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Date : 20180531


Dossier : T‑1236‑01

Référence : 2018 CF 564

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

DARIN GRENKE, à titre de représentant personnel de la SUCCESSION D’EDWARD GRENKE, et 284849 ALBERTA LTD.

demandeurs

et

DNOW CANADA ULC,

NATIONAL OILWELL VARCO INC. et 769388 ALBERTA LTD.

défenderesses

MOTIFS DU JUGEMENT

TABLE DES MATIÈRES

SECTIONS :

PARAGRAPHES

I.  Introduction

[1] - [6]

II.  Les questions en litige

[7]

III.  Rappel des faits et de la procédure

[8]

A.  Les parties

[8] - [17]

B.  L’acquis technique du brevet 937

[18] - [21]

C.  Les témoins

[22]

1)  Les témoins factuels des demandeurs

[23]

a)  Wes Grenke

[23]

b)  Robert Moneta

[24]

c)  Shane Freeson

[25] - [26]

d)  David Garland

[27]

e)  Darin Austin

[28]

f)  John Gazdewich

[29]

2)  Les témoins experts des demandeurs

[30]

a)  Farley Cohen

[30] - [32]

b)  Cam Matthews

[33] - [34]

3)  Les témoins factuels des défenderesses

[35]

a)  Jared Kaluski

[35]

b)  Denis Blaquiere

[36]

c)  Craig Hall

[37]

d)  Glen Martinka

[38]

e)  Vern Hult

[39]

f)  Murray Robertson

[40]

4)  Le témoin expert des défenderesses

[41]

a)  David Hall

[41] - [42]

D.  Le marché

[43] - [47]

E.  GrenCo

[48] - [50]

F.  Corlac/NOV

[51] - [55]

G.  Weatherford

[56] - [57]

H.  Le produit Oryx de Kudu

[58] - [60]

I.  Oil Lift

[61] - [65]

J.  Les autres acteurs

[66] - [68]

IV.  Discussion

[69]

A.  Aperçu de la question des dommages-intérêts

[69] - [77]

B.  Le nombre de produits contrefaisants

[78]

1)  QUESTION 1 : Combien les défenderesses ont-elles produit ou vendu d’unités d’entraînement munies de boîtes à garniture « Enviro » (en modèles « Retrofit », « Integral » ou « Griffin ») de 2000 à juin 2010 [la période de contrefaçon ou de référence]?

[78] - [84]

2)  QUESTION 2 : Combien de boîtes à garniture « Enviro » indépendantes ont-elles été produites ou vendues pendant la période de contrefaçon?

[85]

C.  Les ventes perdues

[86]

1)  QUESTION 3 : GrenCo a-t-elle établi avoir perdu des ventes d’unités d’entraînement par suite des activités de contrefaçon des défenderesses?

[86] - [90]

2)  QUESTION 4 : L’estimation de la part de marché est-elle une méthode justifiée pour déterminer la perte de ventes et, dans l’affirmative, quel est le marché pertinent? [Les défenderesses n’ont pas traité cette question.]

[91] - [97]

3)  QUESTION 5 : Quelle était la part estimative de GrenCo sur le marché pertinent? [Les défenderesses n’ont pas traité cette question.]

QUESTION 6 : Quelle aurait été la part de GrenCo sur le marché si les défenderesses n’y avaient pas vendu leurs produits contrefaisants?

QUESTION 7 : Combien d’unités d’entraînement GrenCo aurait-elle vendues n’eussent été les activités de contrefaçon des défenderesses (nombre de ventes perdues d’unités d’entraînement selon une analyse fondée sur le critère du sine qua non)?

[98] - [103]

a)  La part de marché

[104] - [105]

i)  Les années 2000‑2002

[106] - [108]

ii)  L’année 2003

[109]

iii)  Les années 2004‑2010

[110] - [113]

iv)  Conclusion

[114]

4)  QUESTION 8 : Combien GrenCo a-t-elle perdu en profits par vente manquée d’unité d’entraînement au cours de la période de contrefaçon? Quels étaient le prix de vente et le coût différentiel des unités d’entraînement chez GrenCo?

[115]

a)  Les salaires et avantages sociaux

[116] - [117]

b)  Les rémunérations des cadres

[118] - [119]

c)  Les frais de publicité, de déplacement et de promotion

[120] - [121]

d)  Les services publics

[122]

e)  Les frais bancaires et intérêts

[123]

5)  QUESTION 9 : À combien s’élève pour les demandeurs la perte totale de profits sur les ventes manquées d’unités d’entraînement?

[124]

a)  Les pertes et profits directs

[125] - [130]

D.  Des redevances raisonnables

[131]

1)  Généralités

[131] - [136]

2)  QUESTION 10 : Quel taux de redevance sur le prix de vente devrait-on appliquer aux ventes d’unités d’entraînement et de boîtes à garniture contrefaisantes réalisées par les défenderesses?

[137] - [145]

3)  QUESTION 11 : Combien d’unités d’entraînement et de boîtes à garniture donnent-elles droit à des redevances raisonnables, et quels prix demandaient les défenderesses pour ces produits?

[146] - [147]

4)  QUESTION 12 : Quel est le total des redevances auxquelles les défendeurs ont droit sur les ventes contrefaisantes d’unités d’entraînement et de boîtes à garniture réalisées par les défenderesses?

[148]

E.  Les ventes perdues de services d’entretien, d’unités d’entraînement reconditionnées et de produits complémentaires

[149]

1)  QUESTION 13 : GrenCo a-t-elle établi que les activités de contrefaçon des défenderesses lui aient fait perdre des ventes d’unités d’entraînement reconditionnées?

[149] - [152]

2)  QUESTION 14 : En cas de réponse affirmative à la QUESTION 13, combien de ces ventes GrenCo a-t-elle perdues? À combien s’élève la perte de profits de GrenCo par vente manquée d’unité d’entraînement reconditionnée au cours de la période de contrefaçon? Quel est le total des profits perdus par GrenCo sur les ventes manquées d’unités d’entraînement reconditionnées?

[153] - [154]

3)  QUESTION 15 : GrenCo a-t-elle établi que la vente de produits contrefaisants par les défenderesses lui ait fait manquer des ventes de produits complémentaires non contrefaisants?

[155] - [165]

4)  QUESTION 16 : En cas de réponse affirmative à la QUESTION 15, quels sont les produits dont GrenCo a perdu des ventes et sur quelle durée les a-t-elle perdues? De combien d’unités de chacune de ces catégories GrenCo a-t-elle perdu des ventes? À combien s’élève la perte de profits de GrenCo sur les ventes de ces produits? Quel est le total des profits perdus par GrenCo sur les ventes manquées de produits complémentaires?

[166] - [169]

5)  QUESTION 17 : Quel est le total des profits perdus par GrenCo sur les ventes manquées de services d’entretien des unités d’entraînement?

[170] - [174]

F.  Les produits de substitution non contrefaisants

[175]

1)  QUESTION 18 : Les boîtes à garniture SAI ou d’autres dispositifs d’étanchéité sont-ils des produits de substitution non contrefaisants?

[175] - [182]

2)  QUESTION 19 : En cas de réponse affirmative à la QUESTION 18, quelle est l’incidence de l’offre de boîtes à garniture SAI (ou d’autres dispositifs d’étanchéité) comme produits de substitution non contrefaisants? Quel est le total des profits perdus par GrenCo compte tenu de l’offre de boîtes à garniture SAI (ou d’autres dispositifs d’étanchéité) comme produits de substitution non contrefaisants?

[183]

G.  Les dommages-intérêts punitifs

[184]

1)  QUESTION 20 : La présente affaire justifie-t-elle l’octroi de dommages-intérêts punitifs en sus de l’indemnisation que la Cour pourrait par ailleurs prononcer?

[184] - [190]

H.  Les intérêts

[191]

1)  QUESTION 21 : GrenCo a-t-elle droit à des intérêts avant jugement?

[191] - [203]

2)  QUESTION 22 : Les intérêts avant jugement afférents aux dommages devraient-ils être calculés sur une base composée pour la période ayant précédé la vente à un tiers de l’actif de GrenCo?

[204] - [212]

I.  Les dépens

[213]

1)  QUESTION 23 : À qui seront adjugés les dépens afférents aux deux phases du présent procès (responsabilité et réparation), et quels en seront la nature et le montant?

[213]

V.  Conclusion

[214]

LE JUGE PHELAN

I.  Introduction

[1]  La Cour aborde maintenant la seconde phase, relative à l’indemnisation, de la présente action en contrefaçon de brevet. Il a fallu un temps considérable pour en arriver là. C’est le 3 juin 2010 que la Cour, par la décision Weatherford Canada Ltd c. Corlac Inc, 2010 CF 602, 370 FTR 54 [Weatherford Canada], a conclu que le brevet canadien no 2095937 (le brevet 937), afférent aux joints des boîtes à garniture utilisées pour le forage pétrolier, était valide et avait été contrefait.

Les contrefacteurs étaient Corlac Inc, Corlac Equipment Ltd, National Oilwell Inc (dont la raison sociale est maintenant National Oilwell Varco Inc) et National Oilwell Canada Ltd.

[2]  La Cour a conclu que les demandeurs avaient droit soit à une restitution de profits, soit à des dommages-intérêts à évaluer par elle, compte tenu de leur réclamation en dommages-intérêts punitifs, ainsi qu’en intérêts avant et après jugement, c’est‑à‑dire avant et après le 3 juin 2010.

Les demandeurs ont opté pour les dommages-intérêts plutôt que pour la restitution de profits.

[3]  La Cour d’appel fédérale (la CAF), saisie d’un appel contre la décision de première instance, l’a confirmée, exception faite de la question relative à la revendication 17, soit celle de l’incitation. Notre Cour a réexaminé cette question conformément aux directives de la CAF. Cette dernière a ensuite conclu au caractère erroné de son premier arrêt et ordonné un deuxième réexamen, qui a été effectué dans le contexte de l’évaluation des dommages-intérêts.

[4]  Bien qu’elles aient poursuivi leur action concernant la revendication 17, les défenderesses conviennent maintenant, à la phase de l’indemnisation, de la non-pertinence de cette revendication, au motif qu’elle ne peut avoir aucune incidence sur le montant du dédommagement. Elles font valoir que cette question est sans portée pratique et demandent à la Cour de ne pas la décider. Cependant, la CAF a ordonné à notre Cour d’examiner cette question, ce qu’elle fera. Ladite question fait l’objet d’un jugement et de motifs distincts.

[5]  Les demandeurs réclamaient au départ les sommes suivantes :

  • a) des dommages-intérêts compensatoires de 13 118 000 $;

  • b) des dommages-intérêts punitifs de 1 882 000 $;

  • c) des dépens à fixer après la présentation d’observations par les parties.

[6]  Par suite de la preuve présentée au procès, les demandeurs ont réduit leur réclamation en dommages-intérêts, qui se situe maintenant entre 9 517 000 $ et 9 995 000 $, le montant exact dépendant principalement du taux de redevance que la Cour arrêtera.

II.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[7]  Les parties sont en gros d’accord sur les questions à examiner dans la présente évaluation des dommages-intérêts :

LE NOMBRE DE PRODUITS CONTREFAISANTS

  1. Combien les défenderesses ont-elles produit ou vendu d’unités d’entraînement munies de boîtes à garniture « Enviro » (en modèles « Retrofit », « Integral » ou « Griffin ») de 2000 à juin 2010 [la période de contrefaçon ou de référence]?

  2. Combien de boîtes à garniture « Enviro » indépendantes ont-elles été produites ou vendues pendant la période de contrefaçon?

LES VENTES PERDUES

  1. GrenCo a‑t‑elle établi avoir perdu des ventes d’unités d’entraînement par suite des activités de contrefaçon des défenderesses?

  2. L’estimation de la part de marché est-elle une méthode justifiée pour déterminer la perte de ventes et, dans l’affirmative, quel est le marché pertinent? [Les défenderesses n’ont pas traité cette question.]

  3. Quelle était la part estimative de GrenCo sur le marché pertinent? [Les défenderesses n’ont pas traité cette question.]

  4. Quelle aurait été la part de GrenCo sur le marché si les défenderesses n’y avaient pas vendu leurs produits contrefaisants?

  5. Combien d’unités d’entraînement GrenCo aurait-elle vendues n’eussent été les activités de contrefaçon des défenderesses (nombre de ventes perdues d’unités d’entraînement selon une analyse fondée sur le critère du sine qua non)?

  6. Combien GrenCo a‑t‑elle perdu en profits par vente manquée d’unité d’entraînement au cours de la période de contrefaçon? Quels étaient le prix de vente et le coût différentiel des unités d’entraînement chez GrenCo?

  7. À combien s’élève pour les demandeurs la perte totale de profits sur les ventes manquées d’unités d’entraînement?

DES REDEVANCES RAISONNABLES

  1. Quel taux de redevance sur le prix de vente devrait‑on appliquer aux ventes d’unités d’entraînement et de boîtes à garniture contrefaisantes réalisées par les défenderesses?

  2. Combien d’unités d’entraînement et de boîtes à garniture donnent-elles droit à des redevances raisonnables, et quels prix demandaient les défenderesses pour ces produits?

  3. Quel est le total des redevances auxquelles les défendeurs ont droit sur les ventes contrefaisantes d’unités d’entraînement et de boîtes à garniture réalisées par les défenderesses?

LES VENTES PERDUES DE SERVICES D’ENTRETIEN, D’UNITÉS D’ENTRAÎNEMENT RECONDITIONNÉES ET DE PRODUITS COMPLÉMENTAIRES

  1. GrenCo a‑t‑elle établi que les activités de contrefaçon des défenderesses lui aient fait perdre des ventes d’unités d’entraînement reconditionnées?

  2. En cas de réponse affirmative à la QUESTION 13, combien de ces ventes GrenCo a‑t‑elle perdues? À combien s’élève la perte de profits de GrenCo par vente manquée d’unité d’entraînement reconditionnée au cours de la période de contrefaçon? Quel est le total des profits perdus par GrenCo sur les ventes manquées d’unités d’entraînement reconditionnées?

  3. GrenCo a‑t‑elle établi que la vente de produits contrefaisants par les défenderesses lui ait fait manquer des ventes de produits complémentaires non contrefaisants?

  4. En cas de réponse affirmative à la QUESTION 15, quels sont les produits dont GrenCo a perdu des ventes et sur quelle durée les a‑t‑elle perdues? De combien d’unités de chacune de ces catégories GrenCo a‑t‑elle perdu des ventes? À combien s’élève la perte de profits de GrenCo sur les ventes de ces produits? Quel est le total des profits perdus par GrenCo sur les ventes manquées de produits complémentaires?

  5. Quel est le total des profits perdus par GrenCo sur les ventes manquées de services d’entretien des unités d’entraînement?

LES PRODUITS DE SUBSTITUTION NON CONTREFAISANTS

  1. Les boîtes à garniture SAI ou d’autres dispositifs d’étanchéité sont‑ils des produits de substitution non contrefaisants?

  2. En cas de réponse affirmative à la QUESTION 18, quelle a été l’incidence de l’offre de boîtes à garniture SAI (ou d’autres dispositifs d’étanchéité) comme produits de substitution non contrefaisants? Quel est le total des profits perdus par GrenCo compte tenu de l’offre de boîtes à garniture SAI (ou d’autres dispositifs d’étanchéité) comme produits de substitution non contrefaisants?

LES DOMMAGES-INTÉRÊTS PUNITIFS

  1. La présente affaire justifie‑t‑elle l’octroi de dommages-intérêts punitifs en sus de l’indemnisation que la Cour pourrait par ailleurs prononcer?

LES INTÉRÊTS

  1. GrenCo a‑t‑elle droit à des intérêts avant jugement?

  2. Les intérêts avant jugement afférents aux dommages devraient-ils être calculés sur une base composée pour la période ayant précédé la vente à un tiers de l’actif de GrenCo?

LES DÉPENS

  1. À qui seront adjugés les dépens afférents aux deux phases du présent procès (responsabilité et réparation), et quels en seront la nature et le montant?

III.  RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

A.  Les parties

[8]  La société GrenCo Industries Ltd, petit atelier d’usinage sis dans la région d’Edmonton, a été fondée par M. Edward Grenke, qui en était président, directeur général et actionnaire. M. Grenke est l’inventeur, et était le titulaire, du brevet 937.

[9]  Au départ, soit en décembre 1992, M. Grenke a concédé une licence du brevet 937 à GrenCo Industries Ltd, mais il lui a ensuite cédé tous ses droits, titres et intérêts sur ce brevet le 3 juin 2010, le jour même où notre Cour a statué en sa faveur.

Le 25 octobre 2011, GrenCo Industries Ltd a changé de raison sociale pour devenir 284849 Alberta Ltd [GrenCo], qui la remplace maintenant comme partie désignée à l’instance.

[10]  M. Grenke est décédé un peu plus de deux mois après le jugement de notre Cour en sa faveur. C’est M. Darin Grenke, l’un de ses fils, qui a été nommé représentant personnel de la succession.

[11]  La défenderesse 769388 Alberta Ltd, précédemment désignée Corlac Inc [Corlac], est une société de droit albertain sise à Lloydminster (Alberta).

[12]  Corlac était la société mère et l’unique actionnaire de Corlac Equipment Ltd, qui a fabriqué, monté et vendu des têtes d’entraînement et des boîtes à garniture jusqu’en 2003. Corlac Equipment Ltd a été achetée par National-Oilwell Canada Ltd [NOC] le 20 novembre 2003 et a fusionné avec celle‑ci le 1er janvier 2004. NOC est devenue la société remplaçante.

[13]  NOC était une société de droit albertain sise à Calgary. Elle a commencé à vendre des boîtes à garniture Enviro au Canada en janvier 2004. DNOW Canada ULC, l’une des défenderesses actuellement désignées à l’instance, l’a par la suite intégrée.

[14]  National Oilwell Varco Inc [NOV], une autre des défenderesses actuellement désignées à l’instance, est elle aussi une société remplaçante de NOC. Constituée au Delaware et ayant son siège social à Houston (Texas), NOV est en outre la société mère originaire de ladite NOC.

[15]  Weatherford Canada Ltd est une société de droit albertain sise à Calgary. Elle s’est réclamée du breveté en tant que société absorbante de Weatherford PC Pump Ltd, qui a détenu de GrenCo la sous-licence exclusive du brevet 937 du 1er février 2000 au 1er février 2001.

[16]  Weatherford Canada Partnership a été formée par transfert d’actifs de Weatherford Artificial Lift Systems Canada Ltd, société absorbante de Weatherford PC Pump Ltd et elle-même absorbée par Weatherford Canada Ltd. Weatherford Canada Partnership s’est réclamée du breveté à partir du 1er février 2001, date où GrenCo lui a concédé la sous-licence exclusive du brevet 937.

[17]  Les défenderesses ont conclu avec Weatherford Canada Ltd et Weatherford Canada Partnership [ci‑après collectivement désignées « Weatherford » ou les « sociétés Weatherford »] un règlement amiable en date du 1er septembre 2012. Les sociétés Weatherford, bien qu’elles ne soient plus parties à la présente action, opèrent sur le marché pertinent depuis 2000.

B.  L’acquis technique du brevet 937

[18]  Notre Cour a donné une description complète du brevet 937 et de la pompe rotative à rotor hélicoïdal excentré dans la décision Weatherford Canada.

Le brevet 937 revendiquait un mécanisme d’étanchéité conçu pour régler le problème que posaient les fuites des boîtes à garniture installées sur les pompes rotatives à rotor hélicoïdal excentré. La boîte à garniture, pour le dire en termes simples, est le dispositif qui empêche de déborder sur la tête du puits le pétrole pompé par un arbre tournant.

[19]  Le brevet 937 était conçu pour limiter les fuites, qui causent la perte de pétrole, des dommages à l’environnement et des arrêts de production imprévus. Le dispositif breveté permettait un entretien planifié en faisant en sorte que les joints de la boîte à garniture ne lâchent que les uns après les autres, et en rendant possible de suivre la progression de la défaillance de ces joints de manière à prévenir un détraquement complet du mécanisme d’étanchéité.

[20]  Comme la preuve produite au présent procès l’a confirmé (voir par exemple le rapport de M. Freeson), l’unité d’entraînement pour tête de puits de GrenCo [le produit de GrenCo], grâce à sa conception unique, présentait de nombreux avantages, notamment la durabilité, la facilité d’entretien, le respect de l’environnement et la réduction des frais d’exploitation.

[21]  Il n’était pas exagéré de dire que l’introduction du produit de GrenCo [traduction] « a révolutionné le secteur des pompes rotatives à rotor hélicoïdal excentré ».

C.  Les témoins

[22]  La Cour n’a pas ici l’intention de résumer la preuve produite par chaque témoin. Nous analyserons plutôt dans les présents motifs les éléments importants de cette preuve en fonction des questions en litige. Cependant, un bref examen commenté de la preuve d’expert permettra de mettre dans une certaine mesure en contexte les conclusions de la Cour sur ces questions.

1)  Les témoins factuels des demandeurs

a)  Wes Grenke

[23]  M. Wes Grenke a proposé un témoignage utile à la fois sur le cadre général de l’affaire et sur le fonctionnement du marché au cours de la période de contrefaçon. Il a donné des explications profitables sur les modalités d’exploitation de GrenCo, certains de ces renseignements se révélant pertinents pour le calcul des coûts de revient de cette société. S’il est vrai qu’il se faisait de l’influence de GrenCo sur le marché une haute opinion que ne confirmait pas entièrement d’autres éléments de preuve concernant celui‑ci, il s’est montré franc et modeste, et il a donné un témoignage généralement crédible, même lorsqu’il rétractait des déclarations faites plusieurs années auparavant. Les critiques formulées par les défenderesses contre son témoignage ne sont pas fondées.

b)  Robert Moneta

[24]  M. Robert Moneta était technicien supérieur d’applications chez Weatherford. Il a témoigné sur les activités commerciales de ce groupe en matière de boîtes à garniture, encore que la Cour n’ait pu admettre certains de ces éléments de preuve. Il a aussi produit des éléments de preuve générale sur d’autres acteurs du marché.

c)  Shane Freeson

[25]  M. Shane Freeson a été appelé à la barre à la fois comme témoin factuel concernant son propre travail, et en qualité d’expert du marché touchant le fonctionnement et la taille de celui‑ci. Son témoignage général sur le marché s’est avéré utile, particulièrement pour la période allant jusqu’à 2004. Comme on le verra plus loin, ses hypothèses relatives aux parts de marché ultérieures se sont révélées incorrectes parce qu’il n’avait pas eu connaissance de la preuve y afférente, notamment des éléments produits par M. Hult.

[26]  M. Freeson m’est apparu comme un témoin honnête, et désireux d’aider la Cour mais n’y parvenant pas toujours. La Cour a écarté les renseignements erronés qu’il a donnés, et les demandeurs ont pu proposer des éléments plus exacts sur les parts de marché. L’autre défaut important de son témoignage était sa forte insistance sur son expérience personnelle, incompatible avec le rôle d’expert.

d)  David Garland

[27]  M. David Garland, directeur général de Cougar Wellhead Services, a témoigné sur le marché en général, ainsi que sur les ventes de Kudu, le produit Oryx, la position dominante détenue durant un certain temps par Weatherford et son recul par la suite. Son témoignage s’est révélé généralement utile à la Cour.

e)  Darin Austin

[28]  M. Darin Austin est ingénieur. Il a travaillé pour un bon nombre d’acteurs du marché des pompes rotatives à rotor hélicoïdal excentré, notamment Kudu et Robbins & Meyers. Il a décrit les divers produits qu’il connaissait bien, l’ascension de GrenCo sur le marché et le paysage concurrentiel – tous éléments historiques et contextuels que la Cour a trouvés utiles.

f)  John Gazdewich

[29]  M. John Gazdewich avait travaillé comme consultant financier pour Weatherford et Oil Lift Technology Inc [Oil Lift]. Il a produit des éléments de preuve utiles aux fins de la fixation d’un taux de redevance raisonnable.

2)  Les témoins experts des demandeurs

a)  Farley Cohen

[30]  M. Farley Cohen, CPA, était le principal témoin expert en comptabilité de GrenCo aux fins de la quantification de son préjudice économique. La Cour s’est appuyée et a fait fond sur son témoignage pour analyser dans les présents motifs les questions qu’elle avait à trancher.

[31]  M. Cohen a expliqué son approche et ses méthodes de manière claire et concise. Il a étayé logiquement ses conclusions, tout en reconnaissant les points faibles et la part de subjectivité de son raisonnement, même pour ce qui concerne le débat sur la délimitation réciproque des coûts fixes et des coûts variables.

[32]  Le témoignage de M. Cohen m’a paru objectif, hautement crédible et extrêmement utile. J’y ai accordé une grande valeur probante et je l’ai en général retenu de préférence à d’autres, en particulier ceux qui contestaient ses méthodes et ses conclusions.

b)  Cam Matthews

[33]  M. Cam Matthews, expert des pompes rotatives à rotor hélicoïdal excentré, a témoigné sur la fourchette des taux de redevance raisonnables applicables à la présente espèce. Il a expliqué logiquement comment il était arrivé à un taux de base raisonnable de 6 % – que l’expert des défenderesses a accepté –, puis l’avait majoré à 8 % pour prendre en compte divers facteurs et les circonstances particulières de l’espèce.

[34]  Le raisonnement par lequel M. Matthews a voulu expliquer comment le taux de redevance raisonnable pouvait atteindre 10 %, fondé sur son analyse de la « volonté maximum de payer » par rapport à la « volonté minimum d’accepter », m’est apparu défectueux, et je ne vois aucun motif réel d’accepter ce chiffre plus élevé. Par contre, la contestation par les défenderesses de sa crédibilité personnelle était aussi injustifiée qu’intenable. Sous réserve de certaines restrictions, j’ai estimé son témoignage utile, comme on le verra plus loin dans les présents motifs.

3)  Les témoins factuels des défenderesses

a)  Jared Kaluski

[35]  M. Jared Kaluski était gestionnaire d’approvisionnement chez Weatherford. Il a témoigné sur les ventes d’unités d’entraînement réalisées au cours de la dernière partie de la période de référence. Son témoignage ne s’est pas révélé d’une grande utilité, et sa volonté de minimiser les mérites du produit de GrenCo incite à se demander pourquoi NOV aurait déployé de tels efforts pour contrefaire un dispositif de si peu de valeur.

b)  Denis Blaquiere

[36]  M. Denis Blaquiere est l’administrateur délégué de la section PCP Solutions de Dover Corporation. Il a essayé d’être utile, donnant certains renseignements nécessaires sur les pratiques de Corlac en matière de tenue de dossiers et certains autres éléments d’information sur les ventes d’unités d’entraînement. Ses déclarations, dans bien des cas, se fondaient sur une connaissance limitée des faits ou sur les travaux d’autres personnes.

c)  Craig Hall

[37]  M. Craig Hall était copropriétaire de Brightling. Il a essayé d’aider la Cour en l’informant sur les ventes d’unités d’entraînement réalisées au cours de la période de contrefaçon. Même si son entreprise n’était pas compétitive par rapport à GrenCo, ses déclarations relatives au marché et aux produits en général ont apporté des éléments utiles sur le contexte et l’état des lieux.

d)  Glen Martinka

[38]  M. Glen Martinka occupait un poste de directeur des ventes et de l’entretien de matériel de surface chez NOV. Il a donné sur les produits de Kudu et sur les ventes d’unités d’entraînement des renseignements contextuels utiles, dont certains de nature anecdotique.

e)  Vern Hult

[39]  M. Vern Hult est l’ancien président de la société Oil Lift, qu’il a cofondée. Témoin crédible, il a produit les meilleurs éléments de preuve qu’il pouvait se rappeler au sujet des ventes d’unités d’entraînement réalisées par Oil Lift au cours de la période de contrefaçon. Bien que ses chiffres fussent approximatifs, ils étaient d’une précision suffisante pour les besoins de la Cour. Il a insisté sur les différences entre les unités d’entraînement hydrauliques pressurisées et leurs homologues électriques sous les rapports de la technologie essentielle et du marché.

f)  Murray Robertson

[40]  M. Murray Robertson, technicien d’Oil Lift, a témoigné sur Corlac, ainsi que sur les inventaires et d’autres questions semblables.

4)  Le témoin expert des défenderesses

a)  David Hall

[41]  M. David Hall, chef du contentieux et des enquêtes chez Alvarez & Marsal, à Denver, disposait d’une expérience pertinence quant à la présente affaire. La Cour a formulé ses observations sur les conclusions de M. Hall dans les paragraphes des présents motifs concernant les questions litigieuses correspondantes. Témoin crédible, il a généralement bien expliqué les fondements de ses conclusions. Sur bien des sujets, ses opinions ne différaient pas sensiblement de celles de M. Cohen.

[42]  M. Hall a beaucoup insisté sur l’aspect relatif aux redevances raisonnables de ses rapports, ce qui semblerait cadrer avec la thèse des défenderesses voulant que la fixation d’un taux de redevance raisonnable soit la meilleure manière de calculer l’indemnisation. Il n’avait pas des activités de GrenCo une connaissance aussi approfondie que M. Cohen, de sorte que son analyse des coûts de revient s’est révélée moins satisfaisante. Comme on l’a vu plus haut, la Cour a en général retenu de préférence les éléments de preuve produits par M. Cohen, parce qu’ils représentaient un effort mieux dirigé en vue du calcul de dommages-intérêts équitables et raisonnables.

D.  Le marché

[43]  Il y eut un temps où les producteurs de pétrole voyaient dans la pompe de fond le facteur le plus important du choix d’un fournisseur, l’unité d’entraînement étant considérée comme un simple article en prime.

[44]  Lorsque GrenCo a introduit ses unités d’entraînement et son nouveau dispositif d’étanchéité – qui appartiennent au membre « matériel de surface » de l’équation du forage pétrolier –, les producteurs de pétrole ont divisé en deux fonctions distinctes la gestion des opérations de pompes rotatives à rotor hélicoïdal excentré, l’une axée sur les activités de fond de puits et l’autre sur le matériel de surface, y compris les têtes d’entraînement. Les producteurs se sont alors mis à acheter séparément le matériel de fond de puits et le matériel de surface, notamment les têtes d’entraînement, choisissant leurs fournisseurs en fonction de la qualité des produits, entre autres facteurs.

[45]  Le marché sur lequel opérait GrenCo et sur lequel les défenderesses voulaient prendre pied avec leurs produits contrefaisants était le marché des unités d’entraînement écologiques de têtes de puits pour application générale dans le secteur pétrolier. Les producteurs de pétrole – souvent éperonnés par des soucis environnementaux et l’intervention de l’État – exprimaient le besoin d’un type quelconque de dispositif d’étanchéité écologique ou à l’abri des fuites. La vente et l’utilisation des boîtes à garniture en corde connaissaient un recul général. La catégorie de produits sur laquelle portait principalement la concurrence était celle des dispositifs d’étanchéité mécaniques à joints à lèvre, par opposition aux systèmes à joints hydrauliques pressurisés.

[46]  En 2000, trois grands fabricants dominaient le marché des unités d’entraînement écologiques pour têtes de puits : GrenCo, Corlac/NOV et Weatherford. En plus de ces « trois grands », deux autres sociétés opéraient sur ce marché : Oil Lift, qui avait introduit en 2000 sa boîte à garniture pressurisée, utilisée principalement par les producteurs d’huile lourde de sables bitumineux, et Kudu, qui avait lancé en 2002 sa boîte à garniture Oryx.

[47]  Le marché comptait d’autres acteurs, tels que Brightling et Baker Hughes/Enerstar, mais leurs produits n’y jouaient pas un rôle appréciable.

E.  GrenCo

[48]  Après l’introduction du produit de GrenCo, cette société, de petit atelier d’usinage qu’elle était, est devenue un fabricant important de matériel de surface pour les pompes rotatives à rotor hélicoïdal excentré.

[49]  En 2000, GrenCo avait étendu ses activités de manière à fournir une gamme de matériel et de services de surface pour le marché des installations rotatives de forage. Les services de reconditionnement et d’entretien de ses unités d’entraînement et produits connexes sont bientôt devenus une part considérable des opérations de la société. De 2000 à 2010, son modèle opérationnel comprenait la vente à sa propre clientèle d’un [traduction] « programme d’échange » par lequel elle proposait la remise en état et le reconditionnement exclusifs de ses propres unités d’entraînement. GrenCo offrait aussi d’autres services relatifs à ses propres unités d’entraînement et dispositifs d’étanchéité.

[50]  GrenCo était active dans tous les secteurs du marché canadien du forage pétrolier, de telle sorte que là où NOV opérait, GrenCo lui faisait concurrence. GrenCo concurrençait directement NOV et, pour reprendre les termes d’un représentant de cette dernière, la concurrence sur ce marché était un [traduction] « jeu à somme nulle », si bien que toute vente de NOV se faisait au détriment de GrenCo. Ce fait est confirmé pour toute la période de référence par la contrefaçon directe du produit de GrenCo.

F.  Corlac/NOV

[51]  Au départ, Corlac remettait en état, réparait et revendait des produits fabriqués par d’autres entreprises. Dans la période allant de la fin de 1999 au début de 2000, elle est entrée sur le marché avec la fabrication et la vente de ses boîtes à garniture Enviro, qu’elle offrait en trois modèles, respectivement désignés « Integral », « Retrofit » et « Griffin ». La Cour a conclu que ces boîtes à garniture contrefaisaient le brevet 937.

Au cours de la période de contrefaçon, soit de 2000 à juin 2010, les défenderesses ont aussi vendu des produits non contrefaisants, tels que des boîtes à garniture en corde et des boîtes à garniture pressurisée.

[52]  Les boîtes à garniture contrefaisantes de marque Enviro étaient un substitut direct du produit de GrenCo.

[53]  Le volume des ventes d’unités d’entraînement pour têtes de puits de Corlac/NOV a connu une augmentation considérable à partir de 2000. Corlac offrait des solutions de pompage complètes en groupant la vente de ses boîtes Enviro avec des produits connexes. Ces solutions de pompage étaient très recherchées.

[54]  Au début de 2004, NOV a commencé à offrir un produit hydraulique pressurisé : le dispositif d’étanchéité SAI. Elle a alors muni de ce dispositif les unités d’entraînement hydrauliques qu’elle vendait, de telle sorte qu’après un certain temps ses ventes contrefaisantes ne portaient plus que sur des unités d’entraînement électriques.

[55]  Le dispositif SAI diffère de l’invention faisant l’objet du brevet 937 et du produit contrefaisant Enviro en ce qu’il ne comporte pas de passages multiples pour les fuites permettant de déceler les défaillances des joints. Son système de détection des fuites diffère considérablement de celui du produit contrefaisant Enviro.

G.  Weatherford

[56]  Weatherford offrait une large gamme de produits apparentés. En tant que licenciée du brevet 937 de GrenCo, elle fabriquait sous licence des produits soumis à redevances, dont elle vendait la plus grande partie au Canada.

[57]  Weatherford a fait bonne figure dans le secteur des pompes rotatives à rotor hélicoïdal excentré utilisant des unités d’entraînement jusqu’à ce que, vers la fin des années 2000, ses boîtes à garniture se mettent à poser des problèmes constants et qu’Oil Lift, avec ses produits pressurisés, lui enlève une part importante de ses ventes de dispositifs hydrauliques.

H.  Le produit Oryx de Kudu

[58]  Kudu vendait des pompes de fond, du matériel d’entretien et toutes sortes de produits utilisés conjointement avec les pompes rotatives à rotor hélicoïdal excentré, notamment des unités d’entraînement. Elle offrait des boîtes à garniture en corde, type que le marché était en train de rejeter au profit du produit de GrenCo. Il est acquis aux débats que la boîte à garniture en corde perdait lentement en popularité.

[59]  Kudu a développé vers 2002 son propre dispositif d’étanchéité écologique, soit la boîte à garniture désignée Oryx. Elle a mis ce produit sur le marché vers août 2003, mais, pour diverses raisons, il ne s’est pas révélé vraiment compétitif avec le produit de GrenCo. À partir de 2005, année où Kudu a couplé une unité d’entraînement VH60 avec sa boîte Oryx, ses ventes de dispositifs d’entraînement sont passées de 200 à 320, pour se réduire à 200-250 unités de 2009 au 3 juin 2010. Kudu vendait aussi des unités d’entraînement d’autres marques qu’Oryx.

[60]  La preuve n’établit pas que les produits de Kudu aient sérieusement concurrencé ceux de GrenCo.

I.  Oil Lift

[61]  Oil Lift fabriquait du matériel de surface pour les pompes rotatives à rotor hélicoïdal excentré, principalement des têtes d’entraînement munies de boîtes à garniture qui s’intégraient dans un système pressurisé.

[62]  La grande majorité des produits vendus par Oil Lift étaient des unités d’entraînement hydrauliques pressurisées, où la pression hydraulique du pétrole comprimait les joints de la boîte à garniture.

[63]  Les ventes d’Oil Lift ont démarré lentement en 2000, et elle a eu du mal à faire accepter et distribuer ses produits jusqu’en 2008. Au cours de cette période, ses ventes sont passées de quelque 250 unités à 1 600, dont 400 unités électriques, en 2008. La preuve a montré que les unités d’entraînement électriques représentaient environ 25 % des ventes annuelles d’Oil Lift.

[64]  Comme presque tous les acteurs du secteur pétrolier, Oil Lift a souffert de l’effondrement du marché de 2009.

[65]  Toutes les analyses financières des deux parties ont pris en compte l’incidence de cet effondrement. De 2009 à 2010, les ventes d’Oil Lift ont chuté pour se chiffrer à 300-400.

J.  Les autres acteurs

[66]  Il y avait un certain nombre d’autres [traduction] « acteurs de moindre importance » sur le marché des boîtes à garniture. Certains d’entre eux, R&M par exemple, vendaient une unité d’entraînement munie d’une boîte à garniture écologique, mais ils n’ont pas eu d’incidence sensible sur le marché des produits du type GrenCo.

[67]  D’autres acteurs, comme Amik, Tierra Alta et Can‑K, avaient encore moins d’influence sur le marché.

[68]  Les experts des deux côtés ont rendu compte de diverses manières de l’incidence des ventes de tous les concurrents, même les moins importants, sur la part de marché de GrenCo et sa perte de ventes, comme on le verra plus loin à propos des questions litigieuses correspondantes.

IV.  DISCUSSION

A.  Aperçu de la question des dommages-intérêts

[69]  Les prémisses de la présente affaire sont que les défenderesses ont délibérément contrefait le brevet 937 des demandeurs et que ceux‑ci ont par conséquent droit à une indemnisation du préjudice ainsi subi. Les demandeurs ont exercé leur droit de réclamer des dommages-intérêts plutôt qu’une restitution des profits illicites réalisés par les défenderesses.

[70]  L’octroi de tels dommages-intérêts a pour but de rétablir les demandeurs dans la situation où ils se seraient trouvés n’eussent été les activités contrefaisantes des défenderesses.

[71]  La Cour d’appel fédérale a défini comme suit la juste indemnisation au paragraphe 42 de l’arrêt Apotex Inc c. Merck & Co, Inc, 2015 CAF 171, 387 DLR (4th) 552, autorisation de pourvoi devant la CSC refusée, 36655 (14 avril 2016) [Merck CAF] :

Par conséquent, lorsqu’il y a contrefaçon, la sous‑indemnisation de l’inventeur aurait pour effet de décourager la recherche et le développement ainsi que la divulgation d’inventions utiles. De la même façon, la surindemnisation de l’inventeur aurait pour effet de décourager la concurrence éventuelle si un contrefacteur éventuel ne serait pas sûr de la portée et de la validité d’un brevet. L’équilibre prévu par la Loi suppose une indemnisation parfaite.

[72]  Le juge Hughes a fait observer, au paragraphe 69 de la décision Janssen Inc c. Teva Canada Ltd, 2016 CF 93, 269 ACWS (3d) 156 [Janssen], que le tribunal appelé à quantifier l’indemnisation « doit faire appel à une imagination vive et procéder à une détermination approximative pour faire en sorte, par des moyens financiers, que le demandeur retrouve la situation dans laquelle il se serait trouvé, n’eût été la contrefaçon ».

[73]  L’approche retenue par le juge Hughes est de longue date. Le juge Harrington, au paragraphe 57 de la décision Société Telus Communications c. Peracomo Inc, 2011 CF 494, 389 FTR 196, a rapporté cette méthode fondée sur l’approximation aux observations formulées parle lord juge Winn à la page 124 de l’arrêt Doyle c. Olby (Ironmongers) Ltd, [1969] 2 All ER 119 :

[traduction] Je crois que la Cour dispose déjà d’éléments de preuve suffisants pour lui permettre de faire une évaluation en chiffres ronds. Il serait inopportun de s’engager dans un examen minutieux d’articles particuliers à l’égard desquels il faut trouver un juste équilibre et cet exercice constituerait un emploi inacceptable du temps du tribunal et de l’argent des parties.

[74]  Chaque vente d’un article contrefaisant réalisée par les défenderesses constitue une opération illicite, et les demandeurs ont droit à des dommages-intérêts au titre de chacune, comme l’enseigne notre Cour aux paragraphes 116 et 117 de la décision Jay‑Lor International Inc c. Penta Farm Systems Ltd, 2007 CF 358, 313 FTR 1 [Jay‑Lor], où l’on cite l’arrêt United Horse-shoe and Nail Co Ltd c. John Stewart and Co (1888), 5 RPC 260, aux pages 266 et 267 (HL Eng). Les demandeurs supportent la charge de prouver la quantité de leurs pertes, et le fait qu’ils auraient réalisé les ventes en question n’eût été la présence du produit contrefaisant sur le marché; voir le paragraphe 118 de décision Jay‑Lor.

[75]  Aux fins du calcul des dommages-intérêts, la Cour peut évaluer les ventes que le breveté demandeur a perdues en raison des activités du contrefacteur (le « marché acquis ») et, s’il y a des ventes contrefaisantes que le demandeur n’aurait pas réalisées ou pu réaliser, le quantum des dommages-intérêts correspondants sera une « redevance raisonnable ». C’est sur les demandeurs que pèse la charge d’établir ce qui serait arrivé dans ce monde hypothétique. Le juge Stratas a formulé au nom de la Cour d’appel fédérale les observations suivantes sur ce point dans l’arrêt Pfizer Canada Inc c. Teva Canada Ltd, 2016 CAF 161, 400 DLR (4th) 723 [Pfizer] :

[50]  Les deux expressions « aurait eu » et « aurait pu » sont les expressions clés. Les dommages-intérêts compensatoires visent à mettre les demandeurs dans la position où ils auraient été si un tort n’avait pas été commis. Pour le prouver, il faut d’abord démontrer que rien ne les a empêchés d’être dans cette position – c.-à-d., ils auraient pu être dans cette position. Et pour prouver que les demandeurs auraient été dans une position donnée, il faut aussi démontrer que les événements auraient eu lieu de telle sorte qu’ils se retrouvent dans cette position – c.-à-d., qu’ils auraient été dans cette position.

[51]  Les deux éléments doivent être réunis. L’expression « aurait pu » n’implique pas l’expression « aurait eu »; l’expression « aurait eu » n’implique pas l’expression « aurait pu » :

  Les éléments de preuve dont il ressort qu’une partie aurait fait quelque chose ne constituent pas la preuve qu’elle aurait pu faire quelque chose. Je pourrais jurer sur tous les saints que j’aurais couru dans un marathon à Toronto le 1er avril, avec l’intention d’aller jusqu’au bout, mais cela ne signifie pas forcément que j’aurais pu le terminer. Je ne suis peut-être pas suffisamment en forme physique pour le terminer.

  La preuve tendant à établir qu’une partie aurait pu faire quelque chose ne prouve pas qu’elle aurait fait quelque chose. Un entraîneur pourrait témoigner que j’étais suffisamment en forme physique pour courir un marathon au complet à Toronto le 1er avril, mais cela ne prouve pas que j’aurais pu forcément aller jusqu’au bout. Peut-être que le 1er avril j’aurais laissé tomber le marathon et j’aurais assisté à une partie de baseball à la place.

[76]  La Cour fédérale a énuméré, au paragraphe 34 de la décision AlliedSignal Inc c. Du Pont Canada Inc, 78 CPR (3d) 129, 1998 CarswellNat 271 (WL Can) (CF 1re inst.), conf. par (1999) 86 CPR (3d) 324 (CAF) [AlliedSignal], un certain nombre de facteurs à prendre en considération dans l’évaluation des dommages-intérêts :

Le processus consistant à envisager la situation hypothétique où le produit de contrefaçon n’a jamais été mis en marché est incertain. Plusieurs facteurs peuvent néanmoins aider à apporter une réponse à la question : « Que serait-il arrivé ? » Les facteurs suivants ont été étudiés dans diverses affaires :

a) Présence sur le marché de produits concurrents;

b) Avantages offerts par le produit breveté par rapport aux produits de la concurrence;

c) Avantages offerts par le produit de contrefaçon par rapport au produit breveté;

d) Position du détenteur de brevet sur le marché;

e) Position du contrefacteur sur le marché;

f) Part de marché du détenteur de brevet avant et après l’entrée sur le marché du produit de contrefaçon;

g) Taille du marché avant et après l’arrivée sur le marché du produit de contrefaçon; et

h) Capacité du détenteur de brevet à fabriquer des produits additionnels [...]

[Notes de bas de page omises.]

[77]  Les thèses respectives des parties sont en gros les suivantes :

  • Les demandeurs soutiennent avoir le droit de recouvrer les profits que leur auraient rapportés dans le monde hypothétique les ventes sur le « marché acquis ». De plus, selon eux, ils ont le droit de recouvrer des redevances raisonnables sur les ventes contrefaisantes qu’ils n’auraient pas réalisées dans le monde hypothétique. Ils ont aussi droit, ajoutent‑ils, à des dommages-intérêts punitifs et à des intérêts composés avant jugement.

  • Les défenderesses soutiennent quant à elles que les demandeurs ont échoué à établir ce qu’aurait été leur part de marché dans le monde hypothétique, de sorte qu’il faut appliquer à la quantification des dommages-intérêts la méthode des redevances raisonnables. En outre, les défenderesses nient que les demandeurs aient droit à des dommages-intérêts punitifs.

B.  Le nombre de produits contrefaisants

1)  QUESTION 1 : Combien les défenderesses ont-elles produit ou vendu d’unités d’entraînement munies de boîtes à garniture « Enviro » (en modèles « Retrofit », « Integral » ou « Griffin ») de 2000 à juin 2010 [la période de contrefaçon ou de référence]?

[78]  Les parties s’entendent sur le nombre d’unités contrefaisantes vendues de 2006 à 2010, période pendant laquelle NOV disposait d’un système comptable SAP. Pour ce qui est de l’année 2005, où elle a été privée de système comptable pendant dix mois, les experts sont d’accord pour utiliser une moyenne des ventes de 2004 et de 2006.

[79]  Concernant la période 2000‑2004, les deux experts, soit MM. Cohen pour les demandeurs et Hall pour les défendeurs, ne s’accordent pas sur le nombre d’unités d’entraînement vendues. La raison en est qu’une partie des documents de NOV relatifs à ces ventes se révèlent ambigus sur le point de savoir si celles‑ci comportaient ou non une boîte à garniture contrefaisante. La différence d’évaluation se chiffre à quelque 330 unités : M. Cohen soutient que le total le plus élevé, de 2 751, représente le nombre d’articles contrefaisants vendus, tandis que selon M. Hall, les défenderesses ont vendu 2 416 unités d’entraînement neuves et 80 d’occasion.

[80]  Les experts ont appliqué des méthodes différentes à l’interprétation des comptes ambigus. M. Hall a posé comme hypothèse que si les comptes n’indiquaient pas que les articles fussent contrefaisants, les ventes correspondantes ne l’étaient pas non plus. Quant à M. Cohen, il s’est fondé sur son constat que [traduction] « les ventes de boîtes à garniture en corde reculaient sur le marché et sur un rapprochement de comptes qu’il avait effectué pour classer comme contrefaisantes ces ventes non définies ». Ce rapprochement de comptes comparait le nombre d’unités fabriquées au nombre d’unités vendues. M. Cohen a constaté entre les deux une différence d’environ 2 %, le nombre des unités vendues dépassant celui des unités produites. Si l’on utilisait les chiffres de M. Hall, cette différence se révélait beaucoup plus importante.

[81]  M. Cohen a relevé dans son rapport en réponse un certain nombre d’anomalies de classement. Il a fait observer que, dans le cas de la vente de certaines catégories d’articles, M. Hall avait inclus la catégorie en question lorsqu’il était indiqué qu’elle était contrefaisante, mais qu’il avait exclu la même catégorie lorsque la description était muette à ce sujet; tel était le cas des modèles DH565K (108 unités) et DH682K (34 unités). À mon sens, on ne risque guère de se tromper en concluant que si certaines de ces unités étaient définies comme contrefaisantes, les ventes de toute leur catégorie étaient illicites. Par conséquent, j’accepte la conclusion de M. Cohn sur ces chiffres. Son approche cadrait avec la situation réelle du marché, tandis que la méthode de M. Hall était restrictive à l’excès.

[82]  Cependant, il a été établi au cours du contre-interrogatoire de M. Cohen que certains de ses chiffres étaient inexacts. Par exemple, la preuve a montré que les factures réunies sous la cote D‑63 s’appliquaient à des ventes non contrefaisantes. En outre, M. Cohen avait compté plus d’unités contrefaisantes qu’il n’en avait été fabriqué :

[traduction] Il est apparu au cours de son contre-interrogatoire que M. Cohen avait en fait compté plus d’unités contrefaisantes qu’il n’en avait été produit pour les périodes 2000‑2001, 2002, 2003 et 2004. Comme on peut le voir sur le tableau ci‑dessous, M. Cohen a compté : 1) 103 unités vendues de plus qu’il n’en avait été produit pour 2000‑2001; 2) 115 de plus pour la période 2000‑2002; 3) 197 de plus pour la période 2000‑2003; et 4) 127 de plus pour la période 2000‑2004.

(Conclusions finales des défenderesses.)

[83]  L’écart séparant les évaluations proposées par les parties du nombre des unités d’entraînement vendues est relativement faible. Je constate comme M. Cohen que, selon la preuve produite dans la présente instance, les ventes de boîtes à garniture en corde reculaient sur le marché. En outre, la preuve établit sans ambiguïté que NOV n’a pas vendu d’unités d’entraînement neuves munies de boîtes à garniture en corde après 2006. Néanmoins, les défenderesses me paraissent avoir établi non moins clairement que le compte de M. Cohen pose problème du fait qu’il dénombre plus d’unités vendues qu’il n’en a été produit. Comme les demandeurs n’ont proposé aucune explication de ces anomalies, je suis d’avis d’accepter le compte de M. Hall concernant les unités d’entraînement neuves, sous réserve des légères modifications indiquées plus haut.

[84]  Cependant, l’erreur est de peu d’importance et compatible avec l’approche de l’évaluation des dommages-intérêts fondée sur la détermination approximative. La Cour corrigera les chiffres dans une certaine mesure, mais cette correction n’aura pas d’incidence importante.

2)  QUESTION 2 : Combien de boîtes à garniture « Enviro » indépendantes ont-elles été produites ou vendues pendant la période de contrefaçon?

[85]  Il est acquis aux débats que les défenderesses ont vendu 1 350 boîtes à garniture indépendantes à l’état neuf, et 2 497 d’occasion, au cours de la période de contrefaçon.

C.  Les ventes perdues

1)  QUESTION 3 : GrenCo a‑t‑elle établi avoir perdu des ventes d’unités d’entraînement par suite des activités de contrefaçon des défenderesses?

[86]  On établit le lien de causalité au moyen du critère du sine qua non (ou critère du facteur déterminant), qui exige l’existence d’un rapport substantiel entre la conduite des défenderesses et le préjudice subi par les demandeurs.

[87]  Pour ce qui concerne la perte de ventes, les demandeurs doivent établir qu’ils auraient réalisé les ventes en question n’eût été la contrefaçon de leur brevet par Corlac/NOV. Quant aux ventes de Corlac/NOV qu’elle n’aurait pas réalisées, GrenCo a le droit de toucher à leur titre des redevances raisonnables.

[88]  Selon les éléments de preuve produits par M. Grenke, font valoir les demandeurs, GrenCo était capable de vendre ses unités d’entraînement sur tous les marchés pertinents. Ces éléments ont été confirmés par M. Kaluski pour Weatherford et par M. Hult pour Oil Lift. Les demandeurs mettent l’accent sur la similarité entre le produit de GrenCo et celui de Corlac/NOV : [traduction] « [L]es produits de Corlac/NOV étaient regardés sur le marché comme des concurrents directs des unités d’entraînement de GrenCo. Les deux dispositifs d’étanchéité étaient considérés comme des produits “mécaniques” ou “à joints à lèvre”, non pressurisés et pourvus de multiples orifices de détection des fuites. Les deux fournisseurs proposaient la même solution pour les unités électriques aussi bien qu’hydrauliques vendues sur le marché. » Les défenderesses ne contestent pas que GrenCo fût présente sur tous les marchés pertinents, mais ils font valoir que les demandeurs n’ont pas produit de données fiables sur la part de marché ni d’éléments de preuve tendant à établir que celle‑ci constitue un indicateur satisfaisant de ce qui aurait pu arriver, ou serait arrivé, dans le monde hypothétique.

[89]  En fait, le marché avait le choix entre le produit de GrenCo et le dispositif d’étanchéité de Corlac/NOV (le produit contrefaisant). Ni les dispositifs ne comportant pas de joints à lèvre ni ceux qui n’utilisaient pas le mécanisme d’étanchéité de l’invention n’étaient des concurrents directs.

[90]  À mon avis, les demandeurs ont établi selon la prépondérance des probabilités qu’ils ont perdu des ventes du fait de la contrefaçon de leur produit par les défenderesses : les parties opéraient sur les mêmes marchés géographiques et elles offraient des produits similaires (ou « le même produit », selon la conclusion formulée par la Cour dans la phase du présent procès relative à la responsabilité). La preuve a aussi établi la perte de ventes déterminées, par exemple dans le cas de Penn West.

2)  QUESTION 4 : L’estimation de la part de marché est-elle une méthode justifiée pour déterminer la perte de ventes et, dans l’affirmative, quel est le marché pertinent? [Les défenderesses n’ont pas traité cette question.]

[91]  La Cour fédérale a déjà utilisé la part de marché comme valeur de substitution pour calculer les ventes perdues par un demandeur, comme le montre la décision Jay-Lor :

[208]  [L]e propre témoin des défenderesses, M. Barran, qui est un expert de ces questions, a présenté son estimation de la perte de ventes de JAY‑LOR à partir de l’approche de la part de marché. M. Barran semblait n’avoir aucun doute de pouvoir obtenir une estimation valable de la perte des ventes à partir des renseignements qui lui avaient été fournis. Si l’affaire avait concerné des ventes d’un petit nombre seulement de produits de contrefaçon, il aurait peut-être fallu des éléments de preuve plus spécifiques sur les clients, ce qui était le cas dans la décision AlliedSignal, précitée, à la page 141 :

Il faut noter que, de manière générale, les tribunaux évitent [traduction] « d’exiger des demandeurs qu’ils prouvent [...] qu’un certain nombre de distributeurs auraient eu recours à eux si les défendeurs ne les avaient pas approvisionnés en produits de contrefaçon » (Meters Ltd. c. Metropolitan Gas Meters Ltd. (1911), 28 R.P.C. 157 (C.A.) à la page 161, le maître des rôles Cozens‑Hardy). En l’espèce toutefois, il ne s’agit que de neuf clients et, en tout état de fait, il est clair qu’un examen de la preuve client par client s’impose […]

[209]  En l’espèce, compte tenu que le total des ventes dépasse 800 pour la période de contrefaçon alléguée, l’approche de la part de marché est une méthodologie tout indiquée pour établir les ventes perdues. Cette méthodologie n’est pas [traduction] « de la pure guimauve ».

[92]  Comme on l’a vu plus haut, la Cour d’appel fédérale a expliqué dans l’arrêt Pfizer que les demandeurs doivent établir à la fois qu’ils auraient pu faire quelque chose et qu’ils l’auraient fait, par exemple qu’ils auraient réalisé des ventes ou auraient disposé d’une part de marché déterminée dans le monde hypothétique.

[93]  Les défenderesses font valoir que les demandeurs n’ont pas produit de données fiables sur la part de marché et qu’ils n’ont proposé aucune raison de croire que celle‑ci serait un indicateur satisfaisant de ce qui aurait pu arriver, ou serait arrivé, dans le monde hypothétique. Les demandeurs, poursuivent-elles, n’ont présenté aucun élément de preuve tendant à établir comment les consommateurs se seraient comportés n’eussent été les ventes contrefaisantes de Corlac/NOV. La décision d’acheter un produit à un fournisseur déterminé dépend de facteurs tels que le prix, le service, l’entretien, les relations personnelles et la nature du produit, de sorte qu’[traduction] « on ne peut simplement prendre pour acquis que les clients des défenderesses auraient acheté des unités d’entraînement à GrenCo dans le monde hypothétique ».

[94]  Les demandeurs soutiennent quant à eux que les parts de marché des concurrents peuvent servir de valeurs indicatives pour établir ce qu’auraient fait les acheteurs de produits contrefaisants (c’est‑à‑dire acheter les produits de GrenCo) si ces produits contrefaisants n’avaient pas été offerts, puisque [traduction] « le facteur des parts de marché a été défini comme l’un des facteurs permettant de déterminer le nombre de ventes de NOV que GrenCo aurait acquises si les produits de NOV n’avaient pas été présents sur le marché ».

[95]  Le marché acquis, c’est‑à‑dire le nombre de ventes d’unités d’entraînement perdues par GrenCo, est estimé à 911 dans le scénario 1 du rapport en réplique de M. Hall. Dans le rapport en réponse de M. Cohen, ce nombre d’unités dont GrenCo a manqué la vente est estimé à 1 268 à l’annexe 2, et à 1 192 dans la première version de l’annexe 2b. Comme je l’expliquerai plus loin, je considère comme d’une très grande utilité les calculs proposés par M. Cohen dans la version modifiée de l’annexe 2b.

[96]  L’estimation de la part de marché me paraît une méthode justifiée pour calculer les dommages-intérêts.

[97]  Contrairement à ce qu’avancent les défenderesses, nous n’avons pas ici affaire à un nombre restreint de consommateurs, comme dans le passage précité de la décision Jay‑Lor, cas qui pourrait exiger une preuve « client par client ». Il est plus urgent de savoir si les demandeurs ont établi de manière satisfaisante la part de marché dont ils auraient disposé dans le monde hypothétique, comme il sera expliqué plus loin.

3)  QUESTION 5 : Quelle était la part estimative de GrenCo sur le marché pertinent? [Les défenderesses n’ont pas traité cette question.]

QUESTION 6 : Quelle aurait été la part de GrenCo sur le marché si les défenderesses n’y avaient pas vendu leurs produits contrefaisants?

QUESTION 7 : Combien d’unités d’entraînement GrenCo aurait-elle vendues n’eussent été les activités de contrefaçon des défenderesses (nombre de ventes perdues d’unités d’entraînement selon une analyse fondée sur le critère du sine qua non)?

[98]  Comme je le disais plus haut, les défenderesses font valoir que les demandeurs n’ont établi la part de marché estimative de GrenCo ni dans le monde réel ni dans le monde hypothétique. La preuve d’expert produite par M. Freeson, conçue pour donner l’information nécessaire sur la part de marché, n’était pas satisfaisante : il est acquis aux débats qu’on ne peut faire confiance à cette preuve pour des périodes déterminées. Bien que M. Freeson fût bien informé sur les acteurs du marché, les témoignages ont établi qu’il avait sous-évalué la taille de certains concurrents, notamment Kudu et Oil Lift, en particulier à compter de 2004. Par conséquent, les demandeurs aussi bien que les défenderesses ont effectué leurs propres analyses de la part de marché à partir des données disponibles, dont la Cour peut elle-même tirer ses propres conclusions.

[99]  Les demandeurs font valoir, il convient de le noter, qu’ [traduction] « il n’existe pas de chiffres entièrement exacts qu’on puisse utiliser pour déterminer les parts de marché réelles à l’époque en cause ». Cependant, comme les défenderesses l’ont fait observer, les demandeurs n’ont pas recueilli ni produit d’éléments de preuve tendant à établir les ventes réalisées par Oil Lift, Kudu et les autres concurrents au cours de la période de contrefaçon. Par conséquent, s’il y a des lacunes dans les données, les demandeurs doivent en assumer une part de responsabilité.

[100]  Comme on l’a vu plus haut, il a été établi que l’expert des demandeurs sur le marché et les parts de marché, M. Freeson, s’était trompé sur les parts de certains concurrents. Bien qu’il soit loisible à la Cour de rejeter la preuve produite par M. Freeson, les éléments de celle‑ci concernant le marché du produit en général, ainsi que la taille et la nature des concurrents, se sont révélés fiables jusqu’à l’entrée sur le marché d’Oil Lift et de certaines autres entreprises.

[101]  À l’aide des éléments de preuve plus exacts présentés au procès, la Cour peut examiner les analyses de marché concurrentes maintenant proposées par les parties. Nous n’avons pas ici affaire à une absence d’éléments de preuve, mais à la question de savoir lesquels peuvent servir à tirer des conclusions raisonnables.

[102]  Pour agencer ces éléments en vue d’établir si les demandeurs ont démontré le bien-fondé de l’octroi de dommages-intérêts et de déterminer le quantum raisonnable de ceux‑ci, j’ai suivi la voie tracée par notre Cour et la Cour d’appel de l’Ontario.

[103]  Pour ce qui concerne la Cour fédérale, le juge Collier a formulé les observations suivantes au paragraphe 30 de la décision Xerox du Canada Limitée c. IBM Canada Limitée, 33 CPR (2d) 24, 1977 CarswellNat 669 (WL Can) (CF 1re inst.) :

En ce qui a trait à l’utilisation de ces opinions produites en preuve, je me suis efforcé de me donner des directives de la nature de celles que reçoivent les jurys à propos des éléments de preuve produits devant eux par des témoins experts aussi bien que non experts. En qualité de juge des faits, j’ai le droit d’accepter ou de rejeter en tout ou partie les éléments de preuve produits par un témoin. De même, s’agissant de témoins experts, le juge des faits peut accepter ou rejeter la totalité ou n’importe quelle partie des opinions ou convictions qu’ils expriment. Dans tous les cas, la preuve sous forme d’opinion doit être examinée avec la plus grande prudence.

[Non souligné dans l’original.]

La Cour d’appel de l’Ontario a formulé des observations semblables, dans le contexte des directives au jury sur la preuve d’expert, au paragraphe 63 de l’arrêt R c. Abbey, 2009 ONCA 624, 97 OR (3d) 330 :

[TRADUCTION]

[63] C’est après un voir-dire qu’on détermine la portée de la preuve proposée sous forme d’opinion d’expert et la manière dont elle pourra être présentée au jury si elle est admissible. Il appartient au juge du fond de fixer la procédure à suivre dans ce voir-dire. Il arrive parfois, au cours de celui‑ci, qu’on doive interroger et contre-interroger l’expert pour faire en sorte que les éléments de preuve qu’il veut produire soient bien compris. À la conclusion du voir-dire, le juge du fond doit déterminer avec exactitude la portée admissible de l’opinion proposée. Il décidera également si certains termes employés par l’expert sont inutiles à la compréhension et risquent d’induire en erreur; voir le paragraphe 16 de l’arrêt R. c. G. (P.) (2009), 242 C.C.C. (3d) 558 (C.A. Ont.). L’admissibilité n’est pas une question de tout ou rien, pas plus que le juge du fond n’est obligé d’accepter ou de rejeter la preuve d’opinion telle qu’elle est produite par l’une ou l’autre des parties. Il peut admettre une partie du témoignage offert, modifier la nature ou la portée de l’opinion proposée, ou encore corriger l’expression de cette dernière; voir par exemple la décision R. c. Wilson (2002), 166 C.C.C. (3d) 294 (C.S.J. Ont.).

[Non souligné dans l’original; notes de bas de page omises.]

a)  La part de marché

[104]  Comme les parties ont pu créer leurs modèles respectifs concernant la part de marché en se fondant sur de multiples sources, notamment la preuve factuelle de M. Freeson, il est possible d’arriver à des conclusions sur ladite part de marché considérée dans le monde réel aussi bien que dans le monde hypothétique.

[105]  S’agissant de la part de marché, il faut se concentrer sur le point de savoir ce que les clients des défenderesses auraient fait si les produits contrefaisants de ces dernières n’avaient pas été sur le marché. D’après leurs achats dans le monde réel, ces clients recherchaient un produit « écologique »; par conséquent, j’estime que les défenderesses font erreur en prenant en compte les boîtes à garniture en corde et en focalisant leur analyse sur ces produits. L’analyse de la part de marché s’en trouve faussée, et orientée dans un sens contraire au marché déjà défini pour le produit. Le marché en question est en effet celui des « boîtes à garniture écologiques ».

(i)  Les années 2000‑2002

[106]  On a présenté des éléments de preuve contradictoires sur le point de savoir quand la boîte Oryx de Kudu était arrivée sur le marché; c’est à cette contradiction qu’il faut surtout attribuer la différence entre les estimations de la part de marché proposées par les demandeurs et les défenderesses relativement à la période 2000‑2002. M. Garland a déclaré dans son témoignage que le produit Oryx n’a été lancé qu’en 2003, alors que selon M. Martinka, il était disponible à compter de 2002.

[107]  Je retiens de préférence le calcul de la part de marché proposé par les demandeurs pour ces premières années. Ils tiennent compte dans ce calcul des ventes peu importantes de certains concurrents relevés par les défenderesses, notamment Robbins & Myers, Kudu et Baker Hughes/Enerstar. J’accepte les éléments produits par les demandeurs selon lesquels, au cours de cette période, les efforts déployés par ces entreprises pour créer des boîtes à garniture écologiques se sont révélés dans une grande mesure infructueux, de sorte qu’elles disposaient d’une très faible part du marché et n’en auraient eu qu’une faible part aussi dans le monde hypothétique.

[108]  Étant donné les incertitudes du compte des unités vendues et produites, ainsi que les autres difficultés – examinées ici et plus loin – que posent les données, il faut apporter quelques ajustements aux chiffres, ce qui sera plus facile si l’on écarte la quantification proposée par les demandeurs de ce chef de dommages-intérêts.

(ii)  L’année 2003

[109]  Il est acquis aux débats que la part de marché d’Oil Lift a augmenté en 2003 et qu’elle aurait aussi progressé alors dans le monde hypothétique. De même, la solution Oryx de Kudu aurait été offerte sur le marché après 2002. Le modèle des parts de marché proposé par les demandeurs tient compte de ces augmentations.

(iii)  Les années 2004‑2010

[110]  Les parties ne s’accordent pas sur la manière dont il convient de conceptualiser le marché pour ces dernières années de la période de contrefaçon. Les demandeurs soutiennent que, étant donné la décision des défenderesses, exécutée au début de 2004, de munir ses unités d’entraînement hydrauliques de boîtes à garniture SAI non contrefaisantes, les ventes contrefaisantes des défenderesses [traduction] « sont alors devenues les ventes portant sur les unités d’entraînement électriques, produits entièrement contrefaisants ». Je considère comme logique l’approche des demandeurs (c’est‑à‑dire le modèle de rechange définissant les unités hydrauliques comme distinctes des unités électriques), et j’y vois la meilleure méthode d’évaluer l’indemnisation parfaite à laquelle ils ont droit. M. Hall a utilisé un modèle semblable dans l’un de ses scénarios. En retenant l’autre approche présentée comme possible, on risquerait de ne pas indemniser suffisamment les demandeurs de la contrefaçon.

[111]  Le modèle des demandeurs prend en compte les éléments de preuve produits au procès qui attestent la réalisation par Oil Lift de ventes importantes sur les marchés aussi bien hydraulique qu’électrique, encore que selon le témoignage de M. Hult, cette entreprise ait fait la plupart de ses ventes sur le marché hydraulique.

[112]  Je conclus qu’il serait hasardeux d’inclure dans la part de marché des unités d’entraînement électriques les considérables ventes d’unités hydrauliques réalisées par Oil Lift; en effet, selon la preuve produite au procès, [traduction] « si le site du puits avait une connexion électrique, l’unité d’entraînement était électrique ». Le modèle utilisé par les demandeurs, qui tient compte de l’augmentation des ventes d’unités d’entraînement électriques par Oil Lift, doit être retenu de préférence. En outre, le modèle des demandeurs prend en compte l’augmentation de la part de marché du dispositif Oryx de Kudu – qui pouvait être utilisé sur une unité d’entraînement aussi bien électrique qu’hydraulique –, de même que les ventes de Brightling.

[113]  Selon la preuve, les défenderesses ont réalisé très peu de ventes contrefaisantes dans les deux dernières années de la période de contrefaçon, soit 2009 et 2010. Le marché acquis pendant ces deux années sera donc extrêmement restreint.

(iv)  Conclusion

[114]  Dans l’ensemble, je suis d’avis d’accepter la conceptualisation du marché, les chiffres et les modèles proposés par les demandeurs, sous réserve des corrections indiquées plus haut. La conceptualisation du marché avancée par les défenderesses me paraît poser problème en ce qu’elle prend en compte des éléments incompatibles avec la meilleure preuve et entraînerait par conséquent une sous-indemnisation des demandeurs.

4)  QUESTION 8 : Combien GrenCo a‑t‑elle perdu en profits par vente manquée d’unité d’entraînement au cours de la période de contrefaçon? Quels étaient le prix de vente et le coût différentiel des unités d’entraînement chez GrenCo?

[115]  Les parties s’accordent en général sur la méthode à suivre pour déterminer la perte de profits de GrenCo par vente manquée d’unité d’entraînement. La contestation à ce propos porte sur la délimitation réciproque, dans certains cas, des coûts variables et des coûts fixes. Les coûts variables varient en fonction du volume de production, tandis que les coûts fixes restent les mêmes quel que soit ce volume. La question clé est ici la suivante : quels sont les coûts de GrenCo qui auraient augmenté simplement en conséquence de l’élévation du niveau d’activité qu’aurait entraînée la récupération d’une part des ventes d’unités d’entraînement réalisées par NOV?

a)  Les salaires et avantages sociaux

[116]  J’accepte la conclusion de M. Cohen touchant ces coûts. Selon la preuve produite au procès, le nombre des employés du bureau de direction est resté relativement stable sur la période de contrefaçon, et les commissions et primes n’étaient pas fonction du chiffre des ventes. Quant à l’augmentation du nombre d’employés dans les bureaux extérieurs, elle était liée à l’introduction de nouvelles gammes de produits plutôt qu’à l’accroissement des ventes.

Les défenderesses font valoir à ce propos que, suivant le témoignage de M. Grenke, les primes augmentaient en fonction de l’accroissement des revenus d’exploitation.

[117]  À mon sens, l’analyse de M. Cohen concorde plus étroitement avec la preuve produite dans la présente instance, selon laquelle l’augmentation des dépenses salariales n’était pas liée à celle des revenus d’exploitation. L’analyse de M. Hall, quoique logiquement solide, n’est pas étayée par la preuve. Celle‑ci établit que les salaires et avantages sociaux ont varié sur la durée, mais que cette variation ne coïncidait pas avec l’accroissement des revenus d’exploitation. Par conséquent, ce poste de dépenses ne devrait pas entrer dans les coûts variables.

b)  Les rémunérations des cadres

[118]  Selon le témoignage de M. Grenke, l’attribution de primes et gratifications aux cadres était un moyen de retrancher des bénéfices de l’entreprise à des fins fiscales. J’accepte le raisonnement des demandeurs comme quoi [traduction] « il n’est pas logique de compter comme dépense la manière de distribuer des bénéfices aux propriétaires ». Il en va particulièrement ainsi pour les sociétés familiales, à nombre restreint d’actionnaires.

[119]  Néanmoins, font valoir les défenderesses, certains traitements et primes ont été versés à des cadres non actionnaires. Une légère correction, comme le soutiennent les défenderesses, pourrait ici se justifier, mais ce n’est pas le rôle de la Cour, à la présente étape, de se perdre dans de menus détails comptables.

c)  Les frais de publicité, de déplacement et de promotion

[120]  Le point de vue de M. Cohen sur ce poste de dépenses me paraît juste. GrenCo avait un site Web et distribuait des brochures pour sa publicité. La preuve indique qu’elle était bien connue sur le marché. Il n’y a aucune raison de penser que l’augmentation des revenus d’exploitation aurait nécessité un supplément de publicité.

[121]  Les chiffres invoqués par les défenderesses ne tiennent pas compte du fait que toute intensification de la publicité peut être liée à l’introduction de nouvelles gammes de produits plutôt qu’à un simple accroissement des revenus d’exploitation. Par conséquent, j’accepte la conclusion de M. Cohen sur ces dépenses.

d)  Les services publics

[122]  M. Cohen admet que les frais de services publics sont variables, mais il en chiffre l’augmentation à 25 %, alors que M. Hall l’évalue à 50 %. L’approche de M. Cohen me paraît s’accorder avec le témoignage de M. Grenke, selon qui l’accroissement de l’utilisation des moteurs électriques des machines-outils aurait représenté une augmentation [traduction] « minime » des charges.

e)  Les frais bancaires et intérêts

[123]  La preuve n’indique pas que GrenCo ait financé par emprunt ses opérations quotidiennes ou qu’un accroissement de la production aurait entraîné un alourdissement de sa dette.

5)  QUESTION 9 : À combien s’élève pour les demandeurs la perte totale de profits sur les ventes manquées d’unités d’entraînement?

[124]  Il faut diviser cette question, aux fins d’examen, en deux sous-questions :

  • a) les ventes des défenderesses que les demandeurs auraient réalisées n’eût été la vente par celles‑ci de produits contrefaisants – pertes et profits directs au titre desquels les demandeurs ont droit à leurs propres profits;

  • b) les ventes des défenderesses que les demandeurs n’auraient pas réalisées, ou qu’ils ne peuvent prouver qu’ils auraient réalisées, en l’absence des produits contrefaisants sur le marché – ventes au titre desquelles ils ont droit à des redevances raisonnables.

a)  Les pertes et profits directs

[125]  Pour répondre à cette sous-question, la Cour doit prendre en considération : le nombre d’unités d’entraînement contrefaisantes vendues par NOV, à propos duquel les comptes sont parfois ambigus; le marché estimatif récupéré par GrenCo dans le monde hypothétique, ce qui implique la prise en compte des erreurs entachant les éléments de preuve produits par M. Freeson sur la part de marché; et la perte de profits par unité d’entraînement (le prix moins le coût de revient), qu’il faut calculer en tenant compte des problèmes d’établissement des coûts de revient exposés plus haut.

[126]  Pour ce qui concerne l’estimation des parts de marché dans le monde hypothétique, l’approche de M. Hall me paraît la moins utile, au motif qu’il a élaboré différents scénarios fondés sur une part de marché supposée de 10 à 30 % pour GrenCo. Cette approche manque de réalisme, étant donné qu’elle se base sur l’attribution à GrenCo d’une part de marché beaucoup plus restreinte, au cours des premières années, que ne laisse supposer toute la preuve. En effet, au cours de cette période de 2000 à 2004, GrenCo était l’acteur dominant ou l’un des acteurs dominants.

[127]  Comme j’ai généralement retenu de préférence l’approche de M. Cohen, que j’estime plus réaliste et plus équilibrée, l’annexe 2b modifiée de son rapport en réponse, ainsi que je le disais plus haut, m’a paru très utile. Il a modifié cette annexe pour prendre en compte les éléments de preuve produits au procès, notamment en corrigeant les chiffres en fonction des témoignages d’Oil Lift et de Kudu, qui ont infirmé les hypothèses erronées de M. Freeson sur la part de marché.

[128]  Un examen détaillé me convainc que les faits prouvés dans la présente instance, y compris par les témoins des défenderesses, confirment la validité de l’approche suivie dans l’annexe 2b modifiée et le calcul qui y est proposé des profits perdus sur les unités d’entraînement neuves.

[129]  Voici en résumé les chiffres qu’établit l’annexe 2b modifiée pour la période de 2000 au 3 juin 2010 :

Unités d’entraînement neuves vendues par NOV

2 592

Moyenne estimative de la part de marché de GrenCo

40,5 %

Nombre estimatif d’unités dont GrenCo a manqué la vente

1 051

Moyenne pondérée des prix unitaires de GrenCo

10 955 $

Total des revenus d’exploitation sur les unités neuves

11 513 722 $

Marge estimative sur coûts variables

38,8 %

Perte de profits sur les unités neuves

4 468 000 $

[130]  Étant donné, d’une part, les incertitudes dont la preuve est parfois entachée et le caractère discutable de certains éléments de coût, et d’autre part, l’approche fondée sur la « détermination approximative » que la Cour a adoptée, j’estime devoir octroyer pour ce chef de préjudice la somme de 4 400 000 $.

D.  Des redevances raisonnables

1)  Généralités

[131]  Pour ce qui concerne les redevances raisonnables, les parties ont avancé des taux considérablement différents aux extrémités de la fourchette, mais plus concordants au milieu.

[132]  Les demandeurs ont droit à des redevances raisonnables sur toutes ventes des défenderesses qu’ils n’auraient pas réalisées, ou pas pu réaliser, dans le monde hypothétique; voir le paragraphe 19 de la décision Jay‑Lor. La Cour fédérale a donné à ce propos l’explication suivante dans la décision AlliedSignal :

[199]  Un taux de redevances raisonnable est un taux « que le contrefacteur aurait payé si, au lieu de contrefaire le brevet, [le contrefacteur] avait été autorisé à exploiter le brevet » : Unilever PLC c. Procter & Gamble; Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd. La question est de savoir quel taux découlerait des négociations entre un concédant consentant et un porteur de brevet consentant.

[Notes de bas de page omises.]

[133]  Citons encore le raisonnement suivant que la Cour fédérale a exposé dans la décision Jay‑Lor :

[126]  Cette notion repose sur l’hypothèse selon laquelle la personne qui souhaite employer une technologie brevetée en aurait normalement demandé l’autorisation et aurait été disposée à verser une redevance pour cet emploi. Le breveté, s’il est disposé à accorder une licence sur son invention, négocierait alors les conditions de la licence, notamment le montant des redevances, avec le licencié envisagé. Cette hypothèse est manifestement artificielle dans la mesure où l’auteur de la contrefaçon, en l’espèce, n’a pas choisi de demander l’autorisation du breveté lorsqu’il a commencé à exploiter la technologie brevetée dans son propre dispositif. Il faut faire des suppositions sur la façon dont les parties auraient pu négocier. Cependant, l’attribution d’une licence est une pratique très courante dans le domaine de la propriété intellectuelle et est devenue un champ d’étude universitaire. Il semble que la méthodologie soit bien établie et relativement cohérente. Par conséquent, on dispose d’éléments de preuve sur la manière dont les parties négocient des ententes de licence et sur la théorie applicable aux négociations. En d’autres termes, en nous appuyant sur ce qui se passe dans le monde réel des pratiques en matière de licences et en appliquant une méthodologie généralement acceptée aux faits connus dans une affaire donnée, nous pouvons nous former une opinion sur les résultats de négociations hypothétiques entre les parties en l’espèce.

[134]  Au paragraphe 159 de la décision Merck & Co, Inc c. Apotex Inc, 2013 CF 751, 437 FTR 1, conf. par 2015 CAF 171, autorisation de pourvoi refusée, 36655 (14 avril 2016) [Merck CF], la Cour fédérale a souscrit à la thèse d’un témoin expert selon laquelle le moment des négociations hypothétiques se situe avant le premier acte de contrefaçon :

L’idée de base [des négociations hypothétiques] est qu’en signant un contrat de licence, le contrefacteur évite de commettre, à l’avenir, tout acte de contrefaçon, quelles que soient les modalités de cette contrefaçon et quelle qu’en soit l’étendue.

[Souligné dans l’original.]

[135]  La Cour fédérale a utilisé de multiples approches pour établir les taux de redevance raisonnables. Dans la présente instance, les parties ont toutes deux mis en œuvre « l’approche des bénéfices anticipés » (AlliedSignal et Jay‑Lor), qu’elles ont complétée par la méthode qui compare la « volonté minimum d’accepter » (la VMA) et la « volonté maximum de payer » (la VMP).

[136]  Pour construire le modèle hypothétique de la négociation du taux de redevance, il est important de tenir compte des réalités du terrain. La puissance dont GrenCo jouissait sur le marché en raison de sa technologie est un fait particulièrement significatif, tout comme il est important de se rappeler que, d’après l’ensemble de la preuve, M. Grenke aurait été peu disposé à vendre et à transiger, et prêt à aller jusqu’aux limites du « raisonnable » – plus loin peut‑être. Tout cela incite à retenir un taux situé à la limite supérieure de la fourchette raisonnable. Il est quelque peu paradoxal que M. Grenke, selon ce scénario hypothétique de négociation, soit réputé avoir accepté un quelconque taux de redevance, étant donné son intransigeance générale, telle qu’il aurait préféré « couler avec le navire » plutôt que de composer. Cependant, la Cour doit bien accepter les conditions nécessaires à l’élaboration d’un scénario hypothétique de négociation et d’accord.

2)  QUESTION 10 : Quel taux de redevance sur le prix de vente devrait‑on appliquer aux ventes d’unités d’entraînement et de boîtes à garniture contrefaisantes réalisées par les défenderesses?

[137]  Il est acquis aux débats que les demandeurs ont droit à des redevances raisonnables sur toutes ventes contrefaisantes réalisées par les défenderesses que les demandeurs, selon la Cour, n’auraient pas faites dans le monde hypothétique. Ces ventes comprennent les ventes de boîtes à garniture « indépendantes » et d’unités d’entraînement de NOV hors du marché acquis par elle, notamment toutes ses ventes contrefaisantes, de 2004 à 2010, d’unités d’entraînement hydrauliques et électriques qui auraient échappé à GrenCo.

[138]  Les parties s’accordent également sur la méthode à suivre et sur la jurisprudence applicable. Les deux experts sur ce sujet, MM. Hall et Matthews, ont appliqué l’approche des bénéfices anticipés au calcul d’un taux de redevance raisonnable. L’écart n’était pas très grand entre leurs résultats respectifs : M. Matthews a estimé au final que le taux de redevance raisonnable se situait entre 8 et 10 %, tandis que M. Hall le fixait à 7 %. Les deux experts sont arrivés au même taux de base (6,3 %), l’écart s’expliquant par la différence de leurs évaluations de la majoration à appliquer pour tenir compte des circonstances particulières de la présente espèce, opération quelque peu subjective dont nous reparlerons plus loin.

En plus d’appliquer l’approche des bénéfices anticipés, les deux experts ont pris en compte la méthode exposée dans la décision Merck CF, qui compare la volonté minimum d’accepter et la volonté maximum de payer.

[139]  Comme je le disais plus haut, la prise en considération des facteurs énumérés dans la décision AlliedSignal a mené les deux experts à l’adoption du même taux de base pour les redevances. Le désaccord à ce propos porte sur la majoration du taux de base. Les parties s’entendent pour dire que la présente espèce justifie une telle majoration, mais elles ne s’accordent pas sur la quantité de celle‑ci.

[140]  C’est l’approche de M. Matthews que je retiendrai. S’il est vrai que M. Hall est un expert en évaluation d’entreprises et en accords de licence, M. Matthews connaît très bien le secteur d’activité. Dans la décision Jay‑Lor, la Cour fédérale a conclu qu’une majoration de 1 % se justifiait en raison de facteurs tels qu’une pénétration anticipée sur le marché, et l’avantage d’être un fabricant et un distributeur. Ces facteurs étaient également pertinents dans la présente espèce, tout comme les possibilités de ventes de produits complémentaires, ainsi que d’entretien, de réparation et de remise en état. M. Matthews a conclu que tous ces facteurs justifiaient une majoration supérieure à celle de 1 % retenue dans la décision Jay‑Lor, ce qui l’a amené à fixer le taux de redevance à 8 %.

M. Hall est arrivé à un bon nombre de conclusions semblables à celles de M. Matthews, mais il a en fin de compte estimé préférable de retenir un taux de majoration plus faible.

[141]  À mon sens, M. Hall a accordé trop d’importance au fait que Corlac était une plus grande entreprise offrant plus de produits, et pas assez aux avantages de la technologie brevetée. Je conclus que l’analyse de M. Matthews est plus rigoureuse et mieux étayée par la jurisprudence, notamment la décision Jay‑Lor.

[142]  En outre, les taux de redevance payés par Weatherford (de 3,1 % à 4,7 %) ne devraient pas selon moi être invoqués comme [traduction] « confirmation » que GrenCo aurait accepté un taux de 7 %, ainsi que le font valoir les défenderesses. Le niveau peu élevé de ces taux de redevance s’explique par un ensemble exceptionnel de circonstances – notamment la concession réciproque de licences –, facteurs qui n’auraient pas joué dans les négociations hypothétiques entre GrenCo et Corlac.

[143]  Pour ce qui concerne l’analyse VMP/VMA, si je pense comme M. Matthews que GrenCo était en position de force, la fixation d’un taux de redevance de 10 % ne me paraît pas étayée par le témoignage qu’il a donné au procès. En effet, après avoir posé dans son rapport d’expert que la VMA de GrenCo s’établirait à 10 %, il a déclaré en contre-interrogatoire qu’une fourchette raisonnable pour cette VMA serait de 8 à 10 %.

[144]  La Cour fédérale explique dans la décision Merck CF qu’en cas d’absence de chevauchement entre la VMP et la VMA, c’est cette dernière qui définit le taux de redevance raisonnable. Le « minimum » de la volonté minimum d’accepter doit logiquement être l’extrémité inférieure de la fourchette; par conséquent, l’application de la décision Merck CF à la présente espèce mène à la conclusion que le pourcentage de 8 % constitue un taux de redevance raisonnable.

[145]  En conséquence, je conclus que le taux de redevance à appliquer est de 8 %.

3)  QUESTION 11 : Combien d’unités d’entraînement et de boîtes à garniture donnent-elles droit à des redevances raisonnables, et quels prix demandaient les défenderesses pour ces produits?

[146]  Comme on l’a vu plus haut et comme il est acquis aux débats, des redevances raisonnables doivent être payées sur les produits contrefaisants – boîtes à garniture vendues séparément et unités d’entraînement – qui n’appartiennent pas au « marché acquis » dans le monde hypothétique.

[147]  Ici encore, l’annexe 2b modifiée prend en compte le nombre estimatif d’unités vendues par les autres concurrents, les prix et les revenus d’exploitation, et applique un taux de redevance de 8 %. Cette analyse donne les résultats suivants pour la période de 2000 au 3 juin 2010 :

Nombre estimatif d’unités, y compris hydrauliques, vendues par les autres concurrents (du 12 février 2004 au 3 juin 2010)

1 700

Moyenne pondérée des prix unitaires

9 459 $

Total des revenus d’exploitation sur les unités d’entraînement neuves

16 080 115 $

Redevances (au taux de 8 %) sur les unités d’entraînement neuves

1 285 000 $

4)  QUESTION 12 : Quel est le total des redevances auxquelles les défendeurs ont droit sur les ventes contrefaisantes d’unités d’entraînement et de boîtes à garniture réalisées par les défenderesses?

[148]  Par conséquent, les demandeurs ont le droit de recouvrer la somme de 1 285 000 $ au titre des redevances raisonnables.

E.  Les ventes perdues de services d’entretien, d’unités d’entraînement reconditionnées et de produits complémentaires

1)  QUESTION 13 : GrenCo a‑t‑elle établi que les activités de contrefaçon des défenderesses lui aient fait perdre des ventes d’unités d’entraînement reconditionnées?

[149]  Il est probable que les activités de contrefaçon des défenderesses ont fait perdre à GrenCo des ventes d’unités d’entraînement reconditionnées. Cependant, le fait que GrenCo offrît cette possibilité à ses clients ne suffit pas à établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle aurait perdu le nombre de ventes de cette nature qu’avance le rapport de M. Cohen.

[150]  De plus, comme l’ont fait observer les défenderesses et comme M. Cohen l’a admis, l’adoption de son analyse entraînerait le double comptage d’au moins une partie des pertes de GrenCo. En effet, dans le cas où les défenderesses auraient vendu une unité d’entraînement contrefaisante déterminée, puis une autre plus tard pour la remplacer, les demandeurs toucheraient une somme au titre de la deuxième unité neuve vendue et une autre somme au titre de la vente perdue d’un produit reconditionné (sur la base de la vente de la première unité contrefaisante).

[151]  Les défenderesses ont relevé plusieurs autres problèmes posés par le modèle de M. Cohen : il y emploie le terme rebuild (unité d’entraînement reconditionnée) de manière large pour désigner n’importe quelle unité d’entraînement d’occasion; son modèle ne distingue pas les consommateurs qui ont acheté une unité d’entraînement reconditionnée de ceux qui ont [traduction] « échangé » une unité d’entraînement de GrenCo contre une unité reconditionnée; et ce modèle assimile les remplacements sous garantie à des ventes de produits reconditionnés.

[152]  Par conséquent, même s’il paraît probable que GrenCo a effectivement perdu des ventes d’unités d’entraînement reconditionnées, le modèle de M. Cohen n’est pas à mon sens un moyen fiable de calculer ces ventes. Ce modèle est excessivement conjectural, et son application entraînerait une indemnisation supérieure à l’indemnisation « parfaite ». Comme les demandeurs ne sont pas parvenus à établir la méthode qui conviendrait au calcul des dommages-intérêts de ce chef (ni même s’il est possible de les calculer), je dois conclure que la seule méthode à suivre pour ce calcul consiste à établir lesdits dommages-intérêts en fonction des ventes d’unités d’entraînement d’occasion réalisées par les défenderesses.

2)  QUESTION 14 : En cas de réponse affirmative à la QUESTION 13, combien de ces ventes GrenCo a‑t‑elle perdues? À combien s’élève la perte de profits de GrenCo par vente manquée d’unité d’entraînement reconditionnée au cours de la période de contrefaçon? Quel est le total des profits perdus par GrenCo sur les ventes manquées d’unités d’entraînement reconditionnées?

[153]  Compte tenu du rapport en réplique de M. Hall et en particulier de son annexe 38R, les défenderesses ont établi, subsidiairement à leur moyen principal selon lequel la Cour ne devrait rien octroyer sous ce chef, que la perte de profits des demandeurs sur les articles reconditionnés s’élèverait à 327 835 $.

[154]  En conséquence, les demandeurs ont droit à la somme de 327 835 $ pour ce chef de dommages-intérêts.

3)  QUESTION 15 : GrenCo a‑t‑elle établi que la vente de produits contrefaisants par les défenderesses lui ait fait manquer des ventes de produits complémentaires non contrefaisants?

[155]  La Cour fédérale a expliqué dans la décision Jay‑Lor que la perte de ventes de produits brevetés peut entraîner la perte de ventes d’« ajouts » (de « produits complémentaires » selon notre terminologie) et que, si tel est le cas, cette dernière perte doit aussi entrer dans le calcul des dommages-intérêts :

[198]  Enfin, je note un autre argument connexe des défenderesses. Les défenderesses soutiennent que le coût de certaines composantes, notamment des transporteurs, ne devrait pas être inclus dans l’évaluation des coûts. À leur avis, il s’agit d’ [traduction] « ajouts » distincts, qui ne font pas partie du mélangeur vertical. La difficulté que soulève cet argument est que le transporteur et d’autres ajouts se vendent avec le mélangeur vertical et font partie de la même vente. Les transporteurs sont mentionnés brièvement comme option pour le transport du mélange dans le mémoire descriptif du brevet 092, mais JAY‑LOR n’aurait pas vendu de mélangeur vertical sans transporteur. Dans les cas où JAY‑LOR a perdu la vente d’un mélangeur vertical au profit de Penta, elle a également perdu la vente du transporteur et des autres ajouts. Par conséquent, les dommages‑intérêts des demanderesses comprennent la perte de la vente des transporteurs. Le coût de tout ajout, vendu comme unité connexe au mélangeur, ne doit pas être déduit artificiellement de l’évaluation des pertes des demanderesses.

[199]  En résumé, il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas appelant une répartition des pertes des demanderesses et leur limitation à la vis sans fin du mélangeur vertical breveté ou une exclusion des ajouts. L’évaluation des dommages-intérêts relatifs aux ventes perdues doit porter sur le mélangeur vertical dans sa totalité, tel qu’il est vendu au client.

[Non souligné dans l’original]

[156]  Au paragraphe 130 de son arrêt Beloit Canada Ltée c. Valmet-Dominion Inc (1997), 73 CPR (3d) 321, 1997 CarswellNat 719 (WL Can) (CAF), la Cour d’appel fédérale précisait que « le breveté a droit à des dommages-intérêts évalués en fonction de la vente des éléments constitutifs non argués de contrefaçon lorsqu’il est établi que cette vente s’est faite par suite de la contrefaçon de l’élément constitutif breveté ».

[157]  Dans la présente instance, la preuve établit que GrenCo vendait ordinairement avec ses unités d’entraînement de multiples produits complémentaires tels que les suivants : [traduction] « couvercles, crampons, têtes de puits, dispositifs de transmission d’énergie, pompes pour produits chimiques, pompes de recirculation, moteurs électriques, raccords en T, génératrices, poulies, coussinets, courroies, moteurs d’entraînement, plates-formes (comprenant une pompe et un réservoir hydrauliques), enveloppes, abris, rotateurs de tubage, et unités d’entraînement à fréquence variable avec leurs enveloppes (en option) ». Ces produits n’étaient pas vendus indépendamment des unités d’entraînement.

[158]  Les producteurs de pétrole achetaient souvent un ensemble de matériel de surface à un même fabricant, encore qu’il leur arrivât aussi d’acheter des éléments constitutifs de fabricants différents. D’autres fabricants, notamment les défenderesses, vendaient des produits complémentaires avec leurs unités d’entraînement. Les demandeurs soutiennent que [traduction] « [l]a perte de ventes de produits complémentaires était prévisible à partir du modèle opérationnel de GrenCo comme de celui de ses concurrents ».

[159]  Les défenderesses font valoir quant à elles que les demandeurs doivent établir que la vente du produit contrefaisant a causé la perte de ventes de produits complémentaires, au motif que [traduction] « [l]e breveté n’est pas présumé avoir droit au recouvrement des profits perdus sur les ventes de produits complémentaires au titre de ses dommages-intérêts ». Les défenderesses citent à ce propos l’arrêt Monsanto Canada Inc c. Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 RCS 902, où la Cour suprême du Canada insiste sur la nécessité du lien de causalité dans une affaire mettant en jeu une restitution de profits :

101  Il est bien établi que l’inventeur a seulement droit à la remise de la portion des profits réalisés par le contrefacteur, qui a un lien de causalité avec l’invention : Lubrizol Corp. c. Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, [1997] 2 C.F. 3 (C.A.); Celanese International Corp. c. BP Chemicals Ltd., [1999] R.P.C. 203 (Pat. Ct.), par. 37. Cela est conforme à la règle générale qui s’applique en matière de réparation non punitive : « il est essentiel que les pertes compensées soient seulement celles qui, selon une conception normale du lien de causalité, ont été causées par le manquement » (Canson Enterprises Ltd. c. Boughton& Co., [1991] 3 R.C.S. 534, p. 556, la juge McLachlin (plus tard juge en chef), cité et approuvé, au nom de la Cour, par le juge Binnie dans l’arrêt Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI Ltée, [1999] 1 R.C.S. 142, par. 93).

[160]  Les défenderesses font valoir que le breveté ne peut recouvrer les profits perdus sur les ventes de produits complémentaires protégés par d’autres brevets, citant à l’appui de cette thèse une décision anglaise : Celanese International Corp c. BP Chemicals Ltd, [1999] RPC 203 (Pat Ct). Elles prient la Cour de suivre à cet égard la jurisprudence américaine, qui enseigne que [traduction] « [s]i le produit complémentaire vendu avait un usage indépendant du dispositif breveté, il faut en déduire un lien non fonctionnel »; voir la décision Warsaw Orthopedic, Inc c. Nuvasive, Inc, 778 F (3d) 1365 (Fed Cir 2015), modifiée relativement à d’autres questions, 824 F (3d) 1344 (Fed Cir 2016).

[161]  Les défenderesses ont raison de rappeler qu’il n’existe qu’une jurisprudence canadienne restreinte sur les ventes de produits complémentaires, mais elles ne me paraissent pas avoir réussi à établir la distinction qu’elles voulaient faire admettre entre l’affaire Jay‑Lor et la présente espèce. Leur raisonnement est le suivant : [traduction] « Si le seul usage du produit vendu est de fonctionner avec l’article contrefaisant, comme c’était le cas du transporteur dans l’affaire Jay-Lor, on peut dire qu’il s’agit d’un produit complémentaire, selon une conception normale du lien de causalité. Cependant, si le produit peut être vendu séparément ou pour un autre usage, il n’est pas vendu seulement par suite de la contrefaçon, mais vraisemblablement pour des raisons commerciales ou de commodité. »

[162]  Ce raisonnement des défenderesses pose deux problèmes : premièrement, la décision Jay‑Lor ne fixe pas, implicitement ou explicitement, une telle limite à propos des ventes d’« ajouts » (la Cour fédérale y précise simplement que les « ajouts se vendent avec le mélangeur vertical et font partie de la même vente »); deuxièmement, le fait que les produits complémentaires aient été vendus [traduction] « pour des raisons commerciales ou de commodité » ne contredit pas le fait que le breveté les aurait vendus n’eussent été les activités de contrefaçon des défenderesses.

[163]  S’il n’est pas indemnisé au titre des produits complémentaires vendus par le contrefacteur, le breveté n’est pas rétabli dans la situation où il se serait trouvé n’eût été la contrefaçon, de sorte qu’il se voit sous-indemnisé. Si les demandeurs peuvent prouver selon la prépondérance des probabilités qu’ils auraient réalisé les ventes en cause dans le monde hypothétique, ils doivent à mon sens être indemnisés de cette perte. Cette façon de voir cadre avec la maigre jurisprudence canadienne relative à ce sujet, de sorte que je suis d’avis de rejeter l’argument des défenderesses selon lequel les produits complémentaires vendus ne doivent avoir aucune fonction indépendante de l’objet breveté.

[164]  Je conclus que, d’après une conception normale du lien de causalité, les ventes en cause étaient des ventes de produits complémentaires que les demandeurs, selon la prépondérance des probabilités, auraient réalisées n’eussent été les activités de contrefaçon des défenderesses.

[165]  Les défenderesses ont raison de dire que la décision d’acheter ou non des [traduction] « produits connexes » appartenait au consommateur et que certains de ces produits pouvaient être interchangeables. Cependant, la preuve me paraît amplement démontrer qu’on achetait souvent (encore que pas toujours) des produits connexes avec l’unité d’entraînement. Comme on le verra plus loin, je pense qu’on peut à la fois prendre en compte le fait que ce ne sont pas toutes les unités d’entraînement qui étaient vendues avec des produits complémentaires et retenir le modèle de M. Cohen, en minorant d’une quantité correspondante la perte estimative qu’il a calculée.

4)  QUESTION 16 : En cas de réponse affirmative à la QUESTION 15, quels sont les produits dont GrenCo a perdu des ventes et sur quelle durée les a‑t‑elle perdues? De combien d’unités de chacune de ces catégories GrenCo a‑t‑elle perdu des ventes? À combien s’élève la perte de profits de GrenCo sur les ventes de ces produits? Quel est le total des profits perdus par GrenCo sur les ventes manquées de produits complémentaires?

[166]  La méthode de M. Cohen, consistant à se fonder sur le revenu moyen que GrenCo aurait touché par vente d’unité d’entraînement neuve et la moyenne historique des marges sur coûts variables, me paraît plus raisonnable que l’approche des défenderesses. M. Cohen prend en considération le fait que les producteurs de pétrole achetaient parfois des produits complémentaires à d’autres fabricants.

[167]  Comme je l’expliquais plus haut à propos des coûts variables et de la marge sur coûts variables, les chiffres de M. Cohen me semblent rendre mieux compte de la situation de GrenCo.

[168]  Selon l’estimation de M. Cohen, GrenCo a perdu les ventes de 1 051 articles complémentaires. Si l’on pose que ce ne sont pas toutes les ventes d’unités d’entraînement qui ont entraîné la vente de produits complémentaires mais que tel était souvent le cas, il faut minorer en conséquence l’estimation de M. Cohen. La preuve établissant que la majorité des ventes comprenaient des produits complémentaires, mais pas toutes, je suis d’avis de retenir, conformément à l’approche fondée sur une « détermination approximative », le pourcentage médian entre 50 % et 100 %, pour conclure que 75 % des ventes d’unité d’entraînement comportaient la vente de tels produits connexes.

[169]  M’appuyant sur l’annexe de M. Cohen, je conclus que la perte de profits sur les ventes de produits complémentaires doit être estimée à 750 000 $, et j’octroie ce montant aux demandeurs au titre de ce chef de dommages-intérêts.

5)  QUESTION 17 : Quel est le total des profits perdus par GrenCo sur les ventes manquées de services d’entretien des unités d’entraînement?

[170]  La preuve établit, font valoir les demandeurs, que les fabricants assuraient l’entretien de leurs propres unités d’entraînement et n’entretenaient pas en général celles des autres fabricants. Le modèle opérationnel de GrenCo prévoyait le service après-vente : les joints de ses unités d’entraînement devaient être révisés et remplacés environ tous les trois ans. La preuve donne à penser que le service après-vente des unités d’entraînement était lucratif.

[171]  Les défenderesses reconnaissent que les demandeurs ont droit à des dommages-intérêts au titre des ventes manquées de services d’entretien des unités d’entraînement. Cependant, ajoutent-elles, les demandeurs doivent établir un lien de causalité.

[172]  Les demandeurs ont établi le lien nécessaire de causalité. Selon la preuve produite au procès, le fabricant, une fois qu’il avait vendu une unité d’entraînement, en assurait le service après-vente : [traduction] « Corlac/NOV devait savoir qu’en vendant des unités d’entraînement contrefaisantes au détriment de GrenCo, elle tirerait aussi profit, au même détriment, de la possibilité d’en assurer l’entretien. »

[173]  Selon la meilleure preuve, les unités d’entraînement avaient besoin de services d’entretien tous les trois ans, services qui comportaient la vente d’une trousse de scellement et d’un protecteur de tiges, et exigeaient une ou deux heures de travail. M. Cohen a établi ces chiffres à partir de données historiques.

[174]  Me fondant sur l’approche de M. Cohen, je conclus que, pour la période allant de 2003 – année où cette activité est entrée en ligne de compte – au 3 juin 2010, la perte de rémunération des services d’entretien, déduction faite des coûts de revient, s’élève à 1 150 000 $, et que GrenCo a droit à ce montant au titre de ce chef de dommages-intérêts.

F.  Les produits de substitution non contrefaisants

1)  QUESTION 18 : Les boîtes à garniture SAI ou d’autres dispositifs d’étanchéité sont‑ils des produits de substitution non contrefaisants?

[175]  Les demandeurs n’ont pas traité cette question par écrit, mais seulement dans leurs conclusions orales.

[176]  Cette question repose sur l’hypothèse selon laquelle le marché pertinent comprend des dispositifs aussi bien électriques qu’hydrauliques. Les défenderesses soutiennent que non seulement le marché pertinent comprend les deux catégories de systèmes, mais que la boîte à garniture SAI constitue un produit de substitution non contrefaisant. La preuve établit que les dispositifs d’étanchéité hydrauliques concurrençaient effectivement le dispositif mécanique à joints à lèvre dans certains contextes d’exploitation, mais ne faisaient pas partie du marché pertinent comme produits de substitution.

[177]  Il ne fait aucun doute que les SAI ne sont pas contrefaisantes; la question est de savoir si elles constituent un produit de substitution.

[178]  La disponibilité d’un produit de substitution non contrefaisant est pertinente quant à la question de savoir si les demandeurs auraient acquis des ventes dans le monde hypothétique. La Cour d’appel fédérale définit comme suit, dans l’arrêt Merck CAF, les facteurs à prendre en considération à ce propos :

[73]  Toute cour invitée à examiner les effets d’une concurrence légitime par un défendeur commercialisant un produit de substitution non contrefait est tenue de se poser au moins les questions de fait suivantes :

i)  Le produit non contrefaisant proposé offre‑t‑il un véritable produit de substitution et donc un véritable choix?

ii)  Le produit non contrefaisant proposé constitue‑t‑il un véritable choix, en ce sens qu’il est économiquement viable?

iii)  Au moment de la contrefaçon, le contrefacteur avait‑il une réserve suffisante du produit de substitution non contrefait pour remplacer les ventes de produits non contrefaits? Autrement dit, le contrefacteur aurait‑il pu vendre le produit de substitution non contrefait?

iv)  Le contrefacteur aurait‑il effectivement vendu le produit de substitution non contrefait?

[Souligné dans l’original]

[74]  Selon les principes généraux, c’est au défendeur qu’incombe la responsabilité de prouver, selon la prépondérance des probabilités, la pertinence factuelle de l’existence d’un produit non contrefaisant. En fait, Apotex a reconnu, dans son argumentation orale, qu’il lui fallait convaincre le tribunal, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle aurait utilisé le produit de substitution non contrefait. Voilà qui est conforme à la jurisprudence, par exemple dans l’arrêt Rainbow Industrial Caterers Ltd. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1991] 3 R.C.S. 3.

[Non souligné dans l’original]

[179]  Par conséquent, la Cour doit ici se poser la question de savoir si les SAI auraient pu constituer, et auraient constitué, à compter de février 2004, un produit de substitution non contrefaisant pour la boîte à garniture Enviro des défenderesses.

[180]  Comme je l’expliquais plus haut, le marché pertinent ne comprenait pas les unités d’entraînement hydrauliques, mais seulement les électriques. Les consommateurs qu’intéressaient les unités d’entraînement électriques n’en auraient pas acheté une unité d’entraînement hydraulique comme produit de substitution.

[181]  Cela étant posé, la preuve établit que des SAI ont été vendues de 2004 à 2010, mais que les défenderesses n’en ont fabriqué que dix pour des unités d’entraînement électriques. Ce nombre restreint ne suffit pas à faire de la SAI conçue pour une unité d’entraînement électrique un véritable produit de substitution : il y faudrait plus en effet que quelques ventes par‑ci par‑là.

Les défenderesses n’ont produit aucun autre élément de preuve substantielle tendant à établir qu’elles auraient pu produire suffisamment de SAI pour les unités d’entraînement électriques, et aucun élément ne prouve non plus qu’elles les auraient produites.

[182]  Les demandeurs ont droit à des redevances raisonnables sur la vente des dispositifs contrefaisants conçus pour les unités d’entraînement hydrauliques. Ces redevances sont comprises dans la somme de 1 285 000 $ que la Cour leur a déjà octroyée au titre des redevances raisonnables.

2)  QUESTION 19 : En cas de réponse affirmative à la QUESTION 18, quelle a été l’incidence de l’offre de boîtes à garniture SAI (ou d’autres dispositifs d’étanchéité) comme produits de substitution non contrefaisants? Quel est le total des profits perdus par GrenCo compte tenu de l’offre de boîtes à garniture SAI (ou d’autres dispositifs d’étanchéité) comme produits de substitution non contrefaisants?

[183]  Étant donné ma conclusion sur la question 18, il n’est pas nécessaire d’examiner la question 19.

G.  Les dommages-intérêts punitifs

1)  QUESTION 20 : La présente affaire justifie‑t‑elle l’octroi de dommages-intérêts punitifs en sus de l’indemnisation que la Cour pourrait par ailleurs prononcer?

[184]  La Cour suprême a défini comme suit la fonction des dommages-intérêts punitifs dans l’arrêt Whiten c. Pilot Insurance Co, 2002 CSC 18, [2002] 1 RCS 595 [Whiten] :

36  Exceptionnellement, des dommages-intérêts punitifs sont accordés lorsqu’une conduite « malveillante, opprimante et abusive [. . .] choque le sens de la dignité de la cour » : Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 196. Ce critère limite en conséquence de tels dommages-intérêts aux seules conduites répréhensibles représentant un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable. Parce qu’ils ont pour objet de punir le défendeur plutôt que d’indemniser le demandeur (la juste indemnité à laquelle ce dernier a droit ayant déjà été déterminée), les dommages‑intérêts punitifs chevauchent la frontière entre le droit civil (indemnisation) et le droit criminel (punition).

37  La punition est un objectif légitime non seulement en droit criminel, mais également en droit civil. Les dommages‑intérêts punitifs répondent à un besoin que ni le droit civil pur ni le droit criminel pur ne peuvent satisfaire […]

94  Pour cela, non seulement les plaideurs devront-ils rédiger avec plus de rigueur leurs prétentions au sujet des dommages‑intérêts punitifs dans les actes de procédure (voir le par. 87 ci-dessus), mais il serait également utile que le juge du procès fasse comprendre les points suivants au jury dans son exposé, en se répétant s’il le faut. (1) Les dommages-intérêts punitifs sont vraiment l’exception et non la règle. (2) Ils sont accordés seulement si le défendeur a eu une conduite malveillante, arbitraire ou extrêmement répréhensible, qui déroge nettement aux normes ordinaires de bonne conduite. (3) Lorsqu’ils sont accordés, leur quantum doit être raisonnablement proportionné, eu égard à des facteurs comme le préjudice causé, la gravité de la conduite répréhensible, la vulnérabilité relative du demandeur et les avantages ou bénéfices tirés par le défendeur, (4 ainsi qu’aux autres amendes ou sanctions infligées à ce dernier par suite de la conduite répréhensible en cause. (5) En règle générale, des dommages-intérêts punitifs sont accordés seulement lorsque la conduite répréhensible resterait autrement impunie ou lorsque les autres sanctions ne permettent pas ou ne permettraient probablement pas de réaliser les objectifs de châtiment, dissuasion et dénonciation. (6) L’objectif de ces dommages-intérêts n’est pas d’indemniser le demandeur, mais (7) de punir le défendeur comme il le mérite (châtiment), de le décourager — lui et autrui — d’agir ainsi à l’avenir (dissuasion) et d’exprimer la condamnation de l’ensemble de la collectivité à l’égard des événements (dénonciation). (8) Ils sont accordés seulement lorsque les dommages‑intérêts compensatoires, qui ont dans une certaine mesure un caractère punitif, ne permettent pas de réaliser ces objectifs. (9) Leur quantum ne doit pas dépasser la somme nécessaire pour réaliser rationnellement leur objectif. (10) Bien que l’État soit généralement le bénéficiaire des amendes ou sanctions infligées pour cause de conduite répréhensible, les dommages-intérêts punitifs constituent pour le demandeur un « profit inattendu » qui s’ajoute aux dommages-intérêts compensatoires. (11) Dans notre système de justice, les juges et les jurys estiment que des dommages‑intérêts punitifs modérés sont généralement suffisants, puisqu’ils entraînent inévitablement une stigmatisation sociale.

[Italiques dans l’original; non souligné sans l’original]

[185]  Le juge Martineau rappelait dans une décision récente de notre Cour, Airbus Helicopters, SAS c. Bell Helicopter Texteron Canada Ltée, 2017 CF 170, au paragraphe 395, 276 ACWS (3d) 915, qu’« il est tout à fait acceptable d’utiliser les dommages-intérêts punitifs pour dépouiller l’auteur de la faute des profits qu’elle lui a rapportés lorsque le montant des dommages-intérêts compensatoires ne représenterait rien d’autre pour lui qu’une dépense lui ayant permis d’augmenter ses bénéfices tout en se moquant de la loi ». Cependant, la contrefaçon de brevet, même délibérée, ne suffit pas à elle seule à justifier l’octroi de dommages-intérêts punitifs; voir le paragraphe 29 de l’arrêt Bauer Hockey Corp c. Sport Maska inc (Reebok‑CCM Hockey), 2014 CAF 158, 242 ACWS (3d) 404.

[186]  Dans la première phase, relative à la responsabilité, de la présente action, la Cour a constaté ou conclu que les défenderesses :

  • a) ont délibérément créé un produit dont elles savaient ou auraient dû savoir qu’il contreferait le brevet;

  • b) ont utilisé pour leur boîte à garniture la même conception que celle de M. Grenke et ont tiré des profits de la vente des produits contrefaisants sur une durée de dix ans (jusqu’à ce qu’elle leur ordonne de cesser leurs activités contrefaisantes);

  • c) se sont livrées à des actes qu’elle estimait injustifiables et inacceptables;

  • d) tout en niant avoir contrefait le brevet, en revendiquaient la propriété et soutenaient que c’étaient en fait les défendeurs qui avaient porté atteinte à leurs droits de brevet.

[187]  Les demandeurs soutiennent que le caractère délibéré de la contrefaçon du brevet et l’ensemble du comportement des défenderesses sont des facteurs à prendre en considération; voir le paragraphe 13 de l’arrêt Whiten. Ils rappellent l’observation suivante formulée par la Cour fédérale au paragraphe 469 de la décision Varco Canada Limited c. Pason Systems Corp, 2013 CF 750, 437 FTR 243, dans le contexte d’une restitution de profits : « Les demanderesses ont cherché à obtenir des dommages exemplaires/punitifs. Si la réparation s’était limitée à des dommages‑intérêts normaux, je les aurais accordés, car la contrefaçon a été délibérément commise malgré l’avertissement de Leier et dans le mépris des conséquences. » Les demandeurs attirent l’attention sur les profits réalisés par Corlac et l’exploitation par NOV de la technologie brevetée, faisant valoir que les défenderesses voyaient dans la présente action [traduction] « un simple poste de leurs dépenses d’exploitation ».

[188]  Il n’appartient pas aux défenderesses de soutenir que les demandeurs n’ont pas droit à une réparation en equity de leur contrefaçon délibérée. Aucune considération d’equity ne joue ici en faveur des défenderesses, mais la Cour peut tenir compte de ce fait dans d’autres domaines où elle est investie d’un pouvoir discrétionnaire, sans les pénaliser à l’excès en les condamnant à des dommages-intérêts punitifs. La preuve établit qu’il y avait à l’époque considérée de multiples acteurs qui revendiquaient la propriété de brevets semblables ou des droits y afférents. La présente action semble faire partie de cette querelle.

[189]  Ce qui précède montre qu’il faut plus qu’une contrefaçon délibérée pour justifier l’octroi de dommages-intérêts punitifs : il y faut une conduite malveillante et abusive, qu’on ne trouve pas dans la présente espèce. Les demandeurs n’ont pas établi pourquoi l’octroi de dommages-intérêts compensatoires fondés sur les pertes réelles, plus les intérêts et les dépens – plutôt que de redevances raisonnables sur toutes les ventes contrefaisantes, comme les défenderesses l’auraient voulu – ne suffirait pas à remplir les fins de dénonciation de la contrefaçon délibérée et de dissuasion y afférente.

[190]  En conséquence, la Cour ne prononcera pas de dommages-intérêts punitifs.

H.  Les intérêts

1)  QUESTION 21 : GrenCo a‑t‑elle droit à des intérêts avant jugement?

[191]  L’article 36 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, autorise la Cour à accorder des intérêts avant jugement. Selon le paragraphe 36(2) de cette loi, les demandeurs ont droit à des intérêts avant jugement, sous réserve de la discrétion judiciaire, conférée par son paragraphe 36(5), de refuser les intérêts. La Cour d’appel fédérale fait observer ce qui suit au paragraphe 140 de l’arrêt Apotex Inc c. Merck & Co Inc, 2006 CAF 323, [2007] 3 RCF 588, autorisation de pourvoi devant la CSC refusée, 31754 (10 mai 2007) : « Le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré relativement à la détermination du taux d’intérêt et de sa période d’application aiderait le tribunal à diriger le déroulement du litige et à éviter d’accorder un dédommagement inapproprié […] »

[192]  La Cour suprême formule à ce sujet l’observation suivante au paragraphe 38 de l’arrêt Banque d’Amérique du Canada c. Société de Fiducie Mutuelle, 2002 CSC 43, [2002] 2 RCS 601 : « Malgré l’impossibilité historique d’octroyer des intérêts composés, il s’agit d’un bon moyen d’indemniser le demandeur du délai écoulé entre le moment où le droit aux dommages‑intérêts a pris naissance et le moment où ils sont enfin payés. » La common law aussi bien que l’equity permettent l’octroi d’intérêts.

[193]   En outre, le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4, constitue un fondement législatif de l’octroi d’intérêts en tant qu’élément de l’indemnisation. Le juge Zinn tient à ce propos le raisonnement suivant dans la décision Eli Lilly and Company c. Apotex Inc, 2014 CF 1254, 471 FTR 292 [Eli Lilly] :

[116]  Il est possible que des intérêts doivent être versés en vertu d’une autre disposition législative, ce que la juge Gauthier a implicitement reconnu lorsqu’elle a écrit que Lilly pouvait avoir droit à des intérêts composés avant jugement « comme élément de l’indemnisation ». [Souligné dans l’original] L’« indemnisation » tire sa source du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets qui prévoit que le contrefacteur est responsable envers le breveté « du dommage » que cette contrefaçon lui a fait subir. [Non souligné dans l’original] S’il peut établir que les pertes de profits découlent de la contrefaçon et que ces profits auraient généré un revenu régulier au cours de la période de privation de ces profits, alors le breveté a également subi le préjudice de perte de revenus tirés de ces profits.

[117]  Apotex soutient que Lilly n’a pas réussi à prouver de quelconques pertes de cette nature. Elle n’a pas établi qu’elle aurait investi les profits perdus et réinvesti tout revenu tiré de ceux‑ci ou encore qu’elle aurait remboursé une dette.

[118]  Selon moi, le breveté n’est pas tenu de prouver exactement ce qu’il aurait fait des profits perdus en raison des actions du contrefacteur. [Non souligné dans l’original] Le scénario hypothétique existe justement parce que le breveté ne disposait pas des fonds. Je souscris à l’avis exprimé par S. M. Waddams dans The Law of Damages (3e éd., 1997), au paragraphe 437, cité au paragraphe 37 de l’arrêt Banque d’Amérique :

[traduction] [A]ucun principe ne paraît justifier qu’un tribunal ne puisse accorder des intérêts composés. S’il avait été indemnisé le jour où il a subi le préjudice, le demandeur aurait disposé d’un capital à placer; il aurait périodiquement touché de l’intérêt sur ce capital, qu’il aurait également placé. Le défendeur a quant à lui bénéficié des intérêts composés.

J’irais même plus loin pour dire que, dans le monde d’aujourd’hui, il faut présumer qu’un demandeur aurait gagné de l’intérêt composé sur les fonds dus et que c’est justement ce que fait un défendeur au cours de la période pendant laquelle il retient les fonds.

[Non souligné dans l’original]

[194]  Je pense comme le juge Zinn que l’octroi d’intérêts composés, à notre époque, est une mesure de réparation communément admise.

[195]  La Cour d’appel fédérale, au paragraphe 123 de l’arrêt Apotex Inc c. Wellcome Foundation Ltd (2000), [2001] 1 CF 495, 195 DLR (4th) 641(CA), conf. par 2002 CSC 77, explique que les intérêts forment un élément de l’indemnisation : « [J]e me tournerais vers le principe reconnu de longue date en jurisprudence anglo-canadienne, selon lequel l’intérêt ne doit être utilisé ni comme sanction ni comme récompense mais doit faire partie des dommages-intérêts accordés pour réparer le préjudice. » Selon les demandeurs, les intérêts avant jugement indemnisent à la fois [traduction] « 1) de l’incapacité à utiliser les sommes dues et 2) de la diminution de leur valeur sur la durée en raison de l’inflation ».

[196]  Les défenderesses soutiennent que les demandeurs n’ont pas droit à des intérêts avant jugement, au motif que le temps excessif écoulé entre l’introduction de l’action et le procès est en partie attribuable à des désaccords entre les demandeurs actuels et les demandeurs antérieurs (les deux sociétés Weatherford), qui avaient au départ introduit deux actions distinctes et n’ont réuni ces instances qu’en 2007. Les défenderesses avancent à titre subsidiaire, pour le cas où la Cour n’exercerait pas son pouvoir discrétionnaire de refuser les intérêts, que ceux‑ci devraient être calculés sur une base simple.

[197]  Comme on l’a vu plus haut, la conduite procédurale des défenderesses n’est pas non plus irréprochable, tant s’en faut. Si elles veulent invoquer la conduite suivie par les parties adverses avant la phase du procès relative à la responsabilité, il faut leur rappeler qu’elles ont alors elles-mêmes fait valoir tous les moyens de défense qui leur étaient permis, et même ceux qui ne l’étaient guère : les délais de prescription, l’évidence, l’antériorité, l’inexactitude des noms des inventeurs, une fausse déclaration dans la demande de brevet, l’abandon réputé de la demande pendant la procédure contentieuse et la divulgation antérieure de l’objet breveté. Il est très dangereux de s’embrouiller dans les contradictions que ne peut manquer d’entraîner cette approche tous azimuts de la contestation judiciaire en matière de brevets. En tout cas, une telle approche complique et allonge énormément le procès.

[198]  Les défenderesses ont aussi revendiqué la propriété du brevet en action reconventionnelle, au motif que M. Art Britton était le véritable inventeur et leur avait cédé ses droits. Notre Cour a relevé cette contradiction dans le jugement relatif à la responsabilité : « C’est ce qui arrive, a‑t‑elle fait observer, quand on court trop de lièvres à la fois. » Qui plus est, les défenderesses ont interjeté appel deux fois contre le jugement relatif à la responsabilité.

[199]  Comme on l’a vu plus haut, la décision de refuser les intérêts est de nature discrétionnaire. Or les défenderesses n’ont produit aucun élément de preuve tendant à établir que les demandeurs auraient agi avec l’intention de retarder le déroulement de la présente instance. En conséquence, je suis d’avis d’octroyer des intérêts avant jugement.

[200]  Bien que, selon les demandeurs, les parties ne s’accordent pas entièrement sur la durée pendant laquelle les intérêts devraient courir, les défenderesses n’ont pas abordé cette question dans leurs conclusions finales ni n’ont avancé aucun motif justifiant que la période d’application des intérêts diffère en l’espèce de la norme.

[201]  La Cour fédérale a rejeté, dans la décision AlliedSignal, l’argument voulant que le retard de l’une des parties à produire des documents dût amener le juge du fond à suspendre la course des intérêts sur une certaine durée :

[264]  L’avocat de la défenderesse m’a demandé d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de suspendre l’intérêt avant jugement pour deux périodes. À son avis, la demanderesse ne devrait pas avoir droit à l’intérêt du 1er septembre 1993 au 30 avril 1995, soit la période entre la décision de la Section de première instance et celle de la Cour d’appel fédérale. Il a avancé que le brevet n’était pas valide au cours de cette période. En outre, il a précisé que la demanderesse ne devrait pas avoir droit à un intérêt du 1er avril 1996 au 30 juin 1997 en raison de ce qu’il appelle un manque de collaboration de sa part dans la production de documents.

[265]  Je ne suis pas en mesure d’accepter les arguments de la défenderesse sur ce point. Le présent renvoi a soulevé un certain nombre de questions complexes et a nécessité la production d’un très grand nombre de documents. Bien que la défenderesse ait présenté plusieurs demandes d’interrogatoire de témoins et d’examen de documents, rien ne donner à penser que la demanderesse n’a pas collaboré de façon raisonnable. J’ai déjà abordé la question du souvenir qu’a eu M. Petty de conversations avec des clients sur les prix, ainsi que le fait que la défenderesse n’avait pas reçu de préavis. Selon moi, ces circonstances n’ont rien à voir avec la décision touchant l’intérêt avant jugement.

[266]  Je suis d’avis que dans les circonstances de l’espèce la demanderesse ne devrait pas être pénalisée par une réduction de l’intérêt. J’adopte respectueusement les principes suivants énoncés par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Royal Bank v. Roland Home Improvements Ltd. :

[traduction] Si le demandeur doit être pénalisé, ce devrait être en coûts, et le juge de première instance, en adjugeant les dépens entre parties dans une affaire qui justifiait prima facie les dépens procureur-client, a déjà agi ainsi. L’intérêt avant jugement fait partie de la valeur de l’adjudication, et au même titre que la Cour ne réduirait pas le montant de l’adjudication elle-même à cause du retard à porter l’affaire devant la Cour, elle ne devrait pas non plus réduire la valeur de l’allocation en diminuant l’intérêt auquel le demandeur aurait autrement droit. Au demandeur qui se plaint d’être obligé de verser des intérêts au‑delà de la période durant laquelle il aurait pu raisonnablement s’attendre à ce que le différend soit réglé, la réponse est double :

a)  il ne subit pas de pénalité d’intérêt car, durant la période d’attente, il a l’usage de l’argent qui est au bout du compte accordé au demandeur;

b)  il peut toujours faire cesser les intérêts en faisant sa propre estimation des dommages-intérêts et en les versant en Cour sans préjudice de son droit permanent de contester la responsabilité et le montant des dommages-intérêts.

[Notes de bas de page omises; non souligné dans l’original]

[202]  En conséquence, les intérêts avant jugement doivent couvrir la période de janvier 2000 au 1er mai 2017, date où s’est ouverte la phase du présent procès relative à l’indemnisation.

[203]  Il est acquis aux débats que les taux d’intérêts applicables sont ceux que fixe la Judgment Interest Act de l’Alberta, RSA 2000, c J‑1.

2)  QUESTION 22 : Les intérêts avant jugement afférents aux dommages devraient‑ils être calculés sur une base composée pour la période ayant précédé la vente à un tiers de l’actif de GrenCo?

[204]  Les demandeurs réclament, sur les dommages qui leur seront octroyés, des intérêts composés courant à partir de la date de l’introduction de l’action en 2000 jusqu’à la vente de GrenCo à un tiers, et des intérêts simples pour la suite. Les parties ne s’accordent pas sur le point de savoir si les intérêts devraient être calculés sur une base composée : les défenderesses soutiennent en effet que la Cour ne devrait accorder que des intérêts simples sur toute la période considérée.

[205]  L’alinéa 36(4)b) de la Loi sur les Cours fédérales dispose que la Cour ne peut accorder d’intérêts composés sous son régime. Cependant, comme il est expliqué plus haut, il est possible d’octroyer de tels intérêts en vertu d’autres dispositions législatives ainsi qu’en equity.

[206]  [traduction] « Du fait qu’elle n’a pas reçu au moment de la transgression des défenderesses l’indemnisation qu’elle aurait alors dû toucher, font valoir les demandeurs, GrenCo a perdu la possibilité d’utiliser les sommes en cause pour rembourser des dettes et/ou effectuer des investissements complémentaires dans le matériel et l’outillage ou la recherche-développement. » L’octroi d’intérêts composés, ajoutent-ils, constitue un bon moyen de les indemniser de la perte de [traduction] « valeur temporelle » subie par l’argent que les défenderesses ont gagné à leurs dépens.

[207]  Les défenderesses soutiennent quant à elles que la Cour ne devrait accorder aux demandeurs que des intérêts simples, à moins qu’ils n’établissent la nécessité d’intérêts composés pour la pleine indemnisation de leur préjudice. [traduction] « La conclusion la plus raisonnable qu’on puisse tirer de la conduite de GrenCo dans le monde réel, avancent-elles, est qu’elle n’aurait pas réinvesti d’autres bénéfices dans ses opérations. »

[208]  Par opposition à la conclusion favorable aux intérêts composés que le juge Zinn a formulée dans le passage précité de la décision Eli Lilly, les défenderesses invoquent les observations suivantes émises par le juge Hughes au paragraphe 138 de la décision Janssen : « Le juge Zinn dans la décision Eli Lilly semble prendre en compte la perte de profits découlant d’un préjudice imputable à la perte de ventes dans l’attribution d’intérêts composés. La Cour d’appel clarifiera peut-être la situation. »

[209]  S’il est vrai que la jurisprudence n’est pas entièrement unanime sur ce point, j’estime persuasif le raisonnement tenu par le juge Zinn dans la décision Eli Lilly. Notre Cour a récemment cité cette dernière au paragraphe 169 de la décision Dow Chemical Company c. Nova Chemicals Corporation, 2017 CF 350, 279 ACWS (3d) 385, par laquelle le juge Fothergill a accordé des intérêts composés dans une affaire où la partie lésée avait choisi la restitution des profits. « La Cour doit décider du taux d’intérêt à appliquer, constatait le juge, et si les intérêts doivent être composés ou non. La compétence en équité de la Cour et le paragraphe 44(1) de la Loi sur les brevets l’autorisent à octroyer des intérêts composés. »

[210]  La preuve nous apprend que GrenCo était encline à prélever des rémunérations et des primes sur ses profits. Cependant, d’autres éléments de la preuve tendent à établir qu’elle utilisait une part – restreinte il est vrai – de ses profits pour financer la recherche-développement. Si ses profits avaient été plus élevés, elle aurait peut-être lancé de nouveaux projets de recherche-développement. Le juge Zinn explique au paragraphe 118 de la décision Eli Lilly que « le breveté n’est pas tenu de prouver exactement ce qu’il aurait fait des profits perdus en raison des actions du contrefacteur ». Dans la présente instance, nous disposons d’éléments de preuve suffisants pour conclure que les profits auraient pu être utilisés pour la recherche-développement ou dans d’autres buts utiles à l’entreprise.

[211]  Étant donné le pouvoir discrétionnaire applicable, et compte tenu des considérations en equity et de la conduite des défenderesses, cette conclusion donne aussi à penser qu’il convient d’octroyer aux demandeurs des intérêts composés courant sur la période antérieure à la vente de GrenCo.

[212]  En conséquence, j’accorde aux demandeurs des intérêts composés au titre de cette période et des intérêts simples pour la période ultérieure.

I.  Les dépens

1)  QUESTION 23 : À qui seront adjugés les dépens afférents aux deux phases du présent procès (responsabilité et réparation), et quels en seront la nature et le montant?

[213]  Les dépens seront adjugés aux demandeurs. La nature et le montant des dépens, y compris le point de savoir s’il convient d’adjuger une somme globale, devront faire l’objet d’observations complémentaires. Les parties pourront demander à la Cour d’établir un calendrier pour la présentation de leurs observations sur les dépens.

V.  Conclusion

[214]  En conséquence, la Cour rendra une ordonnance enjoignant aux défenderesses de payer aux demandeurs

  1. des dommages de 7 915 000 $;

  2. des intérêts calculés conformément au présent jugement.

La question des dépens sera réglée par une ordonnance distincte.

« Michael L. Phelan »

Juge

Ottawa (Ontario),

le 31 mai 2018


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1236‑01

 

INTITULÉ :

DARIN GRENKE, à titre de représentant personnel de la SUCCESSION D’EDWARD GRENKE, et 284849 ALBERTA LTD. c. DNOW CANADA ULC, NATIONAL OILWELL VARCO INC. et 769388 ALBERTA LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

DU 1ER AU 5, DU 8 AU 12, ET LES 17 ET 18 MAI 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 MAI 2018

 

COMPARUTIONS :

Bruce Stratton

Vincent Man

Cristina Mihalceanu

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Christopher Kvas

William Regan

Evan Reinblatt

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DLA Piper (Canada) s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Piasetzki Nenniger Kvas s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

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