur, c’est-à-dire qu’elle a agi de façon déraisonnable. Les demandeurs notent que le demandeur a été exposé de façon répétée et continue à des menaces même après sa fuite et que le gang a continué à le menacer et à l’extorquer plusieurs années après qu’il ait refusé de s’y joindre, en 2008. Toutefois, comme dans le cas de la demanderesse, il n’y a eu aucun témoignage concernant des personnes à la recherche du demandeur ou s’enquérant de ses allées et venues. Au moment de la tenue de l’audience, il avait quitté le Salvador depuis cinq ans; la tâche de la SPR consistait à évaluer le risque prospectif s’il venait à retourner dans ce pays.

[35]  Les demandeurs invoquent la décision Contreras pour affirmer que les menaces continues à l’égard de la demanderesse après que son frère ait fui aux États-Unis étaient des risques personnels auxquels n’est pas exposée la population salvadorienne en général. Toutefois, les faits divergent grandement de ceux de l’affaire Contreras, où la SPR a conclu que le demandeur était exposé à un risque personnel de menace pour sa vie et de traitements cruels et inusités s’il devait retourner dans son pays. Ce n’est pas la preuve présentée ou le cas en l’espèce. De même, le dossier concernant le demandeur diverge grandement de celui dans l’affaire Contreras.

[36]  En résumé, la majeure partie des observations des demandeurs portent sur l’examen et l’évaluation des éléments de preuve. De nombreuses tentatives ont été faites pour faire valoir que la SPR a mal interprété ou mal compris la preuve ou lui accordé un poids inadéquat. Toutefois, conformément à Newfoundland Nurses’, au paragraphe 16, les décideurs n’ont pas à tirer des conclusions explicites pour chaque élément de preuve. En outre, il existe une présomption selon laquelle les décideurs n’ont pas examiné l’ensemble de la preuve. Je ne suis pas convaincu que cette présomption a été réfutée.

VII.  Conclusion

[37]  À mon humble avis, la SPR a examiné et évalué le dossier qui lui a été soumis et a raisonnablement conclu que malgré les événements survenus au Salvador il y a de nombreuses années, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que les demandeurs étaient exposés à un risque personnalisé de menace pour leur vie ou à un risque de peines ou de traitements auxquels ne sont généralement pas exposés les autres Salvadoriens.

[38]  Le contrôle judiciaire ne consiste pas à additionner les plus et les moins concernant les différents points en faveur ou à l’encontre d’une décision. La Cour suprême du Canada exige que la décision faisant l’objet d’un contrôle soit examinée comme un tout. Dans de nombreux cas, il existe de nombreux résultats possibles; s’ils appartiennent aux issues possibles acceptables, ils doivent être confirmés par le contrôle judiciaire. Après avoir pris du recul et avoir examiné la décision comme un tout, je ne suis pas persuadé que la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits du droit. Il n’y a pas de problème de transparence ou d’intelligibilité. Il n’y a pas non plus eu de manquement à l’équité procédurale. Par conséquent, je conclus que la décision respecte les critères énoncés dans Dunsmuir et que le contrôle judiciaire doit être rejeté.

[39]  Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-5233-17

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire, sans aucune question d’importance générale à certifier et aucune ordonnance quant aux dépens.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5233-17

 

INTITULÉ :

ADA LUZ MOYA ZUNIGA ET KEVIN ALEXANDER HERCULES SORIANO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 juin 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 juin 2018

COMPARUTIONS :

Simon K. Yu

Pour les demandeurs

 

Camille Audain

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Edmonton (Alberta)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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