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Date : 20180406


Dossier : IMM-3251-17

Référence : 2018 CF 373

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 avril 2018

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

A.B.

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT PUBLIC ET MOTIFS

[1]  A.B. est une citoyenne du Soudan qui dit craindre d’être persécutée dans ce pays parce qu’elle a découvert un système de corruption impliquant le ministère soudanais de la Santé. Elle prétend avoir une crainte supplémentaire de persécution au Soudan en raison de sa réputation d’opposante à la mutilation génitale féminine (MGF).

[2]  A.B. est elle-même victime d’une forme de MGF connue sous le nom d’« infibulation ». Généralement pratiquée pendant l’enfance, l’infibulation implique l’ablation partielle des organes génitaux externes d’une fille et la fermeture presque complète de l’ouverture vaginale, ce qui peut entraîner des problèmes de santé importants.

[3]  En plus de ses autres allégations, A.B. a affirmé qu’elle serait victime de persécution fondée sur le sexe si elle était obligée de retourner au Soudan où, dit-elle, elle serait forcée de se marier et d’avoir des enfants, après quoi elle serait tenue de subir une « réinfibulation ». Cet aspect de la revendication du statut de réfugié d’A.B. n’a jamais été abordé par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, de sorte que sa demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

I.  Les décisions concernant les revendications du statut de réfugié d’A.B.

[4]  La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la revendication du statut de réfugié d’A.B., ayant conclu que sa crédibilité avait été irrémédiablement entachée du fait qu’elle ait omis de divulguer qu’une revendication du statut de réfugié présentée antérieurement en Norvège et basée sur une tout autre histoire que celle de corruption avancée au Canada avait été rejetée. La SPR a en outre conclu qu’A.B. n’avait pas réussi à établir qu’elle serait persécutée au Soudan en tant que militante anti-MGF. Toutefois, à aucun moment de son analyse, la SPR n’a abordé la revendication fondée sur le sexe d’A.B. liée à sa présumée crainte de subir une réinfibulation.

[5]  A.B. a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SAR a confirmé la conclusion défavorable de la SPR concernant le présumé système de corruption mettant en cause le gouvernement soudanais. La SAR a également conclu qu’A.B. n’avait pas réussi à établir que des militantes anti-MGF étaient en danger au Soudan. Toutefois, bien qu’A.B. ait cité expressément le fait que la SPR n’ait pas abordé sa crainte alléguée de persécution en raison du risque de subir une réinfibulation comme l’un des motifs de son appel, il n’est fait aucune mention dans la décision de la SAR de cet aspect de sa revendication du statut de réfugié.

II.  Analyse

[6]  Même si une revendication du statut de réfugié n’est pas clairement formulée par un demandeur d’asile, il incombe au décideur d’examiner les faits de l’affaire et de déterminer si les conditions de la définition de « réfugié au sens de la Convention » sont remplies : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689, 103 DLR (4 th) 1. Dans cette affaire, toutefois, la crainte alléguée d’A.B.de persécution liée à la réinfibulation a été expressément affirmée dans son formulaire Fondement de la demande d’asile. De plus, des éléments de preuve ont été fournis et des observations ont été présentées au sujet de cet aspect de la demande d’asile devant la SPR et la SAR.

[7]  De plus, l’allégation d’A.B. n’était clairement pas frivole, car il y a des renseignements sur le pays qui indiquent qu’une grande majorité des femmes soudanaises subissent des MGF (dont l’infibulation) et des réinfibulations. De plus, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a reconnu que la MGF contrevient à l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (SSR T-93-12198/12199/12187, Ramirez, McCaffrey, le 10 mai 1994, cités dans les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe. Par contre, pour une raison inexpliquée, ni la SPR ni la SAR n’ont choisi d’évaluer cet aspect de la revendication du statut de réfugié d’A.B.

[8]  Bien qu’il y ait sans aucun doute des raisons sérieuses de remettre en question la véracité de l’allégation de corruption d’A.B., la preuve dont la SAR était saisie au sujet de sa crainte présumée de réinfibulation ne dépendait aucunement de sa crédibilité. Son statut de survivante de la MGF avait été confirmé par un rapport médical. Les renseignements sur le pays confirment en outre que la réinfibulation demeure une pratique répandue au Soudan, où les femmes sont fréquemment obligées de subir cette procédure après la naissance d’un enfant.

[9]  L’avocat du défendeur a présenté des arguments pour justifier le rejet par la Commission de l’allégation d’A.B. de persécution fondée sur le sexe liée au risque potentiel qu’elle subisse une réinfibulation. Un de ces arguments veut qu’il soit hypothétique pour A.B. de prétendre qu’elle serait forcée de se marier si elle retournait au Soudan, ce qui laisse entendre apparemment qu’elle pourrait éviter la persécution en choisissant de rester célibataire. Quel que soit le bien-fondé de cet argument et d’autres, ce n’est pas le rôle de la Cour d’évaluer la preuve et de déterminer si un demandeur d’asile répond à la définition d’un « réfugié ». C’est le rôle de la SPR en première instance et de la SAR en appel.

[10]  De plus, même si la SAR concluait qu’A.B. n’avait pas établi qu’elle serait forcée de se marier si elle retournait au Soudan, cela ne mettrait pas fin à l’enquête. La SAR devrait également se demander si l’on devrait s’attendre à ce qu’une personne évite un risque de persécution en choisissant de ne pas se marier ou d’avoir des enfants.

[11]  La possibilité de se marier et d’avoir des enfants fait intervenir des expressions fondamentales de notre sexualité et de notre humanité, reconnues comme des droits fondamentaux en droit international : Déclaration universelle des droits de l’homme, AG Rés. 217 A (III), Documents officiels de l’Assemblée générale des Nations Unies, 10 décembre 1948, article 16; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, [1976] R.T. Can. no 47, article 23. La SAR devrait donc déterminer s’il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’une personne comme A.B. demeure célibataire et sans enfant afin d’éviter le risque de grossesse, d’accouchement et de réinfibulation, ou si cela constituerait une atteinte grave à ses droits fondamentaux.

III.  Conclusion

[12]  Le fait que la SAR ait omis d’aborder un aspect important de la demande du statut de réfugié d’A.B. signifie que sa décision ne répond pas aux critères de « justification […], transparence et […] intelligibilité » qui déterminent son caractère raisonnable. On ne peut pas non plus dire que la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190. Par conséquent, la demande est accueillie.

[13]  L’affaire est renvoyée à la SAR pour nouvel examen avec la directive qu’elle aborde expressément l’aspect de la demande d’asile d’A.B. lié à sa crainte alléguée de réinfibulation. Il est loisible à A.B. de présenter les éléments de preuve additionnels qu’elle juge appropriés devant la SAR qui devra déterminer si ces éléments doivent être considérés comme de « nouvelles preuves ».

[14]  Je suis d’accord avec les parties à savoir que l’affaire repose sur les faits et que la question ne convient pas à la certification.


JUGEMENT DU DOSSIER DE LA COUR IMM-3251-17

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SAR différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire conformément aux présents motifs.

  2. La SAR doit aborder expressément la demande de statut de réfugié d’A.B. fondée sur sa crainte alléguée de réinfibulation.

« Anne L. Mactavish »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3251-17

 

INTITULÉ :

A.B. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 AVRIL 2018

 

JUGEMENT PUBLIC ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 AVRIL 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Lisa Winter-Card

Orange LLP

 

POUR LA DEMANDEURE

 

Me David Joseph

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Czuma, Ritter

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour la demandeure

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

 

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